Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 6
ARRÊT DU 9 JUIN 2011
(n° , 12 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 07/09606
Décision déférée à la Cour : Jugement du 02 Mai 2007 -Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2006085782
APPELANTE:
Société TEKSTIL BANKASI
agissant en la personne de ses représentants légaux
ayant son siège social [Adresse 4]
[Localité 7] (TURQUIE)
représentée par la SCP PETIT LESENECHAL, avoué à la Cour
assistée de Maître Silvestre TANDEAU DE MARSAC, avocat au barreau de PARIS, toque: P147, plaidant pour la SCP FISCHER-TANDEAU DE MARSAC
INTIMÉS:
Monsieur [H] [J] [B]
exerçant sous l'enseigne INTERNATIONAL CONSULTING COMPANY
prise en la personne de ses représentants légaux
ayant son siège social [Adresse 8]
[Adresse 8]
[Localité 5] (SYRIE)
représenté par la SCP DUBOSCQ - PELLERIN, avoué à la Cour
assisté de Maître Erik MARTINEZ, avocat au barreau de PARIS, toque :P 43
SA BANQUE SBA
prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par la SCP GRAPPOTTE BENETREAU JUMEL, avoué à la Cour
assistée de Maître Dominique DOISE, avocat au barreau de PARIS, toque : K126
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 22 Octobre 2010, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Marie-Claude APELLE, Président
Madame Marie-Josèphe JACOMET, Conseiller
Madame Caroline FEVRE, Conseiller
qui en ont délibéré
Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions de l'article 785 du Code de Procédure Civile.
Greffier, lors des débats : Melle Guénaëlle PRIGENT
ARRÊT :
- contradictoire
-rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile comme elles ont été avisées des dates de prorogation du délibéré.
- signé par Madame Marie-Claude APELLE, Président et par Monsieur Sébastien PARESY, Greffier auquel la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.
***
La société Tekstil Bankasi est appelante d'un jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 2 mai 2007, qui a : donné acte à M. [H] [G] de son désistement d'instance à l'égard de la société Ekspres Sanayii Ve Tarim Urunleri ITH. IHR. LTD. STL ; débouté la société Tekstil Bankasi de son exception d'incompétence ; débouté cette société de sa demande de sursis à statuer ; condamné la société Banque S.B.A. à payer à M. [H] [G] la somme d'un million cent soixante-dix mille dollars américains (1.170.000 U.S.$) avec les intérêts au taux légal à compter du 19 décembre 2006 ; condamné la société Tekstil Bankasi à payer à la société Banque S.B.A. la somme d'un million cent soixante-seize mille huit cent vingt-cinq dollars américains (1.176.825 U.S.$) avec les intérêts au taux légal à compter du 19 décembre 2006 ; condamné la société Banque S.B.A. à payer à M. [H] [G] la somme de sept mille dollars américains (7.000 U.S.$) au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; ordonné l'exécution provisoire de la décision ; débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ; condamné la société Tekstil Bankasi aux dépens.
I.- Faits et rapports contractuels :
La société Tekstil Bankasi (ci-après, la banque Tekstil Bankasi) est une banque de droit turc, dont le siège est à [Localité 7].
La société S.B.A., (ci-après, la banque S.B.A.), dont certains documents font apparaître la dénomination «'Groupe Libano-français'», est une banque de droit français, dont le siège est à [Localité 2].
M. [H] [J] [B] indique exercer l'activité de commerçant en nom individuel à [Localité 5], sous l'enseigne «'International Consulting Company'». Il précise qu'il dispose également d'un établissement à l'enseigne «'[B]'» dans le port de [Localité 9], en Syrie. Ces éléments sont mis en doute par la banque Tekstil Bankasi.
L'entreprise Ekspres (ci-après, la société Ekspres) est une société de droit turc, dont le siège est à [Localité 6] (Turquie).
En août 2006, M. [B] a conclu avec la société Ekspres, agissant comme intermédiaire, un contrat commercial ayant pour objet l'importation d'Ukraine de trois mille (3000) tonnes métriques d'acier en gerbes pour un prix total d'un million cent soixante-dix mille dollars américains (1.170.000 U.S.$) par lettre de crédit irrévocable.
Le 15 septembre 2006, M. [B] a fait ouvrir un crédit documentaire irrévocable payable à vue d'un montant d'un million cent soixante-dix mille dollars américains (1.170.000 U.S.$), avec une tolérance de 5%, auprès de la banque S.B.A. au profit de la société Ekspres.
Par swift du même jour, la banque S.B.A. a demandé à la banque Tekstil Bankasi d'aviser la société Ekspres de l'ouverture du crédit documentaire et de le confirmer.
La banque S.B.A. a donné à la banque Tekstil Bankasi les coordonnées de la banque de remboursement, la société Calyon N.Y., avec les instructions suivantes : «'Veuillez nous aviser dans un délai de trois jours ouvrés en France/Turquie/U.S.A. par TT/Swift du montant de votre retrait et de la date de valeur appliquée confirmant que les documents sont strictement conformes avec les termes de la L/C'».
Par swift du 19 septembre 2006, la banque Tekstil Bankasi a accepté d'être banque notificatrice et banque confirmatrice.
Le 16 octobre 2006, la banque Tekstil Bankasi a indiqué à la banque S.B.A., d'une part, qu'elle réclamerait le 19 octobre 2006 la somme d'un million cent quatre-vingt-deux mille six cent soixante-quinze dollars américains (1.182.675 U.S.$), correspondant au principal du crédit documentaire et à la commission de confirmation, à la banque de remboursement, d'autre part, que les documents lui étaient adressés par courrier D.H.L. du même jour.
La banque S.B.A. a reçu les documents le 17 octobre 2006.
Le 18 octobre 2006, la banque Tekstil Bankasi a procédé au virement de la somme de sept cent soixante-et-onze mille deux cent douze dollars américains et cinquante cents (771.212,50 U.S.$) au profit d'une société Saval System L.L.P. sur un compte ouvert dans les livres d'une banque lettonne, la Paritate Bank.
Le 19 octobre 2006, la banque Tekstil Bankasi s'est remboursée sur la banque de remboursement désignée par la banque S.B.A.
Le 4 décembre 2006, la banque Tekstil Bankasi a déposé plainte auprès du chef du ministère public à [Localité 3] (Turquie) des chefs de blanchiment, escroqueries, faux et usages de faux en écritures.
Le 5 décembre 2006, la banque Tekstil Bankasi a informé la banque S.B.A. du dépôt de cette plainte et lui a indiqué qu'elle subordonnait son règlement à l'issue de la procédure pénale.
La banque Tekstil Bankasi a confirmé sa position par courrier du 7 décembre 2006 au conseil de la banque S.B.A.
Suivant acte d'huissier de justice du 19 décembre 2006, M. [B] a fait assigner les sociétés Ekspres, S.B.A. et Tekstil Bankasi devant le tribunal de commerce de Paris en paiement de la somme d'un million cent soixante-dix mille dollars américains (1.170.000 U.S.$), montant débité par la banque S.B.A. du compte de M. [B], augmenté des intérêts, de la somme de cinquante mille dollars américains (50.000 U.S.$) à titre de dommages-intérêts et de celle de trente mille dollars américains (30.000 U.S.$) à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Suivant acte d'huissier de justice du 22 décembre 2006, la banque S.B.A. a fait assigner la banque Tekstil Bankasi devant le tribunal de commerce de Paris en paiement de la somme d'un million cent soixante-seize mille huit cent vingt-cinq dollars américains (1.176.825 U.S.$), majorée des intérêts au taux de 5,32% l'an à compter du 19 octobre 2006, et de celle de vingt mille euros (20.000 €) au titre des frais irrépétibles.
Ces deux procédures, qui ont été jointes, ont abouti au jugement entrepris.
II.- Prétentions et moyens des parties :
A.- La banque Tekstil Bankasi :
Aux termes de ses écritures signifiées le 4 août 2010, valant conclusions récapitulatives conformément aux dispositions de l'article 954, alinéa 2, du Code de procédure civile, la banque Tekstil Bankasi demande à la Cour : à titre principal, d'infirmer le jugement entrepris ; statuant à nouveau, in limine litis, de surseoir à statuer jusqu'à l'issue de la procédure pénale engagée le 4 décembre 2006 auprès de la juridiction répressive turque à la suite de la plainte de la société Tekstil Bankasi pour blanchiment, escroquerie, faux et usage de faux ; subsidiairement, dans l'hypothèse où la Cour ne prononcerait pas le sursis à statuer, de constater que M. [B] ne justifie pas de sa qualité à agir ; en conséquence, de le déclarer irrecevable en toutes ses demandes ; de constater que la fraude entachant le crédit documentaire a été découverte après la réalisation du crédit documentaire ; de dire que M. [B] et la banque S.B.A. sont forclos en leurs demandes; en conséquence, de débouter la banque S.B.A. de toutes ses demandes à l'encontre de la banque Tekstil Bankasi ; à titre plus subsidiaire, de dire que la banque Tekstil Bankasi a bien exécuté ses obligations dans le cadre du crédit documentaire ; de
dire que le dommage invoqué par la société S.B.A. n'est pas imputable à la banque Tekstil Bankasi; de débouter la banque S.B.A. de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de la banque Tekstil Bankasi ; à titre plus subsidiaire encore, de dire que M. [B] et la banque S.B.A. devront supporter solidairement deux tiers du préjudice par eux chiffré ; en tout état, de condamner M. [B] et la banque S.B.A., in solidum, à lui payer la somme de trente mille euros (30.000 €) par application de l'article 700 du Code de procédure civile; de condamner M. [B] et la banque S.B.A. aux dépens.
À l'appui de ses demandes, la banque Tekstil Bankasi fait valoir les arguments suivants :
1.- Sur la fraude, sa connaissance par la banque S.B.A., la réticence dolosive de celle-ci et la chronologie :
Par télécopie du 20 octobre 2006, après avoir procédé au débit de son compte, la banque S.B.A. a avisé M. [B] de la réception des documents pour un montant d'un million cent soixante-seize mille huit cent vingt-cinq dollars américains (1.176.825 U.S.$), en lui indiquant que les documents étaient entachés de l'irrégularité suivante : «'présentation d'une charte-partie à la place d'un connaissement» et lui demandant en conséquence ses instructions quant à la levée des documents.
Par swift du 24 octobre 2006, donc quatre jours plus tard, la banque S.B.A. a informé la banque Tekstil Bankasi que le connaissement présenté était irrégulier, puisque constituant un connaissement de charte-partie, et l'a informée qu'elle se réservait le droit de lui demander le remboursement du crédit documentaire, augmenté des intérêts à compter du 19 octobre 2006.
En dépit de cette réserve et de la potentielle non-conformité relevée, la banque S.B.A. a toutefois procédé au paiement du crédit documentaire à son profit, en, débitant le compte de M. [B].
Par swift du 1er novembre 2006, la banque Tekstil Bankasi a avisé la banque S.B.A. de ce qu'elle était informée par la société Ekspres de l'acceptation des documents par M. [B] et lui a demandé de la dégager des réserves précédemment exprimées.
Par courrier du 5 novembre 2006, la banque S.B.A. a demandé à M. [B] de confirmer son accord et de lui fournir ses instructions relatives à la levée des documents.
Par télécopie du 7 novembre 2006, M. [B] a fait connaître à la banque S.B.A. que, s'étant mis d'accord avec le commissionnaire pour un connaissement, il n'acceptait pas la documentation de charte-partie, que le navire transportant les marchandises était renvoyé dans un port roumain et qu'il n'avait pas notifié son arrivée au port syrien, ainsi qu'il ressortait de la lettre de la compagnie maritime jointe en annexe. En conséquence, M. [B] n'acceptait pas la levée du crédit documentaire avant d'être assuré de l'arrivée du navire dans un port syrien et du déchargement de la marchandise.
Le même jour, la banque S.B.A., après avoir pris connaissance des éléments ci-dessus,a adressé à M. [B] un projet de message destiné à la banque Tekstil Bankasi portant refus catégorique des documents. Dans le même courrier, la banque S.B.A. a demandé à M. [B] de lui confirmer qu'il l'autorisait à retourner les documents à la banque et de prendre note de ce qu'elle arguait seulement de l'irrégularité du document, sans faire état d'une autre cause.
Par swift du même jour, la banque S.B.A. a indiqué à la banque Tekstil Bankasi que M. [B] n'avait pas encore accepté les documents, lui précisant que «'cette affaire était sous discussion avec le bénéficiaire». La banque Tekstil Bankasi souligne , dans ce swift, que la banque S.B.A. s'est gardée de l'aviser des éléments portés à sa connaissance par M. [B].
Ayant vraisemblablement eu confirmation de ses doutes quant à l'effectivité de la livraison, M. [B] a, le 13 novembre 2006, suivi les instructions de la banque S.B.A. et lui a donné son approbation quant au contenu du message à adresser à la banque Tekstil Bankasi. La banque S.B.A. a adressé le message à la banque Tekstil Bankasi le 14 novembre 2006.
Alors que la société Ekspres continuait à lui affirmer qu'un accord était en cours avec M. [B], la banque Tekstil Bankasi était relancée par la banque S.B.A. pour le remboursement de la somme d'un million cent soixante-seize mille huit cent vingt-cinq dollars américains (1.176.825 U.S.$), majorée des intérêts de retard.
Ce n'est que le 20 novembre 2006 que M. [B] a indiqué à la banque S.B.A. qu'il lui faisait parvenir les éléments confirmant que le connaissement maritime et le certificat d'origine étaient des faux.
Ainsi, avant cette date, ni M. [B], ni la banque S.B.A. n'ont avisé la banque Tekstil Bankasi d'une fraude qu'ils avaient découverte le 7 novembre 2006 au plus tard.
Face aux contradictions des sociétés Ekspres et S.B.A., la banque Tekstil Bankasi a décidé, le 24 novembre 2006, de diligenter sa propre enquête sur la régularité de l'opération. Elle a ainsi obtenu des éléments établissant que l'opération était frauduleuse et liée à un blanchiment à caractère international.
Le 29 novembre 2006, la banque Tekstil Bankasi a informé la banque S.B.A. de ces éléments. Elle n'a obtenu en retour qu'un message du même jour, par lequel la banque S.B.A. se contentait de la relancer quant au remboursement sollicité, sans aucune allusion de la fraude, dont elle avait connaissance depuis le 7 précédant, à tout le moins.
Ce n'est que par swift du 1er décembre 2006 que la banque S.B.A., tout en indiquant que sa priorité était de récupérer le montant du crédit documentaire augmenté des intérêts de retard, a informé la banque Tekstil Bankasi de ce que M. [B] l'avait informée du caractère frauduleux de l'opération.
Le 4 décembre 2006, la banque Tekstil Bankasi a déposé plainte auprès du chef du ministère public à [Localité 3] (Turquie) des chefs de blanchiment, escroqueries, faux et usages de faux en écritures.
Le 5 décembre 2006, puis le 7 décembre 2006, la banque Tekstil Bankasi a informé la banque S.B.A. de l'engagement d'une procédure pénale à l'encontre de personnes concernées par le crédit documentaire litigieux et lui a indiqué que la demande en paiement de la S.B.A. était subordonnée à l'issue de la procédure.
2.- Sur la demande de sursis à statuer :
En droit, il est acquis que le sursis à statuer doit être prononcé chaque fois qu'il permet de garantir une bonne administration de la justice, et ce, même si les conditions du sursis obligatoire ne sont pas réunies : cette décision relève du pouvoir discrétionnaire du juge. Il est indifférent que l'action pénale ait été engagée devant une juridiction étrangère.
M. [B] a formellement indiqué qu'il était prêt à renoncer à l'irrégularité majeure affectant le document de transport, mais à la condition expresse que les marchandises soient livrées.
Il ne peut donc être sérieusement discuté que le refus de M. [B] de lever les documents est fondé essentiellement sur les faits frauduleux visés dans la procédure pénale en cours en Turquie : le refus de lever les documents s'articule donc sur les faits de fraude poursuivis devant la justice turque.
Ayant reçu un message de M. [B] faisant part d'éléments de nature à suspecter des fraudes, la banque S.B.A. lui a fait parvenir un projet de courrier qu'elle projetait d'adresser à la banque Tekstil Bankasi. La banque S.B.A. demandait à M. [B] de prendre note que «'nous arguons seulement de l'irrégularité du document sans faire état d'aucune autre raison'».
L'instance civile en France, dans laquelle la banque S.B.A. reproche à la banque Tekstil son comportement eu égard à l'apparence de régularité présentée par les documents soumis à son examen, sera nécessairement affectée par les résultats de la procédure en cours en Turquie relativement à la fraude affectant lesdits documents.
Il n'est pas douteux, en droit comme en fait, que l'action pénale engagée en Turquie pour blanchiment, escroquerie, faux et usages de faux est en lien direct avec les demandes formées dans le présent litige et qu'elle est susceptible d'apporter des éléments nécessaires à sa solution.
Le sursis à statuer s'impose donc.
3.- Sur le défaut de qualité à agir de M. [B] :
M. [H] [J] [B] a introduit une action en son nom propre, en précisant qu'il exerce sous l'enseigne «'International Consulting Company'». C'est cette dénomination qui figure sur l'en-tête de la pièce n° 2 de sa communication. Par contre, la pièce n° 5 de
M. [B] est à l'en-tête «'ITC [B] S.A.'»
Il est surprenant que M. [B] prétende exercer en nom personnel en se présentant comme une personne morale («'company'»).
Il fait état d'un établissement industriel dans le port de [Localité 9] (Syrie), mais produit une facture pro forma à l'adresse de [Localité 5].
Les autorités judiciaires turques n'ont pu obtenir aucun renseignement des autorités syriennes quant à l'immatriculation d'une «'International Consulting Company'».
M. [B], qui ne justifie pas d'une immatriculation, que se soit en nom personnel ou sous forme de personne morale, en quelque lieu que ce soit, donc de sa qualité à agir, doit être déclaré irrecevable en toutes ses demandes.
4.- Sur l'exception de fraude :
Les demandes de remboursement formées par M. [B] et la banque S.B.A. se heurtent à l'exception de fraude.
Il doit être rappelé cinq principes fondamentaux, que les premiers juges ont méconnu :
a.- Le principe de l'autonomie du crédit documentaire cède en cas de fraude affectant les documents, qu'ils soient insincères ou falsifiés.
b.- En application de l'article 15 des règles et usances uniformes de la Chambre de commerce internationale, «'les banques n'assument aucune responsabilité quant à [...] la falsification d'un document'». Les banques ne peuvent donc engager leur responsabilité en présence d'une fraude affectant le crédit documentaire.
c.- La fraude est caractérisée dès lors que les documents constituent des faux matériels ou intellectuels.
d.- Postérieurement à la découverte de la fraude, la banque émettrice doit couvrir la banque confirmatrice et ne peut se faire rembourser que par le donneur d'ordre ou par le bénéficiaire ; elle ne peut se prévaloir de l'indépendance du crédit documentaire par rapport au contrat commercial pour tenter de se soustraire à ses obligations envers la banque confirmatrice.
e.- La règle «'fraus omnia corumpit'» interdit à quiconque de se prévaloir de l'autonomie du crédit documentaire, de son formalisme comme des règles de la responsabilité civile.
S'agissant de la matérialité de la fraude, la banque Tekstil Bankasi indique que, sur sa plainte, une enquête est actuellement diligentée par le parquet de [Localité 3] (Turquie).
Cette enquête a mis en évidence que le navire censé acheminer la marchandise et son prétendu capitaine n'existaient pas et que le connaissement et le rapport d'examen de poids constituaient des faux. C'est sur cette base que, le 18 avril 2008, le ministère public turc a engagé des poursuites contre les dirigeants de la société Ekspres.
Pour tenter de contrer la découverte de la fraude, la banque S.B.A. tente de démontrer, en premier lieu, que la banque Tekstil Bankasi se serait rendue complice de la fraude commise par la société Ekspres, en second lieu, que cette banque n'aurait pas relevé l'irrégularité apparente du connaissement, de sorte qu'elle ne peut refuser le remboursement du crédit documentaire.
S'agissant de l'allégation d'une complicité de fraude avec la société Ekspres, la banque Tekstil Bankasi réplique que ces allégations diffamatoires ne reposent sur rien et qu'en outre, en dehors de toute question de complicité de fraude, elle n'avait aucune raison de suspecter l'intégrité de la société Ekspres antérieurement à la réalisation du crédit.
S'agissant de l'irrégularité des documents, outre qu'il n'est pas démontré qu'elle était apparente, la banque Tekstil Bankasi ne peut être tenue pour responsable de la falsification.
De toute manière, la fraude entache l'ensemble de l'opération de crédit documentaire et fait échec à toutes les règles de responsabilité, hormis celle du fraudeur.
5.- À titre subsidiaire, sur la forclusion des demandes de la banque S.B.A. et de M. [B] :
La demande de la banque Tekstil Bankasi tendant à voir constater la forclusion des demandes de la banque S.B.A. et de M. [B] est recevable en cause d'appel, comme tendant à faire écarter les prétentions de la partie adverse au sens de l'article 564 du Code de procédure civile et comme tendant aux mêmes fins que celles soumises aux premiers juges, même si leur fondement juridique est différent, conformément à l'article 564 du même code.
La banque Tekstil Bankasi est fondée, sur la base des articles 13, b) et 14 c), d) et e) des R.U.U. de la Chambre de commerce internationale, à invoquer la forclusion des demandes de la banque S.B.A. et de M. [B] faute pour eux d'avoir fait connaître leur position sur les documents dans un délai raisonnable eu égard aux circonstances particulières entourant le crédit documentaire.
Ce manque de diligence, en particulier en ce qui concerne la banque S.B.A., est patent.
Tout particulièrement, il est démontré que la banque S.B.A. a reçu les documents le 17 octobre 2006, et non le 19 comme elle le soutient ; en raison de l'urgence inhérente à ce crédit documentaire spécifique, il était nécessaire que la banque Texstil Bankasi
dispose de sa réponse, si elle était négative pour défaut de conformité des documents, avant le 19 octobre 2006 ; la banque S.B.A. n'a indiqué que le 24 octobre 2006, soit six jours ouvrés après la remise des documents, à la banque Tekstil Bankasi que le connaissement présentait selon elle une irrégularité. L'inertie de la banque S.B.A. constitue une première faute engageant sa responsabilité civile.
La banque S.B.A. a débité le compte de M. [B] dans ses livres corrélativement au débit dont elle avait fait l'objet de la part de la banque Tekstil Bankasi avant tout examen des documents, ce qui résulte de ses propres écritures, ce qui constitue une seconde faute déterminant sa responsabilité.
Qui plus est, la banque S.B.A. n'a réellement informé la banque Tekstil Bankasi que le 14 novembre 2006, soit en tout état, au-delà du délai de sept jours qui lui était imparti par les dispositions de l'article 14 des R.U.U. de la Chambre de commerce internationale.
Quant à M. [B], informé le 20 octobre 2006 d'une prétendue irrégularité et relancé le 5 novembre suivant, il n'a informé la banque S.B.A. de son refus de lever les documents que le 13 novembre 2006, ce qui, là-encore, caractérise une inertie fautive.
6.- Sur les demandes subsidiaires de M. [B] et de la banque S.B.A.:
S'agissant de ces demandes subsidiaires, la banque Tekstil Bankasi souligne que ni M. [B], ni la banque S.B.A. ne démontrent de fautes de sa part.
La banque Tekstil Bankasi n'a commis aucune faute envers la banque S.B.A., puisque, conformément aux prescriptions de l'article 13 a) du R.U.U. 500, elle a procédé à la vérification de conformité des documents requis ; en particulier, elle a procédé à la vérification des six mentions exigées dans le connaissement fourni ; l'irrégularité pouvant affecter la mention «'bill of lading to be used with charter-parties'»
[trad. : «'connaissement devant être utilisé avec une charte-partie'»] ne s'analyse pas en une nullité substantielle.
La banque Tekstil Bankasi n'a pas davantage commis de faute envers M. [B]: il a été démontré que la cause réelle du refus de lever les documents résidait dans la fraude commise par la société Ekspres.
À titre subsidiaire, il doit être constaté que les fautes reprochées à la banque Tekstil Bankasi, à les supposer démontrées, sont sans lien causal avec les dommages invoqués par M. [B] et de la banque S.B.A.
7.- À titre subsidiaire, sur la responsabilité de la banque S.B.A. et de
M. [B] :
La banque S.B.A., en omettant d'examiner les documents qui lui avaient été remis par la banque Tekstil Bankasi avant de procéder au débit du compte de M. [B] et d'informer la banque Tekstil Bankasi dans un délai raisonnable de l'irrégularité qu'elle avait constatée, a agi de mauvaise foi, dans l'unique dessein de garantir à son profit la bonne fin de l'opération de crédit consentie
Quant à M. [B], il lui appartenait de ne s'engager auprès de son cocontractant, la société Ekspres, qu'après avoir analysé la viabilité du contrat proposé et de s'être assuré de la moralité et de l'honorabilité de son partenaire commercial.
Il est étonnant que M. [B], qui écrit être un «'négociant actif depuis vingt-cinq ans'», ait contracté pour la somme non négligeable d'un million cent soixante-dix mille dollars américains (1.170.000 U.S.$) sans se renseigner sur une société ukrainienne Selbrin, qui s'est révélée n'avoir aucune existence.
Il est également étonnant que pour importer en Syrie de l'acier en provenance d'Ukraine, M. [B] contracte avec intermédiaire turc, la société Ekspres.
En s'engageant avec une particulière imprudence, M. [B] a commis une faute qui constitue la cause de son propre dommage, dont il doit à tout le moins supporter une part.
Dans ces conditions, la banque Tekstil Bankasi est fondée à demander, à titre subsidiaire, que la banque S.B.A. et M. [B] supportent dans la proportion des deux tiers le préjudice qu'ils invoquent.
B.- La banque S.B.A. :
Par conclusions signifiées le 3 septembre 2010, , valant conclusions récapitulatives conformément aux dispositions de l'article 954, alinéa 2, du Code de procédure civile, la banque S.B.A. demande à la Cour : à titre principal, de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ; y ajoutant, de condamner la banque Tekstil Bankasi à lui payer la somme complémentaire de trente mille euros (30.000 €) par application de l'article 700 du Code de procédure civile ; de débouter la banque Tekstil Bankasi de toutes ses demandes ; à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la Cour ferait droit en tout ou en partie aux demandes de la banque Tekstil Bankasi à l'encontre de la banque S.B.A., dire que M. [B] devra garantir la banque S.B.A. de toutes condamnations prononcées à son encontre ; en tout état, de condamner la banque Tekstil Bankasi aux dépens.
La banque S.B.A. développe les arguments qui seront résumés comme suit :
1.- Sur la demande de sursis à statuer :
L'instance pénale engagée en Turquie ne peut avoir d'influence sur le sort de la procédure civile.
En effet, la faute commise par la banque Tekstil Bankasi en tant que banque confirmante est indiscutable, puisque le connaissement présenté était irrégulier au regard des R.U.U. 500 et aurait dû être rejeté.
Les faits frauduleux poursuivis en Turquie n'ont eu aucune influence sur l'irrégularité du connaissement.
2.- Sur l'argumentation de la banque Tekstil Bankasi fondée sur la fraude :
Les documents n'étaient pas conformes, puisque le connaissement faisait référence à une charte-partie.
La banque Tekstil Bankasi, devait refuser de réaliser, c'est-à-dire de payer.
Ayant adopté la solution inverse, elle doit en supporter seule les conséquences et n'a aucun recours contre la banque S.B.A.
Tous les arguments fondés sur l'existence d'agissements frauduleux présentement poursuivis en Turquie sont inopérants, puisqu'ils ne sont pas susceptibles de faire obstacle à ce principe fondamental du crédit documentaire.
3.- Sur l'absence de faute de la banque S.B.A. :
Contrairement à ce que soutient la banque Tekstil Bankasi, la banque S.B.A. a refusé les documents dans les cinq jours ouvrés de leur réception.
Le délai de sept jours ouvrés prévu par le R.U.U. 500 a donc été respecté, de sorte que la banque S.B.A. ne peut se voir reprocher un manque de diligence fautif.
4.- Sur l'irrecevabilté des moyens nouveaux de la banque Tekstil Bankasi :
Les moyens soulevés par la banque Tekstil Bankasi dans ses écritures des 3 février et 4 août 2010 (non-respect du délai de sept jours ouvrés pour notifier la levée des documents, non-assimilation d'une notification d'irrégularité de documents à un refus de lever les documents, non-conformité des documents de nature à engager la responsabilité de la banque S.B.A.) sont irrecevables comme nouveaux en cause d'appel.
C.- M. [H] [J] [B] :
Par écritures signifiées le 13 septembre 2010, , valant conclusions récapitulatives conformément aux dispositions de l'article 954, alinéa 2, du Code de procédure civile,
M. [H] [J] [B] demande à la Cour de : dire que les conditions du sursis à statuer n'existent pas en l'espèce ; débouter en conséquence la banque Tekstil Bankasi de sa demande de sursis à statuer ; débouter cette banque de son exception d'irrecevabilité à l'égard de M. [B] ; réformer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la banque S.B.A. à lui payer la somme d'un million cent soixante-dix mille dollars américains (1.170.000 U.S.$) ; condamner les banques Tekstil Bankasi et S.B.A., solidairement, à lui payer la somme d'un million cent soixante-seize mille huit cent vingt-cinq dollars américains (1.176.825 U.S.$), avec les intérêts légaux à compter du 19 octobre 2006 ; condamner les banques Tekstil Bankasi et S.B.A., solidairement, à lui payer la somme de cinquante mille dollars américains (50.000 U.S.$) à titre de dommages-intérêts ; de les condamner, solidairement, à lui payer la somme de trente mille dollars américains (30.000 U.S.$) par application de l'article 700 du Code de procédure civile ; de les condamner aux dépens.
À l'appui de ses demandes, M. [B] expose les moyens suivants :
1.- Sur la demande de sursis à statuer présentée par la banque Tekstil
Bankasi :
Cette demande est doublement injustifiée.
Tout d'abord, il n'existe pas de traité prévoyant le sursis à statuer en cas d'instance
pénale ouverte en Turquie.
De toute manière, M. [B] demande à la banque Tekstil Bankasi réparation des conséquences de trois fautes dont elle est responsable : l'examen déficient de documents manifestement non conformes aux termes du crédit documentaire ; la passation immédiate du montant du crédit documentaire au crédit compte de son client Ekspres dès que celui-ci en a fait la demande ; le fait de s'être fait payer sur le compte indiqué par la banque S.B.A. sans attendre l'expiration des délais de vérification qui lui étaient offerts par les règles et usances de la Chambre de commerce internationale.
Ces fautes de la banque sont sans rapport avec les faits délictueux de blanchiment, escroquerie, faux et usages poursuivis en Turquie, de sorte que les poursuites engagées dans ce pays ne peuvent justifier le sursis à statuer.
2.- Sur les demandes formées à l'encontre de la banque S.B.A. :
M. [B] a fait appel à la banque S.B.A., professionnelle du crédit, pour mettre en place dans les meilleures conditions un crédit documentaire
La banque S.B.A., qui savait que les documents étaient irréguliers, a débité d'autorité le compte de M. [B], à qui elle n'a pourtant pas apporté la prestation qu'elle lui devait contractuellement, savoir, la remise de documents conformes. En d'autres termes, M. [B] s'est adressé à une banque professionnelle du crédit documentaire et, en fin de compte, du fait des manquements de ce professionnel, il n'a pas la marchandises commandée et n'a plus les fonds correspondants.
L'obligation pour la banque S.B.A., banque émettrice, de recréditer le compte de son client est strictement indépendante du fait que la banque Tekstil Bankasi ne recrédite pas la banque S.B.A. En effet, l'article 18 des règles et usances de la Chambre de commerce internationale est inapplicable à l'espèce, puisque la banque S.B.A., banque confirmante, agissait en vertu d'une obligation autonome et non comme mandataire de la banque Tekstil Bankasi, émettrice, et qu'il y a indépendance des rapports de droit.
3.- Sur la responsabilité de la banque Tekstil Bankasi envers M. [B] :
Il suffit de constater que les obligations mises à sa charge par l'article 23 règles et usances de la Chambre de commerce internationale, qui détermine les obligations des banques en matière de contrôle des documents, ont été méconnues par la banque Tekstil Bankasi, ce qui suffit à établir sa faute et sa responsabilité.
Comme il a été dit, la banque Tekstil Bankasi a commis trois fautes déterminant l'engagement de sa responsabilité : elle a été négligente dans l'examen de documents manifestement non conformes ; elle a passé le montant du crédit documentaire au crédit du compte de son client Ekspres dès que celui-ci en a fait la demande, sans attendre l'expiration des délais de vérification dont elle disposait ; elle s'est fait payer sur le compte indiqué par la banque S.B.A. sans attendre l'expiration des délais de vérification.
Il convient d'ajouter, pour répondre complètement aux arguments de la banque Tekstil Bankasi, d'abord, que les droits du possesseur régulier du connaissement n'ont aucun rapport avec ceux que pourrait apporter le connaissement de charte-partie, ensuite, que les parties n'avaient jamais convenu d'une telle interdépendance.
M. [B] ajoute qu'en indiquant qu'il était prêt à renoncer à l'irrégularité du document s'il était livré, il n'a fait qu'agir comme un commerçant normal, qui ne se prévaut pas de l'irrégularité d'un document de transport pourvu que la marchandise lui soit livrée. Simplement, la livraison de l'acier n'a jamais été effectuée, de sorte que la condition de sa renonciation n'a jamais été réalisée.
4.- Sur les sommes dues par les banques S.B.A. et Tekstil Bankasi :
Le montant débité par la banque S.B.A. sur le compte de M. [B] s'élève à un million cent soixante-seize mille huit cent vingt-cinq dollars américains
(1.176.825 U.S.$), correspondant au montant de l'utilisation de la lettre de crédit, qui prévoyait une tolérance de 5%.
Quant aux intérêts de retard, ils doivent courir du 19 octobre 2006, date où le compte de M. [B] a été débité.
Le jugement entrepris doit donc être réformé en ce sens;
SUR CE,
I.- Sur le sursis à statuer :
Considérant, en premier lieu, qu'en application de l'article 4, alinéas 2 et 3, du Code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de l'article 20 de la loi n°2007-291 du 5 mars 2007, applicable au litige, le juge a la faculté, lorsque qu'une action pénale est en cours et qu'elle est susceptible d'exercer, directement ou indirectement, une influence sur la solution du procès civil, d'ordonner le sursis à statuer ;
Considérant que, contrairement à l'assertion contenue dans le jugement entrepris, qui ne repose sur aucun fondement textuel ou doctrinal, cette faculté n'est nullement subordonnée à l'existence d'une convention entre la France et l'État dans laquelle la procédure pénale est diligentée, mais est fondée sur l'impératif d'éviter une contradiction entre la décision de justice pénale et celle de justice civile ; qu'en outre, les principes fondamentaux du droit international privé, tels qu'ils ont été énoncés par [P], développés depuis par la doctrine et consacrés par le droit positif ' refus du nationalisme juridique, reconnaissance de l'égalité des États souverains dans l'ordre international, avec pour conséquence la prise en considération des procédures légalement intentées dans les États étrangers ', interdisent au juge de dénier à une partie l'exercice d'un droit au motif qu'il résulterait d'une procédure engagée devant les juridictions d'un autre État ;
Considérant qu'il est démontré par les pièces produites aux débats que la banque Tekstil Bankasi a déposé plainte le 4 décembre 2006 auprès des autorités judiciaires turques des chefs de blanchiment, escroqueries, faux en écritures et usages de faux, faits prévus et réprimés par les articles 204, 207, 158, 282, 53, 55 et 63 du Code pénal turc ; qu'il ne peut être contesté que les juridictions de la République turque sont compétentes pour connaître d'une telle plainte, dès lors que la société Ekspres, bénéficiaire, est une société de droit turc, dont le siège est à [Localité 6] en Turquie, que M. [H] [G], donneur d'ordre, est national turc et que la banque Tekstil Bankasi, banque notificatrice et confirmatrice, est une société de droit turc, dont le siège se trouve à [Localité 7] ; qu'il est justifié que la procédure pénale est en cours, des commissions rogatoires ayant été adressées aux autorités syriennes et lettones ;
Considérant, en second lieu, qu'en matière de crédit documentaire, la révélation d'une fraude affectant des documents falsifiés ou insincères prime le principe d'autonomie;
Considérant que les documents de la procédure pénale versés aux débats par la banque Tekstil Bankasi font apparaître que M. [B], qui exerce ses activités en Syrie, a fait appel à une société de droit turc, la société Ekspres, pour importer de l'acier en provenance d'Ukraine auprès d'une société ukrainienne dénommée Selbrin, qui pourrait avoir été utilisée comme «'société coquille'» en vue de réaliser une escroquerie au crédit documentaire ; qu'il résulte en effet des énonciations d'une pièce émanant du procureur de la République à [Localité 3] (Turquie) que «'le navire dénommé Capitan Grinenko, ayant prétendument fait l'objet du chargement et dont le nom figure sur le connaissement, n'existe pas en réalité, que le prétendu capitaine du navire n'existe pas davantage, que le connaissement est un faux'» ; que le prétendu rapport d'examen de poids, attribué à la S.G.S., entreprise de supervision et d'audit, qui, en réalité, n'en est pas l'auteur, constituerait également un faux ;
Considérant, de plus, qu'il résulte potentiellement des pièces produites que
M. [B] a refusé de lever les documents non du fait d'une irrégularité les affectant, mais en raison de ses doutes quant à la livraison de la marchandise ; que, tout particulièrement, par télécopie du 7 novembre 2006, il a informé la banque S.B.A. de ce qu'il n'accepterait pas la levée du crédit documentaire avant de s'être assuré que le navire était bien arrivé dans un port syrien et que la marchandise avait été débarquée : «'This is why we DON'T ACCEPT of the L/C until you receive from us a letter stating that the vessel have docked at Syrian ports and the goods are being discharged'» (trad. : '«'C'est pourquoi NOUS N'ACCEPTONS PAS la lettre de crédit avant que vous ne receviez de nous une lettre constatant que le navire est arrivé dans un port syrien et que les marchandises ont été déchargées'») ; qu'ainsi, sans préjuger du fond, il peut résulter de ce document que la cause déterminante du refus de M. [B] de lever les documents réside non dans l'irrégularité affectant le document de transport, mais dans une suspicion d'agissement frauduleux, et dans le doute qu'il avait quant à une livraison effective ;
Considérant en outre qu'il est établi qu'après que M. [B] lui ait fait part d'éléments de nature à faire suspecter une fraude, la banque S.B.A. lui a fait parvenir un projet de courrier destiné à la banque Tekstil Bankasi faisant exclusivement référence à l'irrégularité des documents, et totalement taisant sur la possibilité d'une fraude : «'Message we are preparing to send you to send to our correspondent. In considération, please : 1. Confirm that you authorise us to return documents to the bank. 2. Take note that we are auguing discrepancy on document only whitout any reference to other reason'» (trad. «'Message que nous préparions pour l'envoyer à notre correspondant. À cet égard, merci de: 1. Confirmer que vous nous autorisez à faire retour des documents à la banque. 2. Prendre note que nous arguons seulement de la non-conformité du document, sans référence à une autre raison'») ;
Considérant qu'il s'évince de ces énonciations que, sans préjuger au fond, la démonstration des faits pénaux dénoncés aux autorités judiciaires de la République de Turquie, qui sont susceptibles de relever d'une opération internationale de blanchiment, est incontestablement de nature à affecter le sort du présent litige ;
Considérant qu'il échet d'infirmer le jugement entrepris et d'ordonner le sursis à statuer sur l'ensemble des demandes des parties dans l'attente d'une décision définitive des autorités judiciaires turques sur la plainte déposée par la banque Tekstil Bankasi le 4 décembre 2006 des chefs de blanchiment, escroquerie, faux en écritures et usages ;
II.- Sur l'injonction faite à M. [B] de justifier de son exercice professionnel, et de la forme et du lieu de celui-ci :
Considérant que la banque Tekstil Bankasi conteste la recevabilité des demandes de M. [B] au motif qu'il ne justifie pas de la réalité de l'exercice commercial en nom personnel qu'il prétend être le sien en Syrie ;
Considérant que la Cour constate que M. [B] ne justifie pas par des documents officiels assimilables à un extrait du registre du commerce et des sociétés en France de l'exercice en nom individuel d'une activité commerciale en Syrie, qu'il allègue, ni du lieu de cet exercice ;
Considérant que M. [B] , quand l'affaire reviendra , après décision définitive des autorités judiciaires turques sur la plainte déposée par la banque Tekstil Bankasi le 4 décembre 2006 des chefs de blanchiment, escroquerie, faux en écritures et usages ,
devra justifier par tous documents officiels pertinents de son exercice professionnel, de la forme, que ce soit en nom personnel ou par le truchement d'une personne morale, de cet exercice et du lieu de son siège ;
III.- Sur les demandes et moyens des parties et les dépens :
Considérant qu'il échet de réserver l'ensemble des demandes et moyens des parties, ainsi que les dépens ;
PAR CES MOTIFS,
Infirmant le jugement entrepris,
Ordonne le sursis à statuer sur l'ensemble des demandes des parties dans l'attente d'une décision définitive des autorités judiciaires de la République de Turquie sur la plainte déposée par la société Tekstil Bankasi le 4 décembre 2006 des chefs de blanchiment, escroquerie, faux en écritures et usages.
Ordonne la radiation de l'affaire jusqu'à la production par l'une ou l'autre des parties de la décision définitive des autorités judiciaires de la République de Turquie sur la plainte déposée par la société Tekstil Bankasi le 4 décembre 2006 des chefs de blanchiment, escroquerie, faux en écritures et usages.
Dit que l'affaire pourra être rétablie par l'une ou l'autre des parties lorsque la cause du sursis à statuer aura cessé ou pour vérification de l'état de la procédure pénale en Turquie et vérification des justificatifs qui devront être fournis par M. [H] [G] quant à son exercice commercial, ses formes et son lieu.
Réserve l'ensemble des moyens et demandes des parties.
Réserve les dépens.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT