RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 9
ARRÊT DU 20 Juin 2012
(n° 05 , 05 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 10/08894
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 15 Septembre 2010 par le conseil de prud'hommes de Fontainebleau, section industrie, RG n° 09/00255
APPELANT
Monsieur [C] [S]
[Adresse 2]
[Localité 3]
comparant en personne, assisté de Me Olivier DELL'ASINO, avocat au barreau de FONTAINEBLEAU
INTIMÉE
SA FEHR TECHNOLOGIES
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Anne Laure DODET, avocat au barreau de HAUTS DE SEINE, toque : NAN702
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 Mai 2012, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Christine ROSTAND, Présidente, chargée d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Christine ROSTAND, Présidente
Monsieur Benoît HOLLEAUX, Conseiller
Madame Monique MAUMUS, Conseillère
Greffier : Madame FOULON, lors des débats
ARRÊT :
- contradictoire,
- prononcé par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Christine ROSTAND, Présidente et par Madame Caroline CHAKELIAN, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
M. [C] [S] a été embauché par la SAS Fehr Technologies selon contrat à durée indéterminée en date du 2 février 2006 en qualité d'opérateur de production.
En dernier état, il occupait l'emploi d'assistant contremaître (niveau QHQ coefficient 200) et la moyenne du salaire des douze derniers mois s'élève à 2 238,37 euros.
La relation de travail est régie par la convention collective nationale des carrières et matériaux.
L'entreprise emploie plus de 10 salariés.
Convoqué par lettre du 10 juillet 2009 à un entretien préalable à son licenciement fixé au 22 juillet suivant, avec mise à pied conservatoire, M. [S] a été licencié pour faute grave par lettre datée du 28 juillet 2009.
Contestant son licenciement, M. [S] a saisi le conseil de prud'hommes de Fontainebleau qui, par jugement du 15 septembre 2010 l'a débouté de ses demandes et l'a condamné à verser la somme de 400 euros à la société Fehr Technologies au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
M. [S] a régulièrement fait appel de cette décision et, à l'audience du 7 mai 2012 a développé oralement ses conclusions visées par le greffier ce même jour aux termes desquelles il demande à la cour d'infirmer le jugement prononcé le 15 septembre 2010 et statuant à nouveau, de requalifier la relation de travail conclue le 17 novembre 2004 pour usage injustifié de la relation de travail intérimaire, de condamner la SAS Fehr Technologies à lui payer les sommes suivantes :
- 4 924,41 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et au titre de l'indemnité de congés payés
- 26 860,44 euros à titre d'indemnité en réparation du préjudice causé par la perte d'un emploi à durée indéterminée et stable
- 5 000 euros à titre d'indemnité en réparation du préjudice moral
- 1 531,05 euros, à titre d'indemnité légale de licenciement, en l'absence de requalification
- 2 090,97 euros, à titre d'indemnité légale de licenciement, en cas de requalification de la relation de travail
- 10 000 euros à titre d'indemnité en réparation de la précarité subie pendant 14 mois
- 4 350,71 euros à titre d'indemnité en réparation du préjudice de perte de salaire pendant la période du 17 novembre 2004 au 5 février 2006
- 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
et d'ordonner à la société Fehr Technologies la remise du certificat de travail et d'une attestation Pôle Emploi mentionnant le 17 novembre 2004 comme date d'embauche.
La SAS Fehr Technologies a repris oralement ses écritures visées par le greffier le 7 mai 2012 et demande à la cour de confirmer le jugement, de débouter M. [S] de ses demandes nouvelles et de le condamner à lui verser la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier et développées lors de l'audience des débats.
MOTIFS
Sur la requalification
M. [S] soutient avoir travaillé du 17 novembre 2004 jusqu'à son embauche en contrat de travail à durée indéterminée le 24 février 2006, selon des contrats de travail intérimaire successifs et sollicite en cause d'appel la requalification de ces contrats en contrat à durée indéterminée.
Pour étayer cette prétention, il produit la liste des contrats effectués sans interruption du 17 novembre 2004 au 24 février 2006 pour le compte de la société ADIA ainsi que les bulletins de paie correspondants.
M. [S] qui ne verse pas aux débats les contrats écrits de mission qu'a dû lui délivrer la société Adia, n'établit pas qu'il était mis à disposition de la société Fehr Technologies et sera en conséquence débouté de sa demande de requalification ainsi que des demandes d'indemnité et de rappel de salaire qui en découlent.
Sur la rupture
Les motifs invoqués dans la lettre de licenciement sont les suivants':
- « Manquement à vos obligations professionnelles à l'occasion de la diminution de la production de l'équipe n°2 pendant la période d'avril à juin 2009.
Vous n'avez pas fourni la moindre explication plausible à l'importante baisse du rendement constatée sur la période concernée qui ne saurait en aucun cas s'expliquer exclusivement par des incidents techniques ainsi que nous avons au demeurant pu le vérifier.
De surcroît, vous n 'avez pas apporté davantage d'explication à notre demande d'explications en date du 19 juin 2009, ce qui constitue déjà un manquement à vos obligations professionnelles.
Nous vous rappelons à cet égard, que vous exercez la fonction d'assistant contremaître et que cette fonction implique des responsabilités notamment d'encadrement et d'assistance à vos collègues de travail.
En outre, et indépendamment de votre fonction, votre attitude est incompatible avec celle que nous sommes endroit d'attendre de tout collaborateur diligent et qui plus est dans votre cas, expérimenté et connaissant parfaitement le fonctionnement de la production.
- Bien au contraire, l'enquête à laquelle nous avons procédé après avoir constaté la diminution du rendement nous conduit au regrettable constat que vous avez en ralentissant le rythme du travail, contribué activement sinon du moins passivement à la situation et ce au dépit de votre entretien de recadrage avec la direction semaine15.
En tout état de cause, vous n'avez pris aucune initiative pour aviser la direction d'une quelconque difficulté susceptible d'expliquer l'écart constaté, et eu égard notamment à votre expérience et à votre savoir-faire pour redresser la situation.
Nous ne pouvons accepter, pris ensemble ou séparément, de tels faits qui sont préjudiciables au bon fonctionnement de l'usine ».
La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée du préavis.
L'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.
La SAS Fehr Technologies spécialisée dans la fabrication industrielle sur mesure d'éléments pré-coffrés polyvalents, expose que la production est divisée en trois équipes composées chacune de treize salariés, chaque équipe étant composée d'un contremaître, de deux assistants contremaître et de dix agents de production'; les équipes fonctionnent en 3 × 7'; en fonction des besoins de la production, l'usine peut travailler en 2 × 7'; chaque équipe a un objectif global commun.
Elle précise que le personnel de production a été réparti en trois équipes entre le mois de mars et le mois de juin 2009 ainsi qu'il résulte du procès-verbal du comité d'entreprise du 13 mars 2009 ; M. [F], intégré à l'équipe 2 en qualité d'assistant contremaître ferrailleur, était affecté au poste de ferraillage et à la surveillance du robot de coffrage, poste qui consiste à positionner l'acier sur la «'table'», soit le moule de fabrication ; le contremaître de l'équipe, M. [E] [U], a été en arrêt de travail du 6 mars 2009 au 12 juin 2009 inclus ; pendant cette absence, M. [B] [T], assistant contremaître, a été nommé contremaître temporaire au sein de l'équipe 2 à compter du 1er avril 2009 pour la durée de l'absence de M. [U].
Par la comparaison des compte rendus journaliers de production et au travers de l'analyse des performances, elle établit que les résultats journaliers de l'équipe 2 au cours de ces dix semaines de l'année 2009 ont été à sept reprises inférieurs à ceux des deux autres équipes, l'équipe 2 ne réalisant qu'une seule fois l'objectif assigné'; qu' à la suite de l' annonce faite le 3 juin 2009 par [B] [T] qu'il reprenait son poste de bétonneur, la production a repris un rythme normal au cours de la semaine 24 qui s'est maintenu par la suite lorsque M. [U] a repris ses fonctions. Elle fait remarquer que le résultat de l'équipe 2 sur cette période est à comparer avec les résultats de l'année 2011 et des mois de janvier et février 2012 au cours desquels l'équipe 2 a obtenu le meilleur rendement cumulé.
Elle souligne que le ralentissement de la cadence ainsi constaté pendant trois mois n'est pas dû à des incidents techniques ; qu'à l'issue des trois mois, l'équipe 2 a affiché un écart de productivité de 860 m² par rapport aux autres équipes et que le manque à gagner pour la société s'est élevé à la somme de 51'600 €'.
Elle se fonde sur l'enquête menée en interne dont il est ressorti que la cadence de production n'avait pas été tenu, sans qu'aucune explication n'est pu être trouvée et fait valoir que les observations du directeur de l'usine confirmées par le déplacement sur site du président du groupe Fehr Technologies la deuxième semaine d'avril ont permis de constater que l'appelant ainsi qu'un de ses collègues, M. [N], étaient des freins à l'activité de l'équipe'; que suite à ces constatations, le président a reçu M. [F] en entretien pour lui demander de se remettre activement au travail.
Il résulte du rapport d'analyse versé au dossier par l'intimée que l'enquête a été menée également auprès des salariés de l'équipe qui, auditionnés individuellement par le directeur de l'usine, ont déclaré que l'activité était bloquée en permanence par «'les tables'» qui ne suivaient pas la cadence, certains ajoutant qu'en amont de leur poste «'il y avait des jaloux de la nomination de [B] [T] comme remplaçant contremaître, ces jaloux ont levé le pied'».
Il est conclu dans l'enquête interne que les rapports de production, documents manuscrits sur lesquels le contremaître enregistre les incidents quotidiens de la production, montrent que le bétonnage est bloqué très fréquemment par manque de table à bétonner et que les postes situés en aval de la chaîne de production sont bloqués lorsque les postes en amont (postes robot de coffrage, coffrage et ferraillage occupés par M. [S] et [N]) ne remplissent pas leur rôle'; qu'il a été constaté visuellement que le travail sur ces postes n'était pas aussi actif qu'habituellement et qu'en particulier M. [S] travaillait sans énergie sans non plus être complètement arrêté'; que l'analyse des comptes rendus journaliers de production établit que les écarts de productivité' des semaines 14 à 24 s'expliquent notamment par 43 tables perdues qui n'ont pas d'autre explication qu'une cadence non assurée, ce que confirme l'annotation de M. [T], contremaître remplaçant, qui inscrit quasi quotidiennement sur le rapport journalier de l'équipe 2 l'incident « attente table »'; que la cause principale de la faiblesse de rendement de l'équipe 2 était une cadence non atteinte, le poste « table » étant celui qui freinait la productivité.
M.[S] prétend en cause d'appel que le motif du licenciement, selon les termes de la lettre de licenciement, repose sur le fait qu'il n'a lui-même apporté aucune explication plausible à l'importante baisse de rendement constaté sur la période concernée'; qu'il n'est pas démontré par l'employeur qu'il a contribué activement à la situation factuelle que celui-ci a constatée ; qu'en l'absence de lien de causalité entre cette situation factuelle alléguée par la société Fehr Technologies et son comportement, il n'y a pas de faute grave. Il ajoute que la baisse d'activité n'est pas prouvée sur la période considérée, soit du 30 mars au 7 juin 2009'; qu'il n'est pas justifié qu'il ait travaillé tous les jours sur cette période, qu'aucune vérification n'a été effectuée par l'employeur sur le comportement de M. [B] [T] et sur sa compétence en organisation du travail d'une équipe lors du remplacement de M. [U].
L 'imputabilité du ralentissement de la cadence à M. [S] est établie par les constatations du président de la société et celles du directeur de l'usine, par le courrier que M. [T] a adressé le 17 juin 2009 à sa direction ainsi que par son attestation, par les rapports de production et par les déclarations des salariés de l'équipe 2.
La cour constate par ailleurs qu'il résulte de la fiche de poste « assistant contremaître fabrication » (pièce numéro 46 intimée), que le titulaire de ce poste doit assurer la bonne exécution des tâches de l'atelier de fabrication et assister le chef d'équipe dans ses fonctions, détecter les incidents et anomalies survenant sur les installations et assister le contremaître dans le pilotage et le suivi de la production. Les responsabilités d'assistant contremaître confiées à l'appelant lui conféraient donc la mission de détecter toute difficulté et d'en rapporter à la direction, diligence qu'il n'a pas remplie et dont ses absences certains jours sur la période considérée ne le dispensaient pas.
Les faits reprochés à M. [S] sont ainsi parfaitement établis et c'est par des motifs pertinents que la cour adopte que les premiers juges, relevant notamment que le ralentissement de la cadence ne saurait revêtir un caractère accidentel mais repose au contraire sur un comportement délibéré, ont dit que les manquements établis à l'encontre de l'appelant, qui remettaient en cause les principes d'organisation du travail, étaient d'une gravité suffisante pour rendre impossible le maintien de l'intéressé dans l'entreprise.
Le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions.
L'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
M. [S] sera condamné aux dépens.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Ajoutant,
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne M. [S] aux dépens.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE