Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2- Chambre 1
ARRET DU 6 MARS 2012
(no 74, 4 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 10/ 20681
Décision déférée à la Cour :
jugement du 15 septembre 2010- Tribunal de Grande Instance de PARIS-RG no 09/ 14467
APPELANTS
Monsieur Noureddine X...
...
75015 PARIS
représenté par la SCP GRAPPOTTE-BENETREAU-JUMEL (Me Belgin PELIT-JUMEL) (avocats au barreau de PARIS, toque : K111)
assisté de Me Marine D'ARANDA (avocat au barreau de PARIS, toque : G 404)
Madame Hadda Y... épouse X...
...
75015 PARIS
représenté par la SCP GRAPPOTTE-BENETREAU-JUMEL (Me Belgin PELIT-JUMEL) (avocats au barreau de PARIS, toque : K111)
assisté de Me Marine D'ARANDA (avocat au barreau de PARIS, toque : G 404)
INTIMÉ
Maître Isabelle Z...
...
75011 PARIS
représentée par la SCP BOMMART FORSTER-FROMANTIN (Me Caroline BOMMART FORSTER) (avocats au barreau de PARIS, toque : J151)
assisté de la SCP CORDELIER et Associés (Me Louis VERMOT) (avocats au barreau de PARIS, toque : P0399)
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 16 janvier 2012, en audience publique, le rapport entendu conformément à l'article 785 du code de procédure civile, devant la Cour composée de :
Monsieur François GRANDPIERRE, Président de chambre
Madame Brigitte HORBETTE, Conseiller
Madame Dominique GUEGUEN, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Mme Noëlle KLEIN
ARRET :
- contradictoire
-rendu publiquement par Monsieur François GRANDPIERRE, Président de chambre
-par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur François GRANDPIERRE, Président et par Madame Noëlle KLEIN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
******************
La Cour,
Considérant que, le 25 janvier 2002, Abdelsamad X..., âgé de six mois, était hospitalisé comme ayant été victime de violences dites du « bébé secoué » ; qu'il en reste atteint de très graves séquelles ;
Que, le 5 avril 2002, sur réquisitions du ministère public, une information était ouverte contre X du chef de violences volontaires sur la personne d'Abdelsamad X..., mineur de quinze ans, ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à huit jours ; que, le 22 septembre 2004, le juge d'instruction a rendu une ordonnance de non-lieu en retenant qu'il n'existait aucune charge suffisante contre quiconque d'avoir commis le délit visé au réquisitoire introductif ;
Qu'au cours de cette procédure, Mme Hadda Y..., épouse X..., mère du mineur, bénéficiait, en vertu d'une ordonnance du 5 décembre 2002, de l'aide juridictionnelle pour « l'assistance d'une partie civile devant le juge d'instruction » ; qu'elle était représentée, en vertu de cette décision, par Mme Z...;
Que, plus d'une année après le prononcé de l'ordonnance de non-lieu et représentés par un autre conseil, M. Noureddine X... et son épouse, agissant tant en leur nom personnel qu'ès qualités d'administrateurs légaux de leur fils mineur, ont saisi la Commission d'indemnisation des victimes d'infractions et d'actes de terrorisme d'une demande d'expertise médicale et de provision en sollicitant, pour eux-mêmes un relevé de forclusion ; que, par décision rendue le 23 mars 2007, la Commission rejetait la demande de relevé de forclusion et déclarait irrecevable la demande formée par M. et Mme X... pour eux-mêmes ;
Que, reprochant à Mme Z...d'avoir manqué à son obligation de conseil en ne les informant pas de la possibilité de saisir la Commission d'indemnisation des victimes d'infractions et d'actes de terrorisme, M. et Mme X... ont sollicité l'indemnisation de leur préjudice devant le Tribunal de grande instance de Paris qui, par jugement du 15 septembre 2010, a condamné Mme Z...à leur payer la somme de 6. 000 euros à titre de dommages et intérêts et la somme de 3. 000 euros en vertu des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les dépens ;
Considérant qu'appelants de ce jugement, M. et Mme X..., qui en poursuivent l'infirmation sauf en ce que les premiers juges ont retenu la faute de Mme Z..., demandent que leur ancien conseil soit condamné à leur payer la somme de 68. 787, 74 euros en réparation du préjudice professionnel de Mme A..., la somme de 120. 000 euros au titre du préjudice de carrière de Mme A..., la somme de 50. 000 euros au titre du préjudice professionnel de M. X..., la somme de 200. 000 euros en réparation du préjudice moral de M. et Mme X... et la somme de 10. 000 au titre de leur préjudice matériel ;
Qu'à l'appui de leurs réclamations, les appelants soutiennent que Mme Z...les assistait en leur qualité de partie civile de sorte qu'il lui appartenait, au titre de son devoir de conseil, de les informer de la possibilité de saisir la Commission d'indemnisation des victimes d'infractions et d'actes de terrorisme dès lors que, d'une part, les faits présentaient le caractère matériel d'une infraction et que, d'autre part, M. X... séjournait régulièrement en France ; qu'ils ajoutent que l'action de leur enfant a été déclarée recevable et que l'impossibilité d'être eux-mêmes indemnisés résulte de la faute de leur ancien avocat qui, de plus, ne démontre pas qu'il se fût acquitté de cette obligation ;
Que M. et Mme X... exposent ensuite les divers chefs de préjudice qu'ils subissent, notamment sur le plan professionnel dès lors que leur enfant nécessite des soins et une présence de tous les instants et sur le plan moral puisqu'ils ont un enfant avec qui il est impossible de communiquer.
Considérant que Mme Z...conclut à l'infirmation du jugement au motif qu'elle n'a pas commis la faute qui lui est reprochée dès lors que sa mission était limitée à l'assistance de Mme X... en sa qualité de partie civile devant le juge d'instruction et qu'il s'agissait de représenter l'enfant dont les intérêts n'étaient pas nécessairement convergents avec ceux de ses père et mère avec qui elle n'a contracté aucune obligation de conseil ;
Qu'approuvant les premiers juges qui ont rejeté les demandes d'indemnisation des préjudices professionnels et matériel allégués et rappelant les règles applicables devant la Commission d'indemnisation des victimes d'infractions et d'actes de terrorisme, valablement saisie au titre du préjudice personnel de l'enfant, Mme Z...fait valoir, à titre subsidiaire, que M. et Mme X... ne démontrent aucunement qu'ils auraient perdu une chance réelle et sérieuse d'être indemnisés des dommages personnels dont ils se plaignent alors surtout qu'ils ne justifient pas de la réalité de ces dommages, la demande d'indemnisation du préjudice moral étant, de surcroît, très exagérée et la demande de réparation du préjudice matériel faisant double emploi avec l'indemnisation du préjudice matériel allégué ;
SUR CE :
Considérant qu'il ressort de la décision rendue le 5 décembre 2002 par le Bureau d'aide juridictionnelle du Tribunal de grande instance de Paris que l'aide juridictionnelle totale a été accordée à « Mme X..., née Y...Hadda … dans la procédure suivante : assistance d'une partie civile devant le juge d'instruction » et que Mme X... serait assistée par Mme Z...qui a accepté de prêter son concours ;
Considérant que, même si l'ordonnance de non-lieu rendue le 22 septembre 2004 par le juge d'instruction fait apparaître sous l'entête « Vu l'information suivie contre : … Epoux X... … ayant pour avocat : Me Isabelle Z..., partie civile », cette seule et unique mention est insuffisante à démontrer que Mme Z...fût intervenue en une autre qualité que celle qui a été fixée par la décision du Bureau d'aide juridictionnelle, à savoir comme conseil de Mme X... à titre personnel, alors surtout que l'information aurait pu révéler une opposition d'intérêt entre l'enfant, d'une part, et ses père et mère, d'autre part, voire entre chacun de ses père et mère ;
Qu'en réalité, M. et Mme X... ne démontrent aucunement que Mme Z...fût intervenue dans l'intérêt de M. X... et de l'enfant ;
Qu'il suit de là que M. X... est irrecevable à agir contre Mme Z...qui n'était pas son conseil ;
Considérant que, si la décision d'aide juridictionnelle mentionne que la mission confiée à Mme Z...commençait dès la décision et qu'elle se poursuivait pendant toute la procédure d'instruction jusqu'à l'exécution de la décision qui serait finalement rendue, il n'en demeure pas moins que l'avocate, professionnelle du droit, était tenue d'informer Mme X... sur les conséquences de l'ordonnance de non-lieu et des possibilités d'être indemnisée dès lors que la motivation de ladite ordonnance faisait apparaître qu'Abdelsamad X... avait été victime de faits volontaires présentant le caractère matériel d'une infraction au sens de l'article 706-3 du Code de procédure pénale ;
Qu'en s'abstenant de fournir cette information à Mme X..., Mme Z...a engagé sa responsabilité civile professionnelle ;
Considérant qu'il ressort notamment de la décision rendue le 23 mars 2007 par la Commission d'indemnisation des victimes d'infractions et d'actes de terrorisme, qui a déclaré recevable l'action d'Abdelsamad X..., ordonné une expertise médicale et alloué une provision à l'enfant, ainsi que du rapport d'expertise que l'enfant sera indemnisé au titre de l'assistance d'une tierce personne, qu'elle soit assurée par ses père et mère, un autre parent ou une personne étrangère à la famille ; qu'à ce titre, Mme X... n'est pas fondée à solliciter une indemnisation ; qu'en outre, elle ne démontre pas la nécessité où elle se serait trouvée d'abandonner toute activité professionnelle pour s'occuper de son enfant, ni la chance réelle et sérieuse d'obtenir une indemnisation des prétendus préjudices matériel et de carrière auprès de la Commission d'indemnisation des victimes ;
Qu'en outre, il n'est pas contesté que, depuis la naissance d'Abdelsamad, Mme X... a donné naissance à deux enfants de sorte que cette modification de sa situation familiale, même sans les faits dont son fils aîné a été victime, aurait eu des conséquences sur sa situation professionnelle ;
Considérant que l'existence du dommage matériel évalué à 10. 000 euros n'est pas démontrée alors surtout que ce chef de préjudice, caractérisé, selon l'appelante, par la nécessité d'accompagner l'enfant lors de séances de soins, fait double emploi avec l'assistance d'une tierce personne ;
Qu'il convient, en conséquence, d'approuver les premiers juges qui ont rejeté la demande d'indemnisation de la perte de chance d'obtenir la réparation des préjudices matériels allégués par Mme X... ;
Considérant qu'en revanche, Mme X... a subi un dommage en perdant, par la faute de Mme Z..., une chance réelle et sérieuse d'être indemnisée du préjudice moral caractérisé par le bouleversement de ses conditions de vie et sa souffrance personnelle liée au handicap de son enfant ;
Qu'en réparation de ce préjudice, il lui sera alloué une somme de 15. 000 euros ;
Considérant qu'il convient d'infirmer partiellement le jugement frappé d'appel, de déclarer M. X... irrecevable en son action et de condamner Mme Z...à payer à Mme X... la somme de 15. 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
Et considérant que chacune des parties sollicite une indemnité en invoquant les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ; que, succombant en leurs prétentions, Mme Z..., d'une part, et M. X..., d'autre part, seront déboutés de leurs réclamations ; qu'en revanche, Mme Z...sera condamnée à payer à Mme X... les frais qui, non compris dans les dépens d'appel, seront arrêtés, en équité, à la somme de 3. 000 euros ;
PAR CES MOTIFS,
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Infirme le jugement rendu le 15 septembre 2010 par le Tribunal de grande instance de Paris sauf en ce qu'il a retenu la responsabilité de Mme Isabelle Z...et débouté Mme Hadda Y..., épouse X..., de sa demande d'indemnisation de ses préjudices professionnels et matériel ;
Faisant droit à nouveau sur le surplus :
Déclare M. Noureddine X... irrecevable en son action dirigée contre Mme Z...;
Condamne Mme Z...à payer à Mme X... la somme de 15. 000 à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral ;
Déboute Mme Z..., d'une part, et M. X..., d'autre part, chacun de sa demande d'indemnité fondée sur les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et condamne Mme Z..., par application de ce texte, à payer à Mme X... la somme de 3. 000 euros ;
Condamne Mme Z...aux dépens d'appel, à l'exception des dépens exposés par M. X... qui resteront à sa charge, et dit qu'ils seront recouvrés par la S. C. P. Grapotte-Bénetreau-Jumel, avocat de Mme X..., conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT