Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 6
ARRÊT DU 23 JUIN 2011
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 09/24977
Décision déférée à la Cour : Jugement du 10 Novembre 2009 -Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2008039423
APPELANTES
Madame [D] [I] épouse [E]
[Adresse 5]
[Localité 2]
représentée par la SCP LAGOURGUE - OLIVIER, avoué à la Cour
assistée de Me Alexandre TSOREKAS, avocat au barreau de Marseille
SCI LEASART , prise en la personne de son représentant légal domicilié audit siège
[Adresse 7]
[Adresse 7]
[Localité 3]
représentée par la SCP LAGOURGUE - OLIVIER, avoué à la Cour
assistée de Me Alexandre TSOREKAS, avocat au barreau de Marseille
INTIMÉE
SA SOCIÉTÉ GÉNÉRALE prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 4]
[Localité 6]
représentée par la SCP HARDOUIN, avoué à la Cour
assistée de Me Laurence GALTIER, avocat au barreau de PARIS, toque : R 010
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 910 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 28 Février 2011, en audience publique et les avocats ne s'y étant pas opposés devant Madame Marie-Josèphe JACOMET, Conseillère et devant Madame Caroline FEVRE, Conseillère.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Marie-Claude APELLE, président
Mme Marie-Josèphe JACOMET, conseiller
Mme Caroline FEVRE, conseiller
Greffier, lors des débats : M. Sébastien PARESY
ARRÊT :
- contradictoire
- rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile comme elles ont été avisées des dates de prorogation du délibéré.
- signé par Madame Marie-Claude APELLE, président et par M. Sébastien PARESY, greffier auquel la minute de l'arrêt a été remise par le magistrat signataire.
*****
Afin de réaliser un investissement immobilier locatif, Monsieur et Madame [E], respectivement prothésiste et chirurgien dentiste, ont constitué une société civile immobilière Leasart et ont demandé à la Société Générale un prêt pour financer l'acquisition de l'immeuble locatif .
Selon une offre de prêt du 25 octobre 2000 acceptée le 6 novembre 2000, la Société Générale leur a consenti un prêt de 400.000 francs soit 60.979,61 euros sur une durée de 120 mois avec intérêts au taux de 5,90 % payables mensuellement, le capital emprunté étant remboursable en une seule fois in fine.
Monsieur et Madame [E] se sont portés caution solidaire de ce prêt et le contrat d'assurance-vie Yucca souscrit par Madame [E] le 21 novembre 2000 a été nanti au profit de la banque pour un capital initial de 2.500 euros et des versements mensuels de 2.000 euros .
Le rendement du placement Yucca n'ayant pas été celui escompté qui devait permettre de rembourser le prêt selon les demanderesses, la SCI Leasart et Madame [D] [E] ont fait assigner par acte d'huissier du 3 juin 2008, la Société Générale en paiement.
Par jugement en date du 10 novembre 2009, le tribunal de commerce de Paris a débouté la SCI Leasart et Madame [D] [E] née [I] de toutes ses demandes, et les a condamnées solidairement à payer à la Société Générale la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens.
La SCI Leasart et Madame [D] [E] née [I] ont interjeté appel contre ce jugement par déclaration remise au greffe de la Cour le 8 décembre 2009.
Dans leurs dernières écritures, au sens de l'article 954 du code de procédure civile, signifiées le 15 février 2011, la SCI leasart et Madame [D] [E] née [I] demandent l'infirmation du jugement déféré et à la Cour statuant à nouveau de :
- dire que la Société Générale n'a pas accompli son obligation d'information et de conseil à l'égard de la SCI Leasart,
- dire que l'attitude de la Société Générale a causé un préjudice à la SCI Leasart qui, si elle avait été valablement informée, n'aurait pas contracté,
- dire que les contrats de prêt et d'assurance-vie étaient interdépendants et que le défaut d'information de la Société Générale sur leurs liens a occasionné un préjudice à la SCI Leasart et à sa gérante,
- dire que le montage financier du crédit in fine retenu par la Société Générale était inefficace et entaché d'erreurs,
- condamner la Société Générale au remboursement de tous les intérêts payés par la SCI Leasart,
- condamner la Société Générale à prendre en charge tous les intérêts à venir jusqu'au terme du prêt,
- condamner la Société Générale à rembourser la somme qui avait été versée par la SCI Leasart au titre de ses honoraires,
- condamner la Société Générale à payer à la SCI leasart la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens.
Dans ses dernières écritures, au sens de l'article 954 du code de procédure civile, signifiées le 15 février 2011, la Société Générale demande la confirmation du jugement déféré et la condamnation de la SCI Leasart et Madame [D] [E] à lui payer la somme de 5.000 euros et à supporter les dépens.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 28 février 2011.
CELA ETANT EXPOSE,
LA COUR,
Considérant que la SCI Leasart et Madame [E] soutiennent que la banque a commis une faute en leur proposant un prêt in fine adossé à un placement inadapté rendant le montage défectueux puisque la somme placée ne permet pas de couvrir le remboursement de l'emprunt; que la SCI et sa gérante ne sont pas des emprunteurs avertis et que les contrats de prêt et d'assurance-vie sont interdépendants puisque le contrat de capitalisation devait permettre de payer le prêt et que l'équilibre financier dépend de la performance du contrat de capitalisation ; que la libération du capital placé a pour vocation de payer le prêt ; que la Société Générale a manqué à son obligation de conseil tant dans la phase précontractuelle que pendant l'exécution du contrat sur le montage financier et sur les risques spéculatifs d'une opération financière ainsi qu'à son devoir de mise en garde ; que c'est la banque qui leur a proposé un contrat multi-supports seul apte à avoir les performances requises pour l'opération et qu'il ne leur a pas été dit que le contrat pouvait ne pas avoir les performances escomptées ; que cette souscription répondait à l'intérêt de la Société Générale à laquelle elle est intéressée ; que la banque qui a fait souscrire le contrat ne leur a pas remis les documents exigés par l'article L.132-5 du code des assurances distincts des conditions générales et particulières ;
Considérant que la Société Générale fait valoir que l'obligation de mise en garde suppose la qualité de profane de l'emprunteur et l'octroi d'un crédit excessif ; que compte tenu des capacités financières de Madame [E] le prêt n'est pas excessif ; que ce sont les époux [E] qui ont voulu un prêt in fine pour des raisons d'ordre fiscal ; qu'il n'est pas démontré que les emprunteurs ne pouvaient pas rembourser le prêt au terme en 2010 et qu'il a été payé le 20 janvier 2011 avec le rachat des contrats d'assurance Sequoia et Yucca; que c'est le retournement des marchés qui a conduit à une moindre rentabilité des placements; qu'elle a rempli son obligation d'information ; que le prêt in fine n'est pas un contrat complexe et peut être compris par toute personne normalement clairvoyante et qu'il n'y a eu aucune réticence dolosive; ;que le contrat d'assurance-vie est une garantie et non une modalité de remboursement du prêt; que Madame [E] a reçu la notice d'information de l'assurance et a reconnu en avoir pris connaissance de sorte qu'elle a été informée de la nature du contrat et des risque encourus sur des supports sujets aux fluctuations boursières; qu'elle a rempli toutes ses obligations tant précontractuelles que pendant l'exécution du contrat et qu'elle n'avait pas à informer sa cliente de la non réalisation d'une prévision non contractuelle puisque le contrat d'assurance vie n'était qu'une garantie ; que ce n'est pas parce que le profit escompté n'a pas été obtenu que le banque est responsable et a commis une faute que la SCI ne démontre pas alors qu'elle n'aurait pas pu bénéficier de la déductibilité des intérêts de l'emprunt que constitue l'avantage du crédit in fine; que le préjudice n'est pas démontré puisque la SCI est devenue propriétaire grâce au prêt en
cause ;
Considérant qu'il est établi que le 19 octobre 2000, la SCI Leasart, créée par Madame et Monsieur [E], qui a pour gérant Madame [D] [E] et co-gérant Monsieur [K] [E], a fait une demande de prêt à la Société Générale en vue de l'acquisition d'un appartement, situé [Adresse 1], destiné à la location; que la demande de prêt indique que Madame [E] exerce la profession de chirurgien-dentiste et a des revenus mensuels de 38.540 francs ; qu'elle détient des avoirs à la Société Générale d'un montant total de 780.283 francs sur un contrat d'assurance Hevea; qu'elle est propriétaire de sa résidence principale d'une valeur de 950.000 francs sur laquelle reste un prêt en cours de 554.000 francs générant une charge mensuelle de 7.900 francs ; que Monsieur [E] exerce la profession de prothésiste dentaire et a des revenus mensuels de 18.033 euros; que les revenus locatifs liés au projet d'investissement immobilier sont estimés à la somme mensuelle de 2.900 francs ;que le financement demandé est de 400.000 francs avec un différé de 120 mois pour le paiement du capital du prêt qui serait garanti par le nantissement du contrat d'assurance Hevea ;
Considérant que l'offre de prêt signée le 6 novembre 2000 par Monsieur et Madame [E], mariés sous le régime de la séparation de biens, au nom de la SCI Leasart porte sur un prêt in fine de 400.00 francs remboursable en 120 mois au terme du prêt avec paiement des intérêts mensuellement par échéances de 2.166,67 francs ; que ce n'est pas le contrat d'assurance-vie Hevea qui a été nanti mais le contrat d'assurance-vie Yucca souscrit par Madame [E] le 21 novembre 2000 ; que ce prêt a été remboursé le 20 janvier 2011 selon les dernières écritures de la Société Générale qui ne sont pas contredites par la SCI Leasart et Madame [E];
Considérant que ces seuls éléments démontrent que le crédit était adapté aux capacités financières de la SCI Leasart et de Madame [E] de sorte que la Société Générale n'était pas tenue à un devoir de mise en garde à leur égard ;
Considérant que le prêt in fine dont les intérêts sont payables mensuellement et le capital au terme du crédit est garanti par le cautionnement solidaire de chacun des époux [E] et par le nantissement du contrat d'assurance-vie Yucca souscrit par Madame [E] auprès de la Sogecap le 21 novembre 2000 avec un capital de 2.500 francs versé à l'ouverture et des versements mensuels de 2.000 francs ; que ce contrat est clair et précis et est aisément compréhensible dans ses modalités de fonctionnement par tout emprunteur même non averti ;
Considérant que ce prêt s'inscrit dans le cadre d'une opération d'investissement financier visant à l'acquisition par une société civile immobilière familiale créée à cette fin d'un immeuble de rapport visant à valoriser le patrimoine des associés et d'une part à défiscaliser les loyers grâce aux intérêts du prêt in fine souscrit pour acheter le bien et d'autre part à les placer en partie sur un contrat de capitalisation permettant aussi une défiscalisation ;
Considérant que ce montage financier classique est simple à comprendre pour tout investisseur même non averti disposant d'un patrimoine important le conduisant à rechercher des placements fiscalement avantageux ; que le choix de ce montage et sa pertinence répondent aux objectifs de la société emprunteuse et aux intérêts personnels de Madame [E], associée et caution, qui cherchaient à réaliser un placement financier, sans apport personnel, pour valoriser leur patrimoine et à obtenir une économie d'impôts qu'un prêt classique n'aurait pas permis d'obtenir ;
Considérant que le contrat de prêt et le contrat d'assurance-vie Yucca sont deux contrats distincts et autonomes ; qu'aucune stipulation contractuelle de l'un ou l'autre des deux contrats ne prévoit que le prêt sera remboursé au moyen du contrat d'assurance-vie, dont le nantissement au profit de la banque n'est qu'une garantie; qu'il ne peut être soutenu que le contrat Yucca devait permettre de payer le prêt in fine puisque le montant du capital investi sur ce support d'un montant prévu de 242.500 francs au terme du contrat est inférieur à la somme à rembourser, que le contrat Yucca ne prévoit aucun rendement garanti et en aucun cas une valorisation permettant quasiment de doubler le capital investi pour rembourser le prêt;
Considérant que rien ne démontre que l'équilibre financier de l'opération ne dépendait pas de la performance du contrat Yucca alors qu'il est établi que Madame [E] n'a pas investi la totalité des loyers sur ce support et qu'elle a, au contraire, investi sur d'autres supports dont le contrat Sequoia qu'elle a utilisé pour rembourser le prêt ;
Considérant que même si la performance du contrat Yucca n'a pas été celle qui était escomptée par Madame [E], qui est la seule adhérente à l'exclusion de la SCI Leasart qui n'est pas partie à ce contrat, elle ne peut prétendre à aucune perte puisque le contrat ne garantit aucun résultat, aucune performance, ni le capital investi;
Considérant que lors de son adhésion, Madame [E] a choisi un support Yucca Equilibre qui est constitué sous forme d'OPCVM dans une optique de valorisation prudente du capital à la différence du support Yucca Sécurité qui garantit le capital investi ; qu'il est prévu que le portefeuille Yucca choisi peut être investi en fonction de l'évolution des marchés en OPCVM d'actions françaises et étrangères à concurrence de 40 % minimum et jusqu'à 60 % de l'actif ; que les revenus encaissés par le support sont automatiquement réinvestis ;
Considérant que la notice précise au chapitre des valeurs de rachat que la valorisation du capital investi dans le profil de gestion choisi en unités de comptes sera liée à l'évolution de la valeur liquidative de unités de comptes en fonction de la cotation des valeurs ;
Considérant qu'il est établi que Madame [E] a reçu la notice d'information puisqu'elle a signé le bulletin d'adhésion en reconnaissant avoir reçu un exemplaire du bulletin d'adhésion et de la notice d'information n° 539.050 relative au contrat collectif et qu'elle a certifié avoir pris connaissance des dispositions contenues dans ces documents; que la Société Générale produit la notice d'information n° 539.050 applicable à cette date ; que cette notice est conforme aux exigences légales définies par l'article L.112-2 du Code des assurances dans sa rédaction applicable à la date de la souscription du contrat ;
Considérant que Madame [E] est mal fondée à soutenir qu'elle n'a pas eu connaissance de la notice d'information ;
Considérant que le choix d'un support boursier à risque par opposition au support Yucca Sécurité investi sans risque proposé par le contrat démontre une volonté de rechercher une valorisation intéressante avec une fiscalité réduite ; que Madame [E] ne peut prétendre avoir ignoré le risque spéculatif du placement choisi dès lors que le contrat indique clairement le support boursier choisi par nature volatile et qu'elle avait précédemment investi la somme de 220.000 francs dans un autre contrat d'assurance-vie Sequoia souscrit le 9 mai 2000 utilisant le même type de support boursier sujet à la hausse ou à la baisse selon les pièces produites;
Considérant que le gain escompté est la contrepartie du risque encouru ; que Madame [E] avait conscience des risques inhérents aux fluctuations boursières et des aléas liés au placement opéré par le contrat Yucca Equilibre dans le souci d'une valorisation optimale espérée; qu'elle a reçu chaque année le relevé de situation du contrat Yucca de sorte qu'elle savait que le résultat était déficitaire ; qu'elle ne peut reprocher à la banque de ne pas l'avoir alertée sur la perte subie qu'elle connaissait et de ne pas lui avoir proposé de changer les modalités de l'opération financière engagée en passant sous silence les avantages fiscaux et les économies d'impôts réalisés qui auraient été remis en cause en cas de modifications ;
Considérant que rien ne laisse supposer que la SCI Leasart et Madame [E] auraient pu choisir un autre montage plus avantageux au regard de leur situation patrimoniale respective et l'opération financière projetée avec un objectif majeur de défiscalisation ;
Considérant qu'ainsi la Société Générale n'a pas manqué à ses obligations d'information et de conseil en proposant à la SCI Leasart un prêt in fine garanti par le nantissement d'un contrat d'assurance-vie souscrit par Madame [E], gérante associée et caution, concomitamment au lieu du nantissement prévu sur le contrat Hevea, ni pendant l'exécution du contrat puisque le prêt ne devait pas et ne pouvait pas être payé par le support Yucca et qu'il a été remboursé à son terme sans difficulté; qu'elle n'a pas commis de faute pendant l'exécution du contrat de prêt et du contrat Yucca qu'elle ne gérait pas ;
Considérant que la SCI Leasart et Madame [E] sont, en conséquence, mal fondées en leur appel et elles seront déboutées de l'ensemble de leurs demandes ;
Considérant que le jugement déféré sera confirmé en toutes ses dispositions ;
Considérant que l'équité commande de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile ; qu'il convient de condamner les parties appelantes à payer à la Société Générale la somme de 2.000,00 euros au titre de ses frais irrépétibles exposés en cause d'appel, le montant attribué par les premiers juges au titre des frais irrépétibles exposés en première instance étant par ailleurs confirmé ;
Considérant que la SCI Leasart et Madame [E] qui succombent supporteront leurs frais irrépétibles et les dépens d'appel ;
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 10 novembre 2009,
Y ajoutant,
Condamne la SCI Leasart et Madame [D] [E] à payer à la Société Générale la somme de 2.000,00 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel,
Rejette toutes autres demandes,
Condamne La SCI Leasart et Madame [D] [E] aux dépens d'appel distraction au profit de l'avoué concerné dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile .
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT