RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 8
ARRET DU 16 Février 2012
(n° , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 10/00281 et 10/00594 - CM
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 14 Décembre 2009 par le conseil de prud'hommes de PARIS section encadrement RG n° 08/03549
APPELANTE
SA ALLIANZ IARD anciennement AGF IART
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Olivier MEYER, avocat au barreau de PARIS, toque : P0052
INTIME
Monsieur [W] [P]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
comparant en personne, assisté de Me Philippe RAVISY, avocat au barreau de PARIS, toque : B0318
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 05 Janvier 2012, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Catherine METADIEU, Présidente
Mme Marie-Antoinette COLAS, Conseillère
M. Julien SENEL, Vice-Président placé sur ordonnance du Premier Président en date du 30 novembre2011
qui en ont délibéré
Greffier : Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Mme Catherine METADIEU, présidente et par Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE :
[W] [P] a été engagé à compter du 1er juin 1998, par la société AGF IART, aux droits de laquelle se trouve la S.A. ALLIANZ IARD, en qualité de responsable des achats informatiques et télécoms, selon contrat de travail à durée indéterminée.
L'entreprise se trouve dans le champ d'application de la convention collective nationale du personnel des sociétés d'assurance.
[W] [P] était convoqué le 30 avril 2008, pour le 14 mai suivant, à un entretien préalable à un éventuel licenciement.
Il a reçu notification de son licenciement par lettre recommandée, datée du 13 juin 2008.
Contestant son licenciement et estimant ne pas avoir été rempli de ses droits, [W] [P] a, le 28 mars 2008, saisi le conseil de prud'hommes de PARIS afin d'obtenir le paiement de dommages-intérêts pour préjudice moral, une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement en date du 14 décembre 2009, le conseil de prud'hommes, en sa formation de départage, a :
- condamné la société AGF à lui verser les sommes de :
' 100 000 € d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
' 5 000 € de dommages-intérêts pour préjudice moral,
' 2 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire sur le fondement de l'article 515 du code de procédure civile
- rejeté toute autre demande plus ample ou contraire
- ordonné le remboursement par la société AGF aux organismes concernés des indemnités de chômage effectivement versées au salarié dans la limite de six mois
- condamné la société AGF aux dépens.
La S.A. ALLIANZ IARD, anciennement dénommée AGF IART, a relevé appel de cette décision par déclaration en date du 12 janvier 2010, cette instance étant enregistrée sous le n° 10/00281.
[W] [P] a également interjeté appel du jugement du conseil de prud'hommes, par déclaration du 21 janvier 2010, instance enrôlée sous le n° 10/00594.
La S.A. ALLIANZ IARD, anciennement dénommée AGF IART, demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris, de dire que le licenciement de [W] [P] repose sur une cause réelle et sérieuse, de le débouter de l'intégralité de ses demandes, et de le condamner au paiement de la somme de 2 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
[W] [P] demande à la cour d'infirmer partiellement le jugement du conseil de prud'hommes du 14 décembre 2009, et y ajoutant de :
- condamner la S.A. ALLIANZ IARD, anciennement dénommée AGF IART, à lui payer la somme de 5 000 € à titre de réparation du préjudice moral résultant de la discrimination dont il fait l'objet.
Sur la rupture du contrat de travail, il demande à la Cour,
à titre principal,
- ordonner sa réintégration, avec toutes conséquences de droit et reprise du paiement de la rémunération mensuelle à compter de la date de notification du présent arrêt sur la base provisionnelle de celle qui était payée à la date du licenciement
- juger que sa réintégration effective devra intervenir dans les 20 jours suivants la notification de l'arrêt à l'employeur, délai après lequel la condamnation sera assortie d'une astreinte de 1 000 € par jour de retard, astreinte que la cour se réservera expressément la faculté de liquider
- condamner la S.A. ALLIANZ IARD au paiement d'une provision sur dommages-intérêts d'un montant de 190 000 €
Avant dire droit, il demande à la Cour :
- d'ordonner une expertise et
à titre subsidiaire, de :
- dire son licenciement sans cause réelle et sérieuse
- condamner la S.A. ALLIANZ IARD à lui verser les sommes de :
' 722 025 € au titre du préjudice qui en est résulté,
' 20 000 € de dommages-intérêts pour préjudice moral,
' 5 000 € de dommages-intérêts au titre des circonstances brutales et vexatoires de la rupture,
' 14 392 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la S.A. ALLIANZ IARD aux dépens.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie pour l'exposé des faits, prétentions et moyens des parties, aux conclusions respectives des parties déposées à l'audience, visées par le greffier et soutenues oralement.
MOTIVATION
Sur la jonction
Il existe entre les litiges enrôlés sous les numéros 10/00281 et 10/00594 un lien tel qu'il est de l'intérêt d'une bonne justice de les juger ensemble.
Il convient donc d'en ordonner la jonction.
Sur la nullité du licenciement
Aux termes de l'article L.1132-1 du code du travail, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, en raison de son origine, de son sexe, de ses moeurs, de son orientation sexuelle, de son âge, de sa situation de famille, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son patronyme ou en raison de son état de santé ou de son handicap.
L'article L.1134-1 du même code dispose qu'en cas de litige relatif à l'application du texte précédent, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte et il incombe à la partie défenderesse, au vu des ces éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, le juge formant sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
En l'espèce, [W] [P] estime qu'il a été victime de discrimination de la part de la société AGF IART et qu'il a notamment été licencié en raison de son âge.
Il fait en outre valoir que, peu avant son licenciement, il avait, usant de sa liberté d'expression, dénoncé la situation de discrimination dont il estimait faire l'objet à la direction des ressources humaines, que le 'licenciement- représailles' qui a suivi est donc entaché de nullité.
Le courrier de [W] [P] adressé le 15 mars 2008 au directeur des ressources humaines, suite à son rendez-vous d'entretien d'appréciation avec M. [B] en date 12 mars au terme duquel [W] [P] relate que ce dernier aurait 'évoqué son âge (57 ans en mai)' et lui aurait fait remarquer qu'il était 'un gros salaire', ne peut constituer un élément de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination, à raison de son âge, au regard du contexte dans lequel cette phrase aurait été prononcée, un entretien d'évaluation au cours duquel sont évoquées de façon générale la carrière du salarié et ses perspectives d'évolution, observation devant être faite de plus, que ces propos, rapportés par l'intéressé, ne sont corroborés par aucune autre pièce.
Par ailleurs, la coïncidence entre la mise en oeuvre de la procédure de licenciement et l'envoi de ce courrier ne suffit pas à établir que l'employeur a entendu sanctionner la liberté d'expression du salarié.
En effet, [W] [P] en invoquant des faits de discrimination à son endroit, ne pouvait ignorer que l'employeur procéderait à une enquête, comportant notamment l'audition de ses collaborateurs, et qu'il encourait le risque d'être remis en cause par certains d'entre eux.
Il ne peut être soutenu dans ces circonstances que le licenciement est 'la réponse donnée par l'employeur à l'action fondée sur la discrimination'.
Il convient par conséquent de débouter [W] [P] de sa demande en nullité de son licenciement.
Sur le licenciement sans cause réelle et sérieuse
Selon l'article L.1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel doit être motivé.
Il est justifié par une cause réelle et sérieuse.
L'article 1235-1 du même code précise qu'en cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur forme sa conviction, au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
Si un doute subsiste, il profite au salarié.
La lettre de licenciement qui fixe les limites du litige est rédigée en ces termes:
'... En effet, il vous est fait grief :
- d'avoir par vos méthodes de management destabilisantes, dévalorisé les personnes de votre équipe ce qui a abouti à une mobilité pour l'un d'entre eux et à un arrêt maladie pour un autre,
- votre absence de participation personnelle aux réunions importantes avec les clients de votre secteur, et d'une manière générale d'avoir seulement des contacts épisodiques et difficiles avec eux,
- votre absence d'implication et de soutien dans le suivi des activités des collaborateurs.
Cette situation amenant de sérieuses perturbations au sein de la direction des achats ne peut perdurer et nous conduit à vous notifier par la présente, votre licenciement.
Votre préavis d'une durée de trois mois que nous vous dispensons d'effectuer et qui sera rémunéré aux échéances normales de paie, débutera à compter de la date de première présentation de la présente lettre recommandée avec accusé de réception'.
S'agissant du premier grief, le conseil de prud'hommes a relevé avec pertinence, que si les témoignages de Messieurs [M] et [Y] décrivent [W] [P] comme distant, colérique, critique, en revanche, l'analyse de leur évaluations respectives par ce dernier confirme qu'en aucun cas il ne faisait preuve de dénigrement à leur endroit mais qu'au contraire il les encourageait dans le souci d'une évolution positive de leur parcours.
Le premier juge souligne à juste titre que l'évaluation de M. [E] était très élogieuse, ce qui se révèle particulièrement contradictoire avec les allégations de harcèlement dont il aurait fait l'objet de la part de [W] [P] et les rend d'autant plus sujettes à caution, qu'il a repris les fonctions de celui-ci immédiatement après son départ de la société.
Monsieur [F], directeur des achats de 1998 à juin 2007, atteste en faveur de [W] [P], rappelant que c'est lui qui a recruté [Z] [O], en 1998, [M] [J] en 1999, [L] [N] en 1999, puis [T] [E] en 2006.
Il indique n'avoir jamais été sollicité par ces personnes pour un quelconque problème relationnel avec [W] [P] et n'avoir jamais été alerté par la direction des ressources humaines.
Il souligne que si un problème de management avait existé, ses collaborateurs ne seraient pas restés plus de dix ans dans le même poste, alors même que la mobilité des salariés est encouragée dans l'entreprise, passé le délai de cinq années dans une fonction.
S'agissant du deuxième grief, les allégations de l'employeur sont contredites par les très nombreux courriels versés aux débats par [W] [P] démontrant son implication, ses initiatives, et le sérieux de sa démarche, son ancien supérieur hiérarchique faisant état de 'relations très professionnelles' avec les directions clientes et particulièrement AGF Informatique, et du concours particulièrement constructif de ce dernier à la mise en place d'une organisation mondiale pour l'informatique au sein d'ALLIANZ.
Force est de constater qu'il n'est nullement justifié du refus des clients ou des fournisseurs de voir [W] [P] ainsi que [T] [E] a pu le soutenir lors de son entretien avec [K] [I] (DRH).
Ce deuxième grief n'est pas fondé.
Il en est de même du dernier grief, aucune des pièces produites ne permettant de mettre en évidence un quelconque désintérêt ou refus d'assistance de la part de [W] [P], dont il a été rappelé que malgré sa mise en cause à compter de 2008, aucun collaborateur auparavant ne s'était plaint ou avait manifesté le souhait de travailler dans un autre service ainsi qu'ils en avaient l'opportunité au sein de la S.A. ALLIANZ IARD.
Compte tenu de son âge au moment du licenciement, de son ancienneté, des conséquences sévères de la rupture pour M. [W] [P] dont les perspectives de retrouver un emploi équivalent sont limitées au regard du caractère de l'emploi, il y a lieu de lui allouer la somme de 400.000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Il lui sera en outre alloué la somme de 10.000 € en réparation de son préjudice moral résultant des circonstances particulièrement brutales et empreintes de malveillance dans la rupture du contrat de travail.
Sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile
L'équité commande de confirmer le jugement en ce qu'il a accordé à [W] [P] la somme de 2 000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et de lui allouer une nouvelle indemnité de 2 000 € sur le même fondement pour les frais exposés par lui en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
ORDONNE la jonction entre les instances enregistrées sous les numéros 10/00281 et 10/00594,
CONFIRME le jugement déféré en ce qu'il a dit sans cause réelle et sérieuse le licenciement et ordonné le remboursement aux organismes sociaux ,
L'INFIRME pour le surplus,
Y ajoutant,
DÉBOUTE [W] [P] de sa demande de nullité de son licenciement,
CONDAMNE la SA ALLIANZ IARD anciennement dénommée AGF IART à payer à [W] [P] la somme de 400.000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et celle de 10.000 € à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral,
CONDAMNE la S.A. ALLIANZ IARD anciennement dénommée AGF IART à payer à [W] [P] la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la S.A. ALLIANZ IARD anciennement dénommée AGF IART aux entiers dépens.
LE GREFFIER, LA PRESIDENTE,