Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 2
ARRET DU 23 SEPTEMBRE 2011
(n° , 9 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 09/15454
Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 Mai 2009 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 07/15875
APPELANTE
Mademoiselle [P] [M]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par la SCP CALARN-DELAUNAY, avoués à la Cour
assistée de Maître Gisèle MOR, avocat au barreau du Val d'Oise (PON46) plaidant pour la SELARL CABINET MOR, avocats associés
INTIMEES
SNC SANOFI PASTEUR MSD anciennement dénommée AVENTIS PASTEUR MSD venant elle-même aux droits de PASTEUR VACCINS SNC, prise en la personne de ses représentants légaux
ayant son siège social [Adresse 6]
[Localité 3]
représentée par la SCP GRAPPOTTE BENETREAU et PELIT JUMEL, avoués à la Cour
assistée de Maître Florence MONTERET-AMAR, avocat au barreau de Paris (P 184) plaidant pour la SCP PAGANI-MONTERET-AMAR, avocats associés
CPAM DE [Localité 7] prise en la personne de ses représentants légaux
ayant son siège social [Adresse 1]
[Localité 5]
représentée par la SCP BASKAL CHALUT-NATAL, avoués à la Cour
pas d'avocat
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 05 Mai 2011, en audience publique, devant la Cour composée de :
Jacques BICHARD, Président
Marguerite-Marie MARION, Conseiller
Isabelle ORVAIN, Conseiller désignée pour compléter la Cour en
application de l'ordonnance de roulement du 17 décembre 2010 portant organisation des
services de la Cour d'Appel de Paris à compter du 3 janvier 2011, de l'article R 312-3 du Code de l'organisation judiciaire et en remplacement d'un membre de cette chambre dûment empêché.
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Jacqueline BERLAND
ARRET :
- contradictoire
- rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Jacques BICHARD, président et par Gilles DUPONT, greffier.
***
Vu l'action en responsabilité intentée par Mademoiselle [P] [M] après l'administration du vaccin contre l'hépatite B GenHevac B, à l'encontre de la société AVENTIS PASTEUR MSD S.N.C. venant aux droits de la société PASTEUR VACCINS S.A., en présence de la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE de [Localité 7], par exploits d'huissier de Justice des 4 et 29 juillet 2002 ;
Vu le jugement réputé contradictoire rendu le 18 mai 2009 par le Tribunal de grande instance de PARIS qui a :
- débouté [P] [M] de l'intégralité de ses demandes,
- débouté la société SANOFI PASTEUR MSD de sa demande tendant à l'application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné [P] [M] aux dépens qui comprendront notamment le coût de l'expertise des docteurs [T] et [E],
- accordé à la SCP PAGANI-MONTERET-AMAR le bénéfice de l'article 699 du Code de procédure civile ;
Par déclaration du 8 juillet 2009, Mademoiselle [P] [M] a interjeté appel de ce jugement ;
Dans ses dernières conclusions déposées le 15 mars 2011, elle demande à la Cour, au visa des articles 1147 et 1382 du Code civil et des dispositions de la Directive Européenne du 25 juillet 1985 sur la responsabilité des produits défectueux et du rapport d'expertise, de :
- infirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré,
- déclarer la société SANOFI PASTEUR MSD entièrement responsable de la survenue chez Mademoiselle [M] d'une sclérose en plaques,
En conséquence,
- condamner la société SANOFI PASTEUR MSD à réparer l'entier préjudice de Mademoiselle [M],
- fixer le préjudice global de Mademoiselle [M] à la somme de 1 976 250 €,
- condamner Sanofi Pasteur MSD, à payer à Mademoiselle [M] la somme de
1 971 390 €,
- réserver le préjudice lié à l'adaptation du logement et allouer de ce chef une indemnité provisionnelle de 300 000 €,
Très subsidiairement,
- dire que la vaccination a fait perdre une chance à Mademoiselle [M] d'éviter la maladie et que cette perte de chance doit être évaluée à 90 % du dommage,
- à l'égard des organismes sociaux, faire application du droit de préférence à la victime,
En tout état de cause,
- condamner enfin la société SANOFI PASTEUR à payer la somme de 20 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- dire que la société SANOFI PASTEUR devra entièrement prendre en charge les dépens.
