Grosses délivréesREPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 2
ARRET DU 01 JUILLET 2011
(n° 182, 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 10/09606.
Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 Mars 2010 - Tribunal de Grande Instance de FONTAINEBLEAU - RG n° 08/00523.
APPELANTS :
- Monsieur [T] [Y]
demeurant [Adresse 2],
- Monsieur [L] [Y]
demeurant [Adresse 3],
représentés par la SCP MENARD SCELLE MILLET, avoués à la Cour,,
assistés de Maître David BOUAZIZ, avocats au barreau de FONTAINEBLEAU.
INTIMÉE :
SAS HEINEKEN ENTREPRISE
prise en la personne de ses représentants légaux,
ayant son siège social [Adresse 1],
représentée par la SCP BOLLING DURAND LALLEMENT, avoués à la Cour,
assistée de Maître Dominique NARDEUX de la SCP SAULNIER - NARDEUX - MALAGUTTI, avocats au barreau de FONTAINEBLEAU.
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 910 - 1er alinéa du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 1er juin 2011, en audience publique, devant Madame NEROT, conseillère chargée du rapport, les avocats ne s'y étant pas opposés.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur GIRARDET, président,
Madame NEROT, conseillère,
Madame REGNIEZ, conseillère.
Greffier lors des débats : Monsieur NGUYEN.
ARRET :
Contradictoire,
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Monsieur GIRARDET, président, et par Monsieur NGUYEN, greffier présent lors du prononcé.
Par acte sous seing privé du 04 septembre 1996, enregistré le jour-même, la Banque Scalbert Dupont a consenti à la société [Y] Frères, propriétaire d'un fonds de commerce de café-bar-restaurant-brasserie à l'enseigne 'Le lion d'or', un prêt d'un montant de 150.000 francs (soit : 22.867,35 euros) au taux d'intérêt de 9 % l'an hors assurance, remboursable en 84 mensualités qui était destiné à financer un programme d'investissements préalablement communiqué à la société Brasseries Heineken (caution solidaire intervenant au contrat) et à la Banque.
La Banque a, en vertu de ce prêt, inscrit un privilège de nantissement de fonds de commerce enregistré le 10 septembre 1996.
Parallèlement, le 04 septembre 1996, la société Brasseries Heineken et la SARL [Y] représentée par gérant, [T] [Y], ont signé une convention selon laquelle, moyennant l'avantage économique que constituait ce prêt, obtenu grâce à l'intervention de la Brasserie, la société s'engageait, notamment, à une exclusivité d'approvisionnement durant 7 ans.
Par actes séparés du 04 septembre 1996, Monsieur [T] [Y] et Monsieur [L] [Y] se sont portés cautions solidaires des engagements de la SARL [Y] Frères à hauteur d'une somme en principal de 150.000 francs, outre frais, accessoires et intérêts au taux de 9 % l'an envers la société Heineken en s'obligeant à lui rembourser les sommes qu'en sa qualité de caution solidaire elle pourrait être amenée à rembourser à la Banque.
Le 15 avril 1998, cette dernière a notifié à la SARL [Y] Frères la déchéance du terme.
La société Heineken, en sa qualité de caution solidaire des engagements de la SARL [Y] Frères, s'est acquittée de la somme totale de 164.669, 01 francs (25.103,63 euros), selon quittance subrogative du 15 avril 1998.
Après production au passif de la SARL [Y], dont la liquidation a été prononcée par jugement rendu le 08 avril 2002 pour la somme de 28.752,75 euros, elle a reçu du liquidateur, Maître [I], un certificat d'irrecouvrabilité daté du 15 décembre 2003.
Ayant vainement mis en demeure les cautions, les 30 avril et 09 juin 2004, elle les a assignées, le 15 avril 2008, en paiement de sa créance au montant en principal et intérêts de 41.722,34 euros arrêtée à la date du 17 mars 2008.
Par jugement contradictoire rendu le 17 mars 2010, le tribunal de grande instance de Fontainebleau, sans prononcer l'exécution provisoire, a condamné solidairement Messieurs [T] et [L] [Y] à payer à la société Heineken Entreprise la somme de 41.722,34 euros assortie des intérêts au taux annuel de 9 % à compter du 17 mars 2008, sur la somme en principal de 23.274,27 euros et, rejetant le surplus des demandes, les a condamnés à supporter les dépens.
Monsieur [T] [Y] et Monsieur [L] [Y] appelants, par dernières conclusions signifiées le 23 août 2010, demandent à la cour d'infirmer le jugement et :
- principalement, au visa de l'article 1108 du code civil, de prononcer la nullité du cautionnement énoncé dans l'acte de prêt en constatant qu'il n'est pas justifié de l'éventuelle qualité ou capacité à agir du souscripteur du cautionnement principal qui leur est opposé, faute d'avoir énoncé la qualité, le pouvoir et l'identification du souscripteur ; de débouter en conséquence l'intimée de ses entières demandes,
- subsidiairement, de constater qu'à la supposer établie, la créance alléguée par l'intimée est prescrite, par application de l'article L 110-4 du code de commerce,
- plus subsidiairement, de constater que la créance ne saurait excéder le seul montant du principal (soit : 16.513,15 euros) à l'exclusion de tous intérêts dont la déchéance est acquise, par application de l'article L 313-22 du code monétaire et financier,
- plus subsidiairement, de faire application aux intérêts de la prescription quinquennale de l'article 2277 ancien du code civil,
- de condamner, enfin, la société Heineken Entreprise à leur verser une somme de 4.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter tous les dépens.
Par dernières conclusions signifiées le 23 novembre 2010, la société par actions simplifiée Heineken Entreprise demande à la cour, au visa des articles 1892 et 2305 du code civil, de confirmer le jugement en toutes ses dispositions et, y ajoutant, d'ordonner la capitalisation des intérêts sur la somme de 41.722,34 euros augmentée des intérêts au taux de 9 % l'an à compter du 17 mars 2008 sur la somme en principal de 23.274,27 euros ; de condamner, enfin, les appelants à lui verser la somme de 4.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens.
SUR CE,
Sur la nullité de l'engagement de caution souscrit par Heineken au profit de la banque :
Considérant que les appelants font valoir que l'acte de prêt sous seing privé du 04 septembre 1996 en vertu duquel la société Heineken Brasseries se présente en qualité de caution solidaire des engagements de la SARL Pereia ne fait aucune référence à la personne représentant la société Heineken et qu'elle a, de plus, apposé sa signature sans s'identifier ;
Qu'il ne s'agit pas, selon eux, d'une simple imperfection de rédaction ; que l'indétermination de ce représentant qui ne permet pas d'apprécier l'existence du mandat, du titulaire du mandat et de sa qualité à agir exclut que ce représentant puisse se prévaloir de la ratification de son mandat pour souscrire à une convention dont la validité est, selon l'article 1108 du code civil, subordonnée à la capacité de contracter ;
Qu'ils font, en outre, état de l'absence de mention relative à la portée du cautionnement telle que prévue à l'article 1326 du code civil ;
Qu'en réplique, la société Heineken, se prévaut d'une imperfection matérielle, d'un mandat apparent, de sa ratification par le mandant du fait de l'exécution de l'engagement, de l'invocation sans portée de l'article 1108 du code civil, de l'irrecevabilité des appelants à soulever le défaut de pouvoir du mandataire et, tiers à la convention, à en contester la validité alors qu'elle a été ratifiée et enfin du caractère inopérant du moyen tiré de l'article 1326 du code civil ;
Considérant, ceci exposé, qu'il est constant qu'aucune des mention de l'acte de prêt litigieux auquel est intervenue la société Heineken en qualité de caution solidaire ne permet d'identifier le représentant de cette société, signataire de l'acte ;
Que, toutefois, Messieurs [Y], poursuivant la nullité de l'engagement de caution, ne sont pas recevables à se prévaloir du défaut de pouvoir du mandataire dès lors qu'il s'agit d'une nullité relative et qu'elle ne peut être demandée que par la partie représentée ;
Que la capacité de la société Heineken à se porter caution n'est pas contestée ; qu'en exécutant l'engagement de caution solidaire souscrit par son mandataire, la société Heineken mandante, tenue, selon l'article 1998 du code civil, 'd'exécuter les engagements souscrits par le mandataire conformément au pouvoir qui lui a été donné' a ratifié l'acte litigieux ; que cette circonstance ne permet de remettre en cause la validité de l'acte ;
Qu'enfin, l'argument tiré de la méconnaissance du formalisme imposé par l'article 1326 du code civil, qui ne saurait d'ailleurs affecter la validité de l'obligation, est, en l'espèce, inopérant dès lors qu'il n'a pas vocation à s'appliquer en matière commerciale ;
Que le moyen ne saurait prospérer en sorte que le jugement mérite confirmation de ce chef ;
Sur la prescription de l'action engagée par la société Heineken à l'encontre des cautions :
Considérant que les consorts [Y] font subsidiairement valoir :
- que la date d'exigibilité de la créance a couru, conformément à l'article 3 du contrat de prêt, à compter de la date de la première échéance impayée, soit le 15 novembre 1996, et que l'action engagée à leur encontre le 15 avril 2008 se trouve prescrite du fait de l'écoulement du délai de10 ans prévu à l'article L 110-4 du code de commerce ; que l'assignation a seule, selon eux, un effet interruptif de prescription et que c'est en vain que l'intimée se prévaut de sa déclaration de créance effectuée le 14 février 2002,
- que du fait de la nullité de l'engagement de caution de la société Heineken elle était dépourvue du droit d'agir en justice et de déclarer une créance,
- la quittance subrogative établie dix ans, jour pour jour, avant la délivrance de l'assignation n'a jamais eu pour effet d'interrompre la prescription,
- la déclaration de créance ne pourrait avoir d'effet interruptif à l'égard de la caution solidaire, sauf au créancier supposé à démontrer qu'il a été empêché d'agir contre la caution, ce qui n'est pas le cas en l'espèce puisque la Banque, si elle avait estimé être créancière, n'avait aucune raison de subordonner son action à l'encontre des cautions à l'éventuelle clôture de la liquidation judiciaire du débiteur principal ;
Mais considérant que la déclaration de créance à la procédure collective du débiteur constitue une demande en justice au sens de l'article 2244 du code civil alors applicable ; que son effet interruptif se prolonge jusqu'à la clôture de la procédure collective et joue à l'égard de la caution ;
Qu'en l'espèce, la société Heineken a déclaré sa créance le 14 février 2002 ; que la clôture de la procédure collective, prononcée le 31 mai 2006, a fait courir un nouveau délai de prescription à compter de sa date si bien que la société Heineken qui a agi contre les cautions le 15 avril 2008 ne peut se voir opposer la prescription de son action ;
Qu'en deuxième lieu et eu égard à ce qui précède, est inopérant l'argument tiré de la nullité de l'engagement de caution ;
Que l'est semblablement celui tiré de l'effet interruptif de prescription qu'aurait une quittance subrogative dont la société Heineken ne se prévaut pas ;
Qu'enfin, les appelants ne sont pas fondés à se prévaloir des atermoiements de la Banque à l''encontre des cautions' dès lors que celle-ci, tiers à la procédure, ne disposait que du cautionnement de la société Heineken et qu'eux-mêmes ne se sont portés cautions que des engagements de la SARL emprunteuse envers la société Heineken en s'obligeant à lui rembourser les sommes qu'elle serait amenée à rembourser à la Banque en sa qualité de caution de la SARL ;
Que le jugement qui a rejeté le moyen mérite confirmation ;
Sur la créance de la société Heineken :
Considérant que pour affirmer, plus subsidiairement, que la créance de cette dernière doit être limitée à la somme en principal de 16.513,15 euros, les appelants soutiennent :
- que la société Heineken intervenant à l'acte de prêt aux côtés de la Banque Scalbert et Dupont dans le cadre d'une opération unique, était tenue, à leur égard, au devoir d'information annuelle de la caution prévu par la loi du 1er mars 2004 d'ordre public (codifiée à l'article L 313-22 du code monétaire et financier) ; que faute d'y avoir satisfait, elle encourt la sanction de la déchéance du droit aux intérêts,
- que, subrogée dans les droits et obligations de la Banque, elle aurait dû procéder annuellement à leur information jusqu'à extinction de la dette, ce qu'elle n'a pas fait ; qu'à cet égard, les lettres de mise en demeure qui leur ont été adressées n'équivalent pas à l'obligation d'information requise,
- qu'enfin et compte tenu de la prescription quinquennale de l'article 2277, les intérêts au taux légal antérieurs au 15 avril 2003 (soit 5 ans avant l'assignation) ne peuvent être réclamés ;
Mais considérant que si le contrat de prêt et la convention signée le même jour entre les sociétés Heineken et [Y] Frères sont liés, ainsi que cela résulte notamment de l'article 3 du contrat prévoyant la résiliation du contrat de prêt ' en cas d'inexécution de l'un quelconque des engagements pris au présent acte par l'emprunteur et, notamment, dans le cadre du contrat commercial ci-après conclu entre l'emprunteur et la Brasserie', la société Heineken ne peut être considérée comme un établissement de crédit soumis, conformément aux articles L 532-1 du code monétaire et financier, à une stricte procédure d'agrément ;
Qu'elle n'était donc pas tenue au devoir d'information annuelle de la caution invoqué par les appelants ;
Que la Banque Scalbert et Dupont n'était pas, non plus, tenue à ce devoir d'information envers Messieurs [T] et [L] [Y] qui se sont engagés en qualité de cautions solidaires de la dette de la SARL [Y] à l'égard de la société Heineken et non point de la Banque ;
Qu'ainsi, subrogeant, par acte du 15 avril 2008, la société Heineken dans ses droits et actions à l'encontre de la SARL débitrice, elle ne lui a pas transmis une créance à laquelle était attachée l'obligation d'informer annuellement la caution ; que, par conséquent, les consorts [Y] ne peuvent se prévaloir d'un manquement à ce devoir d'information pour échapper à l'obligation de payer les intérêts du prêt consenti au débiteur à laquelle ils se sont engagés envers la société Heineken ;
Qu'enfin, du fait de l'effet interruptif de la prescription sus-évoqué, les appelants ne sont pas fondés à se prévaloir de la prescription des intérêts ;
Qu'il suit que le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné solidairement les consorts [Y] à payer à la société Heineken, selon décompte arrêté au 17 mars 2008, la somme de 41.722,34 euros due en principal et intérêts outre intérêts conventionnels de 9 % sur le principal de 23.274,27 euros à compter de cette date ;
Que rien ne s'oppose à ce qu'il soit fait droit à la demande d'anatocisme dans les conditions de l'article 1154 du code civil, étant, toutefois, rappelé que le point de départ des intérêts capitalisés ne peut être antérieur à la demande de capitalisation du créancier ;
Sur les demandes accessoires :
Considérant que l'équité conduit à condamner les consorts [Y] au paiement de la somme de 1.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Que, déboutés de ce dernier chef de prétentions, ils supporteront les dépens d'appel ;
PAR CES MOTIFS,
Confirme le jugement et, y ajoutant ;
Ordonne la capitalisation des intérêts dans les strictes conditions de l'article 1154 du code civil ;
Condamne solidairement Messieurs [T] et [L] [Y] à verser à la société par actions simplifiée Heineken Entreprise la somme de 1.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Messieurs [T] et [L] [Y] aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Le greffier,Le Président,