RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 9
ARRÊT DU 20 Juin 2012
(n° 03 , 07 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 10/08725
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 15 Septembre 2010 par le conseil de prud'hommes de Longjumeau - section commerce - RG n° 07/01180
APPELANT
Monsieur [M] [U]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représenté par Me Pierre CHICHA, avocat au barreau de PARIS, toque : E 98O substitué par Me Christel JEMINE
INTIMÉE
SOCIÉTÉ MEND'S DISTRIBUTION
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Localité 2]
représentée par Me Elisabeth FONTANESI, avocat au barreau de l'ESSONNE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 Mai 2012, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Christine ROSTAND, Présidente, chargée d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Christine ROSTAND, Présidente
Monsieur Benoît HOLLEAUX, Conseiller
Madame Monique MAUMUS, Conseillère
Greffier : Madame FOULON, lors des débats
ARRÊT :
- contradictoire,
- prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Christine ROSTAND, présidente et par Madame Caroline CHAKELIAN, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
M. [M] [U] a été embauché par la S.A. Mend's Distribution sous contrat à durée indéterminée à compter du 20 septembre 1995 en qualité d'attaché commercial, statut employé.
La convention collective applicable à la relation contractuelle est celle du commerce de gros alimentaire.
L'entreprise comptait plus de 10 salariés à la date du licenciement.
Par lettre datée du 28 janvier 2003, M. [U] a fait l'objet d'une mise à pied conservatoire et par lettre du 5 février suivant, a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 7 février.
Il a été licencié pour faute grave par lettre du 11 février 2003.
Contestant son licenciement, M. [U] a saisi le conseil de prud'hommes de Longjumeau qui après une décision de sursis à statuer, l'a débouté de toutes ses demandes par jugement du 15 septembre 2010.
M. [U] a fait appel de ce jugement par lettre recommandée avec accusé de réception reçue le 6 octobre 2010 au greffe.
A l'audience du 7 mai 2012, il a développé oralement ses conclusions visées par le greffier le même jour et demande à la cour de fixer la moyenne des trois derniers mois travaillés à 4.006,95 euros et de condamner la Société Mend's Distribution à lui payer les sommes suivantes :
- 2.137,04 euros à titre de rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire, soit du 28 janvier 2003 au 12 février 2003
- 213,70 euros à titre de congés payés afférents
- 12.020,85 euros à titre de rappel de préavis
- 1.202,08 euros à titre de congés payés afférents
- 3.000 euros à titre de dommages et intérêts pour privation de l'avantage en nature de véhicule pour la période allant du 28 janvier 2003 au 12 mai 2003
- 6.157,08 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement (7 ans 7 mois, 22 jours, soit à raison de 2/10 mois par année d'ancienneté soit 1,5366 mois de salaire)
- 483 euros à titre de rappels de commission.
- 48,3 euros à titre de rappels de congés payés afférents
- 1.052 euros à titre de rappel de commission sur la période 1998 -2003
- 105,2 euros à titre de congés payés y afférents
- 15.500 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure vexatoire
- 60.104,25 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse
à titre subsidiaire,
- 4.006,95 euros à titre de dommages et intérêts pour non respect de la procédure
- 2.300 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
lesdites sommes avec intérêts légaux à compter de la saisine.
La société Mend's Distribution a développé oralement à l'audience ses écritures visées par le greffier le 7 mai 2012 et demande à la cour de confirmer le jugement, à titre subsidiaire de dire que le licenciement avait une cause réelle et sérieuse, à titre encore plus subsidiaire de ramener la demande de dommages et intérêts de l'appelant à la somme de 24 041,70 euros soit l'équivalent de 6 mois de salaire.
Pour plus ample exposé de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier, développées lors de l'audience des débats.
MOTIFS
Sur l'exécution du contrat de travail
M. [U] sollicite un rappel de commissions sur les années 1998 à 2003 sans justifier des montants qu'il réclame par des éléments objectifs et vérifiables et sera débouté des demandes faites à ce titre.
Le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur la rupture
Il résulte des articles L.1234-1 et L.1234-9 du code du travail que, lorsque le licenciement est motivé par une faute grave, le salarié n'a droit ni à un préavis ni à une indemnité de licenciement.
La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée du préavis.
L'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.
La lettre de licenciement est ainsi rédigée ;
« Les motifs de ce licenciement sont les suivants :
- non dénonciation de faits délictueux,
- démotivation de l'équipe commerciale dont vous aviez la responsabilité,
- dénigrement de la société et de Monsieur [L], P.D.G, auprès des salariés,
- dénigrement de la société et de Monsieur [L] auprès des sociétés concurrentes,
- propos insultants à l'encontre d'un de vos collègues.
En effet, courant novembre 2002, Monsieur [L] apprend que vous aviez connaissance
qu'un de nos anciens salariés, Monsieur [J], volait des produits et du matériel
appartenant à notre société.
Vous n'avez pas cru bon d'avertir Monsieur [L] alors que vous saviez le lieu où les marchandises étaient entreposées.
Lors de l'entretien, vous avez rétorqué que vous n'étiez pas responsable des stocks ! Si vous aviez vu un de nos employés victime d'un malaise au sein de la société, là aussi vous ne seriez pas intervenu sous prétexte que vous n'êtes ni infirmier, ni médecin !
En tant que responsable commercial, on était en droit d'attendre une autre réaction de votre
part.
Vous avez déformé les propos de Monsieur [L] qui vous avait expliqué comment s'effectuait le versement d'une certaine catégorie de commission destinée à votre équipe commerciale.
Ceci a eu pour effet de démotiver et de créer une ambiance malsaine au sein de cette
équipe dont vous aviez la charge.
Vous saviez pertinemment qu'il était illogique de prétendre que la Direction refusait le versement de deux commissions de 31 Euros alors qu'elle venait de consentir un effort de 4000 Euros pour l'ensemble de votre équipe.
Malgré cette explication, votre interprétation erronée a eu des répercussions négatives sur le fonctionnement de votre service.
Vous avez appris que lors de la soirée organisée par le Comité d'Entreprise, des ballotins de chocolats avaient été offerts aux participants. Vous vous êtes alors permis de critiquer
l'action du Comité d'Entreprise en invoquant « une discrimination » selon vos dires et vous
avez interpellé vos collègues de travail de chaque service de la société, pour « faire quelque
chose contre cela », toujours selon vos dires.
En tant que Responsable commercial, vous deviez avoir à coeur d'augmenter la clientèle de la société par la signature de contrats avec de nouveaux clients et de motiver en
conséquence votre équipe commerciale plutôt que de vous préoccuper des initiatives du
Comité d'Entreprise.
Vous avez évoqué à plusieurs reprises le personnel en termes méprisant :
« les techniciens sont des nuls» et vous dîtes préférer faire saisir les documents commerciaux par votre femme plutôt que par nos secrétaires, auxquelles vous parlez avec
beaucoup d'agressivité.
Vous avez même traité le Responsable logistique de « mange merde », devant son adjoint et en l'absence de l'intéressé,
Enfin, lors de la réunion du Réseau LAVAZZA, le 13 janvier 2003, Monsieur [L] a
appris le dénigrement dont il a fait l'objet ainsi que la société, grâce à nos concurrents qui se sont fait un plaisir de lui répéter la teneur de vos propos.
Vous savez parfaitement qu'évoquer d'éventuels problèmes internes à des concurrents
constitue un manquement grave pour un responsable commercial, lié par une clause de
confidentialité ».
Sur la non dénonciation de faits délictueux
L'employeur verse aux débats l'attestation de M. [J] qui affirme que M. [M] [U] était informé de ses agissements « puisqu'il prenait de la marchandise avec son beau-frère, M. [D] [G], (son) équipier de l'époque» et celle d'un salarié qui déclare que l'appelant lui a confié lors d'un salon professionnel qui s'est tenu entre les 2 et 4 octobre 2002 qu'il était au courant des vols commis dans l'entreprise par M. [J] et connaissait l'endroit où celui-ci entreposait le matériel volé. Ce salarié précise qu'à son retour dans l'entreprise le 7 octobre, il a averti la direction de ces faits.
De la première attestation qui émane de l'auteur présumé des vols commis au préjudice de l'entreprise, il résulte que M. [U] était nécessairement au courant puisque les vols étaient commis en compagnie de son beau-frère. Toutefois l'existence de ce lien familial ne démontre pas que l'appelant était informé des vols. Il convient en outre d'observer qu'à la suite de l'information ouverte sur ces faits qui concernait M. [J] et M. [D] [G], seul le premier a été renvoyé devant le tribunal correctionnel, le second ayant bénéficié d'un non lieu le 28 novembre 2007.
Par ailleurs, il ressort de la seconde attestation que la direction a été mise au courant des vols le 7 octobre 2002, ce qui est confirmé par Mme [L], épouse du président de la société et directrice générale, alors que selon la lettre de licenciement, la société n'en a eu connaissance que courant novembre.
Il est donc établi que la direction a été informée au début du mois d'octobre des faits de vols commis par des salariés qui avaient quitté la société depuis quelques mois.
La société Mend's Distribution qui a augmenté M. [U] ainsi qu'il apparaît sur le bulletin de paie du mois d'octobre 2002 , n'a alors pas mis en cause la loyauté de son salarié.
L'employeur ne démontre donc pas que M. [U] s'est abstenu de dénoncer des faits délictueux dont il avait connaissance.
Sur la démotivation de l'équipe commerciale
Ce reproche n'est pas repris explicitement dans l'argumentation de l'employeur sinon pour faire grief à l'appelant d'avoir incité les commerciaux de l'entreprise à bouder l'invitation du comité d'entreprise à participer à une soirée organisée en janvier 2003.
Cet incident n'est pas à lui seul de nature à constituer un motif sérieux de licenciement.
Sur le dénigrement de la société
La société Mend's Distribution se fonde sur les attestations de plusieurs salariés : M. [R], frère de Mme [L], déclare avoir été témoin que M. [U] dénigrait la société auprès de ses concurrentes ; un autre salarié affirme qu'il employait des termes grossiers pour désigner ses collègues et M. [X], chef comptable, indique qu'il méprisait les techniciens.
Sur les propos insultants à l'encontre d'un collègue
Un salarié déclare avoir entendu M. [U] proférer des propos injurieux envers M. [S], salarié de la société.
M. [U] conteste cette dernière série de griefs et produit à son dossier des attestations de collègues de travail qui déclarent que c'est M. [L], président de la société, qui se montrait particulièrement grossier envers les personnels.
L'appelant lui-même avait écrit le 6 janvier 2003 à M. [L] pour se plaindre des « brimades, insultes incessantes et mise sous pression » qu'il faisait subir aux salariés et verse aux débats un courrier rédigé par M. [I], alors en poste dans l'entreprise, daté du 7 janvier 2003 dénonçant le comportement agressif et les insultes répétées de l'employeur.
Ces appréciations contradictoires sur le comportement de M. [L] et sur celui de M. [U] ne permettent pas de retenir contre ce dernier le comportement fautif qui lui est reproché.
Les éléments du dossier ne caractérisent ni la faute grave ni un motif réel et sérieux de licenciement.
En conséquence, il sera fait droit aux demandes d'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents, soit les sommes de 12 020,85 euros et 1 202,08 euros ainsi qu'à la demande d'indemnité conventionnelle de licenciement calculée selon les dispositions de l'article 37 de la convention collective, soit la somme de 3 073,33 euros.
M. [U] sera débouté de sa demande de salaires correspondant à la mise à pied, ces sommes lui ayant été déjà versées.
Aux termes de l'article L.1235-3 du code du travail, si un licenciement intervient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse et qu'il n'y a pas réintégration du salarié dans l'entreprise, il est octroyé au salarié à la charge de l'employeur une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à M. [U], de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, il y a lieu de lui allouer, en application de l'article L.1235-3 du code du travail, une somme de 40 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
M. [U] ne démontre pas avoir subi du fait de la rupture un préjudice distinct qui ne serait pas réparé par l'indemnité ainsi allouée et sera débouté de sa demande complémentaire de dommages et intérêts.
Le fait pour le salarié de ne pas avoir eu de véhicule à sa disposition pendant la période correspondant au préavis n'ouvre pas droit à réparation et la demande faite de ce chef sera rejetée.
Par application de l'article L. 1235-4 du code du travail, il convient d'ordonner le remboursement par la société Mend's Distribution à Pôle emploi des indemnités de chômage payées à M. [U] à la suite de son licenciement, dans la limite de six mois.
La société Mend's Distribution sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et devra verser à M. [U] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Infirme partiellement le jugement ;
Statuant à nouveau,
Condamne la société Mend's Distribution à payer à M. [M] [U] les sommes suivantes :
- 12 020,85 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis
- 1 202,08 euros au titre des congés payés afférents
- 3 073,33 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement
les dites sommes avec intérêt au taux légal à compter du 30 novembre 2007, date de réception des demandes
- 40 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Confirme le jugement déféré pour le surplus ;
Ajoutant,
Ordonne le remboursement par la société Mend's Distribution à Pôle emploi des indemnités de chômage payées à M. [U] à la suite de son licenciement, dans la limite de six mois ;
Condamne la société Mend's Distribution à verser à M. [M] [U] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Mend's Distribution aux dépens de première instance et d'appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE