Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 1
ARRET DU 5 OCTOBRE 2010
(n° 337, 4 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 09/17311
Décision déférée à la Cour : Jugement du 01 Juillet 2009 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 08/05600
APPELANTE
S.A. ACCOR agissant poursuites et diligences de son Directeur Général
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par la SCP BAUFUME-GALLAND-VIGNES, avoués à la Cour
assistée de Me Frédéric WIZMANE, avocat au barreau de PARIS, toque : P438
SCP AUGUST & DEBOUZY, avocats au barreau de PARIS
INTIME
Monsieur [D] [B]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représenté par la SCP FISSELIER - CHILOUX - BOULAY, avoués à la Cour
assisté de Me Anne-Dominique BOUSQUET, avocat au barreau de PARIS, toque : p 53
SCP COBLENCE et Associés, avocats au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 9 Juin 2010, en audience publique, le rapport entendu conformément à l'article 785 du code de procédure civile, devant la Cour composée de :
Monsieur François GRANDPIERRE, Président de chambre
Mme Brigitte HORBETTE, Conseiller
Madame Dominique GUEGUEN, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Madame Noëlle KLEIN
ARRET :
- contradictoire
- rendu publiquement par Monsieur François GRANDPIERRE, Président
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur François GRANDPIERRE, Président et par Madame Noëlle KLEIN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
******************
Un litige étant né entre la société ACCOR et M. [B], son salarié, sur les conditions de sa mise à la retraite, la société s'est prévalue devant le conseil des prud'hommes d'un accord conclu entre eux le 16 décembre 1996 dans lequel figuraient des conditions financières concernant les indemnités de départ moins favorables que celles inscrites dans un accord du 1er octobre 1992.
M. [B] ayant argué de faux cet accord au motif qu'il ne pouvait être daté du 16 décembre 1996, n'ayant été signé par l'une des parties que le 15 juin 1998, date à laquelle deux des signataires n'avaient plus le pouvoir de le faire du fait des changements survenus dans la gouvernance de la société, le conseil des prud'hommes s'est déclaré incompétent pour connaître du faux allégué.
M. [B] a alors saisi le tribunal de grande instance de Paris qui, par jugement du 1er juillet 2009, a dit que 'le document intitulé ... accord du 16 décembre 1996 conclu entre Messieurs [U], [O] et [B], faussement daté du 16 décembre 1996, est entaché de fraude' et, en conséquence, l'a déclaré inopposable à M. [B] et a condamné la société ACCOR à lui payer la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
CECI ÉTANT EXPOSÉ, LA COUR,
Vu l'appel de ce jugement par la société anonyme ACCOR en date du 30 juillet 2009,
Vu ses dernières conclusions déposées le 31 mai 2010 selon lesquelles, poursuivant l'infirmation du jugement, elle soulève in limine litis l'incompétence des juridictions civiles pour juger d'une fraude éventuelle, relevant du conseil des prud'hommes, mais seulement d'un faux et demande que M. [B] soit déclaré irrecevable en ses demandes ou débouté et condamné à lui payer 20 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Vu les dernières conclusions déposées le 1er juin 2010 par lesquelles M. [B], qui demande le rejet de la fin de non recevoir, poursuit la confirmation du jugement et sollicite la condamnation de la société ACCOR à lui payer 20 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
SUR CE,
Sur l'exception soulevée :
Considérant que la société ACCOR soulève tout d'abord l'incompétence de la juridiction à statuer sur autre chose que la constatation du faux et le fait qu'il ne pouvait se prononcer sur l'inopposabilité du document à M. [B] au motif d'une fraude, cela relevant du conseil des prud'hommes saisi du litige principal ;
Que, pour s'y opposer, M. [B] soutient l'irrecevabilité de cette exception qui n'a pas été soulevée devant le tribunal ;
Considérant cependant que la difficulté soulevée provient de la décision déférée et ne pouvait donc être formulée avant qu'elle ne fût rendue, que l'exception est, par conséquent, recevable ; qu'elle est pertinente, la procédure instaurée ayant pour objet de se prononcer sur le caractère faux, ou non, d'un document produit en justice à l'exception de toute autre considération, la juridiction saisie ne pouvant donc décider que relativement au faux mis en avant, les autres contestations relevant de la juridiction compétente au fond, savoir la juridiction prud'homale ;
Sur le faux :
Considérant que la société ACCOR, qui explique que les conditions ayant présidé à l'accord de 1992, dont la date d'acceptation ne figure nulle part, n'avaient plus cours en 1996, raison pour laquelle une nouvelle offre a été adressée à M. [B] à cette époque, qu'il n'a signée qu'en 1998 chez un huissier lequel a constaté que la signature de M. [U] n'y figurait pas, soutient que ce seul constat ne rend pas pour autant le document faux alors que M. [B] en a accepté toutes les conditions sans protester, ce qui le rend irrecevable à agir, évoquant à cet effet l'estoppel qui sanctionne le comportement d'une partie qui se contredit au détriment de son co-contractant (citant l'arrêt d'Assemblée Plénière du 27 février 2009) et manifeste ainsi sa mauvaise foi contractuelle en induisant son co-contractant en erreur ;
Considérant que M. [B] fait valoir à cet égard que le seul fait de se contredire n'emporte pas fin de non recevoir alors que sa signature devant huissier n'avait pour but que de donner date certaine à un document et non d'approuver un faux ;
Considérant que la société ACCOR soutient également que l'acceptation par M. [B] de son nouveau 'parachute doré' a été la condition du maintien de la confiance de la direction générale qui l'a nommé membre du directoire au moment du changement de gouvernance et l'y a maintenu pendant les dix ans restants de son mandat social ; que M. [B], en se réservant la preuve en question, entendait en fait ne pas accepter l'avenant, trompant la confiance de la société ; qu'elle soutient qu'il ne s'agit pas d'un faux au sens de l'article 441-1 du code pénal ;
Considérant que, M. [B] étant demandeur au constat du faux argué comme tel par lui, il lui appartient de rapporter la preuve de la fausseté de la date du 16 décembre 1996, apposée sur le document qu'il a signé le 16 juin 1998 ;
Qu'il entend faire cette démonstration au moyen du constat établi à cette date par l'huissier qui énonce que la lettre qui lui est présentée, et au bas de laquelle M. [B] appose devant lui sa signature 'en bas à droite sur l'un des courriers', ne 'comportent aucune autre signature que celles ci-dessus décrites', savoir 'signé illisible [J] [U]' ; que cet auxiliaire de justice a également constaté que les 'deux courriers' qui lui étaient présentés portaient 'en bas à droite... le nom de monsieur [X] [O]' ;
Que le tribunal en a déduit que, puisque ce dernier n'avait pas encore signé en 1998 et qu'il a écrit à M. [B] le 20 mars 2006 que l'accord antérieur de 1992 avait été remplacé par celui intervenu en 1998, la date réelle du document argué de faux était 1998 et non 1996 ;
Considérant cependant que cette constatation est, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, insuffisante à faire la preuve qui incombe à M. [B] ; qu'en effet le seul fait que celui-ci signe un document en 1998, ne démontre pas la date d'établissement dudit document et ce d'autant que sa lecture révèle qu'il parle, au futur, d'une part de 'la perspective de la modification des organes de direction du groupe', intervenue en 1997, et, d'autre part, de l'évolution de la situation du salarié en précisant que 'vous bénéficierez... de la totalité des options qui vous ont été consenties jusqu'au 31 décembre 1996 et de celles qui pourraient vous être consenties au cours de l'année 1997", ce qui ne peut se comprendre que s'il a été rédigé avant la survenance de ces dates ;
Que l'évocation par M. [O], directeur général à cette époque, dans la lettre du 20 mars 2006 retenue par les premiers juges comme corroborant la fausseté de la date du 16 décembre 1996, du fait que 'l'avenant du 1er octobre 1992... n'a plus de portée, et que... il a expressément été annulé et remplacé en 1998 par un autre document contractuel', loin de signifier que la lettre du 16 décembre 1996 était faussement datée, correspond seulement, comme l'observe pertinemment la société ACCOR, à l'acceptation, en 1998, par le salarié, de l'offre qui lui avait été faite en 1996 ;
Considérant en outre qu'à la date du 16 décembre 1996 M. [U] était directeur général du groupe et avait tout pouvoir pour signer seul les avenants aux contrats de travail des salariés de sorte que M. [B], qui reconnaît que la lettre était signée de lui, ce que l'huissier a, de plus, acté, ne peut tirer argument de l'existence d'une signature unique sur le document pour en déduire qu'il est faussement daté ; que la signature éventuellement postérieure de M. [O], au demeurant inconnue, est donc sans incidence ;
Considérant dans ces conditions que le jugement, qui indique que la société ACCOR 'ne démontre pas avoir soumis ce document à la signature de l'intéressé avant le mois de juin 1998", renversant ainsi la charge de la preuve de l'acte argué de faux par M. [B], ne peut qu'être infirmé et ce dernier débouté, le constat d'huissier n'ayant fait que donner date certaine à la signature de ce dernier mais pas à la lettre arguée de faux ;
Considérant que les circonstances légitiment l'octroi, à la société ACCOR , d'indemnités procédurales dans la mesure précisée au dispositif ;
PAR CES MOTIFS,
Infirme le jugement et statuant à nouveau,
Déboute M. [B] de sa demande tendant à faire déclarer fausse la lettre que lui a adressée la société ACCOR, à en-tête de celle-ci, datée du 16 décembre 1996, signée de M. [U],
Le condamne à payer à la société ACCOR la somme de 3 000 € (trois mille euros) en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT