Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 3 - Chambre 1
ARRÊT DU 06 OCTOBRE 2010
(n° , 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 09/08212
Décision déférée à la Cour : Jugement du 03 Mars 2009 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 05/11330
APPELANTS
1°) Monsieur [D] [R]
né le [Date naissance 14] 1934 à CIAMANACCE (CORSE)
[Adresse 1]
[Localité 17]
2°) Monsieur [T] [R]
né le [Date naissance 11] 1957 à [Localité 23] (92)
[Adresse 4]
[Localité 16]
3°) Mademoiselle [N] [R]
née le [Date naissance 7] 1969 à [Localité 21] (92)
[Adresse 2]
[Localité 12] (U.S.A)
4°) Monsieur [X] [R]
né le [Date naissance 13] 1971 à [Localité 24] (92)
[Adresse 10]
[Localité 18] (MAROC)
5°) Monsieur [D] [R]
né le [Date naissance 3] 1972 à [Localité 21] (92)
[Adresse 10]
[Localité 18] (MAROC)
représentés par la SCP MIRA - BETTAN, avoués à la Cour
assistés de Me Serge KIERSZENBAUM, avocat au barreau de PARIS, toque : U 0009,
et de Me Nina ITZEOVITZ substituant Me Jean-Dominique LOVICHI, avocat au barreau de PARIS, toque : B 616
INTIMÉE
Madame [H] [F] épouse [R]
née le [Date naissance 8] 1957 à [Localité 20] (71)
[Adresse 9]
[Localité 15]
représentée par la SCP BERNABE - CHARDIN - CHEVILLER, avoués à la Cour
assistée de Me Marie-Christine SARI de la SCP WOOG et associés, avocat au barreau de PARIS, toque : P283
COMPOSITION DE LA COUR :
Après rapport oral, l'affaire a été débattue le 01 septembre 2010, en audience publique, devant la cour composée de :
Monsieur Pascal CHAUVIN, président,
Madame Isabelle LACABARATS, conseiller
Madame Dominique REYGNER, conseiller
qui en ont délibéré
Greffier :
lors des débats et du prononcé de l'arrêt : Madame Marie-France MEGNIEN
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Pascal CHAUVIN, président, et par Madame Marie-France MEGNIEN, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*
* *
Madame [H] [F] et Monsieur [D] [R] se sont mariés le [Date mariage 6] 1994 sous le régime de la séparation de biens. Un enfant est issu de leur union, [C], né le [Date naissance 5] 1990.
Par requête enregistrée le 16 mars 2004, Madame [F] a introduit une instance en divorce pour faute.
Par acte notarié du 29 mars 2004, Monsieur [R] a consenti à ses quatre enfants issus de précédentes unions, [T], [N], [X] et [D], une donation-partage de la toute propriété d'un bien immobilier lui appartenant en propre situé à [Localité 22], lieudit '[Localité 25]' (Corse du Sud) ainsi que de divers objets mobiliers et oeuvres d'art.
Cet acte, enregistré le 7 avril 2004, a été publié le 29 septembre 2006 seulement au bureau des hypothèques d'[Localité 19].
Par jugement du 4 juin 2007, le tribunal de grande instance de Paris a prononcé le divorce de Madame [F] et de Monsieur [R] aux torts exclusifs de Monsieur [R] et, notamment, a condamné ce dernier à verser à Madame [F] une prestation compensatoire sous forme d'un capital de 1 750 000 euros.
Ce jugement a été confirmé sauf du chef de la prestation compensatoire, fixée à 1 200 000 euros, par arrêt de la cour d'appel de Paris du 6 février 2008.
Contestant la validité de l'acte de donation-partage du 29 mars 2004, Madame [F], par exploit du 12 juillet 2005, a assigné Monsieur [R] et ses enfants [T], [N], [X] et [D] [R] devant le tribunal de grande instance de Paris.
Par jugement rendu le 3 mars 2009, ce tribunal a :
- dit que la donation du 29 mars 2004 portant sur les objets mobiliers et oeuvres d'art est nulle,
- dit que ces biens mobiliers devront être réintégrés dans le patrimoine indivis des époux ou celui d'[D] [R], au vu des justificatifs produits,
- dit que la donation du 29 mars 2004 portant sur le bien immobilier situé à [Localité 22] (Corse du Sud) est inopposable à [H] [F] ,
- condamné in solidum les consorts [R] à payer à [H] [F] la somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts,
- condamné in solidum les consorts [R] à payer à [H] [F] une indemnité de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- rejeté le surplus des demandes,
- ordonné la publication de la décision à la conservation des hypothèques d'[Localité 19],
- ordonné l'exécution provisoire,
- condamné in solidum les consorts [R] aux dépens.
Les consorts [R] ont relevé appel de ce jugement le 6 avril 2009.
Dans leurs dernières conclusions, du 22 juin 2010, ils demandent à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Madame [F] de sa demande d'annulation de la donation-partage du 29 mars 2004,
- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que la donation du 29 mars 2004 portant sur les objets mobiliers et oeuvres d'art est nulle,
- réformer la décision entreprise et dire la donation du 29 mars 2004 portant sur le bien immobilier situé à [Localité 22] (Corse du Sud) parfaite et opposable à Madame [F],
- réformer la décision entreprise en ce qu'elle les a condamnés solidairement au paiement de la somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts,
- débouter Madame [F] de son appel incident en l'absence de fait nouveau,
- la condamner au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions, du 9 juillet 2010, Madame [F] prie la cour de :
- confirmer le jugement entrepris sauf en ce qui concerne le quantum des dommages et intérêts à elle alloués,
- débouter en conséquence les consorts [R] de leurs prétentions,
- dire nulle la donation du 29 mars 2004 portant sur les objets mobiliers et les oeuvres d'art situés au domicile conjugal,
- dire que la donation du 29 mars 2004 portant sur la propriété située en Corse du Sud lui est inopposable,
- faisant droit à son appel incident, condamner solidairement les consorts [R] à lui payer la somme de 400 000 euros à titre de dommages et intérêts,
- les condamner sous la même solidarité au paiement d'une indemnité de 8 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Il convient de préciser que la clôture de l'instruction de l'affaire ayant été prononcée par ordonnance du 22 juin 2010, à la date fixée par le calendrier de procédure, Madame [F], qui avait déposé des conclusions le 9 juillet 2010 aux fins de révocation de ladite ordonnance et, subsidiairement, de rejet des débats des conclusions signifiées par les appelants le 22 juin 2010, et les consorts [R], qui avaient déposé des conclusions en réponse le 27 juillet 2010 pour s'associer à la demande de révocation de l'ordonnance de clôture et, subsidiairement, voir rejeter des débats les conclusions de Madame [F] du 15 juin 2010, ont exprimé leur accord, à l'audience de plaidoiries du 1er septembre 2010, pour que l'ordonnance de clôture du 22 juin 2010 soit révoquée, qu'une nouvelle clôture soit prononcée et que l'affaire soit immédiatement plaidée en considération de leurs dernières écritures respectives, ci-dessus rappelées, renonçant à se prévaloir de tout moyen de nullité susceptible d'en résulter.
SUR CE, LA COUR,
Considérant que le jugement déféré n'est pas remis en cause en ce qu'il a rejeté les demandes de Madame [F] tendant à voir dire et juger que l'acte de donation-partage du 29 mars 2004 est indivisible et ordonner son annulation totale sur le fondement de l'article 215 du code civil ;
Que le litige est donc circonscrit à la validité de la donation portant sur divers objets mobiliers et oeuvres d'art, à l'opposabilité à Madame [F] de la donation portant sur le bien immobilier situé en Corse et aux dommages et intérêts sollicités par Madame [F] ;
Sur la donation d'objets mobiliers et oeuvres d'art
Considérant qu'aux termes de l'article 215, alinéa 3, du code civil, 'les époux ne peuvent l'un sans l'autre disposer des droits par lesquels est assuré le logement de la famille, ni des meubles meublants dont il est garni. Celui des deux qui n'a pas donné son consentement à l'acte peut en demander l'annulation : l'action en nullité lui est ouverte dans l'année à partir du jour où il a eu connaissance de l'acte, sans jamais pouvoir être intentée plus d'un an après que le régime matrimonial s'est dissous' ;
Considérant qu'il est établi par deux procès-verbaux de constat des 7 et 8 février 2003 et 11 septembre 2003 ainsi que par l'inventaire contradictoire dressé le 10 novembre 2004 au domicile conjugal, situé [Adresse 1], et au demeurant non contesté, que les objets mobiliers et oeuvres d'art donnés par Monsieur [R] à quatre de ses cinq enfants le 29 mars 2004, sans le consentement de son épouse, se trouvaient bien au domicile conjugal ;
Considérant qu'au soutien de leur appel, les consorts [R] ne font que reprendre, sans élément complémentaire utile, les moyens qu'ils ont développés en première instance et auxquels le tribunal a répondu par des motifs exacts que la cour adopte ;
Qu'il suffit d'ajouter que la donation a été consentie avant l'ordonnance de non-conciliation du 4 mai 2004 ayant attribué à Monsieur [R] la jouissance du logement et du mobilier du ménage et qu'en tout état de cause, la protection de l'article 215 du code civil ne cesse qu'avec le mariage et s'applique à tous les droits assurant le logement familial et les meubles meublants le garnissant, peu important que les biens appartiennent en propre à l'un des époux ;
Que le jugement entrepris doit donc être confirmé en ce qu'il a dit que la donation du 29 mars 2004 portant sur les objets mobiliers et oeuvres d'art est nulle et que ces biens devront être réintégrés dans le patrimoine indivis des époux ou celui d'[D] [R], au vu des justificatifs produits ;
Sur la donation du bien immobilier situé en Corse
Considérant que selon l'article 1167 du code civil, les créanciers peuvent 'en leur nom personnel, attaquer les actes faits par leur débiteur en fraude de leurs droits' ;
Que, pour exercer l'action paulienne, il suffit que le créancier possède un principe certain de créance au moment où l'acte est passé ; que, plus particulièrement, en matière de donation, le créancier peut exercer l'action paulienne même si son droit est reconnu postérieurement à la libéralité dès lors que ce droit a pris naissance avant la transcription de l'acte, nécessaire aux termes de l'article 941 du code civil pour que l'immeuble donné soit considéré, à l'égard du créancier du donateur, comme sorti du patrimoine de son débiteur ;
Qu'il appartient au créancier d'établir, au jour de l'acte litigieux, l'insolvabilité au moins apparente de son débiteur, outre sa conscience de créer un préjudice au créancier en s'appauvrissant, la complicité frauduleuse du tiers bénéficiaire de l'acte attaqué n'ayant pas à être prouvée s'il s'agit d'un acte à titre gratuit ;
Considérant que, sur la fraude paulienne imputée par Madame [F] à son ex-époux, et déniée par les consorts [R], les parties ne font là encore que reprendre leurs prétentions et moyens de première instance ;
Qu'en l'absence d'élément nouveau soumis à son appréciation, la cour estime que les premiers juges, par des motifs pertinents qu'elle approuve, ont fait une exacte appréciation des faits de la cause et des droits des parties ;
Considérant qu'il convient simplement de relever que l'acte de donation a été régularisé le 29 mars 2004, après que Monsieur [R], déjà informé par lettres d'avocat des 24 novembre et 12 décembre 2003 de la volonté de son épouse de se séparer, a été convoqué pour l'audience de tentative de conciliation du 1er avril 2004, et n'a été publié au bureau des hypothèques compétent que le 29 septembre 2006, postérieurement à l'assignation en divorce délivrée à la requête de Madame [F] le 27 septembre 2004 et aux termes de laquelle celle-ci a formalisé sa demande de prestation compensatoire ;
Que Monsieur [R], jouissant d'un patrimoine personnel substantiel, même si sa consistance n'a pu être déterminée avec précision, ainsi qu'il sera vu ci-après, ne pouvait ignorer, à la date du 29 mars 2004, que son épouse disposait d'un principe certain de créance au titre de la prestation compensatoire, compte tenu de la disparité évidente que la rupture du mariage allait créer dans leurs conditions de vie respectives, Madame [F] n'ayant aucun revenu et ne possédant aucun bien de valeur ;
Qu'en faisant donation aux quatre enfants issus d'autres unions que de son mariage avec Madame [F] du seul bien immobilier dont il était seul propriétaire en France, outre des biens mobiliers et objets d'art le garnissant, Monsieur [R] a manifestement cherché à soustraire de son patrimoine tout bien de valeur aisément saisissable et à se rendre insolvable pour échapper aux poursuites de son épouse, en toute connaissance du préjudice susceptible d'en résulter pour elle ;
Considérant qu'il y a donc lieu de confirmer également le jugement déféré en ce qu'il a dit que la donation attaquée est inopposable à Madame [F] ;
Sur la demande de dommages et intérêts
Considérant que les appelants soutiennent que la propriété de [Localité 25] a été prise en considération par le juge aux affaires familiales, puis par la cour d'appel, pour déterminer le montant de la prestation compensatoire, de sorte que Madame [F] ne justifie d'aucun préjudice ; qu'ils ajoutent que celle-ci ne fait au surplus état d'aucun élément nouveau au soutien de son appel incident tendant à voir porter la condamnation à dommages et intérêts à 400 000 euros ;
Que Madame [F] prétend que son préjudice est incontestable, la propriété de Corse, d'une valeur comprise entre 2 500 000 et 3 500 000 euros, n'ayant pas été comprise dans le patrimoine de Monsieur [R] pour la détermination de la prestation compensatoire qui lui a été allouée ;
Mais considérant que si, effectivement, Maitre [L], commise par l'ordonnance de non-conciliation, n'a pas dans son rapport du 10 juillet 2006 procédé à l'évaluation du bien de [Localité 25], le juge de la mise en état, par ordonnance du 19 septembre 2005 confirmée par arrêt du 4 mai 2006, ayant rejeté la demande d'extension de mission en considérant que cette villa n'appartenait plus à Monsieur [R], il ressort de la lecture de l'arrêt rendu le 6 février 2008 par la cour d'appel de Paris que celle-ci a tenu compte, pour déterminer le montant de la prestation compensatoire devant être versée par Monsieur [R] à Madame [F], de l'existence du bien en litige, comme faisant partie du patrimoine de l'époux, nonobstant la donation litigieuse ;
Considérant, en effet, que la cour, confirmant le jugement du 4 juin 2007, a retenu au titre des torts imputables à Monsieur [R] la dissimulation de sa situation financière, relevant notamment que 'l'acte de donation-partage du 29 mars 2004, même s'il était juridiquement possible compte tenu du régime séparatif, par sa concordance avec la lettre de l'avocat de sa femme du 18 novembre 2003 l'informant de l'imminence d'une procédure en divorce, suivie du dépôt de la requête en divorce du 16 mars 2004.....illustre la volonté du mari de faire grief à son épouse.....' ;
Que surtout, dans l'analyse des différents critères prévus par l'article 271 du code civil, et plus particulièrement du patrimoine des époux et de leurs droits existants et prévisibles, la cour, après avoir rappelé que la donation consentie par Monsieur [R] à quatre de ses enfants était contestée par l'épouse devant la 2 ème chambre du tribunal de grande instance de Paris, indique 'qu'outre la propriété corse de [Localité 25]' Monsieur [R] 'possède dans l'île des terrains....' ;
Qu'enfin elle fixe le montant de la prestation en rappelant le caractère 'non exhaustif' de son exposé de la situation de Monsieur [R], 'du fait de certaines opacités', ce dont il se déduit que, devant l'impossibilité dans laquelle elle s'est trouvée, après l'expert et le tribunal, de déterminer précisément tant la consistance que la valeur du patrimoine réel de Monsieur [R], elle a tenu compte, non pas seulement des biens dont celui-ci reconnaissait être propriétaire, mais de l'ensemble des éléments évoqués dans son arrêt caractérisant l'importance des ressources et de la fortune du mari, dont la propriété de [Localité 25], même si elle ne disposait d'estimation contradictoire ;
Considérant qu'il en résulte que Madame [F], qui n'invoque aucun préjudice autre que celui résultant de la non-prise en compte alléguée de la villa de [Localité 25] dans la détermination de la prestation compensatoire, doit être déboutée de sa demande de dommages et intérêts, étant observé que Monsieur [R] lui a réglé les sommes dues au titre de la prestation compensatoire en principal et intérêts en mars et avril 2010.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement entrepris sauf sur la condamnation à dommages et intérêts,
Statuant à nouveau, déboute Madame [F] de sa demande de dommages et intérêts,
Rejette toutes autres demandes plus amples ou contraires,
Dit n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Laisse à chaque partie la charge des dépens par elle exposés en appel.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,