Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 3 - Chambre 1
ARRÊT DU 02 NOVEMBRE 2011
(n° , 8 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 10/18259
Décision déférée à la Cour : Recours en révision contre un arrêt prononcé le 31 Mars 2010 par le Pôle 3 Chambre 1 de la Cour d'Appel de PARIS - RG n° 09/10503
DEMANDERESSE AU RECOURS
Madame [B] [D] [M] [Y]
née le [Date naissance 2] 1947 à [Localité 8]
[Adresse 3]
[Localité 6]
représentée par la SCP BERNABE-CHARDIN-CHEVILLER, avoués à la Cour
assistée de Me Daniel FAUQUET, avocat au barreau de PARIS, toque : E. 1798
DÉFENDERESSE AU RECOURS
Madame [O] [P] épouse [Y]
née le [Date naissance 1] 1932 à [Localité 8]
[Adresse 5]
[Localité 7]
représentée par Me Bruno NUT, avoué à la Cour
assistée de Me Léa HADAD-TAIEB, avocat au barreau de CRÉTEIL, toque : PC. 087
Pour dénonciation :
Monsieur L'AVOCAT GENERAL
près La COUR D'APPEL DE PARIS
[Adresse 4]
[Localité 6]
COMPOSITION DE LA COUR :
Après rapport oral et en application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 27 Septembre 2011, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Pascal CHAUVIN, président et Madame Nathalie AUROY, conseiller.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Pascal CHAUVIN, président
Madame Nathalie AUROY, conseiller
Madame Florence BRUGIDOU, conseiller appelé d'une autre Chambre pour compléter la Cour
Greffier :
lors des débats et du prononcé de l'arrêt : Madame Marie-France MEGNIEN
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Pascal CHAUVIN, président et par Madame Marie-France MEGNIEN, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*
* *
Par arrêt du 31 mars 2010, la cour d'appel de Paris (Pôle 3 - Chambre 1), statuant sur les difficultés nées du règlement de la succession de [H] [Y] et opposant Mme [B] [Y], sa fille née de son premier mariage, à Mme [O] [P], sa seconde épouse, a :
- dit n'y avoir lieu d'écarter des débats les conclusions déposées le 9 février 2010 par Mme [Y],
- dit n'y avoir lieu à révocation de l'ordonnance de clôture,
- infirmé un jugement rendu le 27 mars 2009 par le tribunal de grande instance d'Evry, sauf en ce qu'il avait ordonné l'ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de la succession, désigné un notaire et commis un juge, dit qu'il n'y a pas lieu de rapporter à la succession le bénéfice des contrats d'assurance-vie souscrits par le de cujus, donné acte à Mme [P] de ce qu'elle optait pour un quart en pleine propriété et trois quarts en usufruit, renvoyé les parties devant le notaire liquidateur,
- statuant à nouveau,
- dit que Mme [P] a recelé les sommes de 45 734,70 euros (300 000 francs), 94 259,22 euros (618 300 francs) et 12 159,94 euros (79 764 francs),
- condamné Mme [P] à restituer ces sommes à la succession de [H] [Y] et dit qu'elle sera privée de sa part dans celles-ci,
- condamné Mme [P] à payer à Mme [Y] une somme de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts et une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- rejeté toutes autres demandes,
- condamné Mme [P] aux dépens de première instance et d'appel,
- accordé à la Scp Bernabe Chardin Cheviller, avoué, le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.
Mme [P] a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt et Mme [Y] un pourvoi incident.
Par acte du 30 août 2010, Mme [Y] a formé un recours en révision contre cet arrêt en assignant Mme [P] et en dénonçant l'assignation à 'l'avocat général près la cour d'appel de Paris'.
Se fondant sur les dispositions de l'article 595 1° et 2° du code de procédure civile, elle demande à la cour de :
- réviser l'arrêt du 31 mars 2010 et, y ajoutant,
- condamner Mme [P] à payer à la succession la somme complémentaire de 45 134,71 euros (300 000 francs) au titre d'un contrat qu'elle a souscrit le 19 novembre 2001 et dissimulé, à hauteur de 300 000 francs, avec les deniers du de cujus et l'en déclarer receleur,
- juger qu'elle ne pourra prétendre à aucune part et portion sur ladite somme,
- juger que I'assurance décès souscrite par le de cujus au bénéfice de son épouse, à savoir :
* le 7 septembre 1999, moyennant une prime de 200 000 francs (contrat transformé en rente réversible dont Mme [P] a été bénéficiaire à hauteur de 80 787 francs),
* le 25 octobre 2001, moyennant une prime de 400 000 francs,
ont des primes manifestement exagérées eu égard aux facultés du de cujus (dont le revenu était de 380 euros par mois) et eu égard à son patrimoine résiduel compte tenu des transferts massifs réalisés, également au profit de son épouse par le biais de :
* remboursement du prêt pour l'achat par l'épouse d'une maison : 618 000 francs,
* travaux réalisés dans la maison de l'épouse : 79 734 francs,
* deux contrats d'assurances souscrites par l'épouse : 600 000 francs,
- juger que Mme [P] devra rapporter à la succession la somme complémentaire de 73 295,50 euros (480 787 euros) et qu'en ne révélant spontanément aucun des contrats d'assurance décès dont elle a été bénéficiaire, Mme [P] s'est rendue coupable de recel et qu'elle sera privée de tous droits sur les desdites sommes,
- condamner Mme [P] à verser la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts pour la fraude qu'elle a orchestrée et tenté, par artifices et mensonges, à dissimuler,
- condamner Mme [P] à verser la somme de 25 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens, avec bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.
Dans ses uniques conclusions déposées le 20 septembre 2010, Mme [P] demande à la cour de :
- juger irrecevable le recours en révision délivré plus de deux mois après le 31 août 2010 pour cause de tardiveté,
- déclarer irrecevable le recours en révision par application de l'article 595, dernier alinéa, du code de procédure civile, faute par Mme [Y] d'avoir saisi le conseiller de la mise en état d'un incident de communication de pièces détenues par elle et par un tiers,
- subsidiairement,
- débouter Mme [Y] de son recours en révision,
- en tout état de cause,
- condamner Mme [Y] à lui payer la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouter Mme [Y] de toutes ses demandes,
- condamner Mme [Y] aux dépens, avec bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.
Le ministère public, régulièrement assigné, n'a pas conclu.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 20 septembre 2011.
Le 26 septembre 2011, Mme [Y] a fait parvenir au président de la chambre, par l'intermédiaire de son avoué, une lettre de son avocat, par laquelle celui-ci, indiquant avoir été mis dans l'impossibilité de répliquer aux conclusions déposées le jour du prononcé de l'ordonnance de clôture par Mme [P], sollicite de plus fort le bénéfice de son recours en révision.
Dans des conclusions de procédure déposées le 27 septembre 2011, Mme [P] a demandé à la cour de révoquer l'ordonnance de clôture et de fixer une nouvelle date de plaidoiries et, subsidiairement, si la cour devait rejeter des débats ses conclusions, d'écarter des débats les pièces n° 42 à 46 communiquées le 10 juin 2011 par Mme [Y] et de constater que les pièces n° 1 à 41 n'ont pas été communiquées lors du recours en révision.
SUR CE, LA COUR,
- sur la procédure
Considérant que, en l'absence de cause grave au sens de l'article 784 du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de révoquer l'ordonnance de clôture ;
Considérant que la cour constate qu'elle n'a pas été saisie par Mme [Y] d'une demande tendant à voir écarter des débats les conclusions déposées le jour de l'ordonnance de clôture par Mme [P], la 'note' déposée le 26 septembre 2011 par [Y] ne valant pas conclusions et devant être déclarée irrecevable en application du texte précité ;
Qu'il y a donc lieu de statuer au vu de l'assignation de Mme [Y] et des conclusions de Mme [P] ;
- sur la recevabilité du recours en révision
Considérant qu'il résulte de l'article 595 du code de procédure civile que le recours en révision est ouvert s'il se révèle, après le jugement, que la décision a été surprise par la fraude de la partie au profit de laquelle elle a été rendue ou si, depuis le jugement, il a été recouvré des pièces décisives qui avaient été retenues par le fait d'une autre partie ; qu'il résulte du même texte que le recours n'est recevable que si son auteur n'a pu, sans faute de sa part, faire valoir la cause qu'il invoque avant que la décision ne soit passée en force de chose jugée ; qu'il résulte de l'article 596 du même code que le délai du recours en révision est de deux mois et court à compter du jour où la partie a eu connaissance de la cause de révision qu'elle invoque ;
Considérant en l'espèce que Mme [Y] fait valoir qu'alors que, lors de l'instance ayant donné lieu à l'arrêt du 31 mars 2010, Mme [P] a toujours nié l'existence d'un contrat d'assurance-vie souscrit le 25 octobre 2001 à hauteur de 300 000 francs, la société Swiss Life lui a appris, par lettre du 12 août 2011, que Mme [P] avait souscrit le 19 novembre 2001 un contrat d'assurance-vie à son nom en déposant un chèque d'un montant de 300 000 francs émis le 25 octobre 2001 et tiré du compte joint des époux [Y] ;
Considérant que Mme [P] ne peut venir prétendre sans mauvaise foi que Mme [Y] aurait dû faire valoir la cause de révision qu'elle invoque lors de la précédente instance en introduisant à cet effet un incident de communication de pièce détenue par une partie ou d'obtention de pièce détenue par un tiers ; qu'en effet, alors que Mme [P] a menti sur l'existence du contrat, le fait pour Mme [Y] de ne pas avoir soulevé un incident de procédure ne saurait être imputé à faute ;
Considérant que, si, dans ses conclusions du 9 février 2010, Mme [Y] supputait l'existence d'un tel contrat, elle n'avait cependant pu en établir la réalité, ce pourquoi elle avait été déboutée de sa demande à ce titre par l'arrêt du 31 mars 2010, et que c'est seulement par la lettre du 12 août 2011 qu'elle a eu la preuve de son existence ; que, par conséquent, le délai du recours en révision a couru à compter du 12 août 2011, date à laquelle elle a recouvré une pièce décisive qui avait été retenue par le fait de Mme [P] et également date à laquelle il s'est révélé que l'arrêt du 31 mars 2010 avait été, sur ce point, surpris par la fraude de Mme [P] ; que, dans ces conditions, Mme [P] ne saurait sérieusement prétendre que le délai du recours en révision a couru à compter du 9 février 2010, date à laquelle Mme [Y] a invoqué l'existence du contrat litigieux ; que le recours a été introduit le 30 août 2010, soit dans le délai de deux mois suivant le jour où Mme [Y] a eu connaissance des deux causes de révision qu'elle invoque ;
Considérant que, dès lors, le recours en révision est recevable ;
- sur le bien fondé du recours en révision
Considérant que Mme [P] ne conteste pas que les fonds ayant permis la souscription par elle du contrat d'assurance-vie litigieux étaient des fonds personnels de [H] [Y] ; qu'ayant toujours nié l'existence de ce contrat dont la réalité est désormais avérée, il est manifeste qu'elle n'a eu pour seul dessein que de rompre l'égalité du partage au détriment de sa belle-fille ; qu'en conséquence il y a lieu de la condamner à restituer à la succession de [H] [Y] la somme de 45 734,70 euros et, le recel successoral étant constitué, de dire qu'elle sera privée de sa part dans cette somme ;
- sur le contrat d'assurance-vie souscrit le 25 octobre 2001 par [H] [Y]
Considérant qu'il y a lieu de déterminer si le recel complémentaire retenu par le présent arrêt a une incidence sur l'appréciation que la cour a portée sur le contrat d'assurance-vie souscrit le 25 octobre 2001 auprès de la société Adg ;
Considérant qu'il résulte de l'article L. 132-13 du code des assurances que les règles du rapport à succession et celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers ne s'appliquent pas aux sommes versées par le contractant à titre de primes, à moins que celles-ci n'aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés ; qu'un tel caractère s'apprécie au moment du versement, au regard de l'âge, ainsi que des situations patrimoniale et familiale du souscripteur et de l'utilité du contrat pour celui-ci ;
Considérant qu'en l'espèce, au cours de son second mariage, entre 1999 et 2001, [H] [Y] a vendu différents biens immobiliers ; qu'il a ainsi perçu des sommes d'environ 511 000 francs (vente du 7 septembre 1999), 400 000 francs (vente du 29 février 2000), 740 000 francs (vente du 28 novembre 2000) et 955 000 francs (vente du 16 septembre 2001), soit au total une somme d'environ 2 600 000 francs ;
Considérant que [H] [Y] était âgé de 81 ans au moment de la souscription du contrat le 25 octobre 2001 ; que ses revenus mensuels s'élevaient à environ 2 500 francs ; que, le 7 septembre 1999, il avait souscrit un contrat d'épargne à hauteur de 200 000 francs ; qu'il avait procuré à Mme [P] deux sommes de 300 000 francs qui ont permis à celle-ci de souscrire, les 7 septembre 1999 et 9 novembre 2001, deux contrats d'assurance-vie auprès de la société Swiss Life (dont le contrat ayant généré le recours en révision) ; que, le 4 décembre 2000, il avait remboursé par anticipation, au moyen d'un chèque d'un montant de 618 300 francs, un emprunt souscrit par Mme [P] afin d'acquérir une maison ; qu'il avait financé des travaux dans la maison à hauteur de 79 764 francs ; que, le 23 octobre 2001, il avait consenti à son petit-fils une donation portant sur une somme de 100 000 francs ; que, le 25 octobre 2001, il avait souscrit un contrat d'assurance au profit de celui-ci à hauteur de 205 200 francs ; qu'il avait ainsi disposé d'une somme d'un peu plus de 1 800 000 francs ;
Considérant que, par conséquent, il lui restait une somme d'environ 800 000 francs au moment de la souscription d'un contrat dans lequel il a investi la somme de 400 000 francs, soit la moitié de son patrimoine existant ;
Considérant que, dans ces conditions, il n'apparaît pas que, au regard de l'âge, ainsi que des situations patrimoniale et familiale de [H] [Y] et de l'utilité du contrat pour celui-ci, la prime versée revêtait un caractère manifestement exagéré eu égard à ses facultés ;
Considérant, par ailleurs, que, dans son arrêt du 31 mars 2010, la cour a énoncé que le capital versé à Mme [P] au titre de la réversibilité de la rente mise en place le 1er mars 2000 s'est inscrit dans le cadre du contrat souscrit le 7 septembre 1999, de sorte que, le caractère manifestement exagéré des primes versées n'étant pas allégué, ce capital n'était pas soumis aux règles du rapport à succession et, par conséquent, la non-révélation de ce contrat par Mme [P] n'était pas susceptible de constituer un recel successoral, faute d'élément matériel ;
Que le recel complémentaire retenu par le présent arrêt au sujet d'un contrat souscrit le 9 novembre 2001 n'a aucune incidence sur l'appréciation que la cour a portée sur le contrat souscrit le 7 septembre 1999 et transformé le 1er mars 2000 ; que, dès lors, Mme [Y] n'est pas recevable à invoquer le caractère manifestement exagéré des primes de ce premier contrat, de sorte que l'ensemble des demandes qu'elles a formées à ce titre doivent être rejetées ;
- sur les dommages et intérêts
Considérant que, en niant devant la cour lors de la précédente instance l'existence du contrat qu'elle avait elle-même souscrit et en contraignant ainsi Mme [Y] à des recherches, Mme [P] a causé à Mme [Y] un préjudice moral et matériel qu'il y a lieu de réparer en lui allouant une somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
PAR CES MOTIFS :
Révisant l'arrêt du 31 mars 2010,
Dit n'y avoir lieu de révoquer l'ordonnance de clôture,
Déclare recevable le recours en révision formé par Mme [Y],
Dit que Mme [P] a recelé la somme de 45 734,70 euros (300 000 francs),
La condamne à restituer cette somme à la succession de [H] [Y] et dit qu'elle sera privée de sa part dans celle-ci,
Condamne Mme [P] à payer à Mme [Y] la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts,
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de Mme [P] et la condamne à verser à Mme [Y] la somme de 15 000 euros,
Rejette toute autre demande,
Accorde à l'avoué de Mme [Y] le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,