RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6-Chambre 7
ARRET DU 13 Janvier 2011
(n° 2 , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 08/12346
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 05 Novembre 2008 par le conseil de prud'hommes de PARIS section Encadrement RG n° 06/10325
APPELANTE
Madame [X] [F] [N]
[Adresse 1]
[Localité 4]
comparant en personne, assistée de Me Michel VERNIER, avocat au barreau de VERSAILLES
INTIMEE
SOCIETE GENERALE
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Dominique SANTACRU, avocat au barreau de PARIS, toque : P 470
PARTIE INTERVENANTE :
POLE EMPLOI ILE DE FRANCE SUD - EST FRANCILIEN
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Localité 5], représenté par Me Véronique DAGONNET, avocat au barreau de VAL DE MARNE, toque : PC 003
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 18 Novembre 2010, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Michèle BRONGNIART, Présidente
Monsieur Thierry PERROT, Conseiller
Monsieur Bruno BLANC, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier : Véronique LAYEMAR, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
- signé par Madame Michèle BRONGNIART, Président et par Mlle Véronique LAYEMAR, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Par contrat de travail à durée indéterminée en date du 26 novembre 2001, Madame [X] [F] [N] a été engagée par la SA SOCIETE GENERALE , en qualité de ' responsable des opérations d'ingénierie financière'.
La salariée a pris ses fonctions le 02 janvier 2002. La convention collective applicable aux relations contractuelles est celle du personnel de la banque.
Par courrier en date du 13 janvier 2006, Madame [X] [F] [N] a été convoquée à un entretien préalable à un licenciement. Cet entretien s'est déroulé le 25 janvier 2006.
Puis, par courrier recommandé avec accusé de réception du 7 février 2006, la SA SOCIETE GENERALE notifiait à Madame [X] [F] [N] son licenciement pour insuffisance professionnelle et la dispensait de l'exécution de son préavis.
Par lettre du 14 février 2006, conformément à l'article 26.1 de la convention collective de la banque, la salariée demandait la révision de la décision de licenciement.
Par courrier du 4 avril 2006, la SA SOCIETE GENERALE confirmait la mesure de licenciement.
La cour statue sur l'appel régulièrement interjeté par Madame [X] [F] [N] du jugement rendu par le conseil de prud'hommes , statuant en départage, le 5 novembre 2008, qui, après avoir dit que son licenciement ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse et qu'elle n'avait pas fait l'objet d'un harcèlement au sens de l'article L 1152-1 du code du travail, a condamné son employeur, la SA SOCIETE GENERALE, à lui payer les sommes suivantes :
* 80000 € à titre de dommages-intérêts au titre de l'article L 1235-3 du code du travail,
* 1200 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le conseil de prud'hommes a également :
- ordonné la capitalisation des intérêts,
- ordonné le remboursement par la SA SOCIETE GENERALE des indemnités de chômage versées à la salariée dans la limite de six mois,
- autorisé Madame [X] [F] [N] à faire afficher par le syndicat de son choix sur le panneau syndical, pour une durée maximum d'un mois, le dispositif du jugement,
- ordonné l'exécution provisoire sur le fondement de l'article 515 du code de procédure civile,
- rejeté les autres demandes,
- condamné la SA SOCIETE GENERALE aux dépens.
Vu les conclusions en date du 18 novembre 2010, au soutien de ses observations orales, par lesquelles Madame [X] [F] [N] demande à la cour :
à titre principal :
- de constater la nullité du licenciement intervenu le 6 février 2006, sur le fondement de l'article L 1152-3 du code du travail,
- de condamner la SA SOCIETE GENERALE à lui payer la somme de 316968 € à titre d'indemnité sur le fondement de l'article L. 1152-3 du code du travail,
à titre subsidiaire :
- de condamner la SA SOCIETE GENERALE à lui payer la somme de 316968 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, sur le fondement de l'article L 1235-3 du code du travail,
en toutes hypothèses :
- de condamner la SA SOCIETE GENERALE à lui payer la somme de 70000 € à titre de rappel de bonus 2005 ainsi que celle de 3000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
Vu les conclusions en date du 18 novembre 2010, au soutien de ses observations orales, par lesquelles la SA SOCIETE GENERALE demande à la cour :
- de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté Madame [X] [F] [N] de sa demande reposant sur un prétendu harcèlement moral,
- de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Madame [X] [F] [N] de sa demande de rappel de salaire au titre d'un bonus 2005,
- de réformer le jugement pour le surplus, et statuant à nouveau, de débouter Madame [X] [F] [N] de toutes ses demandes relatives à la contestation du licenciement pour insuffisance professionnelle prononcé à son encontre.
Vu les conclusions en date du 18 novembre 2010, au soutien de ses observations orales, par lesquelles POLE EMPLOI demande à la cour :
- de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il qualifie le licenciement de dépourvu de cause réelle et sérieuse,
en conséquence :
- de condamner la SA SOCIETE GENERALE à lui payer la somme de 28528,43 € en remboursement des allocations chômage versées à la salariée,
- de condamner la SA SOCIETE GENERALE à lui payer la somme de 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
SUR CE :
Sur le licenciement :
Considérant que la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige, lie les parties et le juge qui ne peut examiner d'autres griefs que ceux qu'elle énonce ;
Qu'en l'espèce la lettre de licenciement est motivée par l'insuffisance professionnelle de la salariée ;
Que ce courrier mentionne notamment ,faisant référence à l'évaluation de l'année 2005 ,'il ressort du document rendant compte de l'évaluation pour l'année 2005 qui vous a été adressé en lettre recommandée le 28 décembre 2005 que les échanges et remarques faites début 2005 suite à l'évaluation de votre performance en 2004 n'ont entraîné aucune amélioration de vos prestations et de votre comportement professionnel'; que ce courrier reproche ainsi à la salariée :
' vos insuffisances techniques ont été soulignées à plusieurs reprises ainsi que les problèmes qu'elles posaient au service et la nécessité pour nous d'y remédier. Or, l'expérience des derniers mois n'a montré aucune amélioration en la matière...'...
'Vos responsabilités commerciales ou de développement, telles qu'elles sont décrites dans les descriptions de postes et de responsabilités qui vous ont été communiquées, sans que vous le contestiez, ne sont pas assumées de façon correcte'...
'Vos relations avec vos collègues sont difficiles ainsi que votre communication avec le reste de l'équipe et avec votre hiérarchie. Vous avez, d'une manière générale, une conception exclusive et centrée sur vous-même des contacts que vous pouvez avoir avec les tiers extérieurs (banques, avocat,etc.), ce qui nuit au bon fonctionnement du service.
Nous constatons un très faible empressement à identifier et vous approprier les règles et politiques internes.'...
'Toutes ces remarques sont parfaitement connues de vous puisqu'elles vous ont été faites soit de façon ponctuelle par votre hiérarchie, soit à l'occasion des entretiens annuels d'évaluation et ce, sans qu'il y soit remédié. Ces défaillances sont avérées et actées dans vos notations 2004 et 2005. Elle nous avaient amené à vous rechercher de nouvelles responsabilités dans l'entreprise, et c'est ainsi qu'en janvier et mai 2005 nous vous avons permis de rencontrer des hiérarchies susceptibles d'être intéressées par votre profit à DCM(Debt Capital Market) et à CTY/FIN (Commodities-Financement Matières Premières). Aucune de ces pistes n'a abouti et vous n'avez vous-même pris aucune initiative, ni marqué aucun intérêt pour d'autres orientations, par exemple à la direction commerciale où nous vous avons suggéré de poursuivre nos investigations, ce que vous n'avez pas souhaité.'...
Considérant que Mme [X] [F] [N] conclut à la nullité de son licenciement sur le fondement de l'article L 1152-1 du code du travail en faisant valoir qu'à compter du mois de novembre 2004, elle a fait l'objet d'un processus de harcèlement par M.[P] (N+1), avec la complicité active et/ou passive de M. [J] (N+2) et de Mme [E] (N+3)'; que ce processus a été initié après le départ de Mme [Y] qui avait été à l'origine de son recrutement, afin de d'obtenir son départ de la banque';
Qu'en réplique la SA SOCIETE GENERALE soutient que s'il n'est pas contestable que Mme [X] [F] [N] ait été en désaccord avec sa hiérarchie et son employeur sur les modalités d'exécution de son contrat de travail, en revanche elle conteste que la salariée ait fait l'objet de mesures de harcèlement moral'; Qu'en réalité elle n'a pas supporté les instructions qui lui ont été données ainsi qu'à ses collègues';
Considérant que l'article L 1152-1 du code du travail défini le harcèlement moral comme des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits du salarié et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel' ;
Considérant que Mme [X] [F] [N] établit qu'à compter de janvier 2005 (certificat médical du docteur [D], psychiatre expert auprès de la cour d'appel de Versailles) elle a fait l'objet d'une aide psychologique et médicamenteuse à la suite d'un état de tension nerveuse, anxiété, troubles du sommeil, amaigrissement perte de confiance en soi en relation avec une situation professionnelle psychologiquement difficile';
Que, à la suite de la situation professionnelle décrite par Mme [X] [F] [N] au médecin, celle-ci a dû faire l'objet d'entretiens psychothérapiques et de prescriptions médicamenteuses d'antidépresseurs'; qu'au 24 septembre 2005, date du certificat médical, Mme [X] [F] [N] était suivi depuis huit mois et se trouvait très fragilisée';
Qu'il est également établi, que Mme [X] [F] [N] recrutée en qualité de cadre «' hors classification'», dispensée au regard de la convention collective de période d'essai, et bénéficiant d'un revenu annuel minimum garanti d'environ 100'000 €, et avait le statut de cadre de direction hors classe',a dû, aux termes du courriel adressé le 26 avril 2005 par M.[J], son supérieur hiérarchique', soumettre désormais toute prise de rendez-vous avec un nouveau client ou prospect à une autorisation écrite de son supérieur' et informer ce dernier de tout échange de courriel relatif à une prise de rendez-vous en le rendant destinataire en copie des échanges par mails';
Que par un courriel de la même date, il lui a été fait interdiction d'intervenir auprès des clients US et injonction de réduire son activité au sein de la péninsule ibérique aux seuls clients ELECTRABEL et Electricité du Portugal ; que cette injonction de nature à affecter ses résultats, n'était pas motivée ; que, par ailleurs, la salariée s'est plainte dans un courriel du 25 octobre 2005, non contredit, de ce qu'elle était exclue du groupe des interlocuteurs principaux du client Electricité du Portugal alors qu'il est établi qu'elle a travaillé avec celui-ci depuis plusieurs mois';
Qu'il résulte du courriel du 5 octobre 2005, que Mme [X] [F] [N] s'est plainte d'être exclue des réunions et conférences téléphoniques globales du département, et du nombre des destinataires des courriers stratégiques et des réunions professionnelles avec les représentants des collectivités locales';
Que la SA SOCIETE GENERALE ne répond pas dans ses conclusions, de façon circonstanciée, sur les raisons pour lesquelles Mme [X] [F] [N] s'est vu réduire le champ de ses missions, alors que paradoxalement, il lui sera reproché un défaut d'investissement dans celles-ci par la suite';
Que, malgré son statut de cadre 'hors classification', les échanges de courriels avec M. [P], entre le 9 décembre 2004 et le 17 janvier 2005, établissent que la salariée était sommée de solliciter des heures autorisations de tous ordres, de justifier son temps de travail et ses éventuelles absences du bureau, de faire un rapport concernant les personnes avec lesquelles elle déjeunait et la substance de leur conversation à cette occasion ';
Que ces exigences ne relèvent pas d'un simple désaccord avec la hiérarchie, mais témoignent de pratiques persécutives';
Que l'employeur ne conteste pas, alors que la salariée bénéficiait auparavant d'un bureau individuel, l'avoir affectée dans un open Space sans pour autant justifier, comme il le prétend, que cette nouvelle affectation résultait de la nécessité d'optimiser, par une proximité géographique, le travail par «'une fluidification des contacts et de la communication'»';que cette pratique témoigne encore une fois d'une pratique persécutive ;
Que par ailleurs, il résulte des documents versés aux débats par Mme [X] [F] [N] que cette dernière a appelé l'attention de son employeur sur les faits dont elle s'estimait victime, ce qui n'est, au demeurant, pas contesté ;
Que le département des ressources humaines, en la personne de M. [T] [L], a été informé , par un courriel du 12 juillet 2005 de Mme [X] [F] [N] en ce sens',de ce que la hiérarchie souhaitait son départ, moyennant une indemnité transactionnelle de 175'000 €, ce qui n'est pas démenti ;
Que la Société Générale, dont le département des ressources humaines est pourtant fortement structuré, s'est abstenue de réagir d'une façon quelconque pour vérifier si les dénonciations de la salariée avaient un quelconque fondement'; que cette abstention démontre une carence certaine dans l'obligation du chef d'entreprise de prévenir le harcèlement moral';
Considérant, en conséquence, que Mme [X] [F] [N] rapporte la preuve d'actes répétés constitutifs de harcèlement moral'; qu'en conséquence le licenciement intervenu sera déclaré nul et le jugement déféré infirmé sur ce chef de demande ;
Considérant que la salariée qui ne demande pas sa réintégration dans l'entreprise est en droit de bénéficier d'une indemnité réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite de son licenciement';
Sur les conséquences du licenciement':
Considérant que compte tenu de l'effectif du personnel de l'entreprise, de l'ancienneté (moins de 5 ans)et de l'âge de la salariée (actuellement agée de 57 ans) ainsi que des conséquences matérielles et morales du licenciement à son égard (actuellement sans emploi), telles qu'elles résultent des pièces produites et des débats, il lui sera alloué, en application de l'article'L.122-14-4 du Code du travail ancien devenu L'1235-3,une somme de 200 000 € à titre de dommages-intérêts';
Sur la demande de rappel de bonus 2005':
Considérant que la SA SOCIETE GENERALE soutient que le versement une gratification les années antérieures ne crée pas pour son bénéficiaire un droit acquis à cette rémunération complémentaire ni dans son principe, ni dans son montant'; que les difficultés rencontrées par la salariée au cours de l'année 2005, pour s'insérer dans une démarche de travail collectif ont été prises en compte pour fixer le montant du bonus 2005 à la somme de 20'000 €';
Considérant, cependant, que le principe du bonus était contractuellement prévu dans l'annexe du contrat de travail signé le 26 novembre 2001'; que le bonus est une technique d'individualisation des salaires qui ne doit pas aboutir à des discriminations'; que le contrat de travail ne prévoit aucun mode de calcul du bonus';
Qu'il est établi, en ce qui concerne les années 2004 et 2005, que Mme [X] [F] [N] a été victime de faits qualifiés de harcèlement';qu'au nombre des pratiques discriminatoires, il a été établi que la salariée avait fait l'objet d'une restriction de son périmètre d'intervention'; qu'en conséquence l'employeur ne peut lui reprocher une baisse quelconque de résultats';
Qu'il n'est pas contesté, par ailleurs, par l'employeur, que les gains rapportés en 2005 sont de l'ordre de 5 millions d'euros, contre 4,2 millions d'euros en 2004 et 2,6 millions d'euros en 2003';
Qu'en conséquence, aucun élément ne justifie la baisse arbitraire du bonus au titre de l'année 2005 et Mme [X] [F] [N] est fondée à obtenir le paiement d'un complément de bonus à hauteur de 70'000 €'; qu'ainsi le jugement sera confirmé sur ce chef de demande';
Sur les autres demandes':
Considérant qu'en vertu l'article L'122-14-4 alinéa 2 du code du travail ancien (devenu L'1235-4) dont les conditions sont réunies en l'espèce, le remboursement des indemnités de chômage par la SA SOCIETE GENERALE, employeur fautif, est de droit'; que ce remboursement sera ordonné à hauteur des indemnités versées soit 28528,43 €';
Considérant que l'équité et la situation économique respective des parties justifient qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile dans la mesure énoncée au dispositif';
PAR CES MOTIFS,
INFIRME le jugement entrepris,
Et statuant à nouveau,
CONDAMNE la SA SOCIETE GENERALE à payer à Mme [X] [F] [N] 70000 € à titre de rappel de bonus pour l'année 2005,
DECLARE NUL le licenciement de Mme [X] [F] [N],
CONDAMNE la SA SOCIETE GENERALE à payer à Mme [X] [F] [N] 200000 € à titre de dommages et intérêts à compter du présent arrêt,
CONDAMNE la SA SOCIETE GENERALE à payer à Mme [X] [F] [N] 3000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE, en application de l'article L'1235-4 du code du travail la SA SOCIETE GENERALE à payer à POLE EMPLOI la somme de 28528,43 € représentant les indemnités de chômage payées à Mme [X] [F] [N],
DEBOUTE les parties du surplus de leurs demandes,
CONDAMNE la SA SOCIETE GENERALE aux entiers dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER,LE PRÉSIDENT,