Grosses délivréesREPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 2
ARRET DU 10 SEPTEMBRE 2010
(n° 191, 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 09/09167.
Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 Janvier 2009 - Tribunal de Grande Instance de PARIS 3ème Chambre 3ème Section - RG n° 07/16685.
APPELANTES :
- SAS KÄRCHER
prise en la personne de ses représentants légaux,
ayant son siège social [Adresse 3],
- Société de droit allemand ALFRED KÄRCHER GmbH & Co.KG
prise en la personne de ses représentants légaux,
ayant son siège social [Adresse 2] (Allemagne),
représentées par la SCP MONIN - D'AURIAC DE BRONS, avoués à la Cour,
assistées de Maître Christophe CHAPOULLIE, avocat au barreau de PARIS, toque : R188.
INTIMÉE :
SARL DCM FRIESLAND
prise en la personne de son représentant légal,
ayant son siège social [Adresse 1],
représentée par la SCP BERNABE - CHARDIN - CHEVILLER, avoués à la Cour,
assistée de Maître Cécile DUNAND, avocat au barreau de PARIS, toque : E 1111.
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 11 juin 2010, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur GIRARDET, président,
Madame DARBOIS, conseillère,
Madame SAINT-SCHROEDER, conseillère.
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Monsieur NGUYEN.
ARRET :
Contradictoire,
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Monsieur GIRARDET, président, et par Monsieur NGUYEN, greffier présent lors du prononcé.
La société Alfred Kärcher Gmbh &Co. KG, ci-après Kärcher, expose qu'elle fabrique et commercialise dans le monde entier des appareils de nettoyage et en particulier des appareils de nettoyage haute pression qui sont devenus l''incontestable référence en matière de nettoyeurs haute pression' ; dès 1976, elle fit le choix de les singulariser par l'usage des seules couleurs jaune et noire réparties sur le boîtier des appareils de façon particulièrement visible ; elle utilise toujours ces deux seules couleurs sur la carrosserie de l'intégralité des produits qu'elle fabrique (plus de 1000 références) en sorte qu'elles sont devenues emblématiques de ses appareils et de ses activités ; c'est pourquoi elle procéda , le 15 mai 2007, au dépôt la marque figurative française enregistrée sous le n° 07 3 500 379 composée des deux mêmes couleurs associées , individualisées par leur numéro de la codification internationale RAL 108 , 9005, pour désigner 'les appareils de nettoyage à haute pression ; les appareils pour polir les sols et aspirateurs ; les machines de nettoyage pour surfaces dures et revêtement textiles ; balayeuses' ;
La société Kärcher France, filiale de la société Kärcher GmbH, est l'importateur et le distributeur exclusif en France des appareils en cause ;
Elles constatèrent dans le courant du mois de novembre 2007 , que la société DCM Friesland commercialisait une gamme de nettoyeurs haute pression, vendus sous la marque Karömat, jaunes et noirs, dont six constituent, selon elles, la contrefaçon servile de ses modèles.
C'est dans ce contexte que les sociétés Kärcher assignèrent la société DCM Friesland devant le tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon de la marque précitée et en concurrence déloyale ;
Par jugement en date du 28 janvier 2009, le tribunal annula la marque en raison de son défaut de caractère distinctif, rejeta dès lors les demandes formées au titre de la contrefaçon mais accueillit celles formées au titre de la concurrence déloyale, prononça des mesures d'interdiction, de retrait du marché des matériels litigieux et de publication et condamna la société DCM Friesland à verser aux sociétés Kärcher la somme de 50 000 euros ;
Vu les dernières écritures en date du 12 mai 2010 des sociétés Kärcher qui soutiennent que la marque de couleurs a un caractère distinctif et qu'elle l'a à tout le moins acquise par l'usage intensif et constant qu'elles en ont fait, pour affirmer que leurs demandes en réparation d'actes de contrefaçon sont parfaitement fondées avant de conclure à la condamnation de l'intimée à verser les sommes de 50 000 euros au titre du manque à gagner , 50 000 euros au titre des bénéfices réalisés et 20 000 euros du chef du préjudice moral né de l'atteinte portée à la marque ; subsidiairement, elles demandent à la cour de poser à la CJUE une question relative à l'interprétation des articles 2 et 3 de la directive 2008/95 CE et, plus spécialement, à la portée de l'exigence d'un agencement systématique des couleurs ; elles sollicitent la confirmation de la décision déférée pour le surplus ;
Vu les dernières écritures en date du 28 mai 2010 de la société DCM Friesland qui soutient que par le dépôt de la marque en litige, l'appelante s'est appropriée des signes usuels pour désigner des matériels de chantier et de travaux publics, en sorte que cette combinaison de deux couleurs ne peut pas devenir distinctive; elle précise qu'elle même utilise ces couleurs depuis 23 ans, comme bien d'autres opérateurs sur le marché, notamment la société Lavor ; elle conteste les actes de concurrence déloyale qui lui sont reprochés en faisant valoir que les ressemblances relevées par le premiers juges sont nécessaires et communes aux appareils commercialisés sur le marché en raison de contraintes techniques liées à leur usage, tout en soulignant que le choix de la couleur noire est dicté par le caractère salissant des conditions d'emploi des appareils; elle conclut au rejet des prétentions des appelantes et à la condamnation de ces dernières à lui verser la somme de 50 000 euros pour procédure abusive.
SUR CE,
Sur la validité de la marque :
Considérant que la société Kärcher Gmbh fait valoir que sa marque répond à l'exigence de représentation graphique puisque les deux couleurs qui la composent sont identifiées par leur référence dans la codification internationale ; qu'elle constitue bien un signe au sens de l'article 2 de la directive 2008/95 CE et que l'article 3.3 de cette directive énonce que si la marque a acquis un caractère distinctif avant même son enregistrement du fait de son usage antérieur , elle ne peut pas être annulée; que tel serait le cas de l'espèce puisqu' avant même la date de son dépôt, elle apposait sa marque bicolore depuis plus de trente ans sur ses très nombreux appareils de nettoyeurs haute-pression, pour lesquels elle détenait déjà plus de 60 % des parts du marché considéré ;
Considérant ceci rappelé, que la marque de l'appelante est en effet représentée graphiquement par la désignation du code d'identification des deux couleurs qui la composent ;
Qu'une combinaison de deux couleurs n'est pas, contrairement à ce que soutient l'intimée, exclue du champ des signes susceptibles de constituer une marque ;
Qu'en revanche, il faut qu'un tel signe soit pourvu d'un caractère distinctif , au sens de l'article 2 de la directive sus visée , c'est à dire qu'il ait la capacité de signifier aux yeux du consommateur concerné l'origine du produit ainsi désigné, et, partant, de lui permettre de réitérer une expérience positive d'achat ;
Considérant que la C J U E dans son arrêt Heildelberg Bauchemie du 24 juin 2004 est venue préciser à cet égard que la simple revendication d'une juxtaposition de deux couleurs sans agencement systématique associant ces couleurs de façon prédéterminée et constante, est nécessairement imprécise et ne permet pas au consommateur de mémoriser une combinaison précise le mettant en mesure de réitérer une expérience d'achat ;
Considérant que tel est bien le cas de l'espèce puisque que la marque en cause est en effet composée de deux couleurs sans aucun agencement particulier ;
Qu'il importe dès lors de déterminer si en dépit de l'imprécision de ses contours, cette combinaison de couleurs a pu acquérir un caractère distinctif avant son dépôt et, à défaut, après celui-ci ;
Considérant que force est de relever tout d'abord qu' il s'agit de couleurs de base et qu'elles seront dès lors plus difficilement perçues par le public comme un signe indicateur de l'origine commerciale des produits en cause ;
Considérant qu'il importe d'apprécier néanmoins si, pour les produits en cause, une proportion substantielle des milieux intéressés associerait cette combinaison de couleurs à la société Kärcher ou à une société liée à elle, à l'exclusion de toute autre entreprise ;
Qu'à cet égard, l'appelante produit divers catalogues et brochures montrant qu'elle s'est singularisée dès 1976 en présentant ces produits sous les deux couleurs jaune et noire ;
Mais considérant que si l'usage récurrent qu'a fait l'appelante, bien avant le dépôt de la marque, de la combinaison des couleurs jaune et noire n'est pas sérieusement contestable, il demeure que cette seule constatation est insuffisante à conférer un caractère distinctif à la combinaison d'autant que, comme relevé ci-avant, les deux couleurs jaune et noire telles que déposées sont des couleurs de base qui seront en conséquence plus difficilement perçues par le public comme un signe indicateur de l'origine commerciale des produits et qu'il n'est pas plus contestable que la couleur noire est d'un large usage pour des appareils techniques et salissants ;
Qu'ainsi l'appelante n'établit pas que lors du dépôt - quand bien même était-elle en position dominante sur le marché des appareils en cause et quand bien même aurait-elle été la première à faire usage de ces deux couleurs -, la combinaison des couleurs jaune et noire, sans agencement particulier, était perçue par le public comme lui signifiant l'origine des produits de nettoyage de haute-pression que commercialisait la société Kärcher SAS en France ;
Que s'agissant de la période postérieure au dépôt, elle verse des sondages réalisés auprès d'un échantillon de consommateurs en février 2007 par TNS Sofres puis en juin 2008 par la société BVA qui, selon elle, démontreraient que le public associerait 'spontanément' les couleurs jaune et noire à Kärcher et attribuerait à l'appelante l'origine des produits présentés sous lesdites couleurs ;
Considérant toutefois que pour que cette association de couleurs puisse malgré sa très faible portée intrinsèque remplir la fonction essentielle d'une marque, il faut que, grâce à l'exploitation qui en a été faite, le public concerné identifie sans hésitation la combinaison en cause comme lui signifiant l'origine des produits visés à l'enregistrement ;
Considérant qu'à la question 'cette combinaison jaune et noire vous évoque-t-elle une marque d'appareils de nettoyage à haute pression ou d'appareils de nettoyage à vapeur ou d'appareils pour polir les sols , d'aspirateurs ou de balayeurs', 40% seulement des personnes interrogées, ont répondu par l'affirmative en renvoyant à la marque en cause ;
Considérant qu'outre le fait que la question était orientée puisqu'elle pose comme acquis que cette association de couleurs constitue une marque, il demeure qu'une minorité des personnes interrogées a répondu positivement en sorte qu'il n'est pas établi que le signe tel que déposé permette de distinguer de façon immédiate et certaine les produits de la concluante ;
Que c'est dès lors à bon droit, sans qu'il soit nécessaire de poser à la CJUE une question préjudicielle sur la portée des articles 2 et 3 de la directive 2008/95 CE, que les premiers juges ont annulé la marque de l'appelante.
Sur l'action en concurrence déloyale :
Considérant que les sociétés Kärcher font valoir que l'intimée a commis des actes de concurrence déloyale en reprenant, pour les nettoyeurs haute pression litigieux commercialisés sous la marque Karömat, la combinaison des deux seules couleurs jaune et noire, apposées aux mêmes emplacements et réparties selon la même alternance ; qu'elles comparent la présentation des appareils litigieux avec celle de leurs propres appareils en relevant leurs nombreuses ressemblances visuelles ;
Considérant que l'intimée leur oppose en substance que l'usage des couleurs jaune et noire est usuel pour nombre de nettoyeurs haute-pression, que le bon sens impose de combiner la couleur noire avec une autre couleur en raison des conditions d'usage de ces appareils particulièrement salissantes, et que la configuration desdits appareils est, pour certains d'entre eux au moins, asservie aux fonctions techniques qu'ils remplissent ;
Considérant ceci exposé, que le choix des seules couleurs jaune et noire, pareillement réparties, et apposées sur la carrosserie des appareils n'est nullement dicté par des impératifs techniques ou liées aux conditions d'usage des appareils ; qu'en effet, si d'autres opérateurs sur le marché peuvent également recourir à ce même jeu de couleur pour des matériels comparables, cette occurrence au demeurant rare selon les pièces versées aux débats, ne prouve d'évidence pas le caractère nécessaire du choix de ces deux seules couleurs et, au surplus, de leur même répartition sur la carrosserie des appareils ;
Que s'agissant de la configuration de ces derniers, les appelantes soutiennent que les volumes et les lignes des modèles HD 600-100, C 110 M, Mobile C 90 M, HD 900-150, 595 H Total Stop et Glider de l'intimée sont très proches de ceux des modèles Kärcher, respectivement, HD S 550 Eco,K720 MX, K221 +, HD 698 C Eco, HD 5/12 CX, et T 300 ;
Considérant en effet que les premiers juges ont à bon droit par des motifs que la cour fait siens, relevé que ces appareils reprenaient les configurations générales des appareils des sociétés Kärcher et notamment leur volume, une carrosserie approchante et une même répartition des commandes et des accessoires ;
Considérant que l'intimée met en avant des différences de poids, de dimensions, ou de lignes qui excluraient tout risque de confusion et souligne que d'autres opérateurs sur le marché commercialisent des appareils semblables qui épousent les mêmes formes que celles reprochées ;
Mais considérant que si les appareils incriminés ne sont pas de dimensions et de formes identiques à ceux des sociétés appelantes, ils empruntent une configuration générale approchante et une répartition des couleurs jaune et noire qui ne sont commandées par aucune exigence technique et qui, ensemble, ne peuvent que créer dans l'esprit du public un risque de confusion lequel comprend le risque d'association ; que celui-ci est caractérisé en l'espèce par la croyance que les sociétés Kärcher auraient été associées à la commercialisation de ces nettoyeurs sous le signe Käromat, la société DCM Friesland ne démontrant aucunement qu'il serait d'usage, sur le marché français, de présenter ces nettoyeurs sous les formes et les couleurs qu'elle a adoptées ;
Sur les mesures réparatrices :
Considérant que la société DCM Friesland prétend que les appelantes n'ont subi aucun préjudice et déclare que le chiffre d'affaires qu'elle a réalisé entre 2005 et 2009 en commercialisant lesdits appareils se limite à une somme globale inférieure à 30 000 euros ;
Considérant toutefois que les appelantes relèvent sans être démenties que selon le tableau analytique des ventes d'appareils litigieux vendus par DCM Friesland, ce sont 69 appareils qui ont été vendus et qui ont généré un chiffre d'affaires de 34 961,10 euros , étant observé qu'aucun chiffre n'est fourni sur la vente de l'appareil HD 600-100, pourtant présenté sur le catalogue 2007 ;
Considérant qu'au regard de ces éléments, les condamnations prononcées seront confirmées.
Qu'il sera par ailleurs fait droit dans les termes dispositif ci-après, à la demande d'interdiction portant sur l'usage de l'image des appareils incriminés ;
Sur la demande reconventionnelle :
Considérant que l'accueil des demandes formées sur le fondement de la concurrence déloyale conduit au rejet de la demande reconventionnelle pour procédure abusive ;
Sur les frais irrépétibles :
Considérant que l'équité commande de condamner l'intimée à verser aux appelantes la somme de 6 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel ;
PAR CES MOTIFS,
Confirme en toute ses dispositions la décision déférée et,
Y ajoutant,
Interdit à la société DCM Friesland de faire usage notamment à titre publicitaire de l'image des appareils litigieux, sous astreinte de 300 euros par infraction constatée passé un délai de quinze jours suivant la signification du présent arrêt,
Rejette la demande reconventionnelle,
Condamne la société DCM Friesland à verser aux appelantes la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les dépens qui seront recouvrés dans les formes de l'article 699 du même code ;
Le greffier,Le Président,