RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 8
ARRET DU 20 Octobre 2011
(n° , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 09/06262 - MAC
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 29 Juin 2009 par le conseil de prud'hommes de PARIS section encadrement RG n° 07/03330
APPELANTE
SAS LABORATOIRES FILORGA
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Nicolas MANCRET, avocat au barreau de PARIS, toque : K0061
INTIME
Monsieur [N] [O]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représenté par Me Catherine LAUSSUCQ, avocat au barreau de PARIS, toque : D 223 substitué par Me Elisabeth GAUTIER HUGON, avocat au barreau de PARIS, toque : G0396
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 15 Septembre 2011, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Catherine METADIEU, Présidente
Mme Marie-Antoinette COLAS, Conseillère
M. Julien SENEL, Vice-Président placé sur ordonnance du Premier Président en date du 18 mars 2011, chargée d'instruire l'affaire.
qui en ont délibéré
Greffier : Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Mme Catherine METADIEU, présidente et par Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE :
M. [O] a été engagé par la société Laboratoires Filorga à compter du 1er juin 2002 en qualité de directeur général.
Estimant que son employeur lui a imposé une modification de son contrat de travail et du périmètre de ses responsabilités, M. [O] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris, le 22 mars 2007, d'une demande de résiliation judiciaire du contrat.
Consécutivement à des arrêts maladie, M. [O] a passé successivement deux visites médicales de reprise.
Compte tenu des restrictions apportées par la médecine du travail à son aptitude, et après que M. [O] a refusé la proposition de reclassement formulée, il a fait l'objet d'un licenciement pour inaptitude professionnelle et impossibilité de le reclasser par lettre recommandée du 6 décembre 2007.
Dans le dernier état de ses demandes devant le conseil de prud'hommes, M. [O] entendait voir prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts et griefs de son employeur et obtenir outre les indemnités de rupture, des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle sérieuse et pour un préjudice moral distinct.
À titre subsidiaire, à défaut pour l'entreprise d'avoir satisfait à l'obligation de reclassement lui incombant, M. [O] sollicitait des dommages et intérêts et les indemnités de rupture.
Par un jugement du 29 juin 2009, le conseil de prud'hommes de Paris, statuant en départage, a débouté M. [O] de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail, a déclaré le licenciement prononcé le 6 décembre 2700 dépourvu de cause réelle et sérieuse, a condamné la société Laboratoires Filorga à lui verser les sommes suivantes :
- 16'298,34 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
- 1629,83 € à titre de congés payés afférents,
- 50'000 € à titre de dommages-intérêts sur le fondement de l'article L.1235-3 du code du travail,
- 1000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le conseil de prud'hommes a aussi condamné la société Laboratoires Filorga à rembourser aux organismes intéressés les indemnités de chômage versées à M. [O] du jour de son licenciement au jour du prononcé du jugement dans la limite de six mois d'indemnités.
Le conseil de prud'hommes a débouté M. [O] du surplus de ses demandes.
La moyenne des trois derniers mois de salaire de M. [O] s'est élevée à la somme de 5260 €.
La société Laboratoires Filorga comptait 40 salariés au moment du licenciement.
La convention collective applicable est celle des industries chimiques.
Il est expressément renvoyé au jugement, aux conclusions respectives des parties, visées par le greffier et soutenues oralement lors des débats pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens développés.
MOTIFS :
Lorsqu'un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur tout en continuant à travailler à son service, et que ce dernier le licencie ultérieurement pour d'autres événements survenus au cours de la poursuite du contrat de travail, le juge doit d'abord rechercher si la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail était justifiée. C'est seulement dans le cas contraire que le juge doit se prononcer sur le licenciement notifié par l'employeur.
Sur la demande de résiliation judiciaire :
La résiliation judiciaire du contrat de travail peut être prononcée aux torts de l'employeur si les manquements commis par celui-ci sont suffisamment graves pour justifier la rupture du contrat de travail.
Dans le cas présent, M. [O] considère qu'ayant été engagé en qualité de directeur général, il n'a plus été à même d'exercer ses fonctions conformément à son contrat de travail dès lors qu'il a été privé de l'exercice de ses fonctions de directeur général. Il estime que la direction a réduit ses responsabilités et limité son activité à celle d'un représentant commercial au même rang que celui qu'il avait recruté et formé.
Il ajoute que la société a organisé son isolement, ce qui a été à l'origine de la dégradation de son état de santé et de la reconnaissance médicale d'une inaptitude à son poste de travail.
L'employeur conteste tout manquement de sa part à ses obligations contractuelles et tout spécialement, le déclassement prétendu du salarié, alléguant que le 22 juin 2006, avant même l'arrivée de M. [C], M. [O] avait signé avec Mme [F], une fiche de poste prévoyant qu'il devait assumer la maîtrise et la vérification de 'l'instrumentation à usage unique, 'la mise sur le marché de cette gamme d'instrumentation jetable sous sa responsabilité directe,...
La société Laboratoires Filorga considère que cette fiche de fonctions, signée par le salarié, ayant valeur contractuelle, constitue la description exhaustive des fonctions occupées par le salarié à partir de juin 2006 et que la fixation des objectifs était contractuellement prévue par l'article 4 du contrat de travail signé en 2002. Enfin, elle précise que la modification envisagée du mode de rémunération a été soumise à l'accord de M [O] et n'a pas été poursuivie du fait de son refus.
Il résulte des circonstances de la cause et de l'examen des divers documents produits par les deux parties que M. [O] a été engagé à compter du 1er juin 2002 en qualité de directeur général, que l'article 4 dudit contrat évoquait 'un objectif révisable annuellement selon un avenant joint au contrat'.
Aucun avenant particulier n'a toutefois été signé entre les parties, en tout cas pour les années 2002-2003 -2004-2005.
Le document intitulé 'fiche de poste-directeur général' a été signé par M. [O] et par la présidente de la société Laboratoires Filorga le 22 juin 2006 soit quelques jours avant le changement de direction intervenu courant juillet 2006 et dans le cadre de la préparation de la prise de fonction du nouveau président directeur général M [C].
Ce document contractuel plaçait sous la responsabilité directe de M. [O] la maîtrise et la vérification de l'instrumentation à usage unique, la mise sur le marché de cette gamme d'instrumentation jetable. Il ne peut être déduit de son examen, qu'il écartait M. [O] des autres missions qu'il avait effectivement assumées au cours des années de collaboration sein de la société.
Selon Mme [Y] directrice commerciale de la société Laboratoires Filorga, M. [O], en tant que directeur général, était toujours le premier à montrer l'exemple avec une disponibilité sans faille, ... il a notamment aidé à mettre en place des ateliers de présentation produits... auprès de la clientèle de médecins esthétiques,... a été un des acteurs principaux du lancement du produit d'aquamid,... a de par ses fonctions toujours consolidé l'image des laboratoires auprès de la clientèle mais aussi et surtout auprès des distributeurs étrangers dont il s'occupait activement avec la présidente tout en motivant les équipes au sein de la société.
M. [V] [S], commercial au sein du laboratoire, entre septembre 2002 et septembre 2003 explique que M. [O] a toujours été présent sur tous les congrès auxquels participait le laboratoire, qu'en tant que véritable bras droit de la présidente il a toujours apporté sa précieuse contribution à toutes les manifestations et actions qui touchaient de près ou de loin les Laboratoires Filorga.
Dans une lettre du 1er mars 2007, adressée au conseil de M. [O], M. [C] a écrit, que la tâche prioritaire de M. [O] était le développement de l'instrumentation à usage unique sur le territoire français. Quelques lignes plus loin, M. [C] précise 'je souhaite donc aujourd'hui que M. [O] consacre, comme il s'y est contractuellement engagé, l'exclusivité de son activité au développement et au succès des laboratoires Filorga' Ainsi, l'activité de M. [O] s'agissant du développement de l'instrumentation à usage unique sur le territoire français était elle un axe prioritaire de ses fonctions mais non pas exclusif.
Pourtant, la lecture des lettres que M. [C] a adressées plus tard au conseil du salarié à plusieurs reprises révèle sa volonté de cantonner M. [O] à cette activité 'instrumentation à usage unique,' le développement de cette activité constituant une des priorités du laboratoire. Force est de constater qu'il admet ainsi que cette activité n'était pas l'unique activité du laboratoire.
M. [C] a clairement affirmé son souhait de voir M. [O] concentrer ses efforts sur ce marché et faire de l'atteinte des objectifs fixés une priorité absolue.
Aux termes de ces correspondances, M [C] a également précisé que le chiffre d'affaires de 470'000 € pour le marché français devait être réalisé par M. [O] et par M. [Z] [K], soit deux personnes, l'employeur précisant ' je compte sur vous pour encourager et aider [Z] [K] dans l'accomplissement de sa tâche'.
Il s'en déduit que M. [O] a vu son périmètre de responsabilités diminuer dans les faits, dès lors qu'il était déchargé du suivi des autres activités commerciales de la société et qu'il n'avait plus à assurer l'animation des équipes commerciales des laboratoires Filorga, ses fonctions d'encadrement ne concernant plus qu'une personne M [K], étendues en cours de discussion à une assistante pour une activité de saisie.
C'est, au surplus, avec pertinence que M. [O] fait observer que dans le numéro 27 de la revue 'l'entreprise des repreneurs,' du mois de décembre 2006, M. [L] [C] était qualifié de 'directeur général' des laboratoires Filorga.
