RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 9
ARRÊT DU 15 Décembre 2010
(n° , 11 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 08/11514
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 05 Septembre 2008 par le Conseil de Prud'hommes de PARIS - Section Encadrement - RG n° 04/16866
APPELANT
Monsieur [C] [W]
[Adresse 1]
[Localité 3]
comparant en personne, assisté de Me Olivia BOCK, avocate au barreau de PARIS, L24 et de Me Catherine BOURGI VITTORI, avocate au barreau de PARIS, E1667
INTIMÉE
SOCIÉTÉ ABC NEWS INTERCONTINENTAL INC
[Adresse 2]
[Localité 4]
69000 UNITED KINGDOM
représentée par Me Delphine LOMBARD (Cabinet SALANS), avocate au barreau de PARIS, P372 et de Me Sophie MANDEL (Cabinet SALANS), avocate au barreau de PARIS, P 372
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 10 Novembre 2010, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Geneviève LAMBLING, Présidente
Madame Anne DESMURE, Conseillère
Monsieur Benoît HOLLEAUX, Conseiller
qui en ont délibéré
GREFFIÈRE : Madame Corinne de SAINTE MARÉVILLE, lors des débats
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau code de procédure civile.
- signé par Madame Geneviève LAMBLING, Présidente et par Madame Corinne de SAINTE MARÉVILLE, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le 18 janvier 1969, M. [W] est entré au service de la société de droit anglo-saxon ABC News Intercontinental Inc (ci-après ABC News) qui exploite une chaîne de télévision américaine. Il a exercé les fonctions de reporter cameraman à compter du 1er avril 1982.
Le contrat était régi par la convention collective nationale des journalistes.
M. [W] a été licencié pour motif économique par lettre recommandée avec accusé de réception du 8 octobre 2004.
Par courrier du 4 novembre 2004, M. [W] a contesté le motif allégué à l'appui de son licenciement et a demandé le bénéfice de la priorité de réembauchage.
La société ABC News n'a pas donné suite à cette correspondance.
Saisie par M. [W] en application de l'article L.7112-4 du code du travail, la Commission arbitrale des journalistes a, le 26 septembre 2005, condamné la société ABC News à lui payer la somme de 375 275 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement outre une indemnité de 1 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.
Saisi le 29 décembre 2004 par M. [W] d'une contestation de son licenciement et de diverses prétentions salariales et indemnitaires, le conseil de prud'hommes de Paris a, par jugement rendu le 5 septembre 2008 en sa composition de départage, condamné la société ABC News à lui verser les sommes suivantes :
100 000 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive, avec intérêts à compter du jugement,
12 000 euros au titre des heures supplémentaires, avec intérêts à compter du 4 janvier 2005,
1 200 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Le conseil de prud'hommes a débouté M. [W] de ses autres demandes.
Régulièrement appelant, M. [W] demande à la cour de :
- confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a dit et jugé le licenciement dénué de cause économique réelle et sérieuse,
- confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a dit et jugé que des heures supplémentaires lui sont dues,
- l'infirmant, condamner la société ABC News à lui régler les sommes suivantes:
318 000,00 € à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail,
63 600,00 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral lié aux conditions de la rupture du contrat de travail,
119 050 € à titre de rappel d'heures supplémentaires,
Vu les articles 423 et 425 du code de procédure civile,
- communiquer le dossier intéressant les réclamations au titre des droits d'auteur au Ministère Public, afin que ce dernier puisse faire connaître son avis sur la détermination de la loi applicable à ce litige,
- si la Cour de Céans décidait de suivre cette voie, dire et juger qu'il y aura lieu d'examiner et de juger le contentieux portant sur les conséquences de la rupture du contrat de travail et renvoyer à une audience ultérieure le litige portant sur les droits d'auteur en attendant de connaître l'avis du Ministère Public sur la loi applicable,
- en tout état de cause, infirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté du surplus de ses demandes et en conséquence, après avoir ordonné la mise dans la cause de MM. [D] et [E] en qualité de co-auteurs, condamner la société ABC News à lui régler les sommes suivantes :
21 200 € à titre d'indemnité pour non-respect de la priorité de réembuachage,
15 000 € à titre d'indemnité de résidence,
200.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral résultant de la violation de ses droits d'auteur,
225 120 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier résultant de la violation de ses droits d'auteur,
- condamner la société ABC News à lui rembourser les frais et commissions occasionnés par la garantie bancaire à première demande à hauteur de 3 000 €.,
- ordonner la publication de la décision à intervenir aux frais de la société ABC News dans trois journaux au choix de Monsieur [W], et ce, sous astreinte de 5.000 € par jour de retard à compter de la date de la notification de la décision à intervenir,
- condamner la société ABC News au paiement d'une somme de 15.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
- condamner la société ABC News aux dépens de première instance et d'appel.
Intimée et appelante incidente, la société ABC News requiert la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a dit la loi américaine applicable du chef des droits d'auteur revendiqués, et en ce qu'il a débouté M. [W] de ses demandes au titre de l'indemnité de résidence, du préjudice moral et de la priorité de réembauchage, de l'infirmer pour le surplus et, statuant à nouveau, juger que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse, qu'aucune heure supplémentaire n'est due au titre de la période de janvier 2000 à décembre 2001 et de juillet à décembre 2004, condamner enfin M. [W] au paiement de la somme de 7 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, la cour se réfère expressément aux écritures que les parties ont déposées et développées oralement à l'audience du 10 novembre 2010.
MOTIFS
Sur la rupture
Considérant que la lettre de licenciement est ainsi libellée :
'Comme vous le savez, dans le contexte de récession économique mondiale, le secteur audiovisuel du groupe Disney dont ABC News fait partie, connaît depuis plus de trois ans une baisse de son chiffre d'affaires du fait de la concurrence particulièrement intense sur ce secteur d'activité. Ainsi, le chiffre d'affaires réalisé par le groupe dans ce secteur d'activité était de 5,7 milliards de dollars pour l'exercice 2002, chiffre d'affaires qui est passé à 5,4 milliards de dollars en 2003. De la même manière, le résultat d'exploitation de l'année 2003 était de 37 millions de dollars pour l'année 2003, à comparer avec le résultat d'exploitation de 2001 qui s'élevait encore à 695 millions de dollars en 2001.La situation prévisionnelle pour 2004 et les perspectives pour l'exercice 2005 s'avèrent particulièrement délicates, avec un chiffre d'affaires et un résultat d'exploitation sur ce segment qui n'atteindront vraisemblablement pas les objectifs fixés pour ces deux années.
Dans ce contexte défavorable, et pour tenter de se préserver et de sauvegarder sa compétitivité, nous sommes conduits à devoir réduire nos charges au niveau mondial, ce qui se traduit par la fermeture ou la réduction de certains bureaux ainsi que par une réduction globale de nos effectifs et ce, malgré les réductions d'effectifs déjà réalisés en 2002 et 2003.
C'est dans ce contexte que nous sommes conduits à devoir supprimer votre poste de Reporter Cameraman.'
Considérant que M. [W] fait grief à son ancien employeur de ne pas justifier de difficultés économiques avérées ;
Considérant cependant qu'une entreprise peut ressentir la nécessité d'une réorganisation impliquant des conséquences sur l'emploi sans être nécessairement confrontée à des difficultés économiques; qu'en ce cas toutefois, l'entreprise doit justifier qu'elle est menacée sur son marché et que la mesure en cause a été dictée par des impératifs de sauvegarde de sa compétitivité ;
Que, développant devant la cour le contenu de la lettre de licenciement, la société ABC News argue en substance d'une accentuation depuis plusieurs années de la concurrence sur le marché de l'information audiovisuelle ayant entraîné une baisse de son chiffre d'affaires qui a contraint le groupe à réagir et à s'adapter aux nouvelles contraintes de son secteur d'activité, par le biais notamment de la suppression de postes, tel celui de M. [W], afin de maintenir sa compétitivité et de prévenir des difficultés économiques et leurs conséquences sur l'emploi ;
Considérant cependant que, malgré plusieurs sommations de M. [W] à cet effet, la société ABC News n'a versé au débat aucun élément comptable et financier permettant d'apprécier l'effectivité de la baisse alléguée du chiffre d'affaires et du résultat d'exploitation du secteur de l'audiovisuel du groupe Disney entre les années 2001 et 2003 ; que la société ABC News n'a pas non plus justifié que sa prévision, lors du licenciement de M. [W] en septembre 2004, selon laquelle les objectifs des années 2004 et 2005 ne seraient 'vraisemblablement'pas atteints, s'est avérée exacte; qu'en revanche, M. [W] verse au débat plusieurs communiqués du président du groupe Disney, entre le 10 août 2004 et le 17 novembre 2005, qui tous se félicitent sans réserve des résultats du groupe, tel celui du 18 novembre 2004 ainsi libellé: '....Notre performance est exceptionnelle sous tous les angles. Pour cette année, les actions ont rapporté des dividendes en augmentation de 60% , nos réserves liquides sont les plus importantes de notre histoire, et les revenus sur le capital investi ont augmenté substantiellement.....Nous avons également remarqué un autre équilibre dans l'année fiscale 2004 et c'est l'augmentation des revenus dans chacune de nos branches', ou encore celui du 18 décembre 2004 : '...Comme nous vous l'avons annoncé, 2004 fut une année superbe pour Disney et nous avons de bonnes raisons de penser que 2005 sera aussi une année de croissance et d'opportunité'; que la société EBC News, qui s'est gardée de produire le moindre élément comptable au débat, est d'autant moins fondée à dénier toute valeur à ces communiqués au motif que 'de tels communiqués vont davantage mettre en exergue les activités ayant de bons résultats, des messages alarmistes n'étant pas les bienvenus vis à vis du personnel et du public' que le communiqué du 10 août 2004 fait expressément état du secteur du 'divertissement cinématographique et de la télévision';
Considérant ainsi que loin d'étayer l'allégation d'une baisse des résultats du secteur de l'audiovisuel, les communications du président du groupe Disney témoignent de son plein essor ; que la société ABC News ne justifie ainsi pas de son allégation selon laquelle le nouveau paysage concurrentiel résultant d'une rivalité accrue entre les chaînes de télévision traditionnelles et les chaînes câblées ainsi que la nécessité de s'adapter aux nouveaux moyens de diffusion de l'information que constituent Internet et le satellite, ont conduit à une baisse de ses résultats qui l'ont contrainte à des mesures de réduction de ses effectifs au niveau mondial pour tenter de sauvegarder sa compétitivité ;
Et considérant que les développements de l'employeur sont inopérants en ce qu'ils portent sur l'indispensable adaptation de son mode de fonctionnement aux nouvelles contraintes économiques dés lors qu'aucun élément n'étaye l'existence d'une menace sur la compétitivité de son secteur d'activité à court ou moyen terme ayant nécessité la suppression du poste de M. [W] de sorte ainsi que ce sont en définitive des considérations de rentabilité plutôt que des impératifs de sauvegarde de la bonne santé financière de l'entreprise qui ont dicté sa décision de supprimer ce poste ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le licenciement de M. [W] ne procède pas d'une cause réelle et sérieuse; que le jugement entrepris sera donc confirmé de ce chef ;
Sur l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse
Considérant que le premier juge a évalué à 100 000 euros l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse; que M. [W] demande que cette indemnité soit portée à 318 000 euros ;
Considérant, eu égard à l'âge (58 ans) et à l'ancienneté dans l'entreprise (36 ans) de M. [W] à la date de la rupture, à la rémunération mensuelle brute de 10 600,15 euros qui était la sienne, au fait qu'il n'a pas retrouvé d'emploi et a été admis au bénéfice de la retraite le 1er juin 2006, à la circonstance enfin que ses charges financières personnelles ne sont pas la conséquence de son licenciement, la cour estime que le préjudice subi par M. [W] du fait du licenciement sans cause réelle et sérieuse est réparé par l'allocation de la somme de 140 000 euros en application de l'article L.1235-5 du code du travail ;
Considérant que le premier juge a justement estimé que le licenciement économique n'avait pas causé à M. [W] un préjudice complémentaire distinct de celui réparé par l'allocation de dommages-intérêts pour rupture abusive; que le jugement sera donc ici confirmé en ce qu'il a débouté M. [W] de sa demande de dommages-intérêts complémentaires pour préjudice moral ;
Sur la demande au titre des frais de garantie à première demande
Considérant que la prétention de M. [W], nouvelle en cause d'appel, tendant à la condamnation de son ancien employeur à l'indemniser des frais générés par la garantie à première demande qu'il a constituée devant la juridiction du premier président saisi d'une demande de suspension de l'exécution provisoire, relève de celle présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile qui sera ci-après appréciée ;
Sur la demande indemnitaire pour non-respect de la priorité de réembauchage
Considérant que M. [W] soutient que l'employeur a eu recours à de multiples reprises depuis la fin de son contrat de travail à des pigistes ou à des équipes freelance pour couvrir l'actualité en France ;
Considérant cependant que la société ABC News le conteste et justifie, par l'attestation de M. [F], qu'aucune embauche n'a été opérée après le licenciement de M. [W] et que le bureau de [Localité 5] a été définitivement fermé en 2005 ;
Qu'il s'ensuit que le premier juge a avec pertinence rejeté cette demande, étant ajouté que la pièce versée par M. [W] au soutien de son allégation concerne la couverture d'événements survenus le 6 novembre 2004, soit antérieurement à l'expiration de sa période de préavis qui constituait le point de départ de la priorité de réembauchage ;
Sur la demande de rappel d'heures supplémentaires
Considérant que le premier juge a alloué à M. [W] la somme de 12 000 euros à ce titre ;
Considérant que M. [W] soutient que cette somme ne le remplit pas de ses droits et que, tenant compte de la prescription quinquennale et de la transaction conclue le 27 juillet 2004 avec son ancien employeur, il limite sa prétention aux années 2000 et 2001 ;
Considérant que la société ABC News excipe de l'irrecevabilité de cette demande par le jeu de la transaction aux motifs en substance que lors de la conclusion de cette transaction, il n'existait aucun litige portant sur les années 2000 et 2001 dés lors que les heures supplémentaires effectuées au delà de 37,5 heures antérieurement au 1er janvier 2002 avaient été régulièrement rémunérées, et que M. [W] agit au mépris des principes de bonne foi et de loyauté ;
Mais considérant que les transactions ne règlent que les différends qui s'y trouvent compris; qu'elle n'a ainsi autorité de la chose jugée entre les parties que dans les limites de la contestation à laquelle elle a mis fin ou qu'elle a empêchée ; que le juge ne peut dénaturer le sens et la portée des conventions légalement formées qui tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites; qu'en l'espèce, par la transaction conclue le 27 juillet 2004, les parties ont clairement, précisément et sans ambiguïté convenu de mettre fin à leur différend portant sur les heures supplémentaires effectuées par M. [W] du 1er janvier 2002 au 30 juin 2004 ; que la demande soumise à la cour exclut la période couverte par la transaction ; qu'elle est donc recevable; que partant, le moyen pris de l'irrecevabilité sera rejeté ;
Considérant, sur le bien fondé de cette prétention, que la société communique les rapports journaliers d'activité de M. [W], aussi appelés 'daily logs', portant sur les périodes en cause; que ces documents précisent pour chaque jour les dates et les lieux des reportages effectués par les journalistes du bureau de [Localité 5] ; que ces documents ne comportent cependant aucune indication sur le nombre d'heures journalières travaillées, ni non plus sur la durée des temps de déplacement pour se rendre sur les lieux de tournage ;
Considérant que M. [W] évalue à 119 050 euros sa demande sur la base de ces documents ;
Considérant que pour ce faire, M. [W] a évalué son temps de travail lorsqu'il n'était pas en reportage à 7h30 par jour sur les années 2000 et 2001, de sorte ainsi qu'il n'a pas comptabilisé d'heure supplémentaire lorsqu'il n'était pas en reportage, et ce point ne suscite pas de litige ;
Considérant en revanche que les parties sont en désaccord sur la comptabilisation du temps de travail journalier effectif de M. [W] pour les jours de reportage ;
Considérant qu'il résulte de l'examen de son décompte que M. [W] a comptabilisé une durée journalière de 13 heures de travail pour chaque journée de reportage quel qu'en soit le lieu, [Localité 5], la province ou l'étranger, au cours des années 2000 et 2001 ; que sans expliciter cette évaluation du nombre d' heures supplémentaires, M. [W] soutient pour l'essentiel qu'il était dans l'obligation de se tenir à la disposition permanente de son employeur, que ses temps de trajet en avion pouvaient correspondre à un temps de travail effectif, que ses reportages étaient diffusés en direct, quelle que soit sa situation géographique et le décalage horaire correspondant ;
Considérant que pour contester l'effectivité d'heures supplémentaires et conclure au rejet de la demande, la société ABC News excipe en substance que M. [W] omet de déduire les temps de déplacements en début et en fin de mission, les temps de pause et les périodes pendant lesquelles il pouvait vaquer librement à ses occupations, fût-il en déplacement, et qu'il a en outre bénéficié d'un nombre très élevé de jours de congés et de jours de repos qui venaient compenser les journées plus chargées passées à l'étranger ;
Considérant qu'est un travail effectif le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et doit se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles ; que M. [G], alors chef du bureau de [Localité 5], a attesté au profit de M. [D], autre journaliste attaché au bureau de [Localité 5], que'lorsque M. [D] était en mission, sa journée ne se réduisait jamais à 8 heures', que 'les longues journées, parfois 14 ou 16 heures d'affilée n'étaient pas rares' et que 'lorsqu'un reportage avait lieu à [Localité 5], le décalage horaire avec New-York s'appliquait également et une journée pouvait se terminer à l'issue du programme, à savoir à 1 heure du matin, heure de [Localité 5]' ; que s'il doit ainsi être admis que M. [W] restait à la disposition de son employeur pendant une durée plus grande à l'occasion des reportages effectués en province ou à l'étranger, dans la mesure notamment où il pouvait être amené à devoir effectuer des prises de vues ou à rechercher des contacts entre les prises de vues, cette attestation n'étaye néanmoins pas l'affirmation selon laquelle un reportage donnait systématiquement lieu à des heures supplémentaires de travail de 5,5 heures par jour ;
Considérant que Mme [Y] a occupé les fonctions de chargée de production pour la société ABC News de 1995 à 1998 ; qu'elle témoigne ainsi de faits antérieurs à la période litigieuse; qu'au demeurant, s'il résulte de son attestation selon laquelle 'le décalage horaire avec les USA entraînait la plupart du temps des horaires de travail sans limites: les tournages s'effectuaient souvent tôt le matin ou très tard le soir' que M. [W] était amené à travailler selon des horaires décalés par rapport aux horaires habituels de travail (tournages tôt le matin, ou très tard le soir), ce témoignage ne corrobore pas l'allégation d'une durée d'activité continue pendant 13 heures ;
Considérant également que le courriel du 27 juillet 2004, de M. [H], producteur exécutif du journal télévisé d'ABC News, rappelle simplement la nécessité, en cas de catastrophe, de pouvoir joindre les journalistes de l'équipe 'dans un délai raisonnable', après avoir stigmatisé la difficulté qu'il venait de rencontrer à cet effet à l'occasion de la survenance d'une catastrophe naturelle ;
Considérant aussi que le manuel relatif aux frais de déplacement et de représentation établit la prise en charge par l'employeur des frais de dîners en cas d'amplitude de travail supérieure à 10 heures et la société ABC News fait justement valoir que l'amplitude de travail ne se confond pas avec le temps de travail effectif ;
Et considérant que le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d'exécution du contrat de travail n'est pas un temps de travail effectif; que s'il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, il fait l'objet d'une contrepartie soit sous forme de repos soit financièrement; que s'il est en l'espèce vrai que M. [W] a effectué un certain nombre de déplacements à l'étranger ou en province, il est non moins constant que les reportages à [Localité 5] ou à [Localité 6], lesquels correspondent à un nombre non négligeable des reportages objet de la prétention financière, n'ont pas occasionné un temps de déplacement particulier; que, s'agissant des déplacements en province ou à l'étranger, la société ABC News fait par ailleurs valoir que M. [W] a bénéficié d'une compensation puisqu'il a disposé de 55 jours de repos et congés, en plus des jours fériés et des week-ends, en 2000, et de 72 jours au même titre en 2001 ; que c'est de manière inopérante que M. [W] argumente ici sur le fait qu'il a été amené à travailler en avion, tel pour exemple lorsque le Président et les ministres organisaient des points presse avec les journalistes à l'arrière de l'avion et qu'il lui était ainsi demandé de filmer dans l'avion, ne s'agissant pas ici d'une activité pendant un temps de trajet pour se rendre de son domicile à son lieu de travail ; que M. [W] ne peut non plus utilement soutenir que les jours de repos supplémentaires avaient pour objet de compenser les samedis d'activité puisque ses bulletins de salaires établissent que les samedis travaillés donnaient lieu à une compensation financière sous la forme d'une rémunération à un taux de 150 % ; qu'au surplus, M. [W] comptabilise 13 heures de travail effectif par jour quel que soit le lieu de tournage sans s'expliquer sur les temps nécessaires consacrés aux déplacements pour se rendre sur le lieu de tournage, la cour restant dans l'ignorance des horaires de ses déplacements notamment par voie aérienne ;
Considérant enfin que l'éloignement de son domicile ne permet pas à lui seul de déduire que le salarié est en permanence à la disposition de son employeur et qu'il ne peut vaquer à des occupations personnelles; que la nécessaire autonomie attachée au poste qu'occupait M. [W] contredit l'allégation selon laquelle chaque reportage donnait lieu à un temps de travail effectif de 13 heures par jour sans pause ni temps libre ;
Considérant que l'ensemble de ce qui précède emporte la conviction de la cour que si M. [W] a effectué des heures supplémentaires pendant la période litigieuse, le premier juge a procédé à une juste évaluation de ces heures supplémentaires réalisées, si ce n'est en ce qu'il a déduit les sommes figurant sur les bulletins de paie au titre d'heures majorées à 150 % au motif que ces paiements correspondaient à des heures supplémentaires, alors que M. [W] prétend exactement que ces versements majorés correspondaient au paiement des samedis travaillés ;
Considérant que la prétention de M. [W] sera donc accueillie à hauteur de la somme de 28 000 euros ;
Sur la demande d'indemnité d'occupation du domicile à des fins professionnelles
Considérant selon l'article 53 de la convention collective des journalistes, que 'lorsqu'un journaliste professionnel met un local lui appartenant ou dont il est locataire à la disposition de l'entreprise (en France ou à l'étranger) il doit recevoir un dédommagement' ;
Considérant que pour s'opposer à la demande, la société ABC News soutient que le travail de M. [W] s'effectuait par définition 'sur le terrain' et que c'est pour convenances personnelles, afin de ne pas avoir à se rendre au bureau lorsqu'il partait en mission, que M. [W] gardait son matériel à son domicile ;
Mais considérant que M. [G], alors chef du bureau de [Localité 5] de la société, atteste qu'en 2000, l'employeur a décidé de quitter les 174 m2 qu'il occupait et de s'installer dans un deux pièces de 32 m2, que 'en raison du manque de place, il était hors de question que (M. [W]) et ses collègues reporters-cameramen viennent quotidiennement au bureau, celui-ci étant à l'évidence trop exigu pour que 7 personnes s'y côtoient' et que 'ABC s'est donc vue dans l'obligation de demander à (M. [W]) de travailler à partir de son domicile. Pour cela, ABC lui a fourni un ordinateur, une imprimante et un téléphone' et que ' c'est de chez lui qu'il faisait ses frais de mission, sa recherche sur Internet et toute tâche que je lui demandais d'effectuer' ;
Considérant qu'il est ainsi établi que l'employeur a sollicité et obtenu de M. [W] dont l'activité ne se limitait pas à la réalisation de reportages 'sur le terrain' qu'il occupe son domicile à des fins professionnelles ;
Considérant que si le salarié accède à la demande d'occupation de son domicile à des fins professionnelles, l'employeur doit l'indemniser de la sujétion que constitue le fait de travailler à son domicile et d'y installer ses dossiers et ses instruments de travail, ainsi que des frais engendrés par l'occupation à titre professionnel de son domicile ;
Considérant que M. [W] demande donc légitimement à ce titre une indemnité de dédommagement ;
Considérant que, tenant compte de ce que l'activité principale, celle de reportage, ne s'exerçait pas à son domicile, M. [W] sera accueilli en sa prétention à concurrence de la somme de 3 500 euros ;
Que le jugement sera donc ici infirmé ;
Sur les droits d'auteur
Considérant que M. [W] invoque la violation de ses droits d'auteur et en demande réparation ;
Considérant que la société ABC News lui oppose une fin de non-recevoir au motif pris de ce qu'il n'est pas titulaire des droits sur les reportages; qu'elle soutient en substance à cet effet que la convention de Berne ne désigne pas le bénéficiaire de la protection de sorte qu'en application de la règle française de conflit de lois selon laquelle la loi applicable est celle du pays d'origine de l'oeuvre, les créations en cause sont soumises à la loi américaine qui est à la fois la loi d'émission de ces oeuvres et du prétendu fait dommageable, qu'en application de la loi américaine, l'employeur est le seul détenteur originaire des droits d'auteur ;
Considérant que pour combattre cette fin de non-recevoir, après avoir demandé la communication au Ministère Public afin que ce dernier puisse faire connaître son avis sur la détermination de la loi applicable, M. [W] fait pour l'essentiel valoir que la convention de Berne a vocation à s'appliquer dés lors qu'une question de droit d'auteur, fût-elle relative à la titularité des droits, comporte un élément d'extranéité, que la liste des droits qu'elle traite est ainsi illustrative et non limitative, qu'à supposer même retenue la compétence de principe de la loi américaine que désigne la règle de conflit de lois, les règles d'ordre public international sont susceptibles de remettre en cause cette compétence de principe par le biais des deux mécanismes que constituent les lois de police et l'exception d'ordre public, lesquelles permettent au juge français d'évincer la loi applicable pour lui substituer l'application de la loi française lorsque, tel en l'espèce, l'application de la loi étrangère conduit à la mise en oeuvre d'une solution intolérable pour l'ordre juridique français; que la preuve ne peut de surcroît être faite de la 'première diffusion' aux Etats-Unis en raison de la multidiffusion simultanée des reportages dans de nombreux pays ; qu'enfin le contrat de travail qui le liait à la société ABC News constitue un autre point de rattachement à la loi française ;
Considérant cependant, d'abord, que la demande de communication de la procédure au Ministère Public a été présentée par l'appelant pour la première fois devant la cour lors de l'audience du 10 novembre 2010; que l'affaire avait pourtant été précédemment à plusieurs reprises appelée et renvoyée à la demande des parties; que l'article 428 du code de procédure civile prévoit, en son alinéa 2, que cette communication 'doit avoir lieu en temps voulu pour ne pas retarder le jugement'; qu'en l'espèce, l'instance d'appel a été engagée le 31 octobre 2008; que c'est donc tardivement que M. [W] demande que la procédure soit communiquée au Ministère Public ; qu'en tout état de cause, ni la nature de l'affaire ni les circonstances de l'espèce ne justifient d'ordonner cette mesure ; que cette demande est par conséquent rejetée ;
Considérant ensuite, selon l'article 5-2 de la convention de Berne dont se prévaut M. [W], 'l'étendue de la protection ainsi que les moyens de recours garantis à l'auteur pour sauvegarder ses droits se règlent exclusivement d'après la législation du pays où la protection est réclamée' ; que ce texte régit le contenu de la protection de l'auteur et de l'oeuvre; qu'il ne fournit pas d'indication relative à la titularité même des droits d'auteur, à leur acquisition non plus qu'à leur cession; qu'ainsi, dans le silence de la convention de Berne, la société ABC News demande légitimement l'application de la loi française de conflit de lois qui remet à la loi du pays d'origine de l'oeuvre la définition du titulaire des droits d'auteur ; qu'en l'espèce l'émetteur est une société américaine, située aux Etats-Unis, dont le territoire de diffusion principal et essentiel est le territoire américain et les émetteurs matériels situés sur le sol américain; qu'est dés lors indifférente la circonstance que, par le biais de la multidiffusion, d'autres territoires ont pu recevoir les programmes en cause; qu'en application dés lors de l'article 17 U.S.C. paragraphe 201 A et B qui ne suscite pas de débat entre les parties, la société ABC News, employeur, est 'considéré comme l'auteur, ..sauf stipulation contraire figurant dans un instrument écrit signé par les parties' et partant, le détenteur originaire 'de tous les droits compris dans le droit d'auteur', puisqu'il est constant et non discuté que ni le contrat de travail ni aucun autre écrit ayant lié les parties n'a remis en cause cette désignation par la loi américaine ;
Et considérant que la mise en oeuvre des lois de police ou de l'exception d'ordre public ne peut permettre d'évincer l'application de la loi américaine en ce qu'elle désigne le titulaire des droits sur l'oeuvre ; que les prérogatives patrimoniales qui sont transmissibles peuvent en effet naître entre les mains d'un tiers sans heurter les principes fondamentaux du droit d'auteur français; qu'en l'espèce ainsi, l'oeuvre ayant fait l'objet d'un 'work made for hire' l'employeur est seul détenteur de droits et, par conséquent, seul à pouvoir disposer matériellement de l'ensemble des prestations de chacun de ceux qui ont concouru à l'oeuvre de collaboration ;
Considérant enfin que les développements de M. [W] sont juridiquement inopérants en ce qu'ils portent sur la théorie de l'accessoire, au motif que le contrat de travail était soumis au droit français; que la société ABC observe en outre justement que le rattachement du contrat de M. [W] à la loi française résulte, non pas d'un choix d'entreprise, mais du caractère impératif du droit social français ;
Considérant que du tout, il résulte que l'employeur est le seul titulaire des oeuvres créées à sa demande; que le jugement sera donc confirmé ;
Sur l'article 700 du code de procédure civile
Considérant que le jugement sera confirmé en ce qu'il a alloué à M. [W] la somme de 1 200 euros à ce titre, que M. [W] sera indemnisé de ses frais irrépétibles en cause d'appel par la somme de 4 000 euros prenant en compte les frais de garantie à première demande engagés par M. [W] ensuite de la demande de suspension de l'exécution provisoire formée par la société, qu'enfin la société ABC News sera déboutée de sa prétention sur le même fondement juridique ;
Sur la demande de publication
Considérant que cette demande qu'aucune circonstance ne justifie sera rejetée ;
PAR CES MOTIFS
CONFIRME le jugement entrepris si ce n'est en ce qu'il a débouté M. [W] de sa demande d'indemnité de résidence et sur son évaluation de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse et du rappel de salaires au titre des heures supplémentaires,
L'INFIRMANT de ces chefs et statuant à nouveau :
CONDAMNE la société ABC News Intercontinental à payer à M. [W] la somme de 140 000 euros à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, celle de 28 000 euros à titre de rappels de salaire au titre des heures supplémentaires, celle de 3 500 euros à titre d'indemnité d'occupation du domicile à des fins professionnelles, et celle de 4 000 euros en indemnisation de ses frais irrépétibles en cause d'appel,
DÉBOUTE la société ABC News Intercontinental de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,
LA CONDAMNE aux dépens d'appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE