RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 5
ARRÊT DU 19 Mai 2011
(n° 1 , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 09/07057
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 24 Février 2009 par le conseil de prud'hommes de PARIS Section ENCADREMENT RG n° 07/13549
APPELANT
Monsieur [C] [F]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
comparant en personne
assisté de Me Roland ZERAH, avocat au barreau de PARIS, toque : D 164
INTIMÉE
SARL [Y]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Stéphane DEMINSTEN, avocat au barreau de PARIS, toque : E2095
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 24 Mars 2011, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Françoise FROMENT, Présidente
Madame Marthe-Elisabeth OPPELT-REVENEAU, Conseillère
M. Julien SENEL, Vice-Président placé par ordonnance du Premier Président en date du 6 décembre 2010
qui en ont délibéré,
Greffier : Madame Violaine GAILLOU, lors des débats
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Mme Françoise FROMENT, Président et par Mme Violaine GAILLOU, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
[C] [F] a été engagé verbalement en mai 1990 par la SARL LES [Y], qui est une société spécialisée dans la production de disques, en qualité de directeur artistique.
La relation contractuelle était soumise à la convention collective des éditions musicales.
Il a, le 21 décembre 2007 saisi le Conseil de Prud'hommes de Paris d'une demande en principal de résiliation judiciaire.
Il a été licencié pour faute grave par lettre du 23 mai 2008.
Par jugement du 24 février 2009, le Conseil de Prud'hommes de Paris a :
- condamné la SARL LES [Y] à payer à [C] [F] :
- 14 215,00 € de rappel de prime d'ancienneté et 1 421,50 € au titre des congés payés afférents
- 12 804,00 € d'indemnité de préavis et 1 280,00 € de congés payés afférents
- 80 906,00 € d'indemnité de licenciement
ces sommes avec intérêts au taux légal à compter de la réception par la SARL LES [Y] de la convocation en conciliation
- 500,00 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile
- débouté [C] [F] du surplus de ses demandes
- débouté la SARL LES [Y] de sa demande reconventionnelle
- condamné la SARL LES [Y] aux dépens.
[C] [F] a régulièrement relevé appel le 9 juin 2009 de cette décision qui lui avait été notifiée le 18 mai précédent.
Assisté de son conseil, [C] [F] a, lors de l'audience du 24 mars 2011, développé oralement ses conclusions, visées le jour même par le greffier, aux termes desquelles il sollicite l'infirmation de la décision déférée et entend voir :
- à titre principal prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail
- à titre subsidiaire, dire son licenciement sans cause réelle et sérieuse
- à titre principal, condamner la SARL LES [Y] à lui payer 59 678,00 € de rappel de salaire consécutif à la non application de l'augmentation conventionnelle sur le salaire réel depuis 1990 et 5 967,80 € de congés payés afférents
- à titre subsidiaire, condamner la SARL LES [Y] à lui payer 20 315,00 € de rappel de salaires de 2002 à 2007 et 2 031,00 € de congés payés afférents outre 40 000,00 € de dommages-intérêts pour non respect des dispositions de la convention collective avant 2002
- à titre principal, condamner la SARL LES [Y] à lui payer 24 928,46 € au titre de la prime d'ancienneté et 2 492,84 € de congés payés afférents et, à défaut, 14 104,00 € et 1 410,00 € au titre des congés payés afférents
- condamner en outre la SARL LES [Y] à lui payer :
- 80 906,00 € d'indemnité de licenciement
- 17 233,00 € d'indemnité de préavis et 1 723,30 € de congés payés afférents
toutes ces sommes avec intérêts au taux légal à compter de l'introduction de la demande
- 150 000,00 € d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
- 50 000,00 € de dommages-intérêts pour préjudice moral
- 5 000,00 € d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile- 60 000,00 € de dommages-intérêts pour perte sur pensions de retraiter
et entend voir ordonner la délivrance de bulletins de salaires conformes ;
Représentée par son conseil, la SARL LES [Y] a, lors de l'audience du 24 mars 2011, développé oralement ses conclusions, visées le jour même par le greffier, aux termes desquelles elle entend voir, infirmant pour partie le jugement déféré, débouter [C] [F] de toutes ses demandes et condamner à lui payer 5 000,00 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
MOTIFS
Considérant, en droit, que lorsqu'un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison des faits qu'il reproche à son employeur, tout en continuant à travailler à son service, et que ce dernier le licencie ultérieurement, le juge doit rechercher si la demande de résiliation était justifiée ; que si tel est le cas, il fixe la date de la rupture à la date d'envoi de la lettre de licenciement ;
Considérant qu'en l'espèce [C] [F] fonde sa demande de résiliation en reprochant à la SARL LES [Y] :
- de n'avoir pas respecté l'avenant n°18 de la convention collective du 31 décembre 1986, repris dans l'avenant n°3 de l'avenant 40 du 30 octobre 2006
- de n'avoir pas respecté l'article 9 de la convention collective des éditions musicales relatif à la prime d'ancienneté
- de l'avoir progressivement écarté de certains dossiers au profit du fils du gérant, ce dernier ayant un comportement inadmissible à son égard et d'avoir dégradé ses conditions matérielles de travail en, notamment, supprimant son bureau, ce qui a eu des répercussions sur son état de santé ;
Considérant que la société conteste tout fait de harcèlement moral et soulève la prescription des demandes de salaires antérieures à 2002, soulignant qu'en tout état de cause, lors de la régularisation de la situation, elle a fait une stricte application des dispositions applicables, les calculs du salarié étant erronés ;
Considérant qu'il est constant en droit que :
- selon l'article L3245-1 du code du travail que l'action en paiement du salaire se prescrit par 5 ans, le délai de prescription de l'action en paiement courant à compter de la date à laquelle ce dernier devient exigible
- de l'article 2240 du code civil que la reconnaissance par le débiteur du droit contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription
- la prescription ne s'applique pas lorsque la créance, même périodique, dépend d'éléments qui ne sont pas connus du créancier et dépendent notamment de déclarations que le débiteur est tenu de faire ;
Considérant, sur la demande de rappel de salaires, que ce n'est qu'en novembre 2007 que le salarié a mis en demeure son employeur de lui régler un rappel de salaires en invoquant les dispositions de la convention collective, cette mise en demeure ayant ensuite été confirmée par la saisine de la juridiction prud'homale ; que ce n'est que postérieurement à la saisine du Conseil de Prud'hommes que la société a, dans un courrier du 29 janvier 2008, reconnu devoir certaines sommes à [C] [F] de ce chef ; qu'il s'ensuit que la demande en ce qu'elle porte sur la période antérieure au 20 décembre 2002 est prescrite, étant observé que la réclamation ne dépendait aucunement d'éléments que seul l'employeur détenait mais bien d'éléments que le salarié aurait dû connaître, la convention collective et ses avenants ayant fait l'objet d'arrêtés d'extension publiés au Journal Officiel, ce qui lui permettait de réclamer le respect de ses droits ;
Considérant que sa demande, formée subsidiairement, à titre de dommages-intérêts pour la période prescrite, pour non respect de la convention collective ne saurait davantage être accueillie, le salarié, qui a laissé prescrire la demande, ne pouvant plus invoquer de préjudice à l'encontre de son employeur de ce chef pour défaut de paiement des salaires ;
Considérant, sur la réclamation en ce qu'elle concerne la période non prescrite, qu'il résulte des dispositions de l'avenant n°18 de la convention collective de l'édition musicale, reprise dans l'article 3 de l'avenant n°40 du 30 octobre 2006, que 'au cas où le cadre percevrait un salaire supérieur au salaire prévu par la convention collective et ses avenants, l'augmentation du salaire conventionnel s'ajoutera néanmoins au salaire réel ;
Considérant que l'examen des avenants modifiant le montant des salaires conventionnels démontre que ces derniers prévoyaient que :
- I Les salaires conventionnels étaient augmentés selon un pourcentage
- II La valeur du point était en conséquence proportionnellement augmentée ;
Considérant qu'en application tant des avenants 18 et 40 que des avenants modifiant les salaires conventionnels, que l'employeur devait augmenter le salaire réel du même pourcentage que l'augmentation appliquée au salaire conventionnel et non seulement, comme il l'a fait, ajouter au salaire réel l'augmentation chiffrée résultant de l'application du pourcentage au salaire conventionnel ; qu'il était donc redevable, pour la période non prescrite, au regard des dites augmentations d'une somme de 7 339,41 € ; qu'au regard de la somme que l'employeur lui a versée en janvier 2008 à ce titre, il lui reste dû la somme de 6 026,16 € outre 602,62 € au titre des congés payés afférents ;
Considérant, sur la demande de rappel de prime d'ancienneté, que l'article 9 de la convention collective dispose que les cadres relevant de la convention reçoivent, selon leur ancienneté dans l'entreprise, une majoration égale à 3% après 3 années de présence, augmentée de 1% par année de présence avec un maximum de 18% ; que ce texte ajoute que cette majoration est calculée sur le salaire minimum correspondant à la fonction de l'intéressé ;
Considérant qu'il résulte des documents produits que, suite aux réclamations qui avaient été faites par [C] [F] de ce chef, l'employeur a, à partir de janvier 2001, versé une prime d'ancienneté dont le montant n'est pas discuté ;
Considérant qu'en versant à [C] [F], qui avait à de nombreuses reprises sollicité la régularisation de sa situation au regard de l'article 9 précité, la prime d'ancienneté à partir de janvier 2001, la société la SARL LES [Y] a reconnu au moins partiellement le bien fondé de cette réclamation : que cette reconnaissance a interrompu par conséquent la prescription encourue ; que dès lors la demande de [C] [F] est justifiée en son principe mais seulement pour les années 1996 à 2000, la prescription étant par contre acquise pour les périodes antérieures ;
Considérant ceci étant que la prime due de ce chef devait être calculée, non sur le salaire réel, mais sur le minimum conventionnel applicable ; qu'au regard de ce dernier, la somme due à [C] [F] de ce chef s'élève à la somme de 14 104,00 € et 1 410,40 € de congés payés afférents ;
Considérant par ailleurs que [C] [F] se prévaut de l'attitude de l'employeur à son égard et produit notamment :
- une attestation en date du 19 janvier 2008 de [X] [L], qui avait été salariée de la SARL LES [Y] en qualité d'assistant de direction 6 mois en 2004 qui fait état de ce que :
- les ordres d'[B] [Y], fils de [A] [Y], le gérant de la société, étaient souvent incohérents et qu'il exerçait des pressions déstabilisantes, l'intéressé lui disant 'vous ne devez pas donner copie des courriers à [C] [F] des documents qui arrivent, même s'ils lui sont adressés'
- n'ayant pas donné à [C] [F] un projet de contrat en provenance de M6 conformément aux instructions, elle s'était fait reprocher par [A] [Y] d'avoir suivi des instructions que son fils avait nié lui avoir données
- cette ambiance oppressante, en raison notamment des hurlements d'[B] [Y] l'avaient amenée à ne pas poursuivre la collaboration au-delà du contrat à durée déterminée
- les ordres n'étaient pas normaux pour un supérieur hiérarchique qui lui disait 'je ne vous demande pas de penser mais d'exécuter, ici il n'y a que moi et mon père qui comptent, le reste n'est rien'
- dans ce contexte elle avait apprécié les qualités humaines de [C] [F] qui lui avait toujours apporté son généreux soutien, avec dignité, sérénité et professionnalisme
- une attestation de [V] [T], salarié de 1985 à 2005 en qualité d'administrateur de deux sociétés dirigées par [M] [D], coproducteur avec la SARL LES [Y] de [G] et des [P], dans le même espace de bureaux contigus et qui indique que son bureau étant voisin de celui de [C] [F], il avait été témoin involontaire, à plusieurs reprises, de virulentes vociférations et haussements de voix d'[B] [Y], ce qui ne relevait pas d'un comportement normal et digne d'un dirigeant d'entreprise
- une attestation de [N] [H] qui indique avoir été le 31 janvier 2003 convoquée par [B] [Y] aux fins de dicter le contenu d'un témoignage destiné à fonder le licenciement d'une de ses collègues, qu'il avait fait pression sur elle pour la contraindre à faire ce témoignage, l'intéressée ajoutant que le comportement d'[B] [Y] ajouté à ses hurlements quotidiens lui avait causé un préjudice moral
- une attestation de [I] [W] qui certifie qu'à l'occasion du départ d'une salariée en congé maternité, elle avait constaté des remarques extrêmement vives de la part d'[B] [Y] à son encontre, ces remarques, assorties de hurlements incessants, s'appuyant sur un vocabulaire qui ne ressortissait pas de rapports hiérarchiques attendus dans une relation de travail ordinaire
- un commandement de quitter les lieux adressé à la SARL LES [Y] par la SARL ROMARIN pour un bien situé [Adresse 2]
- une main-courante qu'il a déposée le 3 décembre 2007 dans laquelle il expose que se trouvant au TGI de Paris avec [A] [Y] et qu'il réclamait à ce dernier la régularisation de ses salaires et primes, son fils [B] et lui-même l'avaient violemment pris à partie en proférant à son endroit des insultes et menaces 'Je ne réponds pas à des enculés. Tu te conduis comme un connard. Tu m'emmerdes. Tu nous fait chier avec tes trucs de convention collective. Tu ne vas pas me casser les couilles. Tu ne m'en parles plus jamais sinon je fais constater par un cabinet d'audit social qu'en contrepartie de ton salaire tu ne fous plus rien. Tu ne m'emmerdes pas. T'as compris ' T'arrêtes de me pourrir. T'as compris ' Tu n'as pas de couilles, tu n'es rien du tout. Ta lettre tu te la colles au cul, je te le dis ! Tu me fais chier ! Tu nous fais chier, tu nous pourris tout ; j'ai jamais vu un mec comme toi pauvre con va'
- le courrier relatant les faits qu'il a adressé à son employeur le 4 décembre 2007 et où il indique que 'de tels propos insultants et diffamatoires portent gravement atteinte à ma dignité et à mon intégrité, remettent en cause mes conditions de travail déjà modifiées récemment et manifestent une volonté claire de votre part de me pousser à la démission après 17 années de bons et loyaux services
- des arrêts de travail pour maladie à compter du 3 décembre 2007
- la lettre de l'employeur du 29 janvier 2008 contestant les faits
- des courriers relatifs au retard en décembre 2007, mars et mai 2008 de son salaire ;
Considérant que le contenu extrêmement précis de la main-courante déposée par [C] [F], rapproché du contenu des attestations précises et concordantes produites par ce dernier, confirment le caractère pour le moins agressif d'[B] [Y] à son égard, étant observé que, dans son courrier du 29 janvier 2008, [A] [Y] se contente de contester, sans aucun détail, les propos invoqués par [C] [F] alors qu'il répond point par point aux autres points abordés par [C] [F] dans son courrier du 4 décembre 2008, non contredit du reste immédiatement ;
Considérant qu'au regard notamment des manquements de l'employeur quant au paiement des augmentations de salaires et de la prime d'ancienneté, la demande de résiliation judiciaire de [C] [F] auquel il était bien dû un rappel de salaires et un rappel de primes d'ancienneté, qui ne lui avaient pas été réglées malgré ses réclamations amiables, doit être accueillie avec effet au 23 mai 2008 ;
Considérant qu'il y a donc lieu, infirmant la décision déférée de ce chef, de condamner la SARL LES [Y] à payer à [C] [F], en sus de l'indemnité de préavis et des congés payés afférents ainsi que de l'indemnité de licenciement, la somme de 100 000,00 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, au regard notamment de son ancienneté, de sa rémunération, de sa période de chômage et de son impact sur le montant de sa retraite ;
Considérant qu'il y a lieu d'ordonner d'office, sur le fondement de l'article L1235-4 du code du travail, le remboursement aux organismes concernés des indemnités de chômage versées à [C] [F] suite à son licenciement dans la limite de six mois ;
Considérant par ailleurs que l'attitude agressive d'[B] [Y] à son égard et celle de [A] [Y], notamment le 3 décembre 2007, suivie d'un arrêt de travail immédiat pour raisons de santé, lui ont causé un préjudice moral spécifique qu'il convient d'indemniser par l'octroi d'une somme de 50 000,00 € ;
PAR CES MOTIFS
Confirme la décision déférée sauf en ce qu'elle a débouté [C] [F] de sa demande de rappel de salaires et d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et en ce qui concerne le montant du rappel de la prime d'ancienneté ;
Statuant à nouveau de ces chefs,
Condamne en outre la SARL LES [Y] à payer à [C] [F]
- 6 026,16 € de rappel de salaires et 602,62 € de congés payés afférents
- 14 104,00 € de rappel de prime d'ancienneté et 1 410,40 € de congés payés afférents
ces sommes avec intérêts au taux légal à compter de la réception par la société de la convocation en conciliation
- 100 000,00 € d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
- 50 000,00 € de dommages-intérêts pour préjudice moral
ces avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision
- 4 000,00 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
Ordonne le remboursement par la SARL LES [Y] aux organismes concernés des indemnités de chômage versées à [C] [F] suite à son licenciement dans la limite de six mois ;
Déboute la SARL LES [Y] de ses demandes et la condamne aux dépens d'appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT