RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 8
ARRÊT DU 31 Mai 2012
(n° , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 10/08099 - JS
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 29 Juillet 2010 par le conseil de prud'hommes de BOBIGNY section activités diverses RG n° 09/02444
APPELANTE
Madame [K] [T]
[Adresse 5]
[Localité 6]
représentée par Me Gregory MENARD, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, toque : 267
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Partielle numéro 2011/032666 du 05/09/2011 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PARIS)
INTIMEE
SARL PIQUETON
[Adresse 3]
[Localité 7]
représentée par Me Matthieu LEROY, avocat au barreau de PARIS, toque : P0586 substitué par Me Céline MALAPERT, avocat au barreau de PARIS,
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 03 Avril 2012, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant M. Julien SENEL, Vice-Président placé sur ordonnance du Premier Président en date du 30 novembre 2011
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Catherine METADIEU, Présidente
Mme Marie-Antoinette COLAS, Conseillère
M. Julien SENEL, Vice-Président placé
Greffier : Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Mme Catherine METADIEU, présidente et par Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCEDURE :
Madame [K] [T] a été embauchée par la société PIQUETON dans le cadre d'un contrat nouvelle embauche, à durée indéterminée et à temps complet, à compter du 3 janvier 2006, moyennant une rémunération mensuelle de 1400 € net pour 140 heures de travail, en qualité de secrétaire.
Après avoir été mise à pied à titre conservatoire à compter du 16 juin 2009, elle a été licenciée pour faute grave par lettre recommandée avec accusé de réception, le 6 juillet 2009.
L'entreprise occupait à titre habituel au moins onze salariés lors de la rupture des relations contractuelles.
Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective du Bâtiment de la Région Parisienne.
Par jugement du 29 juillet 2010, le conseil de prud'hommes de Bobigny a requalifié son licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse et condamné la société PIQUETON à lui verser les sommes suivantes :
-1370 € à titre d'indemnité de licenciement
-3738 € et titre d'indemnité compensatrice de préavis
-373,80 € à titre d'indemnité de congés payés sur préavis
-1494,40 € à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire
-149,44 € au titre des congés payés y afférents
outre les intérêts,
-1000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Le conseil a débouté Madame [T] du surplus de ses demandes, débouté la société de sa demande reconventionnelle et condamné la société aux dépens.
Régulièrement appelante, [K] [T] demande à la cour de dire son appel recevable et bien fondé, infirmer partiellement le jugement, dire son licenciement sans cause réelle et sérieuse, annuler la clause de non concurrence figurant dans le contrat de travail en date du 03 janvier 2006, donc condamner la SARL PIQUETON à lui payer les sommes suivantes :
- 18690 € de dommages et intérêts pour rupture abusive,
- 1869 € d'indemnité pour non respect de la procédure de licenciement,
- 15000 € de dommages et intérêts au titre de la nullité de la clause de non concurrence,
- 723 € de DIF,
-1500 € sur le fondement l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers frais et dépens.
Elle demande de confirmer pour le surplus le jugement.
Les Etablissements PIQUETON demandent à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Madame [T] de ses demandes de dommages et intérêts pour rupture abusive, d'indemnité pour non respect de la procédure de licenciement, de dommages et intérêts au titre de la nullité de la clause de non concurrence et d'indemnité au titre du DIF ;
- réformer le jugement en ce qu'il a requalifié le licenciement de Madame [T] en licenciement pour cause réelle et sérieuse et condamné les Etablissements PIQUETON à lui régler les sommes de 1 370€ à titre d'indemnité de licenciement, 3 738€ à titre d'indemnité compensatrice de préavis, 378,80€ à titre d'indemnité de congés payés sur préavis, 1494,40€ à titre d'indemnité de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire, 149,44€ à titre de congés payés y afférents, 1000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-débouter en tout état de cause Madame [T] de ses autres demandes et la condamner à 1500€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
A titre subsidiaire, si la cour ne considère pas le licenciement fondé sur une faute grave, Etablissements PIQUETON demandent de confirmer le jugement en toutes ses dispositions et de débouter en tout état de cause Madame [T] de ses autres demandes.
A titre infiniment subsidiaire, si la cour juge le licenciement sans cause réelle et sérieuse, ils demandent de limiter l'indemnisation au titre des dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail à une somme qui ne saurait être supérieure à 1465,49€ et en tout état de cause de débouter Madame [T] de ses autres demandes.
Pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier et développées lors de l'audience des débats.
MOTIFS
Sur le licenciement
Il résulte des articles L.1234-1 et L.1234-9 du code du travail que, lorsque le licenciement est motivé par une faute grave, le salarié n'a droit ni à un préavis ni à une indemnité de licenciement.
La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.
L'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.
En l'espèce, la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, datée du 6 juillet 2009, est rédigée en ces termes :
« Nous faisons suite à notre entretien du 25 juin 2009 à 11 heures en nos locaux situés au [Adresse 4] au cours duquel vous étiez assisté de M. [C] [R], conseillé extérieur.
Nous vous avons alors fait part de nos griefs que nous vous rappelons :
' La non facturation de travaux exécutés notamment pour
Mme [Y] (travaux commandés le 9/4/8 et exécutés en mai 2008)
Cofégi (travaux commandés le 16/6/8 et exécutés en septembre 2008)
Mme [A] (travaux commandés le 25/7/8 et exécutés en septembre 2008)
Mr. [F] (travaux commandés le 27/10/8 et exécutés en novembre 2008)
De nouveau pour Cofégi, facturation tardive (mars 2009) de fin de travaux exécutés en octobre 2008 pour un montant de 4747,5 €.
Tous ces défauts de facturation représentent environ 7000 € ce qui est préjudiciable pour une petite entreprise comme la nôtre.
Toujours en matière de facturation :
' 6 factures ont été annulées sur 2008. Pourquoi ' vous ne donnez aucune réponse.
' Des avoirs ont été crées sur des factures réglées. On ne comprend pas.
' 8 factures ont été totalement supprimées de la base de données 2008.
' Des avoirs ont été crées sur des factures en attente de paiement sans aucunes raisons.
' Des modifications ont été effectuées sur des factures après que celles-ci avaient été transmises au comptable.
' Les factures, pour un montant de plus de 3900 € ont été enregistrées comme impayées pour le cabinet SGA alors qu'elles avaient été réglées.
La réclamation de paiement de l'entreprise a été très mal perçue par ce client important.
' Des trous apparaissent au niveau des numéros de factures.
Il est incontestable que par vos négligences professionnelles vous portez un préjudice financier certain envers notre entreprise.
Vous égarez des commandes notamment pour
' Travaux au [Adresse 2] (14 694 €). Vous avez prétendu ne l'avoir jamais reçue ' nous vous avons justifié que vos dires étaient faux en vous produisant le mail d'envoi.
' Travaux au [Adresse 1] (21 475 € de commande de mars 2008 pour des travaux à exécuter en avril 2009)
C'est une réclamation de la cliente en mai 2009 qui nous a permis de constater là encore vos erreurs professionnelles,
Vous ne trouvez rien à dire.
' Vous ne tenez pas correctement le planning des règlements à nos fournisseurs. Il c'est avéré que le tableau des factures fournisseurs ne faisait pas apparaître 6 000 € à régler à Dupont sanitaire.
' Mais pire, vous n'avez pas respecté l'échéancier de délais de paiement à l'URSSAF fixée au 10/07/09 qui nous avait été accordé.
Vos négligences professionnelles vont nous occasionner des intérêts de retards, ce qui n'est pas admissible, d'autant que vous aviez les chèques signés que vous n'avez même pas postés.
Par ailleurs, vous avez « oublié » les factures Cedeo en mars représentant plus de 3 000 €.
Vous êtes également chargé de transmettre aux ouvriers les demandes d'intervention.
Ce, malgré mes demandes, vous leur transmettez les devis chiffrés alors que vous devez leur remettre les documents non chiffrés. Pourquoi cette persistance à refuser de suivre mes instructions.
Vous ne communiquez avec le personnel que par SMS alors qu'il vous est demandé de les contacter téléphoniquement pour leur donner les ordres de service de nos clients.
De surcroît vous ne procéder à aucune vérification quant à l'exécution du travail par le contrôle des feuilles d'interventions. Il en résulte un non-suivi de la facturation.
Compte tenu de la constatation d'un certain nombre de lacunes dans l'exécution de vos tâches, j'ai repris nombre de dossiers.
Je viens de m'apercevoir que vous n'avez pas réclamé les attestations nécessaires pour l'application du taux de TVA à 5,5%.
Réclamer les attestations relèvent de votre travail de secrétaire. Elles sont un des éléments des dossiers clients.
Là encore, vos négligences professionnelles sont particulièrement préjudiciables à l'entreprise lors d'un contrôle de l'administration fiscale.
Toutes vos négligences et carences professionnelles portent un préjudice évident à notre entreprise qui ne permet pas de vous conserver plus avant parmi le personnel.
Après mûre réflexion, nous vous signifions donc votre licenciement pour faute grave.
Vous ne pouvez prétendre à aucun préavis ni aucune indemnité. »
Madame [T] conteste les différents griefs invoqués contre elle dans la lettre de rupture, et soutient que la véritable raison de son licenciement est le ralentissement de l'activité de la société et la charge que son salaire représentait pour elle, faisant observer que l'employeur n'a pas procédé à son remplacement.
C'est en vain que l'employeur soutient que le licenciement n'est pas en lien avec des difficultés économiques mais exclusivement en lien avec les griefs évoqués dans la lettre de licenciement.
En effet, [C] [R], ayant assisté [K] [T] durant l'entretien préalable du 25 juin 2009, rapporte les propos tenus ce jour là par [J] [O], gérant des établissements PIQUETON en ces termes :
A la question, « Avez vous l'intention d'embaucher un remplaçant après le licenciement de Mademoiselle [T] », il a répondu : « Pas pour le moment car on n'a pas beaucoup de travail, c'est comme partout c'est l'effet de la crise ».
Par ailleurs, [J] [O] n'apporte aucune contradiction utile à l'affirmation de la salariée selon laquelle l'exercice 2009 a été déficitaire, ni à la décision prise par la SARL CHANZY, expert comptable de la société, le 3 juin 2009, de suspendre ses missions en raison du non paiement de ses factures.
Il s'ensuit, compte tenu de ces éléments et de l'absence effective de remplacement de la salariée pendant plus d'une année après son licenciement, que le véritable motif du licenciement est d'ordre économique.
Dans ces conditions, le licenciement prononcé par l'employeur est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Cette situation ouvre droit pour la salariée aux indemnités suivantes, compte tenu de la convention collective applicable, de son ancienneté et de son salaire de référence, étant observé qu'il appartenait à l'employeur de fournir à la caisse des congés payés du bâtiment les éléments de nature à appliquer les dispositions légales qu'il invoque au sujet des congés payés réclamés par la salariée :
- 1370€ à titre d'indemnité de licenciement ;
- 3738€ à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 373,80€ de congés payés sur préavis ;
- 1494,40€ à titre de rappel de salaire pour la période de mise à pied conservatoire et 149,44€ de congés payés afférents;
- 15000€ à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à [K] [T], de son âge, de son ancienneté, et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, ayant en particulier bénéficié de l'allocation d'aide au retour à l'emploi à compter du 23 juillet 2009, puis été embauchée en qualité d'assistante administrative chez EMMAUS France du 26 octobre 2009 au 25 janvier 2010, en application de l'article L.1235-3 du code du travail.
Il convient par ailleurs de débouter [K] [T] de sa demande de dommages et intérêts pour non respect de la procédure de licenciement, laquelle ne se cumule pas avec les indemnités allouées à titre de licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur le droit individuel à la formation
L'employeur ayant prononcé un licenciement pour faute grave n'a pas évoqué dans la lettre de licenciement le droit individuel à la formation.
Le licenciement étant sans cause réelle et sérieuse, l'absence de mention relative à ce droit et l'impossibilité en résultant pour la salariée de formuler une demande à cet égard pendant la durée du préavis dont elle n'a pas bénéficié sont à l'origine d'un préjudice qui sera justement réparé par l'allocation de la somme de 723€.
Sur la nullité de la clause de non concurrence
Le contrat de travail stipule en son article 10:
« En cas de rupture du présent contrat pour quelque cause que ce soit, Madame [K] [T] s'engage à ne pas travailler, à quelque titre que ce soit, directement ou indirectement, pour une entreprise ayant une activité concurrente de celle de la société PIQUETON.
Toutefois, la société PIQUETON se réserve la possibilité de renoncer à cette clause de non concurrence et donc de libérer Madame [K] [T] de l'interdiction de concurrence en notifiant à cette dernière sa décision dans le délai de quinze jours à compter de la rupture du contrat de travail.
Au cas où cette clause ne serait pas respectée par Madame [K] [T], celle-ci s'exposerait à des poursuites judiciaires, et s'oblige d'ores et déjà à payer, à première demande, une indemnité forfaitaire évaluée à 8000 euros ».
Il n'est pas contesté que cette clause, qui apporte une restriction à la liberté de travail de [K] [T] et qui lui interdit d'exercer une activité concurrente à celle de son ancien employeur, est une clause de non-concurrence.
En application du principe fondamental du libre exercice d'une activité professionnelle et des dispositions de l'article L.1121-1 du code du travail, une clause de non-concurrence n'est licite que si elle est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise, limitée dans le temps et dans l'espace, tient compte des spécificités de l'emploi du salarié et comporte l'obligation pour l'employeur de verser au salarié une contrepartie financière sérieuse, ces conditions étant cumulatives.
A défaut de limite et/ou de contrepartie financière, la clause stipulée entre les parties est illicite et le salarié doit être indemnisé du préjudice que le respect de cette clause illicite lui a nécessairement causé.
En l'espèce, la clause ne prévoit aucune contrepartie financière pour [K] [T]. Elle n'est par ailleurs limitée ni dans le temps, ni dans l'espace. Elle doit donc être annulée.
La société PIQUETON versera à [K] [T] la somme de 5000€ en réparation du préjudice nécessairement subi de ce chef.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Il convient d'allouer à [K] [T], qui bénéficie d'une aide juridictionnelle partielle, la somme de 1500€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile, de débouter la société PIQUETON de sa demande à ce titre et de laisser la charge des entiers dépens à celle-ci.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement en ce qu'il a condamné la société PIQUETON à payer à [K] [T] les sommes suivantes :
- 1370€ à titre d'indemnité de licenciement
- 3738€ et titre d'indemnité compensatrice de préavis
- 373,80€ à titre d'indemnité de congés payés sur préavis
- 1494,40€ à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire
- 149,44€ au titre des congés payés y afférents
outre les intérêts,
- 1000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
et débouté [K] [T] de sa demande d'indemnité pour non respect de la procédure de licenciement ;
L'infirme pour le surplus, et statuant de nouveau :
Dit le licenciement de [K] [T] sans cause réelle et sérieuse ;
Annule la clause de non concurrence figurant dans le contrat de travail en date du 03 janvier 2006 ;
Condamne la SARL PIQUETON à payer à [K] [T] les sommes suivantes :
- 15000€ à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- 5000€ à titre de dommages et intérêts au titre de la nullité de la clause de non concurrence ;
- 723€ au titre du Droit Individuel à Formation ;
Ordonne le remboursement par la SARL PIQUETON à Pôle emploi des indemnités de chômage payées à [K] [T] à la suite de son licenciement, dans la limite de six mois ;
Condamne la SARL PIQUETON à payer à [K] [T] la somme de 1500€ sur le fondement l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SARL PIQUETON aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER, LA PRESIDENTE,