Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 6
ARRÊT DU 30 JUIN 2011
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 08/07876
Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 Février 2008 -Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2004037118
APPELANTE
Madame [P] [R]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
représenté par la SCP PETIT LESENECHAL, avoués à la Cour
assisté de Me Cédric LIGER, avocat au barreau de PARIS, toque : E1065
INTIMES
SA SOCIETE GENERALE prise elle même en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représenté par la SCP HARDOUIN, avoués à la Cour
SELAFA MJA en la personne de Maitre [C] [F], Société D'exercice Liberal a Forme Anonyme, pris en sa qualité de Mandataire Judiciaire à la liquidation judiciaire de Monsieur [U] [R] (Librairie Jean de la Fontaine)
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représenté par la SCP PETIT LESENECHAL, avoués à la Cour
Monsieur [U] [R]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
représenté par la SCP PETIT LESENECHAL, avoués à la Cour
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 910 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 26 Mai 2011, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Madame Françoise CHANDELON, Conseillère, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Marie-Josèphe JACOMET, conseiller faisant fonction de président
Mme Françoise CHANDELON, conseiller
Mme Caroline FEVRE, conseiller
Greffier, lors des débats : M. Sébastien PARESY
ARRÊT :
- contradictoire
-rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Marie-Josèphe JACOMET, conseiller faisant fonction de président, et par M. Sébastien PARESY, greffier auquel la minute de l'arrêt a été remise par le magistrat signataire.
Le 6 juillet 2001 la Société Générale a consenti à M. et Mme [R] un prêt d'un montant de 1.600.000 F, au taux de 5,05% l'an, remboursable, après une période de différé de 3 mois, en 81 mensualités de 23.351,79 F, destiné à financer l'acquisition d'un fonds de commerce de librairie-papeterie-presse à [Localité 5] qui sera exploité en nom propre par l'époux.
En garantie de ce concours, la banque avait inscrit sur ce fonds privilèges de vendeur et d'action résolutoire ainsi que de nantissement.
Les échéances des 6 mars et 6 avril 2004 n'ayant pas été honorées, la Société Générale a résilié le contrat par courrier recommandé du 6 avril 2004 mettant chacun des époux en demeure de lui régler la somme de 174.564,74 €.
Cette mise en demeure étant restée infructueuse, elle les a assignés en paiement par exploit du 22 avril 2004.
Par jugement du 17 mai 2004 le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de M. [R] et désigné M° [F] en qualité de représentant des créanciers et mandataire liquidateur.
Après avoir déclaré sa créance, la Société Générale a assigné M° [F] par exploit du 16 mars 2005.
Par jugement du 28 février 2008, assorti de l'exécution provisoire, le tribunal de commerce de Paris a:
- annulé les hypothèques judiciaires provisoires prises par la Société Générale le 19 avril 2004,
- fixé la créance de la banque au passif de la liquidation judiciaire de M. [R], à titre chirographaire, à la somme de 174.564,74 €,
- condamné Mme [R] au paiement de la somme de 1.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration du 18 avril 2008, Mme [R] a interjeté appel de cette décision.
Par arrêt du 10 septembre 2010 la présente juridiction a:
- mis hors de cause la Selafa MJA et constaté l'intervention volontaire de M° [C] [F] en qualité de mandataire judiciaire de M. [R],
- avant dire droit sur la demande de Mme [R] en paiement de 900.000 € de dommages intérêts, sollicité que l'appelante précise en quelle qualité M. [R] était attrait à la procédure, afin de régularisation éventuelle, observant qu'il avait été placé sous tutelle par jugement du tribunal d'instance du 16ème arrondissement en date du 27 janvier 2005.
Les parties n'ont pas signifié de nouvelles conclusions.
Dans ses dernières écritures, au sens de l'article 954 du code de procédure civile, déposées le 7 mai 2010, Mme [R] demande à la Cour de:
- infirmer le jugement,
- condamner la Société Générale à lui verser 900.000 € de dommages intérêts pour manquement à ses devoirs de conseil et de mise en garde,
- compenser cette somme avec la créance invoquée par Société Générale,
- condamner la Société Générale à lui verser la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses dernières écritures, au sens de l'article 954 du code de procédure civile, déposées le 28 mai 2010, M° [F] demande à la Cour de:
- confirmer le jugement en ce qu'il a annulé les deux hypothèques judiciaires inscrites au profit de la Société Générale, le 19 avril 2004,
- condamner la partie succombant à lui verser la somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
s'en rapportant à justice sur le bien fondé tant de l'appel principal que de l'appel incident.
Dans ses dernières écritures, au sens de l'article 954 du code de procédure civile, déposées le 21 mai 2010, la Société Générale demande à la Cour de:
- confirmer le jugement en ce qu'il a fixé sa créance au passif de la liquidation judiciaire de M. [R],
- l'infirmer en ce qu'il a admis cette créance à titre chirographaire et la dire privilégiée,
- réparer l'omission de statuer sur sa demande dirigée contre Mme [R] et condamner cette dernière au paiement de la somme de 174.554,74 € portant intérêts au taux contractuel de 5,05 % l'an hors assurance postérieure au 6 avril 2004 et jusqu'à parfait paiement,
- condamner Mme [R] à lui verser la somme de 1.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La clôture a été prononcée par Ordonnance du 5 avril 2011.
CELA ETANT EXPOSE,
LA COUR,
Sur la créance de la Société Générale
Considérant qu'elle n'est contestée par aucune des parties ni dans son principe ni dans son montant, qui est de 174.564,74 €, l'erreur sur la dizaine commise par la banque dans son dispositif résultant d'une erreur purement matérielle;
Considérant en conséquence qu'il convient de confirmer le jugement déféré du chef de la fixation de créance et de réparer son omission en ce qu'il n'a pas prononcé de condamnation de Mme [R] du chef du principal dû;
Considérant que la Société Générale justifiant des sûretés prises par ses soins sur le fonds de commerce le 17 juillet 2001, c'est à tort que le tribunal a qualifié sa créance de 'chirographaire' et qu'il convient d'infirmer de ce chef la décision rendue;
Sur la demande reconventionnelle de Mme [R]
Considérant que pour solliciter la condamnation de la banque à lui verser 900.000 € de dommages intérêts, Mme [R] fait état:
- de l'inexpérience des emprunteurs dans le domaine de la librairie et des emprunts,
- de la fragilité psychologique de son époux, victime de nombreuses périodes de chômage et de drames personnels,
- de l'absence de viabilité de l'exploitation, non informatisée,
- du passif de son couple à l'égard de l'administration fiscale,
- du refus par la banque d'accorder des facilités de caisse,
- du dessein poursuivi par la Société Générale de récupérer le local, mitoyen de son agence, en toute connaissance du terme du bail, dont M. [R] ne pourrait solliciter le renouvellement du fait de sa défaillance programmée;
Mais considérant que les développements de Mme [R] sur les compétences ou la psychologie de son époux sont sans objet dès lors que M. [R] fait l'objet d'une procédure de liquidation de biens et qu'il est représenté par M° [F] seule habilitée à se prévaloir de tels moyens, ce qu'elle ne fait pas, ne contestant pas davantage la fixation de la créance de Société Générale au passif de la liquidation;
Considérant encore que la pièce n°14 présentée comme la photographie des locaux de la Société Générale montre une structure rectangulaire indéterminée tandis que la pièce n°15, qui serait une photographie d'escalier n'est pas produite;
Que ces documents ne sont en toute hypothèse pas de nature à démontrer le noir dessein imputé à la banque;
Considérant enfin qu'aucune des pièces produites ne justifie d'une demande de concours de la banque ni davantage du refus qu'elle aurait opposé;
Considérant sur le devoir de mise en garde qu'il suppose d'une part l'octroi d'un prêt inadapté aux capacités financières de l'emprunteur, d'autre part et à supposer ce préalable démontré, que l'emprunteur établisse qu'il est profane;
Considérant que lorsque le financement est apporté, comme en l'espèce, pour financer une entreprise, la banque, qui n'a à apprécier ni l'opportunité de l'opération envisagée ni celle des projets de développements des investisseurs doit seulement s'assurer des perspectives de rentabilité du projet;
Considérant qu'en l'espèce, le fonds de commerce acquis par les époux [R] présentait toutes garanties permettant de le considérer comme un investissement prometteur;
Que l'acte de vente atteste que la librairie, située dans un quartier aisé de la capitale, [Adresse 4], existait depuis plus de quarante ans;
Que son chiffre d'affaires, stable en 1998 et 1999, avait progressé de 20% en 2000 pour atteindre la somme conséquente de 2.226.469 F, suffisante pour acquitter les échéances mensuelles de remboursement, d'un montant de 23.351,79 F;
Que l'exploitation dégageait un bénéfice important, de 593.380 F au cours de cette dernière année;
Que le prix convenu de 1.800.000 F était en rapport avec le chiffre d'affaires;
Considérant au surplus que les échéances ont été réglées à compter de la fin de l'année 2001 et jusqu'au mois de février 2004 ce qui atteste encore tant de la viabilité de l'entreprise que du caractère adapté du crédit;
Considérant qu'il résulte des écritures mêmes de Mme [R], que les difficultés sont nés d'événements postérieurs au prêt que la banque ne pouvait ni prévoir ni prévenir;
Qu'il apparaît ainsi que le 28 août 2002, l'administration fiscale lui a notifié un avis à tiers détenteur d'un montant de 263.530,40 F sur le compte professionnel des époux [R], dont l'épouse reconnaît qu'il a entraîné de graves difficultés de trésorerie;
Que les choix de gestion expliquent également la déconfiture du fonds, les écritures de Mme [R] précisant que la procédure collective avait été engagée par 'les deux salariés' alors que l'acte de vente mentionne un seul contrat de travail; qu'il résulte des mêmes conclusions que les exploitants précédents pratiquaient la vente par correspondance alors que son mari, désireux de promouvoir l'office, a estimé devoir faire d'importants travaux pour les besoins de cette ré-orientation, qu'il a encore fait le choix d'informatiser le commerce, souhaitant transformer la librairie en 'laboratoire de développement du logiciel SUITELIVRE de Madame [R] en vue de sa mise sur le marché';
Considérant qu'il est ainsi suffisamment démontré que ce n'est pas le prêt qui est à l'origine de la liquidation étant encore observé que les époux [R] n'ont pas donné suite à une offre ferme de rachat du fonds à hauteur de 395.000 € faite le 21 octobre 2003, Mme [R], qui produit cette pièce, ne pouvant soutenir sans le moindre élément que la banque les aurait dissuadé, contre toute attente alors que ce montant permettait de la désintéresser, de l'accepter;
Considérant au surplus qu'à supposer même que le prêt ait été inadapté, ce qui ne peut être retenu, Mme [R] ne saurait être considérée comme profane au seul motif qu'elle ne connaîtrait pas le secteur de la librairie;
Considérant en effet qu'est profane la personne se trouvant dans l'incapacité d'apprécier les risques de l'opération financée;
Considérant que Mme [R] était dirigeante associée d'une société GBO-PREFIX INTERACTIF;
Qu'après avoir cédé le capital le 14 février 2000, elle en a conservé la présidence et participé à sa fusion absorption par une société tierce le 20 novembre 2000 ce qui traduit sa compétence dans le domaine des affaires et sa capacité à analyser les risques d'un prêt au regard des performances d'une entreprise, peu important le secteur d'activité concerné;
Considérant enfin qu'elle s'est impliquée dans la gestion du commerce dirigé par son époux, se présentant comme co-gérante pour signer un protocole de collaboration avec une société DEVLIX dans le cadre de la promotion précitée de son logiciel;
Considérant qu'elle ne saurait ainsi rechercher la responsabilité de la banque qui s'est légitimement cantonnée à son rôle de financement d'un projet qui était viable et dont la charge financière était acceptable au regard du maintien du chiffre d'affaires qu'elle pouvait raisonnablement envisager, ne pouvant anticiper les choix de gestion inopportuns réalisés par les emprunteurs ou la procédure fiscale dont aucun élément n'établit qu'elle ait été portée à sa connaissance avant la signature du prêt;
Qu'il convient, confirmant le jugement déféré, de la débouter de sa demande;
Considérant qu'il apparaît équitable d'allouer à Société Générale la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de débouter M° [F] de sa demande fondée sur ce texte;
PAR CES MOTIFS
Réforme le jugement en ce qu'il a admis la créance de Société Générale au passif de la liquidation judiciaire de M. [R] comme chirographaire et la fixe à titre privilégié;
Réparant son omission de statuer,
Condamne Mme [R] à payer à Société Générale la somme de 174.564,74 € portant intérêt au taux conventionnel de 5,05% l'an à compter du 6 avril 2004;
Confirme pour le surplus les dispositions du jugement non contraires au présent arrêt;
Condamne Mme [R] à payer à Société Générale une somme de 1.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre de la procédure d'appel;
Déboute M° [F] de sa demande fondée sur le même texte;
Condamne Mme [R] aux dépens avec distraction au profit de l'avoué concerné dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRESIDENT