RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 3
ARRET DU 08 Novembre 2011
(n° , 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 09/09448
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 26 Janvier 2009 par le conseil de prud'hommes de BOBIGNY Commerce RG n° 07/03274
APPELANTE
SARL BOUCHERIE DES DEUX FRERES
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Isabelle GEUZIMIAN, avocat au barreau de PARIS, toque : D1677 substitué par Me Sandra ZEMMOUR KOSKAS, avocat au barreau de PARIS, toque : C1211
INTIME
Monsieur [V] [Y]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représenté par Me Christophe BAUMGARTEN, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, toque : 187 substitué par Me Emmanuel GAYAT, avocat au barreau de SEINE SAINT DENIS, toque : PB187
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 26 Septembre 2011, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Guy POILÂNE, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Elisabeth PANTHOU-RENARD, Présidente
Madame Michèle MARTINEZ, Conseillère
Monsieur Guy POILÂNE, Conseiller
Greffier : Véronique LAYEMAR, lors des débats
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
- signé par Madame Michèle MARTINEZ, conseillère ayant participé au délibéré par suite d'un empêchement de la présidente, et par Madame Christel DUPIN, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE :
[V] [Y] a été engagé par la société BOUCHERIE DES DEUX FRERES SARL, le 1er février 2006, en qualité d'ouvrier boucher, suivant un contrat dit 'nouvelle embauche' à temps partiel.
Par courrier recommandé du 12 septembre 2006, l'employeur l'informe, sans motivation, qu'il a décidé de mettre fin à la période de consolidation du CNE en cours.
Par courrier des 8 novembre et 20 décembre 2006, [V] [Y] va contester la légitimité de la rupture de son contrat de travail et rappeler ses réclamations salariales insatisfaites.
En l'absence de réponse de la société BOUCHERIE DES DEUX FRERES, il va saisir la juridiction prud'homale, le 13 septembre 2007, de diverses demandes.
Par jugement contradictoire en date du 26 janvier 2009, le conseil de prud'hommes de Bobigny a :
- requalifié le contrat nouvelle embauche en contrat à durée indéterminée,
- requalifié le temps partiel en temps plein,
- dit que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse,
- fixé la moyenne des salaire en brut à 1 218 €,
- condamné la société BOUCHERIE DES DEUX FRERES à payer à [V] [Y] les sommes suivantes :
* 542,77 € rappel de salaire janvier 2006,
* 54,27 € congés-payés afférents,
* 4 285,37 € rappel d'heures complémentaires,
* 428,53 € congés-payés afférents,
* 8 399,84 € heures supplémentaires janvier à octobre 2006,
* 839,98 € congés-payés afférents,
* 2 094,90 € repos compensateur,
* 209,49 € congés -payés afférents,
* 1 841,04 € repos compensateur ( dimanches ),
* 184,10 € congés-payés afférents,
* 542,77 € salaire de juin 2006 en deniers ou quittance,
* 311 € salaire de juillet 2006 en deniers ou quittance,
* 7 308 € indemnité pour travail dissimulé,
* 1 218 € dommages et intérêts pour rupture abusive,
* 1 000 € article 700 du code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire de la décision,
- débouté le demandeur pour le surplus.
Appel a été interjeté de cette décision par la société BOUCHERIE DES DEUX FRERES SARL, suivant déclaration faite à la cour le 5 novembre 2009.
Par des conclusions visées le 26 septembre 2011 puis soutenues oralement à l'audience, la société BOUCHERIE DES DEUX FRERES SARL demande à la cour, à titre principal, de constater qu'une plainte a été déposée entre les mains du procureur de la République de Bobigny à l'encontre de [V] [Y] et surseoir à statuer sur ses demandes ; à titre subsidiaire, de constater que [V] [Y] est forclos en son action, d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré, outre l'octroi de la somme de 1 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par des conclusions visées le 26 septembre 2006 puis soutenues oralement lors de l'audience, [V] [Y] demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a condamné la SARL BOUCHERIE DES DEUX FRERES à lui payer la somme de 1 218 € à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive et la somme de 7 308 € pour travail dissimulé , le réformer sur ces deux points et, statuant à nouveau, de condamner l'employeur à lui payer la somme de 20 000 € à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive et celle de 15 246,27 € pour travail dissimulé , outre la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS :
Sur l'exception de forclusion :
Il est constant que désormais, le contrat nouvelle embauche, abrogé par la loi du 25 juin 2008 après avoir été remis en cause antérieurement par le droit positif, est un contrat de travail à durée indéterminée soumis en tant que tel au droit commun du licenciement. Dès lors, le délai de douze mois pour saisir la juridiction prud'homale d'un éventuel abus de droit stipulé dans le contrat originaire entre les parties est sans portée . L'exception de forclusion soulevée par l'employeur est donc rejetée, la contestation de la rupture du contrat de travail à durée indéterminée échappant à cette courte prescription.
Sur la demande de sursis à statuer :
La société BOUCHERIE DES DEUX FRERES invoque sur ce point le fait qu'une plainte pénale a été déposée visant le caractère fallacieux d'attestations versées dans cette procédure par le salarié (pièce 10 appelante) pour asseoir une demande d'heures supplémentaires et complémentaires. Nonobstant le fait que ces attestations ont été retirées des débats par le salarié, la cour estime qu'ici la mise en mouvement de l'action publique n'impose pas la suspension de la présente action prud'homale et ce quand bien même , comme le soutient l'appelante, la décision à intervenir au pénal serait susceptible d'exercer, directement ou indirectement, une influence sur la solution de ce litige ( article 20 de la loi n° 2007-291 du 5 mars 2007). En conséquence, il va être procédé, après le premier juge, à l'examen des diverses demandes en analysant puis en qualifiant les faits dont cette juridiction est saisie au regard des éléments qui lui sont, au stade de cet appel, régulièrement soumis par les parties. La demande de sursis à statuer est, en conséquence, rejetée.
Sur la rupture du contrat de travail :
Le contrat de travail requalifié en contrat à durée indéterminée a été rompu en violation de toutes les règles légales d'ordre public applicables ( convocation à entretien préalable, lettre motivée de licenciement ). C'est donc à bon droit que le premier juge a décidé que le licenciement de [V] [Y] est sans cause réelle et sérieuse ; le jugement déféré est confirmé sur ce point.
Sur l'indemnisation du licenciement illégitime :
L'intimé forme appel incident à ce titre et sollicite que cette indemnisation soit portée à la somme de 20 000 €.
Au soutien de sa réclamation, [V] [Y] explique et justifie avoir été inscrit au chômage jusqu'à un refus d'octroi de l'allocation d'aide au retour à l'emploi le 13 octobre 2007 ; qu'il aurait une famille composée de quatre enfants à charge en septembre 2008 et une épouse qui perçoit le R.M.I. mais il ne précise pas quelle est sa situation d'emploi à ce jour. Le salarié était âgé de 49 ans au moment de la rupture après avoir été employé à temps partiel par la société BOUCHERIE DES DEUX FRERES pendant 9 mois et 10 jours . Il résulte de ces constations que le premier juge, en allouant à [V] [Y] la somme de 1 218 € (correspondant environ à deux mois de salaire), a justement apprécié le préjudice subi par le salarié au regard des dispositions de l'article L.1235-5 du code du travail.
Sur les demandes d'heures complémentaires, supplémentaires et de repos compensateurs, outre les congés-payés afférents :
Le contrat de travail conclu entre les parties le 1er février 2006 précise que la durée hebdomadaire de travail est de 20 heures, soit 86,66 heures mensuelles. Il s'agit donc d'un emploi à temps partiel défini par un écrit au sens de l'article L.3123-14 du code du travail. A cet égard, la cour relève que cette qualification est admise par le salarié qui réclame cependant et de manière paradoxale, à la fois des heures complémentaires et des heures supplémentaires, arguant du fait que le contrat est défaillant sur ce point en n'envisageant que l'hypothèse d'heures ' supplémentaires' effectuées à la demande de l'employeur 'selon les conditions légales et conventionnelles. C'est donc à tort que le premier juge a décidé qu'il s'agissait d'un contrat de travail à temps plein . Ceci étant, le régime de la preuve est identique tant en ce qui concerne les heures complémentaires que les heures supplémentaires sollicitées.
En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié d'étayer sa demande par la production d'éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l'employeur de répondre en fournissant les éléments de la détermination de l'horaire de travail dont le texte applicable lui demande de justifier.
Ici, la société BOUCHERIE DES DEUX FRERES maintient la référence contractuelle de 20 heures hebdomadaires et rejette la totalité du relevé dactylographié produit par le salarié, sur une seule feuille, sous forme de tableau de toute la période de travail sur la base systématique de 56,5 heures hebdomadaires, sauf du 18 juillet au 22 août 2006, avec le calcul par colonne puis totalisé de toutes les sommes restant dues selon lui ( pièce 13 intimé ), y compris le repos compensateur et la majoration des dimanches. [V] [Y] affirme avoir réclamé ces sommes à son employeur alors que force est de constater que les seules lettres qu'il lui a adressées, après la rupture, les 8 novembre 2006 et 20 décembre 2006, réclament le paiement de salaire pour janvier, juillet , septembre et octobre ; seule la dernière lettre citée, évoque une réclamation d'heures supplémentaires en mentionne, entre parenthèses : ' je travaillais environ 66 heures par semaine'. A ce stade, il convient de relever que l'employeur a répondu à ces lettres le 29 novembre 2006 (seuls éléments véritables à l'appui de la demande en l'absence des attestations retenues par le premier juge) en indiquant que l'intimé a été régulièrement rémunéré et qu'il rejette sa demande de salaire dont la tardiveté le surprenait alors qu'il avait bénéficié d'un préavis payé non travaillé. La cour considère que les éléments sur lesquels [V] [Y] fonde sa demande d'heures complémentaires et supplémentaires , soit à travers un tableau fixant des horaires immuables pour chaque mois de travail avec un calcul manifestement consécutif à l'usage d'un logiciel adapté, correspondent non pas à un système probatoire propre à déterminer le travail effectivement accompli ( agenda, notes au jour le jour, témoignages etc.. ) mais à la formalisation d'une réclamation de salaire constituant une simple prétention non étayée, contraire aux exigences des dispositions de l'article L.3171-4 du code du travail. C'est donc à tort que le premier juge, en se fondant notamment sinon exclusivement sur deux témoignages retirés des débats en cause d'appel, a fait droit aux demandes du salarié pour des heures complémentaires, supplémentaires et des congés-payés afférents pour toute la durée du contrat de travail, le jugement étant réformé sur ce point et [V] [Y] débouté de sa réclamation à ce titre.
Sur le rappel de salaire pour les mois de janvier, juin et juillet 2006 et les congés-payés afférents :
Le jugement déféré doit être confirmé à ce titre. En effet, il appartient à l'employeur de rapporter la preuve de ce qu'il s'est bien acquitté de son obligation de payer au salarié, effectivement, le salaire figurant sur les bulletins de paie correspondant aux mois de janvier, juin et juillet 2006. Le salaire de janvier 2006 aurait été payé en espèces ce qui rend impossible pour l'employeur de justifier de son paiement effectif ; la condamnation au paiement à ce titre est confirmée. Les salaires de juin et juillet 2006 auraient été payés par des chèques dont l'un correspondrait à un débit sur le compte de l'employeur qui verse un relevé bancaire inexploitable et l'autre aurait été réglé par un chèque introuvable ; la condamnation au paiement de ces deux derniers salaires en deniers ou quittance est confirmée.
Sur le travail dissimulé :
Les réclamations de [V] [Y] pour tout ce qui concerne les heures supplémentaires et les heures complémentaires ayant été rejetées, il ne peut être retenu que l'employeur aurait intentionnellement mentionné sur les bulletins de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celles réellement effectués au sens de l'article L. 8221-5 du code du travail. Dès lors, l'appel incident à ce titre de [V] [Y] est rejeté, la décision déférée devant être réformée sur ce point et la demande d'indemnité pour travail dissimulé rejetée.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions sauf en ce qu'elle a requalifié le contrat de travail à temps partiel en temps plein, condamné la société BOUCHERIE DES DEUX FRERES à payer à [V] [Y] les sommes de 4 285,35 € au titre d'un rappel d'heures complémentaires outre 428,53 € de congés-payés afférents, 8399,84 € au titre d'heures supplémentaires de janvier à octobre 2006 outre 839,98 € de congés-payés afférents, 2 094,90 € au titre du repos compensateur outre 209,49 € de congés-payés afférents, 1 841,04 € au titre du repos compensateur (dimanches) outre 184,10 € de congés-payés afférents outre l'octroi d'une indemnité pour travail dissimulé d'un montant de 7 308€ et statuant à nouveau sur ces points ,
Réforme la décision entreprise sur l'ensemble de ces points et statuant à nouveau :
Déboute [V] [Y] de ses demandes au titre de la reconnaissance de l'existence d'un contrat de travail à temps plein ainsi qu'au titre du paiement par l'employeur des heures complémentaires, supplémentaires, des congés-payés afférents, du repos compensateur sur celles-ci et du repos compensateur pour les dimanches et d'une indemnité pour travail dissimulé telles qu'elles figurent au premier paragraphe de ce dispositif,
Y ajoutant :
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société BOUCHERIE DES DEUX FRERES SARL à payer à [V] [Y] la somme de 1 000 €,
Laisse les dépens à la charge de la société BOUCHERIE DES DEUX FRERES.
LA GREFFIÈRE POUR LA PRÉSIDENTE EMPÊCHÉE