Dans ses dernières conclusions déposées le 15 avril 2011, la société SANOFI PASTEUR MSD demande à la Cour de :
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré,
En conséquence,
- débouter Mademoiselle [P] [M] de l'ensemble de ses demandes en ce qu'elles sont dirigées à l'encontre de la société SANOFI PASTEUR MSD, nouvelle dénomination de la société AVENTIS PASTEUR MSD, venant aux droits de la société PASTEUR VACCINS,
- subsidiairement, ramener les demandes de Mademoiselle [M] à de plus justes proportions,
- condamner Mademoiselle [M] à payer à la société SANOFI PASTEUR MSD la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner Mademoiselle [M] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Dans ses dernières conclusions déposées le 17 mars 2011, la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE de [Localité 7] demande à la Cour, au visa de l'article L 376-1 du Code de la sécurité sociale, de :
- statuer ce que de droit sur l'appel de Mademoiselle [M],
Si la Cour fait droit à l'appel de Mademoiselle [M] et retient la responsabilité de la société SANOFI PASTEUR,
- condamner cette dernière à payer à la CPAM de [Localité 7] la somme de 490 432,13 € sous réserve d'actualisation ultérieure avec intérêts au taux légal à compter de la demande, outre au paiement de l'indemnité forfaitaire due en vertu de l'arrêté en vigueur au jour du prononcé de l'arrêt à venir,
En tout état de cause,
- condamner tout succombant à payer à la CPAM de [Localité 7] la somme de 1 500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner tout succombant aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 28 avril 2011.
CELA ETANT EXPOSE, LA COUR,
Considérant qu'il est constant que Mademoiselle [P] [M]
(Mademoiselle [M]) s'est fait vacciner contre l'hépatite B par le vaccin GenHevac B produit par la société PASTEUR VACCINS aux droits de laquelle se trouve
actuellement la société SANOFI PASTEUR MSD (SANOFI PASTEUR) en trois injections les 6 octobre 1994, 13 octobre et 20 novembre 1995 ;
Que différents troubles ont fait poser le diagnostic de sclérose en plaques ;
Qu'en effet :
- quinze jours à trois semaines après la première injection, elle a présenté des troubles de la vision qui ont régressé pour se manifester de nouveau en février 1995 justifiant une angiographie qui a conclu à une 'très légère fluorescence localisée de la papille pouvant évoquer une neuropathie optique rétrobulbaire',
- dans la suite de la deuxième injection, elle a ressenti des sensations étranges au niveau de la joue gauche,
- quinze jours à trois semaines après la troisième et dernière injection, elle a présenté une paralysie faciale droite qui a duré trois semaines et pour laquelle elle a consulté plusieurs médecins ;
Que l'évolution ultérieure a été marquée par :
- une paralysie faciale gauche en février 1996,
- une baisse de l'acuité visuelle en avril 1996,
- des troubles sensitifs et moteurs au niveau des deux membres inférieurs en décembre 1997,
- des troubles sensitifs au niveau du membre inférieur gauche en juillet 1998,
- une asthénie et faiblesse du membre inférieur droit en octobre 1999,
- des troubles sensitifs de la main droite et des membres inférieurs en décembre 2000,
- des difficultés à la marche en juin 2001,
- des difficultés urinaires depuis le début de l'année 2002 ;
Qu'imputant cette sclérose en plaques dont elle est atteinte au vaccin reçu, Mademoiselle [M] a saisi le Tribunal de grande instance de Paris en déclaration de responsabilité de la société PASTEUR VACCINS et aux fins de réparation de son préjudice ;
Que par ordonnance du Juge de la mise en état en date du 27 janvier 2004, une mesure d'expertise a été ordonnée et confiée aux Docteurs [T] et [Z], ce dernier étant remplacé par le Docteur [E] par ordonnance du 6 septembre 2004 ;
Que les experts ont clos leur rapport le 26 janvier 2006 ;
Que la procédure a fait l'objet d'une radiation le 19 juin 2006 ;
Que Mademoiselle [M] a sollicité le rétablissement de l'affaire et a déposé ses dernières conclusions le 11 décembre 2008 ;
Que c'est dans ce contexte que le Tribunal de grande instance de Paris a rendu son jugement le 18 mai 2009 qui est déféré à la Cour ;
SUR CE,
Considérant que, dans ses dernières conclusions en cause d'appel auxquelles il convient de se référer pour le détail de son argumentation, Mademoiselle [M] estime qu'en exigeant que soit rapportée, outre celle du dommage, du défaut du produit, de la relation entre dommage et défaut, la preuve de l'imputabilité au moins partielle du
dommage au produit, la cour ajoute des exigences contraires aux textes, que la causalité juridique ne peut faire corps avec la causalité scientifique, que le rôle causal du produit peut résulter d'un faisceau de présomptions graves, précises et concordantes sans être soumis à une certitude scientifique et que dès lors, il y a lieu d'examiner d'abord le défaut du produit, ensuite le dommage causé, enfin le lien de causalité entre le défaut et le dommage ; qu'en l'espèce le dommage est incontestable, les poussées s'étant succèdées depuis la vaccination ; que le défaut résulte de l'absence d'indication du risque de sclérose en plaques dans le RCP (annexe I-Vidal et annexe II) alors que les risques d'effets indésirables, notamment de sclérose en plaques, étaient déjà connus et qu'une enquête de pharmacovigilance avait été lancée en juin 1994 et qu'ainsi il apparaît que le produit n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre ; que s'agissant du lien de causalité entre le défaut et le dommage, si les experts commis estiment que les études statistiques ne permettent pas à l'heure actuelle de conclure formellement quant à l'existence ou à l'absence d'un lien de causalité, il n'est pas possible d'exclure l'existence de ce lien ; que de surcroît, la chronologie dans la survenance et l'évolution de la sclérose en plaques est 'extraordinairement évocatrice', 'rythmée par les injections', sans état antérieur ni démonstration d'une autre cause ; que subsidiairement, elle fait valoir qu'en l'absence d'information sur le risque encouru, elle a perdu une chance de renoncer à la vaccination et qu'elle en déduit que ses préjudices doivent être intégralement réparés par SANOFI PASTEUR ;
Considérant que, dans ses dernières conclusions en cause d'appel auxquelles il convient de se référer pour le détail de son argumentation, SANOFI PASTEUR rappelle qu'il appartient au demandeur d'apporter, par tous moyens, la démonstration d'un lien de causalité entre la vaccination reçue et la pathologie développée, la démonstration d'un défaut du vaccin qui doit s'apprécier au regard des critères de la directive européenne 85/374/CEE du 25 juillet 1985 auxquels ne peut être substitué le critère selon lequel l'absence de certitude scientifique sur l'innocuité du vaccin emporterait la présomption de défaut, enfin, la démonstration d'un lien de causalité entre le défaut et le dommage ; qu'en l'espèce, les arguments avancés par Mademoiselle [M] n'apportent la preuve ni d'un lien de causalité entre la vaccination reçue et la sclérose en plaques qui s'est déclarée, ni le défaut du vaccin litigieux, notamment en ce qui concerne sa présentation au regard des éléments en sa possession à la date de la vaccination et fait observer que les modifications des annexes I et II apportées, sur sa demande, par l'Autorité Sanitaire à l'autorisation de mise sur le marché (AMM), ont été publiées dans le VIDAL de 1996 et doivent être appréciées à l'aune des connaissances scientifiques qui, ni à cette époque ni actuellement, ne permettent de conclure à un lien de causalité entre la vaccination contre l'hépatite B et la sclérose en plaques ; qu'en tout état de cause, SANOFI PASTEUR serait fondée à se prévaloir de la cause d'exonération de responsabilité que constitue le risque de développement, transposée dans l'article 1386-11 du Code civil ; qu'enfin, même en retenant les hypothèses les plus favorables à Mademoiselle [M] et à supposer établi un lien de causalité pour des raisons tenant à ses particularités personnelles, SANOFI PASTEUR ne saurait être tenue d'un aléa thérapeutique au regard des dispositions de la loi du 4 mars 2002 qui exclut les faits antérieurs à septembre 2001 ;
Considérant que, dans ses dernières conclusions en cause d'appel auxquelles il convient de se référer pour le détail de son argumentation, la CPAM ne formule aucune observation sur le fond du litige et demande, en cas d'infirmation, la condamnation de SANOFI PASTEUR à lui rembourser les prestations versées ;
***
Considérant en application des articles 1147 comme 1382 du Code civil interprétés à la lumière de la directive 85/374/CEE du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, que la responsabilité du producteur est soumise à la condition que le demandeur prouve, outre le dommage, le défaut du produit et le lien de causalité entre le défaut et le dommage et qu'un produit est défectueux lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre compte-tenu de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage du produit qui peut être raisonnablement attendu et du moment de la mise en circulation du produit ;
Que l'existence d'une autorisation administrative ne constitue pas une cause exonératoire de la responsabilité du producteur ;
Que si la directive a prévu que le producteur pouvait s'exonérer de sa responsabilité en prouvant que l'état des connaissances scientifiques et techniques au moment où il a mis le produit en circulation ne lui a pas permis de déceler l'existence du défaut, elle a laissé aux Etats membres la faculté d'introduire ou non dans leur législation interne cette exonération pour risque de développement ; que dès lors le droit interne ne peut, en l'absence de transposition et d'option alors prise par le législateur français, être interprété à la lumière de la disposition prévoyant ce cas d'exonération de sorte que celui-ci ne peut être invoqué par le producteur d'un médicament défectueux ;
Que la responsabilité du producteur suppose nécessairement au préalable et non à titre supplémentaire que le demandeur apporte outre la preuve de l'administration du produit, que son dommage est en liaison, au moins pour partie, à ce produit ;
Que les preuves mises à la charge du demandeur peuvent être apportées par tous moyens et notamment par présomptions pourvu qu'elles soient graves, précises et concordantes ; que cependant les différents éléments conditionnant la responsabilité du producteur ne peuvent être présumés ; qu'ainsi la causalité comme le défaut du produit ne se déduisent pas de l'absence de certitude scientifique sur l'innocuité du produit ;
Que tout produit de santé comportant nécessairement une part de risque, la survenance d'effets indésirables ne suffit pas non plus à établir l'existence d'un défaut ; que le défaut peut être caractérisé par une inversion du rapport bénéfices-risques ou encore par des lacunes dans la présentation et donc l'information sur le produit ; que la mention d'effets indésirables non démontrés dans le résumé des caractéristiques du produit et la notice ne permet donc pas de mettre en évidence un défaut ;
Que l'existence d'une prédisposition de la victime n'est pas en elle-même exclusive d'un défaut du produit ;
Que ce régime de responsabilité, très exigeant à l'égard de la victime ne peut être assoupli quant aux règles posées en matière de preuve dès lors qu'il est issu d'une directive européenne d'harmonisation, ce qui rend sans objet l'argumentation de Mademoiselle [P] [M] qui se trouve en contradiction avec les dispositions de l'article 1386-9 du Code civil qui opère, sur ce point, la transcription de la Directive précitée, en affirmant la nécessité d'examiner en premier lieu le dommage, puis le défaut du produit, enfin le lien de causalité ; qu'en outre, ce régime est distinct des régimes applicables en matière d'accident du travail ou de vaccination obligatoire n'impliquant pas le producteur
et ne conditionnant pas l'indemnisation du dommage à la preuve par le demandeur d'un lien de causalité certain entre le produit et le dommage et d'un défaut du produit en relation de causalité avec ce dommage ; que la victime ne peut donc s'en prévaloir à l'encontre du producteur ;
Que la responsabilité du producteur peut être aussi recherchée par la victime non pas au titre du défaut de son produit mais de la faute commise par celui-ci, sous réserve d'en apporter la preuve ;
***
Considérant, qu'en l'espèce, l'administration du produit en cause n'est pas contestée ;
Considérant que pour établir le défaut du vaccin et le lien de causalité entre celui-ci et la survenance de la sclérose en plaques dont elle fait l'objet et répondre au rapport déposé le 26 janvier 2006 par les experts judiciaires désignés par le Juge de la mise en état le 27 janvier 2004, Mademoiselle [M], qui n'a pas demandé de contre-expertise, s'appuie sur l'expertise privée qu'elle a demandé au Docteur [Z] (pièce n° E2 de l'appelante) ;
Que ce praticien conclut à une 'imputabilité très vraisemblable' de la sclérose en plaques à la vaccination, que 'le consentement éclairé' de Mademoiselle [M] 'à une thérapeutique sans bénéfice individuel tangible aurait du exiger une infirmation complète et loyale', que le produit litigieux est réputé avoir provoqué 'la plus grande série d'effets indésirables réunis par la pharmacovigilance depuis sa naissance en 1974 (rapport Dartigues fév. 2002) à la différence d'autres médicaments à usage curatifs (...)', enfin que 'l'exposition de la requérante à un produit manifestement défectueux n'a été rendue possible que parce que cette dernière a fait l'objet d'une désinformation aujourd'hui notoire' ;
Considérant, cependant, que par ordonnance du 6 septembre 2004, le Juge de la mise en état a fait droit à la demande de SANOFI PASTEUR tendant à la récusation du Docteur [Z] initialement désigné avec le Docteur [T] dans la présente procédure ; qu'il n'est pas contesté que cette récusation a été confirmée par arrêt de la Cour d'appel de Paris en date du 25 mai 2005, faute, pour le Docteur [Z] d'avoir, dans ses publications et sa participation au débat scientifique, conservé l'impartialité du débat technique, sans prise de position polémique mettant ainsi en cause la réserve qui sied à un expert judiciaire ;
Que par ailleurs, il y a lieu d'observer que le Docteur [Z], qui consacre quatre pages sur vingt-et-une à remettre en cause cette récusation et justifier son intervention dans le dossier de l'appelante avant de procéder à son expertise privée, use de termes dépourvus de mesure comme ceux précités et mentionnés par Mademoiselle [M] elle-même dans ses conclusions, démontrant ainsi la persistance d'une attitude militante, en son principe légitime, mais qui exclut la neutralité, la distance et la sérénité nécessaires à un expert ;
Que dès lors, ce document ne peut être pris en considération ;
Considérant, en revanche, que les experts judiciaires ont relevé que :
- antérieurement à la vaccination litigieuse, Mademoiselle [M] ne présentait aucun trouble neurologique et, d'après les éléments médicaux recueillis, n'avait eu aucun
symptôme susceptible de faire penser qu'elle ait pu avoir des manifestations régressives de la maladie avant la vaccination,
- la nature et l'origine des divers symptômes et troubles successivement apparus relèvent d'une sclérose en plaques mais il est impossible de préciser si cette sclérose en plaques
était préexistante ou non à la vaccination litigieuse, que cependant, il est connu qu'il peut exister des scléroses en plaques tout à fait latentes qui ne font parler d'elles cliniquement mais dont on peut parfois avoir les stigmates quand on fait un examen d'imagerie cérébrale systématique, mais que rien ne permet d'affirmer dans le dossier de Mademoiselle [M] qu'il pouvait exister une sclérose en plaques avant la vaccination,
- aucun lien de causalité certain ne peut être affirmé au vu des données de la littérature médicale internationale, en revanche, on ne peut exclure que la vaccination puisse être un stimulus non spécifique déclenchant un épisode aigu démyélinisant au même titre qu'une infection virale ou un autre vaccin et il n'est pas possible d'affirmer la spécificité de cette liaison puisque la vaccination contre l'hépatite B est la seule vaccination massive proposée chez l'adulte dans la période à risque pour la sclérose en plaques (de 20 à 50 ans),
- dans tous les cas, ce lien de causalité ne saurait être exclusif, qu'il ne pourrait être qu'additif à un état antérieur ou provocant, chez les sujets présentant un état de susceptibilité, état de susceptibilité qui n'a, à ce jour, jamais pu être mis en évidence,
- les nouvelles données résultant d'une étude de Hernan sur le lien potentiel entre vaccination et sclérose en plaques publiée en septembre 2004 dans la revue 'Neurology' (2004, 63 : 838-842) ne peuvent et n'ont pas été retenues en raison du faible effectif de cas vaccinés rendant l'analyse très sensible aux possibles erreurs de classification portant sur le diagnostic des cas ou sur les antécédents de vaccination en particulier dans le groupe de témoins ;
Qu'ainsi, l'absence de manifestation neurologique avant la vaccination, la révélation de la sclérose en plaques à la suite de celle-ci, la concordance chronologique entre cette vaccination, l'apparition de troubles et le développement de la maladie, qui pourraient conduire à envisager l'éventualité d'un lien avec la vaccination, ne peuvent être constitutifs à eux seuls et, en l'état, de présomptions graves, précises et concordantes permettant de retenir non plus l'éventualité de ce lien de causalité mais son existence, en l'absence de consensus scientifique en faveur d'un tel lien et alors que l'ignorance de l'étiologie de la sclérose en plaques empêche d'écarter les éventuelles autres causes de la maladie, comme l'ont d'ailleurs souligné les experts judiciaires ;
Que de plus et alors que de nombreuses études nationales et internationales, des expertises dans des affaires similaires ont été réalisées et versées aux débats et que des mesures d'enquête et de surveillance renforcée ont été mises en oeuvre par les autorités sanitaires, il n'existe pas à ce jour de consensus scientifique national et international en faveur d'un lien de causalité entre la vaccination contre l'hépatite B et les affections démyélinisantes ni d'association statistique significative permettant de déduire un tel lien même si un lien de causalité ne peut être exclu et si l'existence d'un faible augmentation du risque de sclérose en plaques associée à la vaccination est envisagée par quelques études et experts ;
Que dès lors, l'existence d'une corrélation entre l'affection de Mademoiselle [M] et la vaccination subie n'est pas établie ;
***
Considérant que même dans l'hypothèse où une telle corrélation pourrait, en l'absence d'autre cause possible, être retenue, il incomberait encore à Mademoiselle [M] de prouver le défaut du vaccin et le lien de causalité entre ce défaut et le dommage ;
Qu'en l'absence d'éléments suffisants sur l'étiologie de la sclérose en plaques et l'implication de la vaccination dans le processus de survenue de cette maladie, une inversion du rapport bénéfice-risque du vaccin ne peut être retenue ; qu'en effet le seul fait que Mademoiselle [M] et d'autres personnes ont présenté après une vaccination contre l'hépatite B une grave affection reliée, en l'absence d'autre explication, à cette vaccination ne permet pas de mettre en évidence l'existence d'un risque disproportionné par rapport au bénéfice de la vaccination et de retenir que le vaccin est défectueux ;
Que par ailleurs, si la présentation du produit et donc l'information donnée à l'utilisateur lors de la vaccination doivent également être prises en compte dans l'appréciation du défaut, l'absence en 1994 et 1995 dans le Vidal (Annexe I) comme dans la 'notice patiente' (Annexe II) de la mention de cas d'atteinte démyélinisante ne peut être utilement invoquée ; qu'en effet, il n'est pas établi que les premières interrogations en 1994, date de la première injection, puis en 1995, date des deux autres injections, sur l'éventualité d'un lien entre la vaccination et les affections démyélinisantes étaient suffisamment étayées et auraient donc dû être portées à la connaissance de l'utilisateur ;
Que dès lors, le fait que la modification apportée aux annexes I (Vidal) et II (notice patiente) en ces termes : 'Très rarement... atteintes démyélinisantes du système nerveux central (poussées de sclérose en plaques) survenant dans les semaines suivant la vaccination sans qu'un lien de causalité n'ait actuellement pu être établi' n'ait été inscrite qu'en 1996 ne permet pas davantage de retenir la défectuosité du produit ;
Que dès lors, en l'état, l'existence d'un défaut du vaccin comme d'un lien de causalité entre celui-ci et le dommage ou encore une perte de chance subie par Mademoiselle [M] en raison d'une absence d'information sur les risques encourus n'est donc pas établie ;
Qu'il y a donc lieu de confirmer le jugement ;
***
Considérant que l'équité ne commande pas l'application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS,
CONFIRME le jugement en l'ensemble de ses dispositions ;
REJETTE toutes autres demandes des parties ;
CONDAMNE Mademoiselle [P] [M] au paiement des entiers dépens de première instance et d'appel avec admission, pour ceux d'appel, de l'Avoué concerné au bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT