COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 1
ARRET DU 24 JANVIER 2012
(no 19 , 4 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 10/11429
Décision déférée à la Cour : jugement du 6 avril 2010 -Tribunal de Grande Instance de BOBIGNY - RG no 06/07088
APPELANTE
Madame Virginie X... exerçant commerce sous l'enseigne Virginie X......75016 PARISreprésentée par la SCP NARRAT PEYTAVI (avoués à la Cour)assistée de Me Laurent MAYER (avocat au barreau de PARIS)toque : B 1103
INTIMÉE
VILLE DU BOURGET agissant poursuites et diligences en la personne de son Maire en exerciceHôtel de Ville65 avenue de la Division Leclerc93351 LE BOURGETreprésentée par Me Luc COUTURIER (avoué à la Cour)assistée de Me Violaine EURIAT, avocat au barreau de PARIS, toque : R 116SELARL GOUTAL ALIBERT et Associés
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 29 novembre 2011, en audience publique, le rapport entendu conformément à l'article 785 du code de procédure civile, devant la Cour composée de :
Monsieur François GRANDPIERRE, Président de chambreMadame Brigitte HORBETTE, Conseiller Madame Dominique GUEGUEN, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Mme Noëlle KLEIN
ARRET :
- contradictoire- rendu publiquement par Monsieur François GRANDPIERRE, Président de chambre- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.- signé par Monsieur François GRANDPIERRE, Président et par Madame Noëlle KLEIN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Cour,
Considérant que, par contrat du 7 novembre 1957, la ville du Bourget a confié à M. Antonin X... la fourniture, l'entretien du matériel et l'exploitation des marchés communaux d'approvisionnement ; qu'elle a renouvelé avec lui cette convention le 28 octobre 1983 aux termes d'un nouveau traité dont les articles 4 et 5 stipulent que « la concession est consentie pour une durée de vingt-et-une années, qui commencera à courir à partir de la constatation par la Ville de l'achèvement des travaux » ; que « la concession se renouvellera par tacite reconduction, par périodes successives de cinq années » ; que « il pourra y être mis fin par l'une ou l'autre partie, à charge par elle d'en aviser l'autre par lettre recommandée avec accusé de réception une année au moins avant l'expiration de la première période de vingt-et-un ans, ou de chacune des périodes quinquennales ultérieures » ;Que, par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 19 octobre 2005, la ville du Bourget a fait connaître à Mme Virginie X..., venue aux droits de M. Antonin X..., qu'elle avait décidé de ne pas procéder au renouvellement du traité de concession, cette décision prenant effet dans le délai d'un an à compter de sa notification ;Que, réclamant réparation du préjudice consécutif à la résiliation anticipée du contrat et correspondant au bénéfice d'une année de travail, Mme X... a saisi le Tribunal de grande instance de Bobigny qui, après avoir renvoyé vainement à une tentative de conciliation et par jugement du 6 avril 2010, a rejeté la fin de non-recevoir tirée du défaut de conciliation préalable, débouté Mme X... de toutes ses demandes et l'a condamnée à payer à la ville du Bourget la somme de 1.500 euros en vertu des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les dépens ;
Considérant qu'appelante de ce jugement, Mme X..., qui en poursuit l'infirmation, demande que la ville du Bourget soit condamnée à lui payer la somme de 85.229 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 14 juin 2006, date de l'assignation introductive d'instance, outre la capitalisation des intérêts ;Que l'appelante fait d'abord observer que le Tribunal de grande instance a justement rejeté la fin de non-recevoir opposée par la ville du Bourget et tirée d'un prétendu défaut de respect de la clause de conciliation préalable prévue par le traité dès lors que la régularisation de la procédure peut intervenir à tout moment, que le tribunal a sursis à statuer afin de permettre aux parties de tenter une conciliation et que, le préfet de la Seine-Saint-Denis ayant refusé de procéder à la conciliation, elle est recevable à poursuivre la procédure sans avoir à engager une nouvelle instance ;Qu'au fond, Mme X... soutient qu'en application des stipulations de l'article 4 du contrat, le point de départ de la concession ne saurait être antérieur au 20 octobre 1986, la durée étant de vingt-et-une années et commençant à courir à partir de la constatation de l'achèvement des travaux, ledit contrat ne saurait prendre fin avant le 20 octobre 2007 ; qu'elle en déduit qu'elle est fondée à demander la réparation des conséquences dommageables de la décision prise le 19 octobre 2005 par la commune ;Que l'appelante fait encore valoir que les dispositions de l'article 40 de la loi du 23 janvier 1993, codifié sous l'article L. 1411-2, alinéa 2, du Code général des collectivités territoriales, qui tendent à limiter la durée des délégations de service public, ne sont applicables aux contrats en cours que si un motif d'intérêt général suffisant lié à un impératif d'ordre public le justifie et qu'en l'occurrence et compte tenu de la date d'achèvement des travaux, la durée normale d'amortissement des investissements réalisés par son entreprise, qui s'élèvent à la somme de 774.464,24 francs (118.066,31 euros), n'a pas été dépassée ; Qu'enfin, Mme X... expose, en se fondant sur les chiffres d'affaires des années 2003, 2004 et 2005, que son préjudice, lié à la résiliation anticipée du contrat et caractérisé par la perte d'exploitation subie entre le 20 octobre 2006 et le 20 octobre 2007, s'élève à la somme de 85.229 euros ;
Considérant qu'à titre principal, la ville du Bourget conclut à l'infirmation du jugement en tant que les premiers juges ont déclaré Mme X... recevable en sa demande dès lors qu'elle n'a pas respecté les dispositions du traité qui prévoit que les parties ont l'obligation, en cas de différend, de s'efforcer de rechercher une solution de conciliation et de n'engager une procédure judiciaire qu'après avoir sollicité les bons offices du préfet de la Seine-Saint-Denis ;Qu'à titre subsidiaire et au fond, l'intimée conclut à la confirmation du jugement aux motifs que les premiers juges ont exactement énoncé, sur le fondement de dispositions de l'article L. 1411-2, alinéa 2, du Code général des collectivités territoriales, que la convention était, à la date du 20 octobre 2006 retenue par la commune, nécessairement parvenue à échéance et caduque puisque, selon elle et compte tenu de la durée normale d'amortissement des investissements, ladite convention est arrivée à son terme le 28 octobre 2004 ;Que, très subsidiairement, la ville du Bourget conteste la réalité du préjudice allégué par Mme X... ;
Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de tentative de conciliation :
Considérant qu'aux termes de l'article 14 du traité de concession pour l'exploitation des marchés communaux conclu le 28 octobre 1983 entre la ville du Bourget et M. Antonin X..., « les parties conviennent cependant de s'efforcer de rechercher une solution de conciliation à leurs différends et de n'engager de procédure judiciaire qu'après avoir sollicité les bons offices de Monsieur le préfet, commissaire de la République du département de la Seine-Saint-Denis, ou de Monsieur le sous-préfet, commissaire de la République adjoint pour l'arrondissement » ; qu'en l'espèce, aucune conciliation préalable n'a été tentée avant l'introduction de l'instance ;Considérant que, le non-respect de la clause, licite, d'un contrat instituant une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge, dont la mise en œuvre suspend jusqu'à son issue le cours de la prescription, constitue une fin de non-recevoir qui s'impose au juge si les parties l'invoquent ; Que, le défaut d'accomplissement de la tentative de conciliation constituant une fin de non-recevoir, il y a lieu d'appliquer les dispositions de l'article 126 du Code de procédure civile en vertu duquel « dans les cas où la situation donnant lieu à la fin de non-recevoir est susceptible d'être régularisée, l'irrecevabilité sera écartée si sa cause a disparu au moment où le juge statue » ;Qu'en l'occurrence et par jugement du 8 janvier 2008, le Tribunal de grande instance de Bobigny a précisément sursis à statuer afin de permettre aux parties de tenter une conciliation et que le préfet de la Seine-Saint-Denis a refusé de procéder à une telle conciliation ;Que Mme X... est donc recevable à poursuivre la procédure sans avoir à engager une nouvelle instance et que le Tribunal de grande instance a justement rejeté la fin de non-recevoir opposée par la ville du Bourget et tirée d'un prétendu défaut de respect de la clause de conciliation préalable prévue par le traité dès lors que la régularisation de la procédure est intervenue en temps autorisé ;
Au fond :
Considérant qu'aux termes de l'article 40 de la loi du 29 janvier 1993, codifié sous l'article L. 1411-2, alinéa 1er, du Code général des collectivités territoriales, « les conventions de délégation de service public doivent être limitées dans leur durée » ; que « celle-ci est déterminée par la collectivité en fonction des prestations demandées au délégataire » ; que « lorsque les installations sont à la charge du délégataire, la convention de délégation tient compte, pour la détermination de sa durée, de la nature et du montant de l'investissement à réaliser » et qu'elle « ne peut dans ce cas dépasser la durée normale d'amortissement des installations mises en œuvre » ; Qu'il s'infère de ce texte, qui répond à un impératif d'ordre public, que les clauses d'une convention de délégation de service public qui auraient pour effet de permettre son exécution pour une durée restant à courir, à compter de la date d'entrée en vigueur de la loi, excédant la durée maximale autorisée par la loi, ne peuvent plus être régulièrement mises en œuvre au-delà de la date à laquelle cette durée maximale est atteinte ; qu'il appartient donc au juge saisi d'un litige relatif à une convention de cette nature de s'assurer que le contrat n'a pas cessé de pouvoir être régulièrement exécuté en raison d'une durée d'exécution excédant, à compter de l'entrée en vigueur de la loi, la durée désormais légalement limitée en fonction de la nature des prestations ou, dans le cas où les installations sont à la charge du délégataire, en fonction de l'investissement à réaliser ;Considérant que la convention conclue entre la ville du Bourget et M. X... ne fixe aucun terme de sorte que ce terme doit être calculé par référence à la date du traité, à savoir le 28 octobre 1983, qui est la seule date connue et que, compte tenu de l'expiration d'une première période de vingt-et-un ans, il est normalement parvenu à échéance le 28 octobre 2004 ; Que, toutefois, les parties sont convenues de fixer le point de départ du contrat au 20 octobre 1985 en sorte que le terme en était arrêté au 20 octobre 2006 ;Qu'il n'est pas contesté que, prenant cette date en considération, la ville du Bourget a notifié à Mme X... sa décision de ne pas renouveler la convention par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 19 octobre 2005, c'est-à-dire plus d'une année avant l'expiration de ladite convention ; Considérant qu'à cet égard, il convient de relever que, compte tenu des réalisations qui ont consisté en des travaux de peinture, de maintenance des équipements du marché, particulièrement légers, et de plantation d'une haie végétale, Mme X..., qui n'apporte aucun élément probant sur ce point, n'est pas fondée à soutenir qu'une année supplémentaire lui serait nécessaire pour amortir ces travaux ;Considérant qu'enfin et sur la durée maximale de la convention, il convient d'approuver les premiers juges qui, en de plus amples motifs, ont retenu que Mme X... se prévaut de travaux d'investissement d'un montant de 406.807 francs, toutes taxes comprises, et de 8.000 francs, toutes taxes comprises, soit 63.236,92 euros, au titre de la période comprise entre la date d'entrée en vigueur de la loi du 29 janvier 1993 et le 20 octobre 2006, soit treize ans et neuf mois, alors que la Cour des comptes, se prononçant, en son rapport annuel de 2004, sur la gestion des halles et marchés forains en Ile-de-France, a estimé qu'une durée de quinze ans est bien supérieure à la durée normalement nécessaire à l'amortissement d'investissements s'élevant à 138.800 euros ; Qu'il suit de là que, même en retenant pour sincère et véritable, le montant des investissements avancé par Mme X..., la durée de treize ans et neuf mois excède la durée normale d'un tel amortissement et qu'à la date du 20 octobre 2006, le traité conclu entre la ville du Bourget et M. X... était caduc ;Que, par voie de conséquence, il convient de confirmer, en toutes ses dispositions, le jugement frappé d'appel ;
Et considérant que chacune des parties sollicite une indemnité en invoquant les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ; que, succombant en ses prétentions et supportant les dépens, Mme X... sera déboutée de sa demande ; qu'en revanche, elle sera condamnée à payer à la ville du Bourget les frais qui, non compris dans les dépens d'appel, seront arrêtés, en équité, à la somme de 5.000 euros ;
PAR CES MOTIFS,
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Confirme, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 6 avril 2010 par le Tribunal de grande instance de Bobigny au profit de la ville du Bourget ;
Déboute Mme X... de sa demande d'indemnité fondée sur les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et la condamne, par application de ce texte, à payer à la ville du Bourget la somme de 5.000 euros ;
Condamne Mme X... aux dépens d'appel qui seront recouvrés par Maître Couturier, avoué de la ville du Bourget, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.