RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 12
ARRÊT DU 04 Novembre 2010
(n° , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 08/01057 LL
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 16 Octobre 2008 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de CRETEIL section RG n° 07-01192C
APPELANTE
UNION POUR LE RECOUVREMENT DES COTISATIONS DE SÉCURITÉ SOCIALE ET ALLOCATIONS FAMILIALES DE PARIS/RÉGION PARISIENNE
- URSSAF 75 -
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Localité 4]
représentée par M. [M] en vertu d'un pouvoir général
INTIMÉE
ECOLE NORMALE SUPERIEURE DE [Localité 5]
[Adresse 2]
[Localité 5]
en présence de Mme [W] (responsable des affaires juridiques) en vertu d'un pouvoir spécial
représentée par Me Bruno-Yann SAPIN, avocat au barreau de PARIS, toque : D1384,
Monsieur le Directeur Régional des Affaires Sanitaires et Sociales - Région d'Ile-de-France (DRASSIF)
[Adresse 1]
[Localité 3]
Régulièrement avisé - non représenté.
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 30 Septembre 2010, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Jeannine DEPOMMIER, Président
Monsieur Louis-Marie DABOSVILLE, Conseiller
Monsieur Luc LEBLANC, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier : Madame Nadine LAVILLE, lors des débats
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Jeannine DEPOMMIER, Président et par Mademoiselle Christel DUPIN, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Cour statue sur l'appel régulièrement interjeté par l'URSSAF de Paris-Région parisienne d'un jugement rendu le 16 octobre 2008 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Créteil dans un litige l'opposant à l'Ecole normale supérieure de [Localité 5] ;
LES FAITS, LA PROCÉDURE, LES PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Les faits de la cause ont été exactement exposés dans la décision déférée à laquelle il est fait expressément référence à cet égard ;
Il suffit de rappeler qu'à la suite d'un contrôle de l'application de la législation de la sécurité sociale pour la période du 1er janvier 2003 au 31 décembre 2005, l'URSSAF de Paris-Région parisienne a réintégré dans l'assiette des cotisations sociales dues par l'Ecole normale supérieure de [Localité 5] les bourses versées aux étudiants dans le cadre de leurs travaux de formation ou de recherches ; qu'une mise en demeure a été adressée à l'Ecole, le 22 juin 2006, pour le paiement de la somme de 326.736 euros au titre des cotisations et de celle de 32.673 euros au titre des majorations de retard ; que l'Ecole a contesté ce redressement devant la commission de recours amiable qui a rejeté sa réclamation ; qu'elle a alors saisi la juridiction des affaires de sécurité sociale ;
Par jugement du 16 octobre 2008, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Créteil a annulé le redressement opéré par l'URSSAF et a condamné cet organisme à verser à l'Ecole normale supérieure la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
L'URSSAF de Paris-Région parisienne fait déposer et soutenir oralement par son représentant des conclusions tendant à l'infirmation du jugement et à la condamnation de l'Ecole normale supérieure de [Localité 5] au paiement de la somme de 359.409 euros au titre des cotisations et majorations afférentes à la période du 1er janvier 2003 au 31 décembre 2005.
Elle soutient que les sommes allouées au titre des bourses sont en réalité des rémunérations versées en contrepartie d'un travail effectué dans un lien de subordination et doivent dès lors être assujetties à cotisations. Elle considère, en effet, que les bourses attribuées aux étudiants de 3ème cycle, dans le cadre de conventions ou contrats de recherche passés entre l'Ecole et des associations de soutien à la recherche, ne sont exclues de l'assiette des cotisations qu'à la condition d'être versées en fonction de critères sociaux, que les travaux confiés s'inscrivent dans le cours normal de la scolarité, qu'ils soient déterminés en concertation avec le directeur de recherche et que l'étudiant reste titulaire de ses découvertes. En l'espèce, elle estime que les bourses litigieuses sont versées en contrepartie d'un travail précis de recherche effectué pour le compte et dans l'intérêt exclusif de l'établissement qui peut ensuite exploiter les travaux réalisés. Elle souligne le fait que les travaux de recherche accomplis par les étudiants répondent à une commande précise et sont exécutés dans un lien de préposition. Ainsi, les bourses Egide, versées uniquement sur critère scientifique ou technique, sont la contrepartie de véritables travaux de recherche exécutés en laboratoire par des chercheurs d'origine étrangère et relèvent des dispositions des articles L 412-1 et L 412-2 ou L 421-1 à L 421-3 du code de la recherche selon que leurs bénéficiaires sont titulaires ou non d'un doctorat. S'agissant des bourses d'Etat attribuées à des étudiants doctorants sur le seul critère scientifique, l'URSSAF considère qu'elles ont le caractère de rémunérations au sens de l'article L 242-1 du code de la sécurité sociale en raison du travail exigé en contrepartie. Enfin, elle relève également que les bourses de recherche de l'association française pour les initiatives de recherches sur les mastocytes et mastocytose (AFIRMM) sont délivrées sur critère scientifique à des chercheurs post-doctorants travaillant sur des thèmes imposés dans des laboratoires dédiés et doivent donc également être soumises à cotisations. Elle fait d'ailleurs remarquer que cette dernière catégorie de bourses n'est plus versée depuis le 1er janvier 2005.
L'Ecole normale supérieure de [Localité 5] fait déposer et soutenir oralement par son conseil des conclusions demandant la confirmation du jugement attaqué et la condamnation de l'URSSAF à lui verser la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle prétend qu'aucune des bourses réintégrées à tort par l'URSSAF dans l'assiette de ses cotisations n'est une rémunération versée en contrepartie d'un travail effectué dans un lien de subordination avec l'Ecole. Les bourses "Egide" et d'Etat sont allouées aux étudiants étrangers venant suivre des formations au sein de l'Ecole et correspondent à des aides financières pour la réalisation de projets pédagogiques personnels dans le cadre d'un cycle normal de formation en master, pré ou post-doctorat. Les bourses "AFIRMM" sont délivrées à des post-doctorants effectuant en toute autonomie des travaux de recherches en rapport avec l'objet de l'association. Elle reproche à l'URSSAF de ne pas avoir examiné les conditions réelles d'exécution des travaux de recherche confiés aux boursiers qui diffèrent totalement du travail salarié. Elle précise d'ailleurs que les bourses ne concernent qu'une minorité des doctorants de l'école, les autres étant salariés des grands organismes de recherche ou employés par le secteur privé. Elle fait observer qu'il n'existe aucun contrat de travail entre l'Ecole et les étudiants boursiers et que ses rapports avec eux ne relèvent ni de l'article L 412-1 du code de la recherche qui concerne les allocations de recherche versées aux personnes déjà salariées travaillant sous l'autorité de l'organisme les ayant recrutés, ni des articles L 421-1 à L 421-3 qui visent le personnel de recherche des établissements publics à caractère scientifique et technologique, structure différente de celle de l'ENS-[Localité 5]. Elle soutient que les bourses litigieuses ne constituent pas la rémunération d'un travail mais sont des aides financières permettant aux bénéficiaires de poursuivre leur formation, peu important que ces bourses ne soient pas délivrées en fonction des seuls critères sociaux. Enfin, elle conteste l'existence d'un lien quelconque de subordination des étudiants boursiers à son égard en soulignant le fait qu'ils poursuivent leurs études pour leur propre compte et en toute liberté, étant seulement soumis à la discipline universitaire et, pour les bénéficiaires de bourses "AFIRMM", à l'obligation d'inscrire leurs recherches dans l'un des programmes soutenus par l'association.
Il est fait référence aux écritures ainsi déposées de part et d'autre pour un plus ample exposé des moyens proposés par les parties au soutien de leurs prétentions.
SUR QUOI LA COUR :
Considérant, selon l'article L 242-1 du code de la sécurité sociale, que pour le calcul des cotisations des assurances sociales, des accidents du travail et des allocations familiales, sont considérées comme des rémunérations toutes les sommes versées aux travailleurs en contrepartie ou à l'occasion du travail accompli dans un lien de subordination, notamment les avantages en argent ; que le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ;
Considérant qu'en l'espèce, pendant la période considérée, l'Ecole normale supérieure de [Localité 5] a versé à ses étudiants inscrits en doctorat ou en Master trois types de bourses financées par l'Etat ou des associations privées ; que les bourses EGIDE et d'Etat sont destinées à des étudiants étrangers effectuant des stages de formation ou une formation par la recherche au sein de l'Ecole ; que les bourses AFIRMM sont versées aux chercheurs post-doctorants travaillant sur des thèmes de recherches intéressant cette association de soutien à la recherche ;
Considérant que pour soumettre ces bourses à cotisations, l'URSSAF a considéré que les recherches étaient effectuées pour le compte et dans l'intérêt de l'établissement qui pouvait exploiter les travaux réalisés et que les relations entre l'école et les chercheurs relevaient du champ d'application des articles L 412-1 et 421-1 du code de la recherche ;
Considérant cependant, qu'il n'est pas contesté que les bénéficiaires des bourses distribuées par l'Ecole ne sont titulaires d'aucun contrat de travail et que leur seul engagement vis à vis de l'Ecole concerne uniquement leur formation ; que leur situation ne peut donc être comparée aux chercheurs salariés titulaires d'allocations de recherche au sens de l'article L 412-1 précité;
Considérant que, notamment, il n'est pas démontré que les étudiants boursiers avaient l'obligation de participer à des programmes de recherche en dehors du cycle normal de leurs études à l'Ecole et dans un autre but que celui de leur formation ; qu'il n'est pas justifié de leur soumission à des obligations de service étrangères à la poursuite de leurs études ;
Considérant qu'au surplus, il n'apparaît pas que les étudiants boursiers de l'Ecole soient dans la situation des chercheurs employés par les établissements publics à caractère scientifique et technologique visés par les articles L 421-1 et suivants du code de la recherche ; qu'ils ne concourent pas directement à des missions de recherche scientifique mais suivent une formation pédagogique par la recherche ;
Considérant qu'en outre, la circonstance que les bourses soient versées en fonction de critères scientifiques plutôt que sociaux ne suffit pas à les assimiler à la rémunération d'un travail salarié ; que la référence au critère social est utile pour exclure de l'assiette des cotisations sociales les bourses d'études versées aux personnes déjà salariées ; qu'en revanche, l'absence de prise en compte d'un tel critère pour la distribution des bourses aux étudiants n'emporte pas ipso facto leur soumission à cotisations ;
Considérant qu'ensuite le fait que les étudiants aient à leur disposition les moyens nécessaires à l'exécution d'un travail de recherche et soient soumis à des horaires ne suffit pas à caractériser l'existence d'un lien de subordination ; que, de même, le pouvoir disciplinaire dont dispose l'école à l'égard de ses élèves n'est pas assimilable au pouvoir de direction exercé par l'employeur sur son personnel ;
Considérant que, par ailleurs, l'obligation pour les titulaires de bourses AFIRMM de respecter l'un des thèmes de recherche définis par cette association ne porte pas atteinte à leur liberté dans la conduite des travaux correspondants ; que les conditions d'attribution de ces bourses montrent qu'il s'agit pour l'association d'aider à la réalisation d'études ou de recherches d'intérêt général et non de rétribuer un travail accompli dans un lien de subordination ;
Considérant qu'enfin, il n'est pas contesté que les bourses attribuées aux étudiants ne sont pas financées par l'Ecole où ils poursuivent leur formation mais par l'Etat ou des institutions poursuivant un but d'intérêt général ; que les sommes versées ne sont donc pas la rémunération d'un travail commandé par l'Ecole dans son intérêt exclusif mais sont des aides financières accordées aux étudiants pour faciliter la poursuite de leurs études ou recherches ;
Considérant qu'il n'apparaît donc pas que les bourses distribuées aux étudiants de l'Ecole normale supérieure de [Localité 5] aient été la contrepartie d'un travail accompli dans un lien de subordination ;
Considérant que c'est dès lors à juste titre que les premiers juges ont décidé que les sommes versées à ce titre ne pouvaient être assujetties à cotisations et ont annulé le redressement opéré par l'URSSAF ;
Que leur décision sera confirmée ;
Considérant qu'au regard de la situation respective des parties, il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS :
Déclare l'URSSAF de Paris-Région parisienne recevable mais mal fondée en son appel ;
Confirme le jugement entrepris ;
Rejette la demande présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Dit n'y avoir lieu à application du droit d'appel prévu par l'article R 144-10, alinéa 2, du code de la sécurité sociale ;
Le Greffier, Le Président,