RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 8
ARRET DU 19 Mai 2011
(n° , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 09/07671 - MPDL
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 28 Août 2009 par le conseil de prud'hommes de BOBIGNY section activités diverses RG n° 06/01538
APPELANTE
Madame [Y] [I]
[Adresse 3]
[Localité 1]
représentée par Me Nathalie DAUDE, avocat au barreau de SENS
INTIMEE
HOPITAL EUROPEEN [5]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Valérie PLANEIX, avocat au barreau de PARIS, toque : J083
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 08 Avril 2011, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Marie-Pierre DE LIEGE, Présidente, chargée d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Marie-Pierre DE LIEGE, Présidente
Mme Irène LEBE, Conseillère
Mme Marie-Antoinette COLAS, Conseillère
Greffier : Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Mme Marie-Pierre DE LIEGE, présidente et par Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LES FAITS :
Mme [Y] [I] a été engagée le 24 novembre 1983 en qualité de sage-femme par l'hôpital européen la SA [5] ( SA), sans que ne soit rédigé de contrat écrit.
Conformément à la convention collective en vigueur son ancienneté acquise à l'hôpital de [Localité 6] a été reprise au 1er juillet 1981.
Depuis 1992, et selon une note établie le 3 juin 1992, Mme [Y] [I] exécutait son contrat de travail à raison de quatre gardes de 24 heures par mois.
Par courrier du 1er décembre 2005, et pour se mettre en conformité avec les dispositions du code du travail limitant la durée quotidienne du travail à 12 heures, son employeur, après avis des représentants du personnel, a modifié les horaires de travail des sages femmes qui devaient désormais assumer, à compter du 5 janvier 2006, huit gardes de 12 heures, en alternance le jour et la nuit, au lieu des 4 gardes de 24 heures préalablement en vigueur.
Le 12 janvier 2006, le conseil de Mme [Y] [I] a informé l'employeur que cette modification d'un élément essentiel du contrat de travail n'était pas acceptée par la salariée.
Par courrier du 26 janvier [5] a indiqué que le passage en gardes de 12 heures ne constituait selon elle qu'une simple modification des conditions de travail ne nécessitant pas l'accord de l'intéressée.
Par lettre du 31 mars 2006 Mme [Y] [I] a donc écrit à son employeur que ne pouvant accepter les modifications de son contrat de travail, elle était «contrainte et forcée de démissionner de ses fonctions de sage-femme au bloc obstétrical dans la mesure où (elle ne pouvait) assumer le passage des gardes de 24 heures en garde de 2 x 12 heures alternées jour et nuit... Vous ne me laissez pas le choix».
Le 21 avril 2006 Mme [Y] [I] a saisi le conseil de prud'hommes de Bobigny sollicitant la requalification de cette démission en rupture aux torts de l'employeur produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle ni sérieuse et sollicitant en conséquence diverses indemnités ainsi que la remise d'une attestation Pôle emploi conforme à la décision.
Par décision de départage du 28 août 2009, ce conseil de prud'hommes, jugeant que les horaires de travail de la demanderesse n'étaient pas contractualisés, que leur modification ne requérait pas l'accord de la salariée, que cet horaire n'était pas un élément déterminant du contrat mais relevait du pouvoir de direction de l'employeur, alors que la salariée ne rapportait pas la preuve de nécessités impérieuses justifiant son refus, a retenu la démission et débouté la salariée de l'ensemble de ses demandes.
Mme [Y] [I] a régulièrement fait appel de cette décision.
Elle demande à la cour d'infirmer la décision des premiers juges pour constater qu'elle a été contrainte à la démission du fait de la modification d'un élément essentiel de son contrat de travail et de requalifier en licenciement cette démission avec toutes conséquences de droit.
Elle demande de condamner [5] à lui verser les sommes suivantes :
- 2167,65 € pour non-respect de la procédure de licenciement ;
- 17'052,18 € d'indemnité de licenciement ;
- 65'030 € d'indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse ;
- 3000 € pour frais irrépétibles en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle sollicite également la remise d'une attestation Pôle emploi rectifiée et d'un bulletin de salaire conforme.
La SA [5] demande à la cour de confirmer le jugement dans toutes ses dispositions et de débouter la salariée de l'ensemble de ses demandes.
Elle sollicite 3500 € pour frais irrépétibles en application de l'article 700 du code de procédure civile.
L'entreprise compte plus de 11 salariés.
Le salaire brut moyen mensuel de Mme [Y] [I] est de 2167,65 €.
La convention collective applicable est celle de l'Hospitalisation privée.
LES MOTIFS DE LA COUR :
Vu le jugement du conseil de prud'hommes, les pièces régulièrement communiquées et les conclusions des parties, soutenues oralement à l'audience, auxquels il convient de se référer pour plus ample information sur les faits, les positions et prétentions des parties.
Sur la rupture du contrat de travail de Mme [Y] [I] :
S'il est constant que la salariée, qui travaillait à temps partiel, n'était pas protégée par un contrat de travail écrit, il est en revanche établi qu'une note interne, rédigée par l'Hôpital européen [5] début 1992, faisait état d'une 'base mensuelle en gardes de 24 heures» et qu'une répartition du temps de travail à raison d'une séquence de 24 heures par semaine, a été mise en oeuvre, de manière incontestée et ininterrompue pendant plus de 14 ans.
À défaut de contrat de travail écrit, bien que s'agissant d'un contrat à temps partiel, cet horaire constituait donc un usage valant «socle contractuel» organisant les rapports entre les parties.
Il est également constant que cette organisation par gardes de 24 heures a été modifiée à compter du 5 janvier 2006 conformément à une note diffusée par l'hôpital en date du 1er décembre 2005 organisant désormais des gardes d'une durée de 12 heures avec alternance d'horaires de jour et de nuit.
L'employeur soutient que cette modification, qui avait précédemment été soumise aux représentants du personnel, et discutée avec l'équipe des sage-femmes, ne constituait qu'un simple changement des conditions de travail relevant de son pouvoir de direction et ne nécessitant pas le consentement de la salariée.
C'est cependant de manière fondée que Mme [Y] [I] plaide que ce changement d'horaire constituait, pour elle, une véritable modification d'un élément essentiel de son contrat de travail, qui nécessitait son accord personnel pour pouvoir être mis en oeuvre.
En effet, il n'est pas discuté que la salariée était domiciliée en Seine-et-Marne à une cinquantaine de km de l'hôpital [5] et était mère de trois enfants, par ailleurs nés dans cet établissement.
Il en résulte qu'une exécution de son contrat de travail sous forme de quatre vacations de 24 heures par mois ne lui imposait que quatre trajets aller et retour par mois mais surtout lui permettait d'organiser facilement la garde de ses enfants.
Or, le nouveau système, lui imposait huit déplacements aller et retour par mois, plus coûteux, de jour ou de nuit, et obligeait surtout la salariée à la mise en place d'un nouveau système de garde de ses enfants, nettement plus complexe, puisque devant intervenir alternativement de jour ou de nuit, le planning étant organisé sur des cycles de cinq semaines.
Le changement imposé par l'employeur, quelles qu'en soient les raisons, sans que celui-ci ait requis préalablement l'accord personnel de la salariée, constituait donc en l'espèce une modification unilatérale d'un élément déterminant du socle contractuel de la relation de travail et la salariée justifie d'impérieuses nécessités familiales fondant son refus de cette modification.
L'employeur avait la possibilité, au regard du refus de la salariée, d'engager une procédure de licenciement pour motif économique. Il ne l'a pas fait.
L'employeur n'est en revanche pas fondé à soutenir que cette modification de l'horaire de travail relevait de son pouvoir de direction et le dispensait d'obtenir l'accord de la salariée, le seul fait que la salariée se soit, bien qu'ayant protesté par écrit, conformée aux nouveaux horaires jusqu'à la date de son départ après exécution de son préavis, ne pouvant être assimilé à un accord de sa part.
Mme [Y] [I] avait, déjà par la voix de son conseil, fait savoir à l'Hôpital [5], par courrier du 12 janvier 2006, les difficultés que lui posait ce nouvel horaire qu'elle analysait comme une modification substantielle de son contrat de travail et son refus de cette modification. Elle a repris cette explication, de manière formelle dans sa lettre de démission du 31 mars 2006.
Dans ces circonstances, cette démission, motivée, est évidemment équivoque et s'analyse comme une prise d'acte de rupture, aux torts de l'employeur, emportant les effets d'un licenciement sans cause réelle ni sérieuse.
En conséquence, la cour réformera la décision des premiers juges et requalifiera la démission en rupture aux torts de l'employeur entraînant les conséquences d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Sur l'indemnité de licenciement :
S'agissant de l'indemnité de licenciement, pour laquelle la convention collective prévoit un équivalent de 1/5ème de mois de salaire pour les 10 premières années et de 2/5ème pour les années suivantes effectuées «dans l'entreprise', la cour se fondera, pour le calcul de cette ancienneté, sur la date d'entrée dans l'établissement de la salariée, en l'occurrence le 26 novembre 1983. En effet, l'ancienneté globale de 1981, retenue conformément aux dispositions de la convention collective de l'hospitalisation privée pour la détermination de la classification et du coefficient d'emploi, n'est pas applicable pour le calcul de cette indemnité.
Il sera donc accordé à ce titre à Mme [Y] [I] une somme de 15'029,04 €.
Sur les dommages et intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement :
La rupture du contrat de travail étant intervenue à l'initiative de la salariée par la lettre de démission qu'elle a adressée à son employeur, il n'est pas dû de dommages et intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement, indemnité qui n'est, en outre, pas cumulable avec une indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse, quand l'article L.1255-3 est applicable.
Sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse :
Alors que l'employeur pouvait, compte tenu du refus de la modification de son horaire de travail par la salariée, recourir à un licenciement pour motif économique, celui-ci, de par son inertie, a obligé la salariée, qui justifiait d'une ancienneté de plus de 22 ans dans l'établissement, sans aucun incident rapporté au débat, à prendre l'initiative de cette rupture.
Compte tenu des circonstances de l'espèce, de l'ancienneté dans son emploi de Mme [Y] [I], et du préjudice qu'elle justifie subir à la suite de celui-ci la cour fixe à 45'000 € la somme due en application de l'article L.1235-3 du code du travail.
La SA [5] devra remettre à Mme [Y] [I] une attestation Pôle emploi et un bulletin de salaire rectifiés conformément à la présente décision
Sur la demande de dommages et intérêts au titre de l'article 700 du Code de procédure civile :
La Cour considère que, compte tenu des circonstances de l'espèce, il apparaît inéquitable de faire supporter par Mme [Y] [I] la totalité des frais de procédure qu'elle a été contrainte d'exposer. Il sera donc alloué une somme de 3000 €, à ce titre pour l'ensemble de la procédure.
PAR CES MOTIFS,
En conséquence, la Cour,
Infirme la décision du Conseil de prud'hommes dans toutes ses dispositions,
et statuant à nouveau :
Requalifie la démission de Mme [Y] [I] aux torts de l'employeur en rupture entraînant les conséquences d'un licenciement sans cause réelle ni sérieuse,
Condamne la SA [5] à payer à Mme [Y] [I] :
- 45 000 €, à titre d'indemnité pour licenciement abusif en application de l'article L.1235-3 du code du travail,
somme avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision,
- 15'029,04 €, à titre d'indemnité de licenciement,
avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l'employeur de la convocation devant le conseil de prud'hommes,
Ordonne à la SA [5] de remettre à Mme [Y] [I] une attestation Pôle emploi rectifiée et un bulletin de salaire conforme à la présente décision,
Déboute les parties de leurs demandes complémentaires ou contraires,
Condamne la SA [5] à régler à Mme [Y] [I] la somme de 3000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile pour l'ensemble de la procédure,
La condamne aux entiers dépens de l'instance.
LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,