Grosses délivréesREPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 4
ARRET DU 1er FEVRIER 2012
(n° 38 , 9 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 09/02875
Décision déférée à la Cour : Jugement du 30 Janvier 2009
Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2007011391
APPELANTE
S.A.S HAROLD SAINT GERMAIN -HSG
agissant poursuites et diligences de son représentant légal
[Adresse 2]
[Localité 5]
Rep/assistant : la SCP RIBAUT (avoués à la Cour)
assistée de Maître BENSOUSSAN Hubert, avocat au barreau de PARIS - toque A 0262
plaidant pour le cabinet BENSOUSSAN, avocat
INTIMEE
Société de droit italien CALVIN KLEIN JEANSWEAR EUROPE - CKJE
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux
[Adresse 8]
[Localité 4] (FI)
Italie
Rep/assistant : Me TEYTAUD (avoué à la Cour)
assistée de Maître BERBINAU François, avocat au barreau de PARIS - toque P0496
plaidant pour BFPL avocats
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 786 et 910 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 7 décembre 2011, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M.VERT, conseiller et Mme LUC, conseiller.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. ROCHE, Président
M.VERT, Conseiller
Mme LUC, Conseiller
Greffier lors des débats Mme CHOLLET
ARRET
- contradictoire
- prononcé publiquement par M. ROCHE, Président
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par M. ROCHE, Président et Mme CHOLLET, greffier.
LA COUR,
Vu le jugement en date du 30 janvier 2009 par lequel le Tribunal de commerce de Paris a considéré que les accords passés entre les sociétés HAROLD SAINT GERMAIN et CALVIN KLEIN JEANSWEAR EUROPE étaient matérialisés dans deux télécopies des 14 et 15 mars 2006, puis qu'ils ont été résiliés le 12 décembre 2006 et a, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, condamné la société HAROLD SAINT GERMAIN à payer à la société CALVIN KLEIN JEANSWEAR EUROPE la somme de 300 000 euros à titre de dommages-intérêts, outre celle de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Vu l'appel interjeté le 11 février 2009 par la société HAROLD SAINT GERMAIN et ses conclusions enregistrées le 22 novembre 2011, tendant à faire infirmer le jugement entrepris, et constater l'absence d'information précontractuelle préalable à la signature du contrat de licence de marque, dire que les télécopies des 14 et 15 mars ne constituent qu'un pré-accord affecté de nullité, dire la société CALVIN KLEIN JEANSWEAR EUROPE responsable de la rupture des pourparlers et la condamner au paiement de la somme de 195 476 euros en réparation du préjudice relatif aux indemnités non versées jusqu'en décembre 2006, celle de 200 000 euros en réparation du préjudice né de la dévalorisation du fond de commerce, celle de 1 300 000 euros en réparation de son manque à gagner, et enfin celle de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Vu les conclusions de la société CALVIN KLEIN JEANSWEAR EUROPE enregistrées le 7 décembre 2011 dans lesquelles elle sollicite de la Cour la confirmation du jugement déféré, en ce qu'il a condamné la société HAROLD SAINT GERMAIN à lui verser la somme de 12 000 euros en réparation du préjudice subi par elle à raison de la résistance abusive de la société CALVIN KLEIN JEANSWEAR EUROPE opposée à la récupération de ses meubles et en ce qu'il l'a condamnée sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, et l'infirmant pour le surplus, constater la conclusion, le 15 mars 2006, d'un contrat de franchise entre les parties, sous condition suspensive de la conclusion d'un contrat de sous-licence, constater l'inapplicabilité de l'article L.330-3 du Code de commerce, constater que la société HAROLD SAINT GERMAIN a résilié ce contrat à ses torts exclusifs, et, subsidiairement, qu'elle a empêché, par sa faute, la réalisation de la condition suspensive et la condamner à lui payer la somme de 919 000 euros à titre de réparation pour cette résiliation fautive ; à titre encore plus subsidiaire, juger que la société HAROLD SAINT GERMAIN a rompu les pourparlers de façon abusive et condamner celle-ci à lui rembourser la somme globale de 860 455 euros se décomposant comme suit: 152 623 euros d'indemnités de retard payées à la société HAROLD SAINT GERMAIN dans la seule perspective d'ouverture du magasin, 224 052,66 euros en règlement du prix des travaux de rénovation de la boutique, 177 479,85 euros pour la conception, la fabrication et le transport des meubles CALVIN KLEIN, 141 000 euros en frais de personnel pour la négociation des contrats, l'élaboration des plans et le suivi du chantier, 108 000 euros au titre des frais d'avocats réglés pour la négociation des projets de sous-licence 2005 et 2006, 55 000 euros au titre de la dépréciation des marchandises destinées à la boutique, 2 000 euros au titre des frais de transport des marchandises, 200 euros de frais de communications téléphoniques et 100 euros de frais de traduction ; en toute hypothèse, la condamner à lui payer la somme de 50 000 euros en réparation de son préjudice moral, celle de 60 000 euros pour procédure abusive, et celle de 50 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
SUR CE,
Considérant qu'il résulte de l'instruction les faits suivants :
La société CALVIN KLEIN JEANSWEAR EUROPE est une société de droit italien qui a pour activité la distribution des produits CALVIN KLEIN en Europe. La société HAROLD SAINT GERMAIN est une société par action simplifiée qui fait partie d'un groupe familial animé par les frères [U], dont le siège est situé au lieu d'exploitation d'une boutique de vente de vêtements multimarque, au [Adresse 3]. En 2005, la société CALVIN KLEIN JEANSWEAR EUROPE est entrée en négociation avec les frères [U]. Dans deux télécopies datées du 25 novembre 2005, la société CALVIN KLEIN JEANSWEAR EUROPE a donné son accord de principe pour la « réalisation d'un monomarque à enseigne CALVIN KLEIN JEANS en franchising », avec la société HAROLD SAINT GERMAIN, dans la boutique du [Adresse 1], tout en veillant à souligner l'obligation, pour elle, d'obtenir préalablement l'autorisation d'autres sociétés du groupe CALVIN KLEIN, titulaires du droit des marques.
Le 29 novembre 2005, la société CALVIN KLEIN JEANSWEAR EUROPE a présenté à la société HAROLD SAINT GERMAIN une proposition de contrat de distribution prévoyant un mécanisme de garantie de chiffre d'affaires par émission d'avoirs, exigé par la société HAROLD, ainsi que la conclusion d'un contrat de « sublicence retail ». L'ensemble de ces propositions a fait l'objet d'un projet de contrat global soumis à la signature de la société HAROLD SAINT GERMAIN, en décembre 2005. Cette dernière a renvoyé le contrat, dans un mail du 14 décembre 2005, en précisant qu'elle avait simplement ajouté une annexe F relative à la « garantie de chiffre d'affaires » : « je t'envoie la version définitive du contrat CKJE. Comme tu pourras le lire nous avons simplement rajouté une annexe F « conditions particulières » (garantie de marge brute) ». L'annexe F contenait la disposition suivante : « CKJE garantit à HAROLD [Localité 7] que le chiffre d'affaires réalisé dans le magasin s'élèvera au moins à 1 300 000 euros TTC en produits sous licence CALVIN KLEIN ('). Ainsi, CKJE garantit à HAROLD [Localité 7] le chiffre d'affaires prévisionnel tel qu'il figure sur le tableau annexé aux présentes. Pour le cas où ces prévisions de chiffre d'affaires ne seraient pas atteintes, CKJE devra créditer HAROLD [Localité 7] de 35 % de la différence entre le chiffre d'affaires prévisionnel et le chiffre d'affaires effectivement réalisé, si celui-ci est inférieur ». Le contrat n'a finalement jamais été signé par les parties.
Les pourparlers ont repris, les parties échangeant sur les projets d'aménagement de la boutique. La société CALVIN KLEIN JEANSWEAR EUROPE (ci-après CALVIN KLEIN) a fait part à la société HAROLD SAINT-GERMAIN (ci-après HAROLD) de la transformation du système de garantie, envisagé dans l'annexe F, en un système de remises sur les achats de marchandises, cette modification résultant des instructions du groupe CALVIN KLEIN, dont la structure actionnariale avait changé. Dans un message électronique du 13 mars 2006, M. [U], président de la société HAROLD, a accepté le remplacement de la garantie de chiffre d'affaires par le système de remises, reprenant en détail, dans ce message, le nouveau mécanisme envisagé.
C'est ainsi que deux télécopies ont été échangées entre les parties le 14 mars 2006 sur du papier à en-tête de la société CALVIN KLEIN, signées et paraphées par celle-ci et revêtues de la mention « bon pour accord , le 15 mars 2006 », assortie de la signature de la société HAROLD. Le premier document fixait la durée des relations contractuelles entre les parties à cinq ans. Il contenait des dispositions relatives à l'aménagement du magasin, mis à la charge de la société CALVIN KLEIN, un engagement d'achat minimum annuel de la société HAROLD auprès de celle-ci, ainsi qu'une obligation de contribuer à la publicité. Le système de remises sur factures était repris, ainsi que, à la demande de la société HAROLD, formulée dans une télécopie du 13 mars, le retour de 100 % des stocks résiduels en cas de réalisation d'un chiffre d'affaires inférieur à 1 000 000 euros, ainsi qu'en atteste la seconde télécopie datée du même jour. Mais l'exécution du contrat était suspendue à la conclusion, entre les parties, d'un accord de « sous-licence » : « cet accord deviendra exécutif de la signature du contrat officiel de sub-licence retail agreement ».
Alors que la société CALVIN KLEIN avertissait la société HAROLD qu'elle ne pouvait pas entamer les travaux d'aménagement du magasin avant que les plans soient approuvés par elle, cette dernière exigeait que les travaux commencent dès mars 2006. C'est ainsi qu'elle exprimait, dans le courrier du 13 mars précité, dans lequel elle posait ses conditions à l'approbation de l'accord signé le 14 mars : « il est absolument impératif que les travaux débutent au plus tard le jeudi 23 mars ». Elle exerçait des pressions sur le maître d'oeuvre, la société Espace Agencement, pour la contraindre à entamer les travaux de démolition, avant même que les plans d'agencement aient pu être finalisés. C'est ainsi que le maître d'oeuvre signalait à la société CALVIN KLEIN, dans un fax du 7 juin 2006 : « M. [U] me téléphone tous les jours ('). Sous la pression de MM. [N] et [F] [U] nous sommes intervenus à nouveau pour le démontage et l'évacuation de l'escalier existant ainsi que le rebouchage en béton de la trémie ». Les travaux d'aménagement du magasin, payés par la société CALVIN KLEIN, se sont poursuivis de façon irrégulière pendant que les parties continuaient à négocier le contrat de sous licence. La société CALVIN KLEIN a dédommagé la société HAROLD du retard pris dans les travaux, les parties s'étant mises d'accord pour une indemnisation globale et forfaitaire de 110 000 euros, calculée sur la base de la perte de marge d'HAROLD pendant les mois d'avril, mai et juin, cette marge étant elle-même calculée sur la base d'un chiffre d'affaires annuel déclaré par la société HAROLD de 1,3 million d'euros.
Le 7 juillet 2006, un projet de contrat de sous licence a été transmis par mail à la société HAROLD. Dans un courrier du 25 juillet 2006, celle-ci soulignait que le projet était « incroyablement différent » des accords passés entre les deux sociétés et énumérait une liste de 13 points lui posant problème.
Après de nombreux incidents sur le chantier et de multiples demandes de modification du contrat de sous licence par la société HAROLD, M. [U] a exigé de M. [H], l'entrepreneur, la restitution des clés de la boutique, le 3 novembre 2006, mettant ainsi un terme aux travaux engagés, puis la société HAROLD a rompu les relations d'affaires, le 16 novembre 2006, adressant un courrier de rupture à la société CALVIN KLEIN, motivé par la prétendue disparition de la clause de garantie de chiffre d'affaires.
Désigné par ordonnance du 21 novembre 2006 rendue par le Président du Tribunal de commerce de Paris à la requête de la société CALVIN KLEIN, afin de constater, sur place, l'état d'avancement des travaux et des meubles entreposés, Maître [Z], huissier de justice, constatait, le 24 novembre 2006, le refus de M. [U] de lui remettre les clés de la boutique et reprenait les déclarations de celui-ci : « nous sommes les victimes des escrocs CALVIN KLEIN. Je n'ai pas les clés » ; « les serrures ont été changées par CALVIN KLEIN et les travaux sont faits par CALVIN KLEIN. L'entrepreneur a disparu. Les travaux ont été arrêtés par CALVIN KLEIN. Je n'ai pas de contact avec l'entrepreneur ». L'huissier constatait, le 28 novembre 2006, que la société HAROLD avait déménagé les meubles CALVIN KLEIN dans un entrepôt de [Localité 6] et, le 8 décembre, qu'elle avait repris l'exploitation de la boutique sous l'enseigne « Eretz ». Il constatait que, le 12 décembre, de nombreux clients remplissaient le magasin. La société CALVIN KLEIN a saisi le juge des référés qui a enjoint à la société HAROLD de donner les clés afin que l'huissier puisse procéder à son constat sur les meubles appartenant à CALVIN KLEIN. L'ordonnance de référé a été confirmée par la Cour d'appel de Paris le 29 juin 2007, qui a condamné la société HAROLD pour procédure abusive.
Par acte du 27 novembre 2006, la société HAROLD a assigné la société CALVIN KLEIN devant le Tribunal de commerce de Paris, en paiement des sommes dues au titre de la rupture du contrat initial de 2005 conclu entre les parties. Le Tribunal a estimé, dans le jugement entrepris, qu'il n'y avait pas eu d'accord entre les parties avant les deux télécopies du 14 mars 2006 et que l'accord contenu dans cette télécopie s'était trouvé résilié par la non réalisation de la condition suspensive consistant dans la conclusion d'un accord de sous-licence. Il a écarté la qualification de contrat de franchise de cet accord, rejetant les demandes en nullité de la société HAROLD fondées sur l'absence de document d'information précontractuelle. Estimant la responsabilité de l'échec des négociations largement partagée entre les parties, il a condamné la société CALVIN KLEIN à payer à la société HAROLD la somme globale de 300 000 euros.
La société HAROLD, après avoir sollicité la suspension de l'exécution provisoire du jugement entrepris, qui lui a été refusée par ordonnance du 5 mai 2010, n'a toujours pas exécuté ce jugement.
Considérant que les sociétés se renvoient mutuellement la responsabilité de l'échec de leurs négociations, la société HAROLD invoquant la responsabilité délictuelle de la société CALVIN KLEIN dans la rupture des pourparlers, tandis que la société CALVIN KLEIN invoque la responsabilité contractuelle de HAROLD, dont l'attitude fautive aurait sciemment empêché la condition suspensive prévue au contrat de se réaliser ;
SUR LES RELATIONS ENTRE LES PARTIES
Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 1181 du Code civil que « L'obligation contractée sous une condition suspensive est celle qui dépend ou d'un événement futur et incertain, ou d'un événement actuellement arrivé, mais encore inconnu des parties. Dans le premier cas, l'obligation ne peut être exécutée qu'après l'événement. Dans le second cas, l'obligation a son effet du jour où elle a été contractée » ; que l'article 1182 dispose : « Lorsque l'obligation a été contractée sous une condition suspensive, la chose qui fait la matière de la convention demeure aux risques du débiteur qui ne s'est obligé de la livrer que dans le cas de l'événement de la condition. Si la chose est entièrement périe sans la faute du débiteur, l'obligation est éteinte. (...) » ;
Considérant que la télécopie du 14 mars 2006, signée par les deux sociétés, matérialise un contrat, générateur des obligations qui y sont énoncées, sous la condition suspensive de la signature, par les parties, d'un contrat de sous-licence ; que cette condition a défailli lorsque la société HAROLD a adressé un courrier de rupture le 16 novembre 2006 à la société CALVIN KLEIN, rendant impossible la réalisation de cette condition ;
Considérant que la défaillance de la condition suspensive empêche l'obligation de prendre naissance, les parties étant dans la même situation que si elles n'avaient pas contracté ;
Considérant que la société CALVIN KLEIN ne démontre pas que cette défaillance soit imputable à la faute de la société HAROLD ; qu'en effet, si cette société a allégué un faux prétexte (la prétendue disparition de la clause de chiffre d'affaires) dans son courrier du 16 novembre 2006, afin de rompre les négociations, le projet de sous licence proposé par la société CALVIN KLEIN comportait, par rapport à celui qui avait été envisagé en décembre 2005, des modifications substantielles, telles, par exemple, une option d'achat du magasin et de la société au bénéfice de la société CALVIN KLEIN, la faculté, pour CALVIN KLEIN, d'ouvrir d'autres magasins dans la zone de chalandise de la société HAROLD, des conditions de résiliation et une clause de compétence juridictionnelle nouvelles, et enfin une clause réservant à la société CALVIN KLEIN la faculté de résilier le contrat de sous-licence sans indemnité, si son propre donneur de licence lui retirait sa licence d'exploitation ;
Considérant que nul ne pouvant être contraint de contracter, le défaut de signature du contrat de sous-licence n'est pas constitutif de faute ;
Considérant qu'il résulte de la non réalisation de la condition suspensive que les parties n'étaient pas liées par des relations contractuelles, mais engagées dans de simples pourparlers ; que le jugement entrepris doit être infirmé en ce qu'il a prononcé la résiliation du contrat au 12 décembre 2006, date à laquelle il a été constaté que les travaux d'aménagement du magasin avaient pris fin, ce contrat n'ayant jamais existé ;
SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 330-1 DU CODE DE COMMERCE
Considérant que la société HAROLD prétend que le contrat sous condition suspensive était un contrat mettant à sa disposition un nom commercial, une marque ou une enseigne et exigeant d'elle un engagement d'exclusivité ou de quasi-exclusivité pour l'exercice de son activité, et que la société CALVIN KLEIN aurait du, préalablement à sa signature, lui fournir un document d'information précontractuelle conforme aux prescriptions de l'article 330-1 du Code de commerce, qui lui aurait permis de s'engager en connaissance de cause;
Mais considérant que le contrat sous condition suspensive ne comportait aucun engagement d'exclusivité, cet engagement figurant dans la proposition de contrat de sous-licence ; que le manquement d'un franchiseur ou détenteur de marque à cette obligation est invocable au soutien d'une demande d'annulation du contrat, pour dol ; qu'ici, en l'absence de contrat, la société HAROLD l'invoque pour expliquer l'échec des négociations entre les parties, cette abstention constituant, selon elle, une faute délictuelle imputable à la société CALVIN KLEIN ; qu'elle ne démontre cependant pas en quoi ce manquement aurait conduit à l'échec des pourparlers, de nombreux échanges ayant eu lieu entre les parties pendant plus d'un an sur tous les termes de l'accord envisagé et ne justifie pas avoir jamais demandé le document d'information précontractuelle à la société CALVIN KLEIN, société de droit italien, ayant d'ailleurs prétendu, devant le premier juge, que le contrat en cause ne constituait pas un contrat de franchise ; qu'aucune faute délictuelle ne saurait donc être imputée de ce chef à la société CALVIN KLEIN;
SUR LA RUPTURE DES POURPARLERS
Considérant que les deux sociétés portent une part égale dans la rupture des pourparlers ; qu'en effet, d'une part, comme rappelé supra, la société CALVIN KLEIN a proposé à la société HAROLD un contrat de sous licence très différent de celui proposé une première fois en décembre 2005 ; que d'autre part, si la société HAROLD soutient que la société CALVIN KLEIN s'est servie des travaux entrepris dans son magasin pour lui imposer ses conditions, elle ne rapporte pas la preuve d'une telle assertion ; qu'en effet, si la société HAROLD a vu son magasin fermé plusieurs mois, générant pour elle un manque à gagner, il résulte des constatations que c'est elle qui a pressé la société CALVIN KLEIN d'entreprendre ces travaux, puis qui a multiplié les causes de retard, interdisant à plusieurs reprises l'accès du magasin à l'entreprise de construction ; que les contestations relatives aux plans des locaux, les multiples tergiversations sur place, lui ont permis de prolonger indument les négociations aux dépens de la société CALVIN KLEIN, entretenue jusqu'au bout dans l'idée que le contrat serait signé, et de faire pression sur cette société afin qu'elle lui consente des conditions commerciales plus avantageuses ; que jusqu'au dernier mois, après de nombreux incidents sur le chantier, et de multiples demandes de la société HAROLD tendant à modifier la proposition de contrat de sous licence, M. [U] a exigé de M. [H], l'entrepreneur, la restitution des clés de la boutique le 3 novembre 2006, mettant ainsi un terme aux travaux, mais la société HAROLD n'a mis un terme clair et définitif aux relations d'affaires que le 16 novembre 2006, dans un courrier de rupture adressé à la société CALVIN KLEIN, alléguant que celle-ci aurait contesté la garantie de chiffre d'affaires ; qu'ainsi, si la société CALVIN KLEIN a fait preuve d'imprudence en faisant exécuter les travaux avant la conclusion du contrat de sous licence, la responsabilité en incombe pour une part égale à la société HAROLD ;
SUR LES DEMANDES D'INDEMNISATION DES PARTIES
Sur les pertes de chance
Considérant qu'en l'absence d'accord, le préjudice subi en cas de rupture des pourparlers précontractuels n'inclut que les frais occasionnés par la négociation et les études préalables, mais non les gains que les parties pouvaient espérer tirer de l'exploitation du fonds, ni la perte d'une chance d'obtenir ces gains ;
Considérant que la société HAROLD tente de s'affranchir de cette règle jurisprudentielle en prétendant qu'elle ne s'applique pas dans l'hypothèse de la conclusion d'un « avant-contrat », en ce qui concerne la perte de chance de contracter avec un tiers ;
Mais considérant que le contrat du 14 mars 2006 ne constitue pas un avant-contrat, aucune obligation ne résultant directement de ce contrat dont l'existence et l'exécution étaient entièrement suspendues à la réalisation de la condition suspensive ; qu'il en résulte que les parties ne pourront qu'être déboutées de leurs demandes relatives à l'indemnisation de leurs pertes de chance ;
Sur les restitutions entre les parties
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que si les sociétés HAROLD et CALVIN KLEIN ont décidé d'entreprendre l'exécution du contrat avant même la dissipation de l'incertitude, pendente conditione, des restitutions sont dues de plein droit, en application de l' article 1376 du Code civil, selon lequel « Celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû s'oblige à le restituer à celui de qui il l'a indûment reçu », à peine de constituer un enrichissement sans cause;
Considérant que la société CALVIN KLEIN a entrepris les travaux d'aménagement du magasin HAROLD, avant la réalisation de la condition, avec l'accord de la société HAROLD ; que ce magasin a été entièrement rénové aux frais de la société CALVIN KLEIN et que ces travaux ont bénéficié à la société HAROLD qui a, dès novembre 2006, réouvert son magasin sous une autre enseigne ; qu'il convient donc de condamner la société HAROLD à rembourser à la société CALVIN KLEIN la somme de 224 052, 66 euros, représentant les frais engagés par la société CALVIN KLEIN pour l'aménagement du magasin et la somme de 40 000 euros représentant les frais de planification afférents à ce magasin ; qu'il n'y a pas lieu de déduire de cette somme le montant de 61 081 euros réclamé par la société HAROLD pour les travaux de remise en état du magasin à ses frais, aucune preuve de ceux-ci n'étant versée aux débats ; que le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il a condamné la société HAROLD à payer à la société CALVIN KLEIN la somme de 205 000 euros de ce chef et que cette société sera condamnée à payer à la société CALVIN KLEIN la somme de 264 052,66 euros ;
Considérant que la société CALVIN KLEIN a fabriqué et livré des meubles pour garnir le magasin et engagé des frais d'étude pour leur conception ; que si ces meubles lui ont été restitués, ce n'est qu'après avoir été contrainte de les rechercher en banlieue parisienne, où la société HAROLD les avait expédiés ; que la société HAROLD sera condamnée à rembourser les frais engagés pour rechercher ces meubles ; que le jugement déféré a justement évalué le remboursement des frais de transport, ainsi que le préjudice causé par la résistance abusive de la société HAROLD, à la somme de 12 000 euros, les autres factures versées aux débats étant relatives à des frais d'aménagement du magasin et non aux meubles proprement dits ;
Considérant que les Premiers Juges ont justement évalué à 100 000 euros les frais de négociation du contrat, que la société CALVIN KLEIN évaluait pour sa part, mais sans en justifier, à 141 000 euros pour la négociation des plans et 108 000 euros pour les frais d'avocats ; que le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a condamné la société HAROLD à en rembourser la moitié à la société CALVIN KLEIN, soit 50 000 euros ;
Considérant que le sort de l'indemnisation du préjudice subi par la société HAROLD du fait du retard dans l'ouverture de son magasin a d'ores et déjà été réglé entre les parties, la société CALVIN KLEIN ayant accepté de verser, pour solde de tout compte, la somme de 42 623 euros, exigée par son partenaire dans un courrier du 23 juin 2006, et couvrant tout retard jusqu'à l'ouverture de la boutique ; que la société CALVIN KLEIN est donc malvenue à solliciter le remboursement de la somme versée volontairement par elle en vertu de cet accord ainsi que des versements antérieurs d'un montant global de 110 000 euros ; que de même, la société HAROLD sera déboutée de sa demande tendant à obtenir le paiement d'indemnités supplémentaires pour les mois d'août à décembre 2006 ;
Considérant que la société CALVIN KLEIN sera déboutée du surplus de ses demandes, soit de la demande tendant au paiement de la somme de 55 000 euros au titre de la dépréciation des marchandises destinées à la boutique, de celle de 2 000 euros au titre des frais de transport des marchandises, de celle de 200 euros de frais de communications téléphoniques et enfin de celle de 100 euros de frais de traduction, faute de justificatifs versés aux débats ;
Considérant enfin que la société HAROLD sera déboutée de sa demande d'indemnisation pour la perte de valeur de son fonds de commerce, faute de tout justificatif produit par elle à l'appui de cette prétention ;
Sur la demande de dommages-intérêts pour préjudice moral
Considérant que la société CALVIN KLEIN ne justifie pas avoir subi un préjudice autre que matériel, du fait de la rupture des pourparlers ; que sa demande d'indemnisation de son préjudice moral sera donc rejetée ;
Sur la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive
Considérant que la société CALVIN KLEIN, qui ne caractérise ni l'abus qu'elle impute à la société HAROLD, laquelle s'est bornée à user des voies de droit à sa disposition, ni le préjudice spécifique qui en serait résulté pour elle, ne peut qu'être déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive ;
PAR CES MOTIFS
- Confirme le jugement entrepris, en ce qu'il a évalué à 12 000 euros le préjudice subi par la société CALVIN KLEIN résultant de la recherche des meubles et à 50 000 euros le préjudice subi par cette société du fait des frais de négociation du contrat, et a condamné la société HAROLD à lui payer ces sommes, à supporter les dépens de l'instance et à payer à la société CALVIN KLEIN la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- L'infirme pour le surplus,
et, statuant à nouveau,
- Constate l'absence de contrat entre les parties, par suite de la défaillance de la condition suspensive prévue dans l'accord du 14 mars 2006,
- Déclare partagée la responsabilité des parties dans la rupture des pourparlers,
- Condamne la société HAROLD à payer à la société CALVIN KLEIN la somme de 264 052, 66 euros, correspondant, d'une part, à la somme de 224 052, 66 euros au titre des frais d'aménagement du magasin engagés par la société CALVIN KLEIN, et d'autre part à la somme de 40 000 euros représentant les frais de planification supportés par cette société,
-y ajoutant,
- Déboute les parties du surplus de leurs prétentions,
- Condamne la société HAROLD à supporter la charge des dépens exposés en cause d'appel qui seront recouvrés dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile,
- La condamne à payer à la société CALVIN KLEIN la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code procédure civile.
LE GREFFIER LE PRESIDENT