RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 8
ARRET DU 09 Juin 2011
(n° , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 09/08590- MAC
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 15 Septembre 2009 par le conseil de prud'hommes de MELUN section encadrement RG n° 08/00126
APPELANTE
SA TAT EXPRESS
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 3]
représentée par Me Florence BASQUE- DELHOMMAIS, avocat au barreau de TOURS substitué par Me Séverine MAUSSION, avocat au barreau de VERSAILLES
INTIME
Monsieur [Y] [I]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représenté par Me Christophe DELTOMBE, avocat au barreau de PARIS, toque : R.129 substitué par Me Valérie COURTOIS, avocat au barreau de PARIS, toque : C0732
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 Mai 2011, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Marie-Antoinette COLAS, Conseillère, chargée d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Marie-Pierre DE LIEGE, Présidente
Mme Irène LEBE, Conseillère
Mme Marie-Antoinette COLAS, Conseillère
Greffier : Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Mme Marie-Pierre DE LIEGE, présidente et par Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE :
M. [I] a été engagé par la société TAT EXPRESS en qualité d'agent de fret, suivant un contrat à durée indéterminée à temps plein du 4 janvier 1989.
Il a bénéficié de plusieurs promotions. Son dernier emploi était celui de chef d'agence.
Consécutivement à un entretien préalable, M. [I] a été licencié pour faute grave par lettre recommandée du 15 février 2008.
Contestant les motifs de son licenciement, M. [I] a saisi le conseil de prud'hommes de Melun afin de voir condamner la société TAT EXPRESS à lui verser un rappel de salaire pour la période de mise à pied et les congés payés afférents, les indemnités de rupture, et des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle sérieuse.
Par un jugement du 15 septembre 2009, le conseil de prud'hommes de Melun, section encadrement, a condamné la société TAT EXPRESS à verser à M. [I] les sommes suivantes :
- 1310 € à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire,
- 131 € au titre des congés payés afférents,
- 7860 € à titre d'indemnité de préavis,
- 786 € au titre des congés payés afférents,
- 1091,67 € au titre du prorata du 13e mois,
- 15'195 € à titre d'indemnité de licenciement,
- 68'120 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 1000 € à titre d'indemnités en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Le conseil de prud'hommes a ordonné le remboursement des indemnités de chômage aux organismes concernés dans la limite de trois mois d'indemnités et a débouté les parties du surplus de leurs demandes.
La société TAT EXPRESS a relevé appel de ce jugement.
Dans des écritures déposées et soutenues oralement lors des débats, la société TAT EXPRESS demande à la cour d'infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions, de débouter M. [I] de l'intégralité de ses demandes et de le condamner à lui régler une indemnité de 3500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Aux termes d'écritures reprises et développées lors de l'audience, M. [I] conclut à la confirmation du jugement entrepris et y ajoutant, sollicite une indemnité de 2000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La rémunération brute mensuelle de M. [I] est de 2600 € sur 13 mois.
Il est expressément envoyé au jugement, aux conclusions respectives des parties visées par le greffier lors de l'audience pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens développés.
MOTIFS :
Sur le licenciement :
En application des dispositions de l'article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige, le juge à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties...si un doute subsiste, il profite au salarié.
Constitue une faute grave un fait ou un ensemble de faits imputables au salarié constituant une violation de ses obligations d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.
Il incombe à l'employeur d'établir la réalité des griefs qu'il formule.
La lettre de licenciement du 5 Février 2008, qui circonscrit le litige, est ainsi rédigée :
'nous vous rappelons les faits énoncés lors de notre entretien qui nous ont conduit à prendre sa décision :
la société PIT transporteur sous-traitant de l'activité de collecte 'PSD' que vous pilotez en tant que chef d'agence au départ de [Localité 6] nous a confirmé le 8 janvier 2008 le départ de M. [U], comptable de leur société, coupable de malversations. En effet, il utilisait le chéquier de la société pour financer des cadeaux via la société Télé Pop Music ... livrer directement au domicile des 'clients'.
Vous avez reconnu que M. [U] était votre interlocuteur chez PIT et que vous le rencontriez officiellement chaque mois pour valider la facturation de leurs prestations.
Or, non seulement la facturation mensuelle de PIT laisse apparaître des régularisations anormalement élevées (vous l'avez reconnu vous-même lors de l'entretien) mais le magasin Télé Pop Music reconnaît avoir livré à votre domicile le 7 juillet 2007 un réfrigérateur de marque Siemens(réfrigérateur américain de référence KA 58NP90) aujourd'hui valorisé entre 2200 et 2400 € TTC sur les comparateurs de prix, hors frais de livraison.
Le livreur atteste même vous avoir livré précédemment à la même adresse un écran plat de marque Samsung. Il se souvient s'être déplacé deux fois pour cette livraison à cause d'un problème de SAV.
En dehors de bouteilles de champagne fin d'année, vous avez nié avoir reçu le moindre cadeau de la part de PIT.
Il n'est pas concevable pour TAT EXPRESS d'accepter l'idée qu'un chef d'agence qui négocie quotidiennement le coût des prestations de transport sous-traité puisse recevoir des cadeaux, en contrepartie de la part de ces mêmes sous-traitants.
De même, même si les prestations régularisées sur factures ont été effectivement réalisées -ce que vous ne parvenez pas à justifier- vous avez démontré que vous étiez négligent et n'exercez en fait aucun contrôle de ces régularisations, faisant 'confiance aux agents de fret' qui pourtant vous reportent.
Or, ces régularisations ne sont pas négligeables puisqu'elles représentent parfois près du tiers de la facturation mensuelle :
- 20'794,44 € HT pour le mois de janvier 2007, portés sur la facture du 31 janvier 2007 d'un montant total HT équivalent (facturation distincte de la régularisation),
- 10'700,48 € HT pour le mois de février 2007, portés sur la facture du 28 février 2007 d'un montant total HT équivalent (facturation distincte de la régularisation),
- 13'835,30 € HT pour le mois de mars 2007, portait sur la facture du 31 mars 2007 d'un montant total HT de 44'945,30 €,
- 8339,80 € HT pour le mois d'avril 2007, portés sur la facture du 30 avril 2007 d'un montant total HT de 40'469,95 €,
- 18'040 € HT pour le mois de mai 2007, portés sur la facture du 2 juin 2007 d'un montant total HT de 42'200 €,
- 20'835,66 € HT pour le mois de juin 2007, portés sur la facture du 30 juin 2007 d'un montant total HT de 51'010,66 €.
Enfin M. [R] [W], responsable PIT délocalisé à [Localité 6]- et interlocuteur de l'équipe exploitation de PSD sous le surnom d''Hassan' atteste sur l'honneur vous avoir remis courant février ou mars 2007 une enveloppe en provenance de M. [U] qui contenait plusieurs billets de banque. M. [R] [W] atteste que cette enveloppe vous était nommément adressée, portant la mention personnelle et confidentielle.
L'ensemble de ces faits remet en cause votre intégrité. La société n'a plus confiance en vous et ne peut plus vous laisser la gestion d'une agence.
En fin d'entretien, nous vous avons également rappelé les événements de janvier 2006. M. [N] [S], licencié à votre demande pour faute grave le 22 décembre 2005, vous avait formellement accusé par courrier du 23 janvier 2006 de participer activement à un trafic de revente de palettes. Un dépôt de plainte ayant été déposé par l'entreprise au moment des faits, l'enquête est toujours en cours...
En conséquence nous vous notifions par la présente votre licenciement qui, compte tenu de la gravité des faits prend effet immédiatement, sans indemnité de préavis ni de licenciement...'.
M. [I] conteste la réalité des faits qui lui sont reprochés, considère qu'une mise en scène a été organisée, qu'en réalité, son départ de l'entreprise au moindre coût, au risque de salir son honorabilité était en lien avec un changement de direction et une réorganisation de l'entreprise.
S'agissant de la remise de cadeaux, M. [I] conteste avoir jamais reçu un quelconque réfrigérateur, admet avoir reçu une proposition de M. [U] de lui vendre un téléviseur à écran plat avec une réduction de 10%, avoir effectivement commandé cet écran plat, en avoir reçu livraison, avoir établi un chèque à M. [U] en règlement de cet appareil, lequel appareil était défectueux ce qui l'a amené à contacter la société Samsung. Compte tenu des demandes formulées par celle-ci relativement aux numéros de série et à la facture, M. [I] explique avoir demandé à M. [U] de lui communiquer la facture de l'appareil. C'est alors que M. [U] lui a répondu qu'il n'y avait pas de factures car il s'agissait d'un cadeau. M. [I] indique avoir immédiatement précisé à son interlocuteur qu'il n'était pas question pour lui de recevoir ce genre de cadeau, et lui a demandé de venir récupérer l'appareil ce qui s'est fait courant février.
Il soutient que les témoignages communiqués pour établir qu'il aurait reçu un réfrigérateur en cadeau sont des témoignages de complaisance, l'un motivé par un ressentiment personnel et l'autre par la pression exercée dans le cadre d'un lien de subordination.
S'agissant de la régularisation des facturations, M. [I] fait observer que la régularisation pour le mois de mai a été signée par M. [K] qu'elle ne lui est donc pas imputable. Il conteste que les possibles erreurs de régularisation aient été fautives et délibérées de sa part.
La dernière accusation de remises d'espèces est selon lui scandaleuse. Il fait remarquer que le témoin admet lui-même que l'enveloppe lui était destinée de façon personnelle et confidentielle, qu'elle devait donc être cachetée, qu'à défaut d'expliquer dans quelles circonstances il avait pu être informé du contenu de l'enveloppe, ce témoignage résulte d'une évidente complaisance suggérée par le bénéficiaire de l'attestation.
Pour établir la réalité des cadeaux dont M. [I] aurait pu bénéficier, l'employeur sur qui repose la charge de la preuve, verse aux débats un bon de commande en date du 7 juillet 2007 portant mention manuscrite d'un réfrigérateur congélateur siemens KA 58 NP90 et de l'adresse personnelle de M. [I]. Sur ce bon est apposé le cachet TPM pour Télé Pop Music.
Est également communiquée une facture a 'en tête de Télé Pop Music' portant mention de plusieurs appareils électroménagers dont le réfrigérateur Siemens KA 58 NP 90 . Cette facture est adressée à PIT.
M. [P] atteste avoir en qualité de chauffeur livreur de la société Télé Pop Music effectué deux livraisons chez M. [I], [Adresse 1]. Lors de chacune des deux livraisons, il dit avoir été reçu par un monsieur à l'intérieur d'un pavillon. La dernière livraison correspond bien au samedi 7 juillet 2007 concernant un réfrigérateur congélateur de la marque Siemens.
L'examen de ces trois documents manuscrits, à savoir le bon de commande, la facture, l'attestation du livreur et la comparaison des écritures à laquelle s'est livrée la cour, montrent qu'ils ont, à l'évidence été rédigés par la même personne.
Par ailleurs, malgré les explications confuses de M. [I] à propos de l'écran plat, l'employeur n'apporte aucun élément pour combattre l'affirmation de M. [I] selon laquelle il avait adressé un chèque en paiement de cet objet et qu' il a refusé de le conserver à partir de l'instant où M. [U] lui a signifié qu'il s'agissait d'un cadeau et par suite, pour démontrer que cet écrant plat était un cadeau sciemment reçu comme tel par le salarié.
S'agissant du grief relatif à la validation des factures, le simple constat des chiffres ne suffit pas à établir la réalité d'une négligence fautive de la part de M. [I] étant observé qu'il n'a effectivement pas signé la régularisation au titre du mois de mai 2007, qu'il a ensuite été hospitalisé le 21 juin 2007 et connu des arrêts maladies successifs jusqu'au 11 novembre 2007.
L'employeur ne communique pas d'éléments comparatifs pour des périodes antérieures à celle du mois janvier à juin 2007, ni pour des périodes postérieures au mois de juin 2007 ce qui aurait pu permettre à la cour de constater que les erreurs ou anomalies susceptibles d'être imputées à M. [I] et caractériser par leur importance et leur régularité une volonté délibérée de contribuer à des malversations.
Sur la remise d'espèces à M. [I], l'employeur communique aux débats l'attestation de M. [W] salarié de l'entreprise PIT qui écrit 'M. [U] m'a remis personnellement une enveloppe censée contenir des factures TATEX qui s'est avérée être de l'argent liquide. Cette enveloppe est destinée à M. [Y] [I] de façon personnelle et confidentielle. Ces faits là là se sont déroulées en février ou mars 2007'.
C'est avec pertinence que le salarié fait observer que si l'enveloppe destinée à M. [I] était personnelle et confidentielle, le témoin ne pouvait en connaître le contenu, a priori. Le témoin n'apporte aucune précision sur la manière dont il a pu être informé du contenu réel de cette enveloppe.
Cette absence de précisions sur les circonstances dans lesquelles ce témoin a pu être amené à connaître le prétendu contenu de cette enveloppe suscite un doute sur les constatations matérielles ainsi révélées.
Enfin, s'agissant des faits invoqués dans la lettre de licenciement remontant à 2006 et relatifs à un trafic de palettes, il apparaît que M. [S] a, postérieurement à son propre licenciement pour faute grave, mis en cause plusieurs membres de la société dont M. [I], qu'une enquête pénale est actuellement en cours.
Dans ces conditions, cette accusation de la part d'un salarié licencié pour faute grave sur la demande de M. [I] ne peut à elle seule établir la réalité de l'implication de M. [I] dans un trafic de palettes.
Il résulte de l'ensemble de ces constatations et analyses au regard des pièces produites,qu' un doute sérieux sur la réalité des comportements fautifs attribués au salarié existe.
Ce doute doit nécessairement profiter au salarié.
Dans ces conditions, le jugement du conseil de prud'hommes ayant considéré que le licenciement de M. [I] ne reposait sur aucune cause réelle et sérieuse, sera confirmé.
Par ailleurs, dès lors que l'employeur ne formule aucune objection ou observation précise sur les sommes allouées au salarié, le jugement sera également confirmé en toutes ses autres dispositions.
L'équité commande enfin d'allouer à M. [I] une indemnité de 2000 € pour les frais engagés par lui en cause d'appel en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
Statuant contradictoirement et publiquement,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne la société TAT EXPRESS à verser à M. [I] une indemnité de 2000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
Condamne la société TAT EXPRESS aux entiers dépens.
LE GREFFIER, LA PRESIDENTE,