RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 8
ARRET DU 06 Octobre 2011
(n° , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 09/11578 - MAC
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 09 Novembre 2009 par le conseil de prud'hommes de PARIS section commerce RG n° 08/06793
APPELANT
Monsieur [G] [Z]
[Adresse 1]
[Localité 2]
représenté par Me Joëlle DECROIX DELONDRE, avocat au barreau de PARIS, toque : C1480
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Partielle numéro 2011/9153 du 23/03/2011 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PARIS)
INTIMEE
SARL LE MECANO BAR
[Adresse 4]
[Localité 3]
représentée par Me Martine BENNAHIM, avocat au barreau de PARIS, toque : E0866 substitué par Me Stéphane LE BUHAN, avocat au barreau de PARIS, toque : C.1029
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 30 Août 2011, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Marie-Antoinette COLAS, Conseillère, chargée d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Catherine METADIEU, présidente
Mme Marie-Antoinette COLAS, conseillère
M. Julien SENEL, Vice-Président placé sur ordonnance du Premier Président en date du 18 mars 2011
Greffier : Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Mme Catherine METADIEU, présidente et par Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE :
M. [Z] a été engagé et par la SARL Le mécano bar en qualité de serveur suivant un contrat à durée indéterminée en date du 1er juin 2000.
Un premier avertissement, comportant une mise à pied de 5 jours sans solde, au motif d'un état d'ébriété sur le lieu de travail et consommation d'alcool a été notifié à M. [Z] le 17 mai 2006. La mise à pied n'a pas été mise à exécution.
Le 25 mai 2006, un second avertissement lui a été notifié pour avoir apporté un arrêt de travail alors qu'il était en état d'ébriété.
M. [Z] a été placé en arrêt maladie du 25 mai 2006 au 4 juin 2006.
Le 1er juin 2006, il a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour le 7 juin 2006. Aucune suite n'a été donnée à cette convocation.
L'arrêt maladie de M. [Z] a été régulièrement prolongé.
Deux avis inaptitude ont été rendus par le médecin du travail les 25 juillet 2006 et 11 août 2006. Le dernier avis d'inaptitude définitive préconisait une absence totale de contact avec les autres salariés et la direction.
Le 21 août 2006 la SARL Le mécano bar a notifié à M. [Z] l'impossibilité de le reclasser.
Consécutivement à un entretien préalable qui s'est tenu le 4 septembre 2006, le licenciement pour inaptitude a été notifié à M. [Z] le 8 septembre 2006.
Alléguant avoir subi un harcèlement et par suite divers préjudices, M. [Z] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris afin d'obtenir des dommages et intérêts pour préjudice moral et rupture abusive ainsi qu'un rappel de salaire pour des heures supplémentaires.
Par un jugement du 9 novembre 2000, le conseil de prud'hommes de Paris, statuant en départage, a débouté M. [Z] de l'ensemble de ses demandes
M. [Z] a relevé appel de ce jugement.
Dans des conclusions déposées et soutenues à l'audience, M. [Z] demande à la cour d'infirmer le jugement déféré, statuant à nouveau, de relever qu'il était victime d'un harcèlement moral, que, par suite, le licenciement prononcé est nul.
Il sollicite en conséquence la condamnation de la SARL Le mécano bar à lui verser les sommes suivantes :
- 14'770 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement illicite,
- 20'000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral éprouvé,
- 8970,04 € à titre de rappel de salaire sur les heures supplémentaires ainsi que les congés payés afférents et ce, avec intérêts au taux légal à compter du 15 novembre 2006,
- 616,17 € à titre de complément d'indemnité conventionnelle de licenciement,
- 1500 € en application de l'article 700 du code de procédure, outre 2000 € en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, compte tenu de ce qu'il a bénéficié d'une aide juridictionnelle partielle.
Aux termes d'écritures reprises et développées lors des débats, la SARL Le mécano bar conclut à la confirmation du jugement déféré, s'oppose aux demandes formulées, et réclame une indemnité de 1000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Le salaire moyen mensuel de M. [Z] s'élevait à la somme de 2586,63 € en ce compris l'indemnité de nourriture.
La société était soumise à la convention collective des hôtels restaurants.
MOTIFS :
Sur la demande tendant à voir prononcer la nullité du licenciement :
M. [Z] qui ne remet pas en cause la régularité formelle du licenciement pour inaptitude soutient que l'employeur est responsable de celle-ci en raison du harcèlement qu'il estime avoir subi.
Aux termes des articles L.1152-1 et L.1152-2 du Code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Selon l'article L.1154-1, en cas de litige, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement. Il incombe à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Il est admis par les deux parties que M. [Z] a été engagé en 2000 alors que l'employeur connaissait parfaitement les problèmes de santé qu'il rencontrait. Les documents communiqués établissent que M. [Z] a fait l'objet d'arrêts de travail à plusieurs reprises au cours de la durée de la relation contractuelle.
Les deux parties s'accordent sur le fait que les relations de travail se sont déroulées sans difficulté particulière jusqu'au début de l'année 2006. Pour corroborer cette affirmation, il apparaît que le 3 octobre 2005 à la faveur de la remise d'un avis de tiers détenteur émanant du Trésor Public, l'employeur s'est exprimé en ces termes 'cet employé nous donne entière satisfaction et mérite notre aide'.
Si le premier avis d'inaptitude ne comporte aucune motivation particulière, le médecin du travail a précisé au terme du deuxième avis 'inapte définitif au poste. Pas de contact avec les autres salariés et la direction'. Le médecin traitant confirme la réalité d'un état dépressif réactionnel survenant sur un terrain fragilisé par la problèmatique à laquelle M [Z] est confronté mais dont la cause première distincte.
Il s'ensuit que l'inaptitude au poste n'est pas directement et exclusivement en lien avec les problèmes de santé antérieurs de M. [Z] mais résulte aussi de difficultés relationnelles au sein de l'établissement.
Par ailleurs, M. [Z] communique aux débats les deux notifications de sanctions disciplinaires des 17 mai 2006 et 25 mai 2006.
Le premier document du 17 mai 2006 stipule avoir pour objet 'un premier avertissement' et est ainsi libellé : 'suite à votre comportement en date du 13 mai 2006, nous vous informons d'une mise à pied de cinq jours sans solde pour les motifs suivants : état d'ébriété sur le lieu de travail ainsi que consommation d'alcool...'.
L'employeur n'est pas contredit quand il soutient que cette mise à pied disciplinaire n'a pas fait l'objet d'une exécution.
Le second avertissement du 25 mai 2006 est motivé de la manière suivante ' il est inadmissible que vous nous apportiez votre arrêt de travail ce matin dans l'état d'ébriété où vous étiez, ce devant témoins, nous ne comprenons pas le sens de cet arrêt de travail...'.
Or, il convient d'observer que cette sanction a été notifiée pour un fait pour lequel aucun justificatif n'est produit, prétendûment commis pendant une suspension du contrat de travail puisque l'employeur met l'accent lui-même sur le fait que ce constat a été opéré alors que le salarié apportait son arrêt maladie.
Enfin, M. [Z] a reçu une convocation à un entretien préalable prévu pour le 7 juin, l'employeur précisant qu'une mesure de licenciement était envisagée, alors que le salarié était en arrêt maladie depuis le 25 mai jusqu'au 4 juin 2006, qu'en conséquence aucun fait nouveau entre le 25 mai, jour de la notification d'un avertissement et le 1er juin, date d'envoi de la convocation n'avait pu être relevé par l'employeur.
Sans qu'il soit besoin d'analyser les attestations des trois témoins dont l'employeur conteste l'impartialité du fait des contentieux engagés par certains, la multiplication des sanctions mêmes inexécutées en quelques jours, dans un contexte de suspension du contrat pour l'une d'elle, avec envoi d'une convocation à un entretien préalable à un éventuel licenciement sans constat de fait nouveau, même non suivie d'effet, suffisent à caractériser des pressions et s'analysent comme étant des agissements répétés de la part de l'employeur constitutifs de harcèlement moral susceptibles d'entraîner une dégradation des conditions de travail du salarié, de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
L'employeur à qui il incombe de démontrer que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement explique qu'il voulait amener le salarié à se ressaisir, qu'il n'a pas exécuté l'une des sanctions, ni donné suite à la convocation à l'entretien préalable, par mansuétude.
Cet argument manque à tout le moins de pertinence alors que l'employeur connaissait la fragilité de M [Z] et qu'il était en mesure d'évaluer le syndrome dépressif subi par le salarié à cette époque en raison des arrêts de travail qui lui étaient communiqués.
Les pressions ainsi exercées par l'employeur sur le salarié sur une courte période et qui ont abouti au constat médical de l'impossibilité pour lui d'assumer les relations professionnelles au sein de l'entreprise caractérisent un harcèlement.
Le licenciement pour inaptitude prononcé dans ce contexte est nul.
Sur la demande de dommages-intérêts pour licenciement illicite :
M. [Z] travaillait au sein de l'entreprise depuis 2000.
Compte tenu de son ancienneté, de sa rémunération, de ses difficultés à retrouver un emploi au regard de ses difficultés propres et des possibilités offertes par le marché de l'emploi, la cour est en mesure de fixer à la somme de 14'000 € le montant des dommages-intérêts pour licenciement illicite.
Sur la demande de dommages-intérêts pour le préjudice moral subi :
Dans un contexte de santé fragile, connu de l'employeur, le préjudice moral subi du fait de la dégradation de ses relations de travail et des pressions exercées sur lui au cours des dernières semaines distinct du préjudice résultant de la rupture illicite, justifient l'octroi de dommages et intérêts à hauteur de 12'000 €.
Sur le rappel de salaires au titre d'heures supplémentaires :
Selon l'article L.3171-4 du code du travail en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.
Il incombe au salarié qui demande le paiement d'heures supplémentaires de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande.
Pour étayer celle-ci ,M. [Z] communique au dossier le témoignage de M [O] ayant travaillé au sein de l'entreprise du 24 janvier 2005 au 28 février 2006 qui atteste que M. [Z] travaillait 10 heures 30 par jour les vendredis et samedis ainsi que les veilles de jours fériés.
M. [Y], salarié de l'entreprise de mai 2005 à octobre 2005, précise quant à lui que M. [Z] travaillait du mardi au jeudi de 18h00 à 3 h00 du matin et les vendredis et samedis de 19h00 à 5h30.
Mme [X], responsable de salle du 11 avril au 6 juin 2006 témoigne de ce que M. [Z] travaillait 9h00 par jour sur trois jours par semaine et effectuait 10h30 les vendredis et samedis ainsi que les veilles de jours fériés.
M. [Z] présente également un récapitulatif de ses demandes chiffrées correspondant à 48h de travail hebdomadaire soit 13h00 supplémentaires par semaine entre le 1 Février 2005 et le 31 Mars sauf pendant les périodes de congés payés et d'arrêts maladies.
Toutefois, M. [Z] ne verse aucun relevé hebdomadaire précis pour ladite période.
Au surplus ainsi que l'ont souligné les premiers juges, l'avantage en nature nourriture figurant sur les bulletins de paie confirme l'existence d'une pause que n'évoque pas M. [Z].
Dans ces conditions, M. [Z] n'étaye pas par ces éléments sa demande de rappel de salaire.
Au surplus, il résulte des explications et éléments communiqués par l'employeur, que M. [Z] ne pouvait en aucun cas travailler au-delà de 2 heures en semaine ou de 4 heures les vendredis et samedis en raison des autorisations administratives de fermeture du bar.
L'employeur fait utilement remarquer que Mme [X] travaillait le jour et quittait son poste à 19h00 au plus tard, ainsi qu'il en justifie par une attestation que M. [Z] a lui-même rédigé au profit de la salariée et par suite, qu'elle ne peut témoigner sur les horaires effectués par le salarié au delà de 19 heures, que M. [O] a travaillé exceptionnellement pendant un mois en Février 2005.
Le jugement du conseil de prud'hommes sera donc confirmé en ce qu'il a débouté M. [Z] de sa demande de rappel de salaire à titre d'heures supplémentaires.
Sur la demande de complément d'indemnité conventionnelle de licenciement :
Cette demande ne peut pas prospérer puisque M. [Z] a été débouté de sa demande de rappel de salaire au titre des heures complémentaires, que l'indemnité de licenciement dont les modalités sont fixées par l'article 32 de la convention collective applicable a été correctement calculée sur la base de 169h de travail.
Le jugement du conseil de prud'hommes sera confirmé sur ce point.
Sur les demandes d'indemnités en application de l'article 700 et de l'article 37 de la loi de 1991 :
M. [Z] a bénéficié d'une aide juridictionnelle partielle.
L'équité commande dans ces conditions de lui accorder d'une part, une indemnité de 1500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile et d'autre part une indemnité de 1000 € sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
PAR CES MOTIFS,
Statuant contradictoirement et publiquement,
Confirme le jugement déféré sauf en ce qui concerne le licenciement et les demandes de dommages et intérêts,
L'infirme sur ces points,
statuant à nouveau y ajoutant,
Dit que le licenciement est illicite,
Condamne la SARL Le mécano bar à verser à M. [Z] les sommes suivantes :
- 14'000 € à titre de dommages-intérêts pour le licenciement illicite,
- 15'000 € à titre de dommages-intérêts pour le préjudice moral subi,
- 1500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile outre 1000 € sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991,
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
Condamne la SARL Le mécano bar aux entiers dépens.
LE GREFFIER, LA PRESIDENTE,