Il résulte de ce qui précède que M. [O] pouvait ainsi légitimement se sentir déclassé et ce, au vu et au su de l'ensemble des collaborateurs de l'entreprise.
Au surplus, M. [C] a, à plusieurs reprises, évoqué les résultats décevants de M. [O] au regard des objectifs de résultats fixés en accord avec lui, insisté 'sur la nécessaire meilleure gestion des stocks pour ne pas nous retrouver dans une situation si désastreuse que celle laissée au 31 décembre 2006,' évoqué son attente 'de plus de discernement et d'analyse sur ce marché'.
À ce déclassement publiquement exposé, M. [O] a, au surplus, vu ses propres compétences professionnelles remises en cause.
Pourtant, la revue l'entreprise des entrepreneurs, reprenant en cela les indications qui lui avaient été fournies par la société Laboratoires Filorga, précisait que ' la société (Filorga) avait réalisé en 2005 un chiffre d'affaires de 4,5 millions d'euros, affichant ainsi un taux de croissance moyen de 30% sur les trois dernières années, que l'arrivée récente de nouveaux produits innovants devrait permettre à Filorga de poursuivre son développement, notamment à l'international où il réalise déjà plus de la moitié de son chiffre d'affaires'.
Or, il n'est pas utilement contesté que M. [O], 'bras droit de la présidente', ainsi que l'a relaté l'un des témoins, jusqu'en juillet 2006, était très impliqué dans le lancement des produits innovants mais également dans le développement à l'international des laboratoires Filorga.
Cette suspicion latente sur les compétences professionnelles de M. [O], démentie par ce constat d'un développement positif de la société alors qu'il exerçait effectivement les fonctions de directeur général avant l'arrivée de M. [C], ainsi que le déclassement effectif du salarié et la diminution de ses responsabilités, caractérisent des manquements suffisamment graves de la part de l'employeur pour justifier la résolution judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur.
La résiliation judiciaire du contrat est fixée à la date à laquelle le licenciement a effectivement été prononcé soit le 6 décembre 2007.
Sur les conséquences de la résiliation judiciaire du contrat de travail :
La résiliation judiciaire du contrat de travail a les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
En conséquence M. [O] est fondé à obtenir une indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents, ainsi que des dommages et intérêts sur le fondement des dispositions de l'article L.1235- 3 du code du travail, dès lors qu'il avait une ancienneté supérieure à deux années et que la société comptait plus de 10 salariés.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a alloué à M. [O] une somme de 16'298,34 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ainsi que les congés payés afférents.
C'est aussi par une exacte appréciation du préjudice subi par le salarié au regard de son ancienneté (5 années et demie), de sa rémunération (5260 €), des conséquences de la rupture, des possibilités offertes par le marché du travail au regard de sa qualification professionnelle et de son expérience que le conseil de prud'hommes a arrêté à la somme de 50 000 € le montant de l'indemnité à lui revenir sur le fondement du texte légal précité.
Sur la demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral :
Le discrédit de M. [O] auprès de ses collègues et des tiers qu'étaient les fournisseurs, les distributeurs ou les clients, consécutif au déclassement infligé dans les faits par la nouvelle direction de la société, et le retentissement psychologique de ses conditions de travail au cours des derniers mois de collaboration au sein des laboratoires Filorga sont à l'origine d'un préjudice moral indéniable qu'il convient de réparer équitablement par l'allocation de la somme de 15'000 € que réclame légitimement le salarié.
Le jugement sera sur ce point infirmé.
Sur la demande d'indemnité en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile :
L'équité commande tout à la fois de confirmer le jugement ayant accordé à M. [O] une indemnité de 1000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de lui allouer une nouvelle indemnité de 1500 €, sur le même fondement, pour les frais exposés par lui en cause d'appel, ainsi qu'il le demande.
PAR CES MOTIFS,
Statuant contradictoirement et publiquement,
Confirme le jugement rendu par le conseil de prud'hommes en ce qu'il a accordé à M. [O] une indemnité compensatrice de préavis, les congés payés afférents, une indemnité en application de l'article L.1235-3 du code du travail et une indemnité de 1000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Le confirme également en ce qu'il a condamné l'employeur à rembourser aux organismes concernés les indemnités versées aux salariés au titre du chômage, dans la limite de six mois,
L'infirme pour le surplus,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [O] aux torts de la société Laboratoires Filorga à la date du 6 décembre 2007,
Condamne la société Laboratoires Filorga à verser à M. [O] les sommes suivantes :
- 15'000 € à titre de dommages-intérêts pour le préjudice moral subi,
- 1500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
Condamne la société Laboratoires Filorga aux entiers dépens.
LE GREFFIER, LA PRESIDENTE,