RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 11
ARRÊT DU 05 Mai 2011
(n° 7 , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 09/06269 EG
S 09/06571
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 03 Mars 2009 par le conseil de prud'hommes de PARIS section encadrement RG n° 08/03575
APPELANT
Monsieur [O] [F]
[Adresse 1]
[Localité 3]
comparant en personne, assisté de Me Marilyn HAGÈGE, avocat au barreau de PARIS, toque : D0139
INTIMEE ET APPELANT
GIE DRESDNER KLEINWORT
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Cécile DIDOLOT, avocat au barreau de PARIS, toque : K062
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 10 Mars 2011, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Jean-Michel DEPOMMIER, Président
Madame Evelyne GIL, Conseillère
Madame Isabelle BROGLY, Conseillère qui en ont délibéré
Greffier : Mademoiselle Séverine GUICHERD, lors des débats
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Jean-Michel DEPOMMIER, président et par Séverine GUICHERD, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Vu l'appel régulièrement formé le 6 juillet 2009 par [O] [F] contre un jugement du conseil de prud'hommes de PARIS en date du 3 mars 2009 ayant statué sur le litige qui l'oppose à son ancien employeur, le GIE DRESDNER KLEINWORT, appel limité au montant des dommages et intérêts et enregistré au greffe de la cour sous le numéro 09/06269 .
Vu l'appel régulièrement formé le 17 juillet 2009 par le GIE DRESDNER KLEINWORT contre le même jugement du conseil de prud'hommes de PARIS du 3 mars 2009 ayant statué sur le litige qui l'oppose à son ancien employé, [O] [F], appel portant sur la totalité de la décision hormis le solde de prime exceptionnelle de 25'719 € et enregistré au greffe de la cour sous le numéro 09/06571.
Vu le jugement déféré ayant :
- fixé la moyenne des trois derniers mois de salaire à 12'219,39 €,
- condamné le GIE DRESDNER KLEINWORT à payer à [O] [F] les sommes de :
100'000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
avec intérêts au taux légal à compter du jugement,
25'719 € en deniers ou quittance, à titre de solde de prime exceptionnelle,
avec intérêts de droit à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation,
27'286,92 € au titre de l'équivalent de 420,64 actions ALLIANZ sur le cours de clôture du 12 février 2009,
500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- débouté [O] [F] du surplus de ses demandes et le GIE DRESDNER KLEINWORT de sa demande reconventionnelle,
- condamné ce dernier aux dépens.
Vu les conclusions visées par le greffier et développées oralement à l'audience aux termes desquelles :
[O] [F], appelant et intimé, poursuit :
- l'infirmation partielle du jugement entrepris,
- la fixation de la moyenne de ses salaires à 52'916,67 €,
- la constatation de la nullité de son licenciement ou, subsidiairement, de l'absence de cause réelle et sérieuse justifiant ce licenciement
- la condamnation du GIE DRESDNER KLEINWORT à lui payer les sommes de :
470'000 € à titre de rappel de salaire sur la part variable due pour 2007,
635'000 € à titre d'indemnité pour licenciement nul ou, subsidiairement, pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
3 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile en sus des dépens ;
Le GIE DRESDNER KLEINWORT France, dit 'DK France', intimé et appelant, conclut :
- à l'infirmation partielle du jugement déféré, s'agissant de la condamnation au paiement de dommages et intérêts pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse et de la condamnation au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- à la constatation du bien-fondé du licenciement,
- au débouté de [O] [F] de l'ensemble de ses demandes,
- à sa condamnation au remboursement des sommes obtenues en exécution du jugement du
3 mars 2009 au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et des intérêts assortis,
- subsidiairement, à l'imputation des sommes déjà versées sur le montant d'éventuelles condamnations et à la réduction des dommages et intérêts et du bonus octroyés au salarié,
- à la condamnation de celui-ci au versement de la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile en sus des entiers dépens.
FAITS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Suivant lettre du 27 mars 2006 valant contrat de travail régi par la convention collective de la banque, le GIE DRESDNER KLEINWORT WASSERSTEIN France a engagé [O] [F] en qualité de 'Senior Marketer Equity Derivatives, Financial Solutions Group', cadre de niveau HC, avec le titre Corporate de ' Director ', avec une reprise d'ancienneté à compter du 1er juillet 2003 et moyennant une rémunération annuelle brute fixe de 160'000 € payable sur 12 mois, soit 13'333,33 € bruts par mois, un bonus garanti de 475'000 € bruts pour l'année 2006, une prime exceptionnelle de 100'500 € bruts et la possibilité de bénéficier d'un bonus discrétionnaire dont le montant était déterminé chaque année par la direction au vu des résultats de la société, du groupe DRESDNER et en fonction de sa contribution personnelle à sa bonne marche.
En son dernier état, la rémunération brute mensuelle fixe du salarié s'élevait à 14'004,33 €.
Le 29 février 2008, le GIE DRESDNER KLEINWORT l'a convoqué à se présenter le
11 mars 2008 à un entretien préalable à une éventuelle mesure de licenciement.
Le 19 mars 2008, il lui a notifié son licenciement dans les termes suivants :
' Nous sommes ... contraints de vous notifier, par la présente, notre décision de vous licencier pour insuffisance professionnelle. Cette insuffisance professionnelle est notamment caractérisée par les faits suivants.
Dans le cadre de votre fonction de Senior marketer equity derivatives (avec le grade de
$gt; et le niveau HC), votre rôle est de générer du revenu par la vente des produits et services de la banque et de développer les relations clients, dans le cadre de notre organisation et de son évolution. Or, nous devons malheureusement constater que le revenu généré en 2007 n'a été que de 64'500 euros, ce qui est tout à fait médiocre par rapport à notre budget. Au début de l'année 2008, votre management, tout en vous renouvelant sa confiance, vous a demandé de vous ressaisir et vous a donné un objectif clair à réaliser, en adéquation avec la performance que l'on est en droit d'attendre d'un cadre de votre niveau, tout en tenant compte bien entendu du marché. Là encore, nous constatons que non seulement aucune affaire n'a été conclue (vous avez vous-même reconnu un revenu de zéro au cours de l'entretien préalable), mais que le pipeline est largement en dessous de l'objectif fixé. De plus, en tant que Senior marketer au niveau $gt;, il vous appartenait par ailleurs de prendre la mesure de vos résultats et de vos difficultés le cas échéant, et d'y remédier par des propositions innovantes et un plan d'action tant en ce qui concerne les produits que les clients. Nous avons attiré votre attention à plusieurs reprises au cours d'entretiens afin de vous donner toute opportunité de corriger la situation. Plutôt que de chercher à améliorer la situation, vous avez cherché à vous dégager de vos responsabilités, prétextant de prétendus problèmes d'organisation et de management. In fine, nous devons constater que vous n'avez pas remédié à la situation.
Nous ne pouvons aujourd'hui que déplorer ce manque de résultat, directement lié à votre travail, tant au niveau quantitatif que qualitatif, et constater votre incapacité à une quelconque amélioration.
Ces faits extrêmement préjudiciables aux intérêts de l'entreprise démontrent votre insuffisance professionnelle et ne sont plus acceptables de la part d'un cadre senior.
En conséquence, le jour suivant la date de la première présentation de cette lettre marquera la date de votre licenciement pour motif personnel, à compter de laquelle votre préavis de trois mois commencera à courir. Nous entendons vous dispenser de l'exécution de votre préavis, votre rémunération vous étant versée aux échéances normales de paie.'
[O] [F] fait valoir :
- qu'il a été débauché de son précédent emploi au sein du CRÉDIT SUISSE par le GIE DRESDNER KLEINWORT pour assurer le développement de la vente des dérivés actions (Equity dérivatives) auprès des investisseurs,
- qu'il avait en effet pour mission principale d'encadrer une équipe et de vendre des produits structurés actions et fonds alternatifs auprès des investisseurs $gt; en France, c'est-à-dire aux principaux institutionnels et aux gérants,
- que peu après son recrutement, le GIE DRESDNER KLEINWORT a mis en oeuvre la réorganisation de l'entreprise et un recentrage de ses activités, entraînant d'importants mouvements de personnel,
- que son poste ne trouvait pas sa place dans cette nouvelle organisation,
- que 7 salariés travaillant à [Localité 3] au sein de la division ' Capital Markets ' à laquelle il appartenait ont fait l'objet d'un licenciement économique en décembre 2007,
- que son licenciement, prononcé le 19 mars 2008, dans un contexte de crise, de réorganisation des activités bancaires et de disparition du secteur des produits structurés actions dans les offres du GIE DRESDNER KLEINWORT, relevait manifestement d'un motif économique,
- qu'il n'a d'ailleurs pas été remplacé après son départ en juin 2008, l'activité 'structurés actions' ayant été complètement supprimée après la cession de l'entreprise à la Commerzbank,
- que la qualification de licenciement personnel retenue à son encontre est destinée à éluder les règles impératives de l'article L. 1235-10 du Code du travail et rend son licenciement nul,
- qu'aucune remarque ni aucun reproche ne lui a été fait avant la réorganisation de sa direction opérationnelle au dernier trimestre 2007,
- que la fixation des prix des produits structurés actions et fonds alternatifs qu'il était chargé de vendre relevait des traders, assistés par les structureurs,
- que la faiblesse des résultats en 2007 s'explique par l'instabilité de son équipe, le départ de ses collaborateurs, le manque de moyens et de recrutement et des prix peu ou pas du tout compétitifs,
- que, subsidiairement, l'insuffisance de résultat qui lui est reprochée est imputable à l'entreprise,
- que la moyenne de ses trois derniers mois de salaire s'est élevée à 14'020,69 €,
- que son licenciement injustifié lui a causé un préjudice très important puisqu'il ne perçoit plus aucun revenu depuis septembre 2010.
Le GIE DRESDNER KLEINWORT France soutient :
- que [O] [F] viole les principes essentiels de confidentialité en vigueur dans le secteur bancaire en révélant publiquement des informations confidentielles relatives aux clients de DRESDNER KLEINWORT,
- que la réorganisation ayant suivi le rachat de DK par la Commerzbank a concerné
7 employés et touché des activités différentes de celles auxquelles participait le salarié,
- que son poste n'a pas été supprimé mais pourvu, après son départ, par promotion interne,
- qu'en 2007, au lieu de progresser, les revenus dégagés par [O] [F] ont chuté, passant de 1'440'000 € obtenus en 2006 à 64'500 € et sont sans comparaison avec les résultats obtenus par ses prédécesseurs,
- que, de surcroît, il n'a effectué de ventes que sur des produits dérivés (Global Equity Derivatives) et n'a pas cherché à proposer un panel de produits existants au sein du GIE,
- que les états de ses affaires en cours de prospection, appelés pipelines, qu'il devait établir chaque semaine, sont très insuffisants,
- qu'il n'a pas essayé de diversifier sa clientèle,
- que son licenciement est la conséquence, non pas de la non atteinte de ses objectifs, mais de son insuffisance professionnelle,
- qu'en tout état de cause, son préjudice n'est pas démontré,
- qu'il ne saurait réclamer un rappel sur son bonus dont le caractère est discrétionnaire.
SUR CE
- Sur la jonction des appels
Les appels enregistrés au greffe de la cour sous les numéros 09/06269 et 09/06571 présentent un lien de connexité évident. Dans le souci d'une bonne administration de la justice, il convient d'en ordonner la jonction.
- Sur la qualification du licenciement et ses conséquences
Aux termes de sa lettre de licenciement du 19 mars 2008, le GIE DRESDNER KLEINWORT reproche à [O] [F] son insuffisance professionnelle manifestée par la médiocrité du revenu dégagé en 2007, l'absence de conclusion d'affaires, une prospection en dessous de l'objectif fixé, le manque de résultats et l'absence de propositions innovantes et de plan d'action pour améliorer la situation.
Le salarié soutient que son licenciement s'inscrit dans le projet de réorganisation entraînant la suppression d'activités et dans le projet de licenciement collectif pour motif économique soumis au comité d'entreprise en décembre 2007 et que le motif pris de sa prétendue insuffisance professionnelle est destiné à éluder les dispositions de l'article L. 1235-10 du Code du travail.
Il résulte en effet d'une note d'information remise au comité d'entreprise que le GIE DRESDNER KLEINWORT France envisageait en décembre 2007 la suppression des activités de recherche de crédit et de Global Banking Debt Capital Markets (DCM) ainsi que la réduction des activités de produit actions, ce qui avait pour conséquence la suppression de 2 postes de l'équipe Recherche Crédit, de 3 postes de l'équipe Global Finance Debt Capital Markets, d'un poste de l'équipe Sales Trading Equity et d'un poste de l'équipe Vente Cash Equity. Cependant, le projet de réorganisation et de licenciement ne concerne pas le service Financial Solutions Group relevant du département Global Distribution auquel appartenait [O] [F]. Le projet de licenciement ne concernant que 7 salariés, l'absence de présentation aux représentants du personnel d'un plan de reclassement des salariés s'intégrant au plan de sauvegarde de l'emploi n'est pas sanctionnée par la nullité de la procédure de licenciement et la nullité de celui-ci ne peut en conséquence être prononcée.
L'insuffisance des résultats obtenus par [O] [F] n'a pas été évoquée avant son évaluation en octobre 2007 qui l'impute à un mauvais choix de clientèle. Cette insuffisance s'est manifestée par une contribution personnelle de 64 K€ ytd sur un revenu global sur les produits EQD s'élevant à plus de 240 M€ et par l'absence de transaction
' pipeline '. Dans un contexte de difficultés reconnues par la direction de DRESDNER KLEINWORT et liées à des marchés financiers déstabilisants et au changement de direction en 2007, les éléments versés au dossier et notamment les éléments de comparaison non nominatifs et les résultats obtenus par ses prédécesseurs de 2003 à 2005, soit dans un contexte économique différent, ne sont pas de nature à démontrer l'insuffisance professionnelle du salarié. Il n'est pas établi en particulier que le choix des clients potentiels retenus par celui-ci soit à l'origine de performances considérées comme médiocres.
À l'issue de son évaluation, il lui a été demandé, ' à titre d'exemple ', de fournir une production d'au moins 1 million d'euros pour le mois de février 2009 et une transaction pipeline de 3 millions avec des contrats exécutables durant le premier semestre 2008.
Au vu du résultat de 1'440'000 € qu'il a réalisé au cours de l'année 2006, il apparaît que le revenu d'1 million en 4 mois d'activité et l'exécution de contrats pour 3 millions
d'euros ne constituaient pas des objectifs raisonnables et réalisables. L'employeur ne peut donc s'en prévaloir pour caractériser l'insuffisance professionnelle du salarié d'octobre 2007 à mars 2008.
En l'absence de démonstration de l'insuffisance professionnelle de [O] [F], son licenciement a été, à raison, jugé sans cause réelle ni sérieuse par le conseil de prud'hommes.
Au cours de ses 3 derniers mois de travail, le salarié a perçu un salaire brut de 14'004,33 €.
Au vu des éléments du dossier, il apparaît que le conseil de prud'hommes a correctement évalué la réparation du préjudice de [O] [F] en lui accordant une indemnité de 100'000 €.
Les condamnations à paiement au titre de la prime exceptionnelle et au titre des actions ALLIANZ n'ont pas été discutées.
- Sur les demandes d'indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile
Au vu des circonstances de la cause, il paraît inéquitable de laisser à la charge de [O] [F] les frais non taxables qu'il a exposés à l'occasion du présent appel. Il y a de lui accorder à ce titre une indemnité de 1 500 €, de rejeter la demande formée sur le même fondement par le GIE DRESDNER KLEINWORT et de confirmer l'application qui a été faite par le conseil des prud'hommes des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
- Sur l'application d'office de l'article L. 1235-4 du Code du travail en faveur du
PÔLE EMPLOI
[O] [F] ayant plus de deux années d'ancienneté et le GIE DRESDNER KLEINWORT occupant habituellement au moins onze salariés, il convient d'ordonner le remboursement par l'employeur fautif des indemnités de chômage payées au salarié licencié du jour de son licenciement dans la limite de six mois en application de l'article L. 1235-4 du Code du travail.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Ordonne la jonction des instances enrôlées sous les numéros 09/06269 et 09/06571 ;
Confirme le jugement déféré ;
Y ajoutant,
Condamne le GIE DRESDNER KLEINWORT à payer à [O] [F] la somme de 1 500 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Rejette le surplus des demandes ;
Condamne le GIE DRESDNER KLEINWORT à rembourser au PÔLE EMPLOI les indemnités de chômage payées au salarié licencié à compter du jour de son licenciement et dans la limite de six mois ;
Le condamne aux dépens de l'appel.
Le Greffier, Le Président,