RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 5
ARRÊT DU 12 Janvier 2012
(n° 6 , 4 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 10/03597
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 22 Février 2010 par le conseil de prud'hommes de PARIS - Section ENCADREMENT - RG n° 08/08937
APPELANTE
SA ST DUPONT
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Franck BLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : K 0168
substitué par Me Sébastien LEROY, avocat au barreau de PARIS, toque : K 0168
INTIME
Monsieur [G] [E]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
comparant en personne
assisté de Me Frédéric NAQUET, avocat au barreau de PARIS, toque : B0386
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 22 Novembre 2011, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Anne DESMURE, Conseillère, chargée d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Françoise FROMENT, président
Mme Marthe-Elisabeth OPPELT-REVENEAU, conseiller
Mme Anne DESMURE, conseiller
Greffier : Madame Violaine GAILLOU, lors des débats
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé, pour le président empêché, par Madame Anne DESMURE, Conseillère, et par Mme Violaine GAILLOU, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
M. [E] est entré le 1er août 1983 en qualité d'employé de bureau au service de la société ST Dupont qui a pour activité la fabrication et la commercialisation d'articles de luxe (maroquinerie, stylos et briquets).
En 1988, M. [E] a été promu VRP exclusif.
Sa rémunération était composée d'un fixe et d'une prime d'objectifs.
M. [E] a été en arrêt maladie à compter du 25 février 2008.
Le 18 juin suivant, l'employeur a engagé la procédure de licenciement puis a licencié M. [E] par lettre du 30 juin 2008 en raison de son absence prolongée perturbant le fonctionnement de l'entreprise et rendant nécessaire son remplacement.
Soutenant que la maladie dont il souffrait procédait du harcèlement moral de l'employeur, M. [E] a, le 10 juillet 2008, saisi le conseil de prud'hommes de Paris en paiement d'une indemnité de 124 008 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Par jugement du 22 février 2010, le conseil de prud'hommes a condamné la SA ST Dupont à verser à M. [E] les sommes suivantes :
- 1 882,31 euros de rappel de salaires au titre du 13ème mois et 188 euros de congés payés afférents,
- 3 105,50 euros de rappel de salaires,
- 1 722,22 euros de dommages-intérêts pour déclaration tardive à l'organisme de prévoyance,
- 62 004 euros à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Régulièrement appelante, la SA ST Dupont demande à la cour d'infirmer ce jugement et, statuant à nouveau, de débouter M. [E] de ses prétentions et le condamner au paiement d'une indemnité de 2 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.
Intimé et appelant incident, M. [E] requiert la cour de confirmer le jugement si ce n'est en son évaluation de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, de l'infirmer de ce chef et, statuant à nouveau, de condamner la société ST Dupont à lui verser à ce titre la somme de 144 704 euros, outre une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour un complet exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère expressément aux écritures que les parties ont déposées et développées oralement à l'audience du 22 novembre 2011.
MOTIFS
Considérant qu'il résulte des écritures et des développements des parties à la barre que le débat en cause d'appel est circonscrit à la condamnation de la SA ST Dupont pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Considérant, à cet égard, que M. [E] soutient que la dégradation de son état de santé a eu pour cause le harcèlement moral de M. [N], directeur commercial de la SA ST Dupont, dont les agissements étaient couverts par la société, de sorte que son licenciement, fondé sur la perturbation occasionnée à l'employeur du fait de son absence prolongée pour maladie et la nécessité de le remplacer, est sans cause réelle et sérieuse ;
Que la société ST Dupont le conteste et fait en substance valoir que M. [E] n'apporte aucun élément probant permettant de présumer l'existence d'un harcèlement moral ;
Mais considérant que les pièces produites établissent, après une relation contractuelle qui n'a été émaillée d'aucun incident pendant plus de 24 ans :
- que l'employeur a subitement, par lettre recommandée du 30 novembre 2007, infligé à M. [E] un rappel à l'ordre au motif que deux clients avaient refusé d'accueillir une étudiante en décembre dans le cadre de l'opération 'aide à la revente'; que, s'étant gardé de solliciter au préalable la moindre explication de son salarié, l'employeur a imputé ce refus à 'des négligences graves vis à vis de vos obligations professionnelles' et menacé M. [E], 'si de tels faits de négligence ou de manquements aux directives venaient à se reproduire' de 'sanctions beaucoup plus graves';
- que la correspondance datée du 11 décembre 2007 par laquelle M. [E] a répondu qu'il avait 'bien expliqué à ces clients la politique de l'aide à la revente ' et que 'malheureusement certains d'entre eux changent d'avis', puis rappelé que 'sur la France, je suis à ce jour le premier en réalisation sur l'objectif à fin mars 2008, à fin décembre 2007 et sur le C4" et qu'il avait 'toujours été vraiment impliqué dans la réussite du plan ST Dupont' n'a appelé aucune réponse de l'employeur ;
- que dés après, soit par mail du 4 janvier 2008 à 22h01, [B] [F], chef des ventes France et Bénélux, adressait à M. [E] une correspondance de [S] [N], directeur commercial, que ce dernier n'avait déjà pas manqué de lui adresser en copie, réclamant des explications sur ses comptes-rendus d'activité des 2 et 3 janvier, mettant en cause la qualité de son travail, tels 'une visite client...ou les commentaires laissent sans voix' ou encore la qualification de 'catastrophiques' du chiffre d'affaires du salarié, et s'achevant en ces termes : 'Il me semble urgent que B. [E] redresse la barre'; que M. [E] a répondu et expliqué l'activité déployée les 2 et 3 janvier ;
- que par mail du 13 février 2008, M. [E] se voyait rappeler 'une dernière fois le principe et le cadre' dans lequel les comptes-rendus de visite devaient être faits, par un courrier électronique d'[B] [F] selon laquelle un compte-rendu devait être 'l'expression de la politique de développement de ton secteur', ou encore 'refléter le dynamisme que tu souhaites insuffler à ton secteur, tes prises de position et le caractère proactif de ta mission' et 'donc être très qualitatif tant au plan de la forme que du fond';
- que, deux jours plus tard, le 15 février 2008, il lui était infligé un 2ème rappel à l'ordre pour 'manquement à vos obligations' pris de ce que 'vos responsables ne sont pas informés de manière précise et détaillée de votre activité quotidienne', alors que 'vous avez été informé par mail de votre direction du manque de qualité, de précision et de rigueur dans la rédaction et le contenu de vos comptes rendus de visite et d'opération'; que par une seconde lettre recommandée datée du même jour, la SA ST Dupont lui 'confirmait' les modifications relatives à votre zone géographique', 'les nouveaux montants de remboursements de frais' et les modifications concernant le travail administratif ;
- que M [E] a été en arrêt de travail pour maladie à compter du 25 février 2008 ; que le Dr [Z], psychiatre, certifie le 15 avril 2009 que M. [E] lui a été adressé par son médecin traitant 'pour un état anxio-dépressif réactionnel à des difficultés d'ordre professionnel' et qu'il 'présentait de fait lors de notre premier entretien une angoisse majeure..', que 'le traitement antidépressif et nos entretiens auraient permis une tentative de reprise de son activité professionnelle à mi-temps thérapeutique, mais, précédant ma demande, l'administration de ST Dupont informait mon patient de la mise en oeuvre d'une procédure de licenciement', et que 'le tableau clinique a alors rapidement évolué très défavorablement vers un état dépressif s'exprimant par ....';
Considérant que, joints au compte-rendu d'une réunion commerciale, diffusé à l'ensemble des commerciaux dans lequel l'employeur qualifie de 'mauvais' les résultats de M. [E], la matérialité de faits caractérisant des agissements visant à discréditer M. [E] dans son travail (e-mail de [S] [N] du 4 janvier 2008), à l'empêcher tant de se défendre que de satisfaire l'employeur (e-mail d'[B] [F] du 13 février 2008), à le déconsidérer auprès de ses collègues (compte-rendu de réunion commerciale diffusé dans l'entreprise), et ayant conduit à compromettre sa santé, est parfaitement établie ;
Et considérant, alors que la société ST Dupont n'apporte aucune justification au comportement adopté à l'égard de son salarié, que M. [E] verse au débat un arrêt rendu le 24 février 2010 par la chambre 6-1 de cette cour d'appel qui, saisie du recours exercé par la société ST Dupont dans un litige l'opposant à un autre VRP exclusif à la suite de la rupture de la relation contractuelle, a dit que la société ST Dupont s'était rendue coupable de faits de harcèlement et d'une exécution déloyale du contrat de travail ; qu'également, dans une lettre adressée le 16 mai 2008 à M. [E], M. [U] écrit notamment: 'de tous les commerciaux, il ne reste plus que toi actuellement. .......Pour ma part, j'ai aussi pris des médicaments décontractants pour aider à m'endormir.....j'ai fui sans attaquer ST Dupont ...malgré ce harcèlement et cette déstabilisation permanente ...'; que c'est enfin sans être contredit que M. [E] indique que la SA ST Dupont a à ce jour remplacé l'ensemble de ses anciens commerciaux par de jeunes collaborateurs engagés à moindre coût en qualité d'attachés commerciaux ;
Considérant que du tout, il résulte que la maladie de M. [E] à l'origine de ses arrêts de travail, a eu pour cause les agissements de harcèlement moral de la société ST Dupont ; que partant le licenciement fondé sur l'état de santé de ce salarié est sans cause réelle et sérieuse ; que le jugement sera ici confirmé ;
Considérant qu'eu égard à son ancienneté dans l'entreprise, à l'âge qui était le sien lors de la rupture (45 ans), au fait qu'il indique qu'il n'a pas retrouvé d'emploi et justifie que, non indemnisé par Pôle Emploi il restait demandeur d'emploi à la date du 4 février 2011, à la gravité de son préjudice moral, le préjudice résultant pour M. [E] du licenciement sans cause réelle et sérieuse sera indemnisé par l'allocation de la somme de 144 000 euros ; que cette somme sera augmentée de l'intérêt légal à compter du 22 février 2010 sur la somme de 62 004 euros, et à compter de ce jour pour le surplus de la condamnation ; que le jugement sera donc infirmé en son évaluation de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Considérant que la SA ST Dupont devra rembourser aux organismes concernés, parties au litige par l'effet de la loi, les indemnités de chômage qu'ils ont versées à M. [E] dans la limite de six mois ;
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement entrepris, si ce n'est en son évaluation de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,
L'infirmant de ce chef et statuant à nouveau :
Condamne la SA ST Dupont à payer à M. [E] la somme de 144 000 euros de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, sur le fondement de l'article L.1235-3 du code du travail,
Dit que cette somme portera intérêt au taux légal à compter du 22 février 2010 sur la somme de 62 004 euros, et à compter de ce jour sur celle de 81 996 euros,
Condamne la SA ST Dupont à rembourser aux organismes concernés les indemnités de chômage qu'ils ont versées à M. [E] dans la limite de six mois,
Vu l'article 700 du code de procédure civile:
Condamne la SA ST Dupont à verser à M. [E] la somme de 2 000 euros en indemnisation de ses frais irrépétibles en cause d'appel, et la déboute de sa prétention sur ce même fondement juridique,
Condamne la SA ST Dupont aux dépens d'appel.
LE GREFFIER POUR LE PRÉSIDENT EMPÊCHÉ