RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 5
ARRÊT DU 17 Février 2011
(n° 5 , 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 09/04692
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 04 Mars 2009 par le conseil de prud'hommes de PARIS Section ENCADREMENT RG n° 08/01823
APPELANTE
SA AURORA GESTION ANCIENNEMENT DÉNOMMÉE EDELWEISS GESTION
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Richard FOURCAULT, avocat au barreau de PARIS, toque : A1003
INTIMÉE
Madame [W] [H]
[Adresse 1]
[Localité 4]
comparant en personne
assistée de Me Yohanna WEIZMANN, avocat au barreau de SEINE SAINT DENIS, toque : G242
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 Janvier 2011, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Françoise FROMENT, Présidente, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Françoise FROMENT, président
Mme Marthe-Elisabeth OPPELT-REVENEAU, conseiller
M. [D] [J], VP placé sur ordonnance du Premier Président en date du 6 décembre 2010
Greffier : Madame Violaine GAILLOU, lors des débats
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau code de procédure civile.
- signé par Mme Françoise FROMENT, Président et par Mme Violaine GAILLOU, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Madame [H] a été engagée le 1er août 2004 par contrat à durée indéterminée par la Société Edelweiss Gestion en qualité de Middle Office, statut cadre, puis en qualité de Responsable de la Conformité et du Contrôle Interne, à compter de 2006.
La Société Edelweiss Gestion, aujourd'hui dénommée SA Aurora Gestion, dont l' activité est la gestion de portefeuille a un nombre de salarié inférieur à onze.
Aucune convention collective n'était applicable à la relation contractuelle.
Par lettre recommandée du 9 février 2008 adressée à la Société Edelweiss, Mme [H] a pris acte de la rupture de son contrat de travail.
Le 13 février 2008, Madame [H] a saisi le Conseil de Prud'Hommes de Paris lequel par
jugement du 4 mars 2009 a :
- Dit la prise d'acte de rupture légitime,
- En conséquence, l'a requalifiée en un licenciement,
- Dit que le licenciement est un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- Condamné la Société Edelweiss Gestion à payer à Madame [H] les indemnités suivantes:
- 11 781 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
- 2 131,22 € au titre de l'indemnité légale de licenciement,
ces sommes avec intérêts au taux légal à compter de la réception par la société de la convocation en conciliation
- 11 000 € au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Cette somme avec intérêt au taux légal à compter du jour du prononcé du jugement, jusqu'au jour du paiement,
- 500€ au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- Débouté Madame [H] du surplus de ses demandes,
- Débouté la Société Edelweiss Gestion de ses demandes reconventionnelles et l'a condamnée aux dépens.
La Société Edelweiss Gestion a régulièrement relevé appel le 12 mai 2009 de cette décision qui lui avait été notifiée le 16 avril précédent.
Représentée par son conseil, elle a lors de l'audience du 4 janvier 2011, développé oralement ses conclusions, visées le jour même par le greffier, aux termes desquelles elle sollicite de la Cour qu'elle :
- Réforme en toutes ses dispositions le jugement du Conseil de Prud'hommes de Paris du 4 mars 2009,
- Juge que la prise d'acte de rupture du contrat de travail de Madame [H] doit s'analyser en une démission,
- Condamne Madame [H] à payer à la Societé Edelweiss Gestion une somme de 10 923 € à titre d'indemnité pour non respect du préavis de trois mois auquel elle était tenue à l'égard de son employeur,
- Condamne Madame [H] à rembourser à la Société Edelweiss Gestion la somme de 15 851,74 € versée au titre des condamnations de première instance assorties de l'exécution provisoire, avec intérêts au taux légal à compter de son versement,
- Condamne Madame [H] à lui payer une somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- Condamne Madame [H] aux dépens.
Mme [H], assistée de son conseil a, lors de l'audience, développé oralement ses conclusions, visées le jour même par le greffier sollicite de la Cour qu'elle :
- Confirme dans son principe le jugement du Conseil de Prud'Hommes de Paris du 4 mars 2009,
- Condamne la Société Edelweiss à payer à Madame [H] les sommes suivantes :
- Indemnité compensatrice de préavis : 17 202,81 €
- Congés payés sur préavis : 1720,28 €
- Indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (12 mois) : 68 811,24 €
- Indemnité légale de licenciement : 2 131,22 €
- Dommages et intérêts pour rupture vexatoire : 5000 €
- Article 700 du Code de procédure civile : 3 000 €
- Condamne la Société Edelweiss aux entiers dépens de première instance et d'Appel au visa des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
MOTIF ET DÉCISION DE LA COUR
Considérant, sur la prise d'acte de la rupture du contrat de travail de Madame [H] aux torts de son employeur, que lorsque le salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l'employeur, il y a lieu d'examiner si les griefs qu'il forme sont fondés ; que dans la positive, la prise d'acte de rupture produit les effet d'un licenciement qui, en l'absence de lettre énonçant les motifs, est dépourvu de cause réelle et sérieuse ; que, dans la négative, la prise d'acte produit les effets d'une démission.
Considérant que dans un fax du 29 janvier 2008 puis par courrier du 4 février 2008, Madame [H] a informé l'AMF de la situation délicate traversée par la société Edelweiss Gestion ainsi que de son impossibilité d'exercer, dans ces conditions, ses fonctions de RCCI eu égard au manque de moyens techniques et humains ;
Considérant que ces difficultés sont établies par les pièces versées aux débats puisque :
- dans un courrier du 15 février 2008, l'AMF a reconnu que les conditions d'un contrôle interne conforme aux engagements pris dans le programme d'activité n'étaient plus réunies.
- dans une attestation du 31 juillet 2007, Monsieur [U], ancien président du directoire, a relevé que « Madame [H] ne disposait plus des ressources nécessaires et d'un accès à toutes les informations pertinentes pour remplir sa mission de RCCI de façon efficace... Toutes ces défaillances, manque de moyens, erreurs et omissions, non respect des procédures ont rendu le travail de Madame [H] quasiment impossible d'autant plus que Madame [H] avait été habituée à travailler dans une grande rigueur et dans le respect absolu des procédures ».
- Messieurs [U] et [P] ont aussi fait part à la direction du manque de moyens techniques ne leur permettant plus d'exercer leurs fonctions dans des conditions normales.
- dans une lettre du 4 février 2008 adressée à l'AMF, Monsieur [X] reconnaît qu'à son arrivée à la présidence de la société en janvier 2008, il a « rencontré de multiples difficultés qui ne relèvent pas d'une situation normale : changement de code informatique de certains ordinateurs, disparitions de certains d'entre eux, déménagement d'une armoire avec les dossiers. »
Considérant par ailleurs, que l'employeur ne peut pas modifier unilatéralement le contrat de travail de ses salariés ; que, pourtant, dans cette même lettre du 4 février 2008, Monsieur [X] décharge Madame [H] de sa responsabilité de RCCI et lui demande de surveiller la bonne exécution des ordres en tant qu'ancienne middle office tout en continuant ses contrôles permanents ;
Considérant que cette décharge de responsabilité, qui n'a jamais été acceptée par la salariée, s'analyse en un déclassement et donc en une modification unilatérale du contrat de travail de Madame [H] ;
Considérant enfin, que la société Edelweiss Gestion prétend que Madame [H] a demissionné de ses fonctions de RCCI ; que Monsieur [X] a, en effet, dans une lettre du 4 février 2004, écrit « Le poste de RCCI m'incombe désormais puisque Madame [H] a souhaité démissionner de cette fonction » ; que dans un courrier ultérieur du 23 février 2008, il considère également que le comportement de Madame [H] s'analyse clairement en une démission ;
Considérant toutefois que la société appelante ne produit aucune pièce de nature à démontrer que l'intimée aurait renoncé à exercer cette fonction de RCCI, alors qu'elle se plaignait au contraire du manque de moyens pour l'exercer pleinement ;
Considérant que c'est à juste titre qu'au vu des éléments de la cause la juridiction de première instance a, le contrat de travail de l'intimée ayant fait l'objet d'une modification par la suppression d'une part importante de ses responsabilités, le retrait de sa fonction de RCCI étant de nature à lui faire perdre de surcroît son agrément AMF, a décidé que la prise d'acte devait produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Considérant, sur la demande d'indemnité compensatrice de préavis, que les manquements de l'employeur de nature à justifier une prise d'acte autorisent le salarié à cesser immédiatement l'exécution de son contrat de travail ; que lorsque la prise d'acte de la rupture est justifiée, elle produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse de sorte que le salarié est fondé à obtenir paiement de l'indemnité de préavis et les congés payés afférents ;
Considérant qu'il y a donc lieu d'allouer à [W] [H] la somme de 10 924,50 € au titre de l'indemnité de préavis ainsi que la somme de 1 092,45 € au titre des congés payés afférents.
Considérant, sur la demande au titre de l'indemnité de licenciement, que l'article L.122-9 du Code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, dispose que le salarié titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée, licencié alors qu'il compte deux années d'ancienneté ininterrompue au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement ; que l'article R.122-2 du Code du travail, alors applicable, prévoyait que l'indemnité de licenciement ne pouvait être inférieure à un dixième de mois de salaire par année de service dans l'entreprise et tenant compte des mois de service accomplis au-delà des années pleines ;
Considérant que Madame [H] a été engagée par la société Edelweiss Gestion le 1er août 2004 et qu'elle a pris acte de la rupture de son contrat de travail le 9 février 2008 ; que son ancienneté au sein de la société est donc de 3 ans, 6 mois ; que la moyenne des 12 derniers mois de salaire de Madame [H] est de 3 641,50 € ; qu'il convient d'allouer la somme de 1 274,52 € (3641,50x3/10 + 3641,50 x 6/12/x1/10) au titre de l'indemnité légale de licenciement ;
Considérant, sur la demande au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, que l'absence de cause réelle et sérieuse implique nécessairement un préjudice qu'il
appartient au juge d'apprécier ; qu'au regard notamment de l'ancienneté de la salariée et de la rémunération qui était la sienne au moment de la rupture et de sa situation professionnelle postérieure, [W] [H] ayant rapidement retrouvé du travail ,il y a lieu, sur le fondement de l'article L1235-5 du code du travail, à une indemnité qu'il convient de fixer à 13 000,00 € ;
Considérant, sur la demande de dommages et intérêts pour rupture vexatoire, qu'il résulte des pièces produites, que la société Edelweiss Gestion a propagé l'idée selon laquelle Madame [H] aurait démissionné de ses fonctions ; que notamment dans son courrier du 4 février 2008 adressé à l'AMF, Monsieur [X], Président de la société Gestion Edelweiss fait preuve d'une particulière mauvaise foi en n'hésitant pas à affirmer à tort que Madame [H] « a souhaité démissionné de ses fonctions » ; que ce comportement a nécessairement causé un préjudice professionnel à Madame [H], au regard notamment de ses relations avec l'Autorité des Marchés Financiers ;
Considérant au surplus que les pièces du dossier démontrent que l'employeur de Madame [H] avait connaissance du fait que les conditions de travail dans lesquelles Madame [H] évoluait, ne lui permettaient plus de remplir ses fonctions correctement, ce qui l'a conduit à prendre acte de la rupture de son contrat de travail ;
Considérant qu'il y a lieu, infirmant de ce chef la décision attaquée, de faire droit, en son principe, à la demande de Madame [H] en lui attribuant la somme de 3 500 € ;
Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de Madame [H] l'intégralité des frais irrépétibles qu'elle a dû exposer pour faire valoir ses droits ; qu' il y a lieu en conséquence de lui allouer, en sus de la somme accordée en première instance, la somme de 2 500,00 € ;
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a requalifié la prise d'acte de la rupture du contrat de travail de Madame [W] [H] en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et en ce qu'il a condamné la société EDELWEISS GESTION, désormais dénommée SA AURORA GESTION, à payer à [W] [H] 500,00 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
Réformant pour le surplus le jugement déféré et statuant à nouveau,
Condamne en outre la SA AURORA GESTION à payer à Madame [W] [H] la somme de :
-10 924,50 € au titre de l'indemnité légale de préavis et 1 092,24 € au titre des congés payés afférents,
- 1 274,52 € au titre de l'indemnité légale de licenciement,
ces sommes avec intérêts au taux légal à compter du 5 décembre 2008
-13 000,00 € au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, cette somme avec intérêts au taux légal sur 11 000,00 € à compter du 4 mars 2009 et sur le surplus à compter du présent arrêt,
-3 500,00 € au titre de l'indemnité pour licenciement vexatoire, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,
-2 500,00 € au titre des frais irrépétibles d'appel, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision ;
Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;
Condamne la SA AURORA GESTION aux dépens.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT