RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 9
ARRÊT DU 18 Janvier 2012
(no 3 , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 09/09223
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 08 Octobre 2009 par le conseil de prud'hommes de PARIS - section encadrement - RG no 08/12087
APPELANT
Monsieur Slaheddine X...
...
75011 PARIS
représenté par Me Isabelle CLAVERIE-DREYFUSS, avocate au barreau de PARIS, C 1881
INTIMÉE
S.A. UNION TUNISIENNE DES BANQUES (UTB)
19, Rue des Pyramides
75001 PARIS
représentée par Me Yamina BELAJOUZA, avocate au barreau de PARIS, A 708
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 09 Novembre 2011, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Christine ROSTAND, Présidente
Monsieur Benoît HOLLEAUX, Conseiller
Madame Monique MAUMUS, Conseillère
qui en ont délibéré
GREFFIÈRE : Madame Corinne de SAINTE MARÉVILLE, lors des débats
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Christine ROSTAND, Présidente et par Monsieur Philippe ZIMERIS, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Vu le jugement du Conseil de prud'hommes de Paris du 8 octobre 2009 ayant :
- condamné la S.A. UNION TUNISIENNE DES BANQUES (UTB) à régler à Mr Slaheddine X... la somme de 28.872 euros d'indemnité compensatrice de préavis et 2.800 euros de congés payés afférents avec intérêts au taux légal partant du 16 octobre 2008 ;
- condamné la S.A. UTB à verser à Mr Slaheddine X... la somme de 300 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouté Mr Z... de ses autres demandes ;
- condamné la S.A. UTB aux dépens.
Vu la déclaration d'appel de Mr Slaheddine X... reçue au greffe de la Cour le 28 octobre 2008 .
Vu les écritures régulièrement communiquées et oralement soutenues à l'audience du 9 novembre 2011 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens de Mr Slaheddine X... qui demande à la Cour,
-A titre principal,
•de juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
•d'ordonner en conséquence sa réintégration avec le bénéfice des avantages acquis ;
•à défaut de réintégration, de condamner la société TUNISIAN FOREIGN BANK, anciennement UNION TUNISIENNE DES BANQUES, à lui régler les sommes suivantes :
191.073 euros d'indemnité conventionnelle de licenciement et subsidiairement 74.728 euros d'indemnité légale de licenciement avec intérêts au taux légal capitalisables partant de la saisine du Conseil de prud'hommes, 317.460 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement injustifié, 28.860 euros d'indemnité compensatrice de préavis et 2.886 euros d'incidence congés payés.
-Subsidiairement, si la faute grave est écartée,
•de condamner la société TUNISIAN FOREIGN BANK à lui verser les sommes précitées au titre des indemnités de rupture (de préavis et de licenciement) avec intérêts au taux légal capitalisables à compter de la saisine du juge prud'homal.
-En toute hypothèse,
•d'ordonner la remise par la société TUNISIAN FOREIGN BANK d'une attestation ASSEDIC, d'un reçu pour solde de tout compte ainsi que d'un bulletin de paie conformes à l'arrêt à intervenir sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;
•d'ordonner la publication de la décision à intervenir dans deux publications professionnelles aux frais de la société TUNISIAN FOREIGN BANK ainsi que son affichage dans les locaux de l'entreprise sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;
•de condamner la société TUNISIAN FOREIGN BANK à lui payer la somme de 6.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu les écritures régulièrement communiquées et oralement soutenues à l'audience du 9 novembre 2011 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens de la S.A. UNION TUNISIENNE DES BANQUES, devenue TUNISIAN FOREIGN BANK, qui demande à la Cour :
-A titre principal, de juger que le licenciement pour faute grave de Mr Slaheddine X... repose sur une cause réelle et sérieuse, en conséquence, le débouter de l'ensemble de ses demandes .
-Subsidiairement, si la faute grave est écartée, de constater qu'elle a déjà réglé à Mr Slaheddine X... La somme de 26.258,72 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis avec l'incidence congés payés.
-En toute hypothèse, de le condamner à lui verser la somme de 6.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA COUR :
Mr Slaheddine X... a été recruté en contrat de travail à durée indéterminée par la S.A. UNION TUNISIENNE DES BANQUES (UTB) ,devenue la société TUNISIAN FOREIGN BANK, courant septembre 1981 en qualité de Directeur d'agence, avant d'accéder en juin 2006 au poste de Directeur central «classification hors classe».
Dans le dernier état de la relation contractuelle de travail, Mr Slaheddine X... percevait un salaire de 9.624,10 euros bruts mensuels.
Par lettre datée du 5 août 2008, la S.A. UTB a convoqué Mr Slaheddine X... à un entretien préalable prévu le 19 août sans mise à pied conservatoire, avant de lui notifier le 18 septembre 2008 son licenciement pour faute grave en raison de ses agissements début juin 2008 «contraires aux règles et procédures internes de la banque, commis dans le cadre du dépôt de (sa) demande de prêt immobilier et de nature à porter gravement préjudice à (l') établissement» .
Ces agissements se rapportent, selon l'employeur, aux faits suivants : «une demande de crédit …a été déposée le 26 mai 2008, pour un montant de 120.000 euros, remboursable sur 12 ans, destinée à financer l'acquisition d'un bien immobilier à Hammamet (Tunisie) pour un montant de 300.000 Dinars tunisiens (équivalent à 190.000 euros), et ce, sans aucune sureté destinée à garantir le montant de l'emprunt. Six jours après le dépôt de votre demande, soit le 2 juin 2008, et avant même la tenue du Comité de crédit restreint devant statuer sur cette demande, selon nos règles internes , vous avez remis à Monsieur A..., Directeur d'exploitation, un ordre de virement, établi sur le papier à en-tête de la banque UTB, signé par vous-même, pour un montant de 150.000 Dinars tunisiens (soit 90.000 euros). Vous saviez alors parfaitement que votre dossier était encore à l'étude.Vous avez néanmoins exercé des pressions à l'encontre du Directeur d'exploitation, placé en position de subordination vis-à-vis de vous, afin qu'il procède au transfert des fonds en faveur de l'agence immobilière en Tunisie sans attendre la décision du Comité de crédit, pourtant seul habilité à vérifier les conditions d'octroi des prêts et les garanties consenties et à se prononcer favorablement ou non sur le financement sollicité … De tels agissements traduisent non seulement un abus de pouvoir, mais auraient également pu conduire l'un de nos salariés à violer les procédures internes de la banque et à commettre lui-même une faute, s'il n'avait pas refusé d'obtempérer …».
Mr Slaheddine X... oppose tout d'abord la prescription tirée de l'article L.1332-4 du code du travail, considérant que l'employeur avait une parfaite connaissance des faits incriminés au plus tard le 5 juin 2008, date à laquelle s'est réuni le Comité de crédit, soit plus de 2 mois avant que ne soit engagée à son encontre la procédure de licenciement pour motif disciplinaire – convocation par lettre datée du 5 août 2008 «et dont la notification est forcément postérieure» à un entretien préalable s'étant tenu le 19 août 2008 .
En outre, il fait observer que l'employeur a attendu un mois pour lui notifier son licenciement à l'issue de cet entretien préalable, par lettre du 18 septembre 2008 notifiée le 20 septembre suivant.
En réponse, la société TUNISIAN FOREIGN BANK indique que son Président Directeur Général, Mr B..., n'a eu réellement connaissance des faits fautifs que le 9 juin 2008, après que le Directeur d'exploitation, Mr A..., ait attiré son attention sur les agissements et manœuvres de Mr Slaheddine X..., ce qui a conduit valablement à sa convocation par lettre du 5 août 2008 à un entretien préalable prévu le 19 août et à la notification de son licenciement pour faute grave par lettre du 18 septembre suivant.
La société TUNISIAN FOREIGN BANK produit aux débats (sa pièce 18) une correspondance de Mr A... datée du 16 juin 2008 qu'il a adressée à Mr B... («Objet : Réponse à votre courrier du 10 juin 2008»), et dans laquelle il relate les agissements de Mr Slaheddine X... pour obtenir les fonds nécessaires à son projet d'investissement immobilier en Tunisie («compte tenu des éléments ci-dessus et devant la persistance de Monsieur X... à m'indiquer votre accord pour la mise en place du crédit sans recueillir l'hypothèque et votre exigence du respect de la procédure habituelle, j'ai tenu à associer l'agence de Tunis, qui intervient habituellement dans la mise en place des crédits immobiliers en Tunisie … »).
La mention expresse de l'objet de cette lettre, en réponse à une demande d'explication de Mr B... formulée par écrit le 10 juin 2008, permet de considérer, comme cela est mentionné dans la lettre de licenciement, que l'employeur n'a eu une réelle connaissance des faits en cause que le 9 juin 2008, et non pas «au plus tard le 5 juin 2008», date à laquelle s'est réuni le Comité de crédit, contrairement à ce que soutient Mr Slaheddine X....
Il s'en déduit que la lettre de convocation à l'entretien préalable, datée du 5 août 2008 et expédiée le jour même, respecte le délai légal de 2 mois - article L.1332-4 du code du travail - qui n'a commencé à courir qu'à compter du 9 juin 2008.
La procédure disciplinaire a tout autant été suivie par la notification à Mr Slaheddine X... de la lettre de licenciement le 18 septembre 2008 - date d'envoi -, dans le respect du délai d'un mois ayant couru à compter de l'entretien préalable - le 19 août 2008 - conformément aux dispositions de l'article L.1332-2, dernier alinéa, du code du travail.
Il ne peut en conséquence être opposé aucune prescription légale contrairement à ce que prétend Mr Slaheddine X....
Nonobstant l'argumentaire développé par Mr Slaheddine X... qui conteste le bien fondé de la rupture de son contrat de travail, il convient de rappeler que :
•la procédure disciplinaire conduisant à un licenciement pour faute grave ne suppose pas obligatoirement le placement du salarié en mise à pied conservatoire qui reste une mesure soumise à l'appréciation souveraine de l'employeur dans la conduite des opérations ;
•si la faute grave retenue par l'employeur requiert de la part de celui-ci une réaction rapide ou immédiate, il est admis que l'on doit lui laisser le temps strictement nécessaire pour se déterminer dès lors que les faits en cause nécessitent certaines vérifications internes.
Mr Slaheddine X... ne peut donc, au plan des principes, tirer argument de ce que sa convocation à l'entretien préalable n'était pas assortie d'une mise à pied conservatoire pour la durée de la procédure disciplinaire.
Comme l'employeur en justifie par les pièces qu'il verse aux débats (numéros 19/17/18/16), la notification du licenciement pour faute grave intervenue le 18 septembre 2008 a été précédée de différentes étapes renvoyant à un processus interne auquel il convenait de se conformer pour s'assurer, sans risque d'erreur ou de dénaturation, de l'exactitude des agissements reprochés à l'appelant, processus s'étant ainsi déroulé :
•réunion du Comité de crédit le 5 juin 2008 pour se prononcer sur la demande de prêt immobilier de Mr Slaheddine X... ;
•première relation des faits par le Directeur central de l'agence de Tunis (Mr C...) dans une correspondance du 11 juin 2008 ;
•deuxième relation des faits par le Directeur d'exploitation (Mr A...) dans un courrier du 16 juin 2008 à la demande du Président Directeur Général (Mr B...) ;
•dépôt du rapport du service du Contrôle Interne le 11 juillet 2008 (Mr D...).
La procédure disciplinaire ayant été engagée dans pareil contexte courant août 2008 avant d'aboutir le mois suivant au licenciement pour faute grave de Mr Slaheddine X..., il ne peut donc pas être reproché à l'employeur une réaction tardive.
Sur le fond, au regard des éléments fournis par les parties, il ressort que Mr Slaheddine X... établissait le 26 mai 2008 une demande manuscrite de prêt immobilier à hauteur de la somme de 120.000 euros sans la constitution d'une sûreté réelle, comme une hypothèque, sur le bien qu'il envisageait d'acquérir en Tunisie, ce qui était confirmé par le projet de promesse de vente avec l'agence immobilière d'Hammamet (S.A. GEN MED TOURS), que le 2 juin 2008 il préparait un ordre de virement à l'en-tête «UTB» de 150.000 dinars pour le compte de la société précitée qu'il remettait ensuite au Directeur d'exploitation (Mr A...) qui, dans son courrier susvisé du 16 juin 2008, dénonçait les pressions exercées sur sa personne par l'appelant afin qu'il procédât au transfert des fonds avant même la réunion du Comité de crédit programmée le 5 juin 2008 en violation des procédures internes, et que ledit Comité décidait à cette même date de ne pas faire droit à la demande de l'appelant (motif :«le montage et la mise en place de ce crédit doivent s'effectuer selon les règles et procédures arrêtées par la banque en matière de crédit immobilier pour la Tunisie et notamment en ce qui concerne les garanties d'usage»).
L'empressement de Mr Slaheddine X... auprès du Directeur d'exploitation avait pour finalité d'accélérer l'exécution de cet ordre de virement préparé par ses soins, sans attendre la décision du Comité de crédit - décision négative -, et dans le plus complet irrespect des procédures internes prévoyant la constitution d'une garantie au profit de la banque en tant qu'organisme prêteur, ce qui a été rappelé dans le courrier du Directeur d'exploitation (pièce 18 de l'intimée), dans la lettre du Directeur central de l'agence de Tunis (pièce 17) ou encore dans le rapport du Département du Contrôle Interne (pièce 16 / page 4 : «Il est à noter que les prêts non garantis par une sûreté réelle sont limités en termes de montant et de maturité. La demande de Mr X..., en raison de son objet et de son montant important, ne peut être incluse sous le régime de cette facilité. Si elle était retenue, elle contreviendrait à la procédure de crédit aux salariés de l'UTB»).
Il s'en déduit ainsi de la part de Mr Slaheddine X... un «abus de pouvoir», comme justement énoncé dans la lettre de licenciement, ce dernier ayant usé de son positionnement au sein de la hiérarchie pour essayer d'obtenir un avantage indu en tentant à plusieurs reprises des pressions sur le Directeur d'exploitation placé sous son autorité.
Cela est bien constitutif d'une faute grave rendant impossible en toute sérénité la poursuite de la relation contractuelle de travail entre les parties, et ayant nécessité le départ de Mr Slaheddine X... de l'entreprise à bref délai.
Mr Slaheddine X... sera en conséquence débouté de l'ensemble de ses demandes indemnitaires, et le jugement infirmé.
Mr Slaheddine X... sera condamné en équité à payer à l'intimée la somme de 4.500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, débouté de da demande du même chef , et condamné aux entiers dépens tant de première instance qu'en appel.
PAR CES MOTIFS :
La Cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire et mis à disposition au greffe.
Infirme le jugement entrepris.
Statuant à nouveau :
•Dit et juge que repose sur une cause réelle et sérieuse le licenciement pour faute grave de Mr Slaheddine X....
•En conséquence, déboute Mr Slaheddine X... de toutes ses demandes.
Y ajoutant :
•Condamne Mr Slaheddine X... à payer à la S.A. UNION TUNISIENNE DES BANQUES , devenue TUNISIAN FOREIGN BANK, la somme de 4.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
•Déboute Mr Slaheddine X... de sa demande présentée sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne Mr Slaheddine X... aux entiers dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE