Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 1
ARRET DU 17 MARS 2011
(n° , 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 09/24746
Décision déférée à la Cour : Recours en annulation d'une sentence arbitrale du 26 octobre 2009 rendue par la Cour Internationale d'Arbitrage de la CCI composée de Monsieur [H] [P], président et Messieurs [B] [S] et [F] [L], arbitres
DEMANDERESSE AU RECOURS :
S.A. GROUPE ANTOINE TABET société de droit libanais
prise en la personne de ses représentants légaux
Immeuble 'Antoine Tabet'
[X]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
(LIBAN)
représentée par la SCP DUBOSCQ et PELLERIN, avoués à la Cour
DÉFENDERESSE AU RECOURS :
LA RÉPUBLIQUE DU CONGO prise en la personne du Ministre de l'Economie, des Finances et du Budget, en exercice
[Adresse 2]
[Adresse 2]
(REPUBLIQUE DU CONGO)
représentée par la SCP BERNABE-CHARDIN-CHEVILLER, avoués à la Cour
assistée de Me Jean-Yves GARAUD et Me Olivier LOIZON, avocats au barreau de PARIS, plaidant pour le cabinet CLEARY GOTTLIEB STEEN HAMILTON LLP,
toque : J 21
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 17 février 2011, en audience publique, le rapport entendu, devant la Cour composée de :
Monsieur PERIE, président
Madame GUIHAL, conseillère
Madame DALLERY, conseillère
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Madame PATE
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur PERIE, président et par Madame PATE, greffier présent lors du prononcé.
Le 27 avril 1992 la République du Congo et le groupe Antoine Tabet (GAT), société de droit libanais qui a pour objet la réalisation et le financement de travaux publics, ont conclu une convention financière (convention 560) ayant pour objet le financement de travaux publics confiés à une filiale de GAT, puis le 9 mars 1993 un contrat de financement par ouverture de crédit (convention 569). Il était prévu par un accord tripartite que Elf Total congo (TEP Congo) fournirait une garantie de paiement prélevée sur la redevance d'exploitation minière dont elle est redevable envers la République du Congo.
Des désaccords étant survenus la République du Congo a introduit une demande d'arbitrage auprès de la CCI conformément à la clause compromissoire prévue par chacun des contrats.
Par une première sentence du 30 mars 2000 le tribunal arbitral a statué sur sa compétence.
Par une deuxième sentence du 4 juin 2002 le tribunal arbitral a notamment:
(point 5) 'dit pour droit qu'il y a lieu à débition des intérêts, au taux de 10 % l'an, dans le cadre de la Convention 569, sur les bases et conformément aux principes arrêtés aux Par. 196 à 204 de la présente sentence, tenus ici pour reproduits ; Réserve à statuer sur ce chef de demande ; Invite les parties à établir, conjointement, le calcul des dits intérêts dans un délai de quarante cinq jours suivant la notification de la présente sentence par le Secrétariat de la Cour, la cause pourra revenir devant le tribunal arbitral à la requête de la partie la plus diligente pour qu'il soit statué sur ce chef de la demande reconventionnelle en prosécution de cause'.
Une troisième sentence du 8 décembre 2003 concerne des mesures provisoires et conservatoires.
Une quatrième sentence du 27 février 2008 déclare notamment non fondée la demande en rétractation formée par GAT de la deuxième sentence.
Une cinquième sentence objet du présent recours en annulation introduit par GAT, rendue à [Localité 4] le 26 octobre 2009 par [H] [P], président, [B] [S] et [F] [L], arbitres, pour l'essentiel:
1) 'rejette la demande de GAT de suspendre la procédure arbitrale'
2) 'rejette la demande de la République du Congo tendant à voir écarter de la procédure certaines pièces et certains rapports d'expertise unilatéraux communiqués par GAT'
3) 'rejette les demandes de GAT aux fins de complément d'expertise, aux fins d'audition des experts sur leur complément d'expertise et aux fins d'audition de M. [J] [N] du cabinet Deloitte à [Localité 3]'
4) 'dit pour droit que GAT dispose envers la République du Congo d'une créance pour l'indemnisation de dommages de guerre d'un montant de 35.119.754 FF, ou son équivalent en euros, à savoir 5.353.971,8€ et que cette créance s'inscrit dans le compte entre les parties résultant de la convention 569 à la date du 31 décembre 1997"
5) 'dit pour droit que le solde du compte entre les parties résultant de la convention 569 s'élève, intérêts compris à la date du 31 juillet 2009, à un montant de 31.955.942,50€ au crédit de la République du Congo et rejette pour autant que de besoin la demande de GAT de modifier les bases de calcul du compte et toute demande en complément d'expertise'
6) décide de mettre un terme au séquestre prévu par l'ordonnance de procédure n°10 du 11 décembre 2003 et de libérer le montant de 2.904.397,57€ figurant sur le compte séquestre en faveur de la société TEP Congo qui avait versé ces sommes, après déduction des frais de séquestre et augmentation par les intérêts produits. Ordonne que ce montant soit payé par le séquestre entre les mains de la société TEP Congo'
7) 'condamne GAT à payer le montant de 31.955.942,50€, augmenté du montant de 449.889,30€ fixé à la quatrième sentence partielle et du montant de 245.390,38€, soit un montant total de 32.651.222,18€ à la République du Congo'.
8) 'dit pour droit qu'il sera dû par GAT à la République du Congo, entre le 31 juillet 2009 et la date du prononcé de la présente sentence finale, le montant de l'intérêt journalier au taux arrêté de 4,5% l'an sur le solde du compte hors intérêts de 38.033.367,09€'
A l'appui de son recours en annulation GAT invoque deux moyens: le tribunal arbitral a été irrégulièrement composé (article 1502 2° du code de procédure civile) en raison du défaut d'indépendance et d'impartialité du président du tribunal arbitral, et la reconnaissance ou l'exécution est contraire à l'ordre public international (article 1502 5° du code de procédure civile) du fait de la contradiction de décisions, de la violation de l'autorité de chose jugée et du non respect des droits de la défense et du principe de l'égalité des parties.
Par conclusions du 4 février 2011, il prie la cour de surseoir à statuer dans l'attente d'arrêts à intervenir de la Cour de cassation, d'annuler la sentence du 26 octobre 2009 et de condamner la République du Congo à lui payer 80.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions du 27 janvier 2011, la République du Congo sollicite le rejet du recours et la condamnation de GAT à lui payer 150.000€ par application de l'article 700 du code de procédure civile.
SUR QUOI,
Sur la demande de sursis à statuer:
Considérant que GAT demande qu'il soit sursis à statuer jusqu'à la décision de la Cour de cassation saisie de pourvois concernant les arrêts ayant rejeté ses recours en annulation des deuxième, troisième et quatrième sentences, particulièrement de la deuxième sentence arbitrale du 4 juin 2002; que la République du Congo oppose que cette demande est irrecevable devant la cour en application des articles 771 et 779 alinéa 4 du code de procédure civile, le conseiller de la mise en état étant seul compétent et ayant d'ailleurs rejeté cette demande par une ordonnance du 14 octobre 2010;
Considérant que selon l'article 771 du code de procédure civile le juge de la mise en état est seul compétent pour statuer sur les exceptions de procédure et les incidents mettant fin à l'instance; que la demande de sursis à statuer constituant un incident d'instance qui ne met pas fin à l'instance la demande est recevable devant la cour;
Considérant que GAT fait valoir que la sentence du 26 octobre 2009, objet de la présente instance, est tributaire de la sentence intermédiaire du 4 juin 2002 qui a jugé que les relations entre les parties s'inscrivaient dans un compte courant;
Que toutefois le tribunal arbitral a été initialement saisi il y a plus de 10 ans; que GAT a formé des recours contre toutes les décisions intervenues; qu'en ce qui concerne la deuxième sentence du 4 juin 2002 elle en a d'abord demandé la rétractation au tribunal arbitral qui l'a refusée le 27 février 2008 (4ème sentence partielle); qu'elle n'a formé que postérieurement à cette décision un recours en annulation qui a été rejeté par l'arrêt du 14 mai 2009 objet d'un pourvoi dont il est excipé; que si les procédures se chevauchent ce n'est que du seul fait de GAT qui a choisi la voie d'une demande de rétractation en se réservant la voie du recours en annulation qu'elle a introduit près de six ans après le prononcé de la sentence;
Que dans ces conditions faire droit à la demande de sursis à statuer qui aboutirait à prolonger encore la procédure, alors que le pourvoi en cassation n'a aucun caractère suspensif, serait dilatoire et en conséquence non conforme à une bonne administration de la justice;
Que la demande est rejetée;
Sur le premier moyen d'annulation: le tribunal arbitral a été irrégulièrement composé (article 1502 2° du code de procédure civile):
GAT fait valoir que la société Total (TEP Congo) est impliquée dans le litige l'opposant à la République du Congo et qu'il existe des liens entre la société Total et le président du tribunal arbitral, M. [P], ainsi suspect de défaut d'indépendance et d'impartialité.
GAT expose que la société TEP Congo est d'abord impliquée par une lettre du 24 janvier 1996 (accord tripartite) par laquelle elle garantit le paiement des dettes de la République du Congo envers GAT au titre des conventions 560 et 569 dans le cas de condamnations judiciaires ou arbitrales; que par un protocole général conclu en 2001 (PGA) la garantie de paiement de TEP Congo est étendue aux condamnations susceptibles de dépasser le montant des travaux, TEP Congo devenant ainsi débitrice en première ligne de l'ensemble des créances de GAT envers la République du Congo; que si ces deux premiers accords réservaient le recours de TEP Congo à l'encontre de la République du Congo pour les paiements effectués, un troisième accord dit accord général transactionnel (AGT) conclu en 2003 prévoit le paiement à hauteur de 70 millions de dollars US d'une éventuelle créance de GAT à l'encontre de la République du Congo par TEP Congo qui renonce à en réclamer le remboursement à la République du Congo de telle sorte que TEP Congo se trouve personnellement débitrice des condamnations qui pourraient être prononcées contre la République du Congo et par suite directement concernée par la solution apportée à l'instance arbitrale.
GAT estime que dans ces conditions M. [P] n'offrait pas les garanties d'indépendance et d'impartialité nécessaires dans la mesure où il est lié au groupe Total et que le risque de conflit d'intérêt est manifeste; qu'il occupe en effet un poste d'administrateur dans une société actionnaire du groupe, qu'il est associé en qualité d'avocat d'un important cabinet de droit des affaires conseil du groupe Total pour la Belgique et qu'il est enfin le conseil du groupe FRERE qui détient 5% des actions de Total.
La République du Congo oppose que le grief est irrecevable comme tardivement invoqué tant au regard des dispositions du règlement de la CCI sur la procédure de récusation que de l'obligation de loyauté procédurale.
Considérant qu'aux termes de ses deux premiers engagements- accord tripartite du 24 janvier 1996 et PGA de 2001- TEP Congo garantit les paiements mais est immédiatement relevé par la République du Congo et ce recours n'a rien d'illusoire compte tenu des redevances pétrolières dues par TEP Congo; qu'en effet la lettre du 24 janvier 1996 précise '(...) les paiements couverts par notre acceptation s'entendent à concurrence du montant de la redevance pétrolière payable par notre société à la République du Congo(...)' et le PGA de 2001 prévoit que la République du Congo dédommage TEP Congo dans les 15 jours calendaires suivant la réception d'une demande en ce sens avec intérêts en cas de retard; qu'à l'évidence ces mécanismes sont neutres pour TEP Congo;
Qu'il en est de même de l'AGT de 2003; qu'en effet si selon cette convention (article 3.5.2 alinéa 3) 'TEP Congo, à titre transactionnel et de façon exceptionnelle, accepte de prendre à sa charge soixante dix (70) millions de dollars US au titre des frais encourus et des condamnations pécuniaires susceptibles d'être prononcées contre TEP Congo et/ou ses Affiliées ou la RC au profit de GAT en conséquence d'une décision judiciaire ou arbitrale (...)' et (article 3.3.3 alinéa 1er) 'En complément des dispositions visées à l'article 3.5.2. ci-après, la RC demande par les présentes à TEP Congo, à titre transactionnel, de s'abstenir de demander à la RC le remboursement, selon les dispositions du PGA, du ou des paiements visés à l'alinéa 3 de l'article 3.5.2 (...)' le même article (alinéa 2) précise qu'au cas ou les montants effectivement supportés par TEP Congo ou ses affiliées
'I. dépasseraient soixante dix (70) millions de dollars US , tels que définis à l'article 3.5.2, alors TEP Congo sera en droit d'obtenir le remboursement par la RC de ces montants et d'appliquer à cet effet la procédure décrite au PGA.
II. ne dépasseraient pas soixante dix (70) millions de dollars US , tels que définis à l'article 3.5.2, alors TEP Congo paiera à la RC, à titre d'indemnité transactionnelle, la différence entre soixante dix (70) millions de dollars US et lesdits montants(...)';
Qu'il apparaît donc bien que le mécanisme est neutre pour TEP Congo qui paiera 70 millions de dollars US que la République du Congo soit ou non condamnée, ce paiement se faisant soit au profit de GAT soit au profit de la République du Congo; que ce constat suffit sans qu'il soit utile de rechercher les cause de cet accord confidentiel;
Qu'il s'ensuit que l'issue de la procédure arbitrale n'aura aucun retentissement sur la situation financière de TEP Congo qui au demeurant n'est pas dans la cause;
Qu'en conséquence le grief -à le supposer recevable- tenant à un possible conflit d'intérêts entraînant un risque de défaut d'indépendance et d'impartialité de M. [P] manque en fait;
Que le moyen est donc rejeté;
Sur le second moyen pris dans ses deux branches: la reconnaissance ou l'exécution sont contraires à l'ordre public international (article 1502 5° du code de procédure civile):
GAT expose d'abord que la sentence partielle n°2 du 4 juin 2002 énonce au paragraphe 107 à propos de la convention de 1996 'Se fondant sur l'ensemble des éléments pertinents qui lui sont soumis le Tribunal décide, pour autant que de besoin, que le Protocole d'accord de 1996 est valable et sort ses effets quelles qu'aient pu être les conditions dans lesquelles il a été négocié et conclu' reconnaissant ainsi le caractère contractuel et non pas théorique des échéanciers de remboursement, ce qui exclut la notion de compte courant finalement retenue; que la sentence du 4 juin 2002 comporte donc une contradiction en ce qu'elle admet à la fois que le Protocole 'sorte tous ses effets' et que les échéances tombent en compte courant et que par suite la sentence objet du présent recours qui ne s'attache qu'au compte courant méconnaît l'autorité de chose jugée de la sentence n°2 relative aux effets du protocole de 1996, autorité qu'elle viole ainsi de façon flagrante, certaine et effective.
GAT soutient ensuite que les droits de la défense et le principe de l'égalité des armes n'ont pas été respectés. Il dit que la procédure a été jalonnée de multiples décisions qui doivent être mises en perspective pour permettre d'apprécier le caractère équitable de la procédure. Il souligne notamment que le tribunal arbitral dans la sentence n°2 a requalifié le contrat 569 sans débat préalable, que dans la sentence n°4 les arbitres ont refusé de réexaminer la question du compte courant, qu'il s'est plaint sans être entendu de 'l'ultra petita', de décisions contradictoires, qu'il a demandé vainement la suspension de l'instance dans l'attente du résultat des recours introduits contre les sentences partielles, qu'à ce jour compte tenu des recours pendants devant la Cour de cassation il ne peut être exclu que ses droits procéduraux fondamentaux aient été violés et qu'ainsi la sentence finale 'porte en elle par définition les stigmates des erreurs procédurales commises par le tribunal arbitral tout au long de la procédure, auxquelles il a refusé de remédier malgré les demandes insistantes de GAT'. Il ajoute enfin que tout en reconnaissant les carences de l'expertise ordonnée le tribunal arbitral s'est fondé sur ses résultats en rejetant toutes les demandes du concluant tendant à des opérations complémentaires ou à une contre expertise.
Mais considérant, sur la première branche du moyen, que GAT en soutenant que la sentence n°2 du 24 juin 2002 comporterait une contradiction qui entacherait la sentence finale qui ne statuant que sur le compte courant ignorerait l'autorité de chose jugée concernant la validité du protocole de 1996, remet en réalité en cause le bien fondé de la sentence n°2 comportant selon elle une contradiction de motifs, alors que cette décision n'est pas soumise à l'examen de la cour dans le cadre du présent recours en annulation; qu'au demeurant GAT n'établit pas que la sentence finale méconnaîtrait ce qui a été jugé par la sentence n°2 et en tout cas ne démontre pas en quoi sa reconnaissance ou son exécution seraient contraires à l'ordre public international;
Que sur la seconde branche du moyen force est de constater que GAT se borne à dresser l'inventaire de ses griefs, procédant par affirmations et sans jamais démontrer que ses moyens ou arguments n'auraient pas été contradictoirement discutés,la circonstance qu'il n'y ait pas été fait droit étant inopérante; que là encore il ne démontre pas en quoi la reconnaissance ou l'exécution de la sentence seraient contraires à l'ordre public international;
Qu'en conséquence le second moyen est rejeté et partant le recours;
Sur les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile :
Considérant que GAT qui succombe est débouté de sa demande et paie à la République du Congo 80.000€;
PAR CES MOTIFS
DÉCLARE recevable la demande de sursis à statuer;
LA REJETTE;
REJETTE le recours en annulation;
CONDAMNE le groupe ANTOINE TABET à payer à la République du Congo 80.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
REJETTE toute autre demande;
CONDAMNE le groupe ANTOINE TABET aux dépens et admet la SCP Bernabé Chardin Cheviller, avoué, au bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.
LA GREFFIERE LE PRESIDENT