Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 2
ARRET DU 05 SEPTEMBRE 2012
(n° 429, 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 12/01116
Décision déférée à la Cour : Jugement du 26 Décembre 2011 -Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 201125260
DEMANDEURS AU CONTREDIT
Monsieur [Y] [E] - non comparant
[Localité 6]
[Localité 2]
Monsieur [Z] [E] - comparant
[Adresse 8]
[Localité 1]
Représentés par Me Pierre ORTOLLAND (avocat au barreau de PARIS, toque : D0897), substitué par Me Guillaume DE TERNAY (avocat au barreau de Paris, toque : O0280)
DÉFENDERESSE AU CONTREDIT
SOCIETE COMPASS GROUP HOLDINGS PLC
[Adresse 4]
[Localité 9]
Représentée par la SELARL 28 OCTOBRE SOCIETE D'AVOCATS A LA COUR DE PARIS (Me Benoît PRUVOST avocat au barreau de PARIS, toque : P0246), substitué par Me Cécile TAILLEPIED.
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 06 Juin 2012, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Michèle GRAFF-DAUDRET, Conseillère faisant fonction de président
Madame Maryse LESAULT, Conseillère
Monsieur Laurent DUVAL, Vice Président placé, délégué par ordonnance du 20 mars 2012
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Mme Sonia DAIRAIN
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Michèle GRAFF-DAUDRET, conseiller faisant fonction de président et par Mme Sonia DAIRAIN, greffier.
FAITS CONSTANTS :
La société COMPASS GROUP HOLDINGS PLC (COMPASS) est une société de droit anglais ayant pour objet la détention de participations directes ou indirectes dans le capital social de sociétés de restauration collective.
Par contrat du 8 avril 2010, COMPASS a acquis la totalité des actions de la société CATERINE RESTAURATION, laquelle détenait un certain nombre de participations, dont 100% du capital et des droits de vote de la société SOGIREST.
Le 31 mai 2010, M. [Y] [E], alors directeur salarié de SOGIREST, et actionnaire de CATERINE RESTAURATION, a demandé à cette dernière société à faire valoir ses droits à la retraite et, par là même, à être délié de son obligation de non-concurrence, ce que celle-ci a accepté le 7 juin 2010.
Le 24 juin 2010, M. [Y] [E] a constitué avec son fils, M. [Z] [E], une société dénommée "SAVEURS ET TRADITIONS DU BOCAGE" (STB), présidée par M. [Z] [E], dont l'activité est similaire à celle de SOGIREST.
Par acte du 22 mars 2011, invoquant des actes de concurrence déloyale, COMPASS a assigné M. [Y] [E] et M. [Z] [E] devant le tribunal de commerce de Paris.
Messieurs [E] ont soulevé devant cette juridiction l'exception d'incompétence territoriale au profit du tribunal du lieu de leur domicile.
Par jugement contradictoire du 26 décembre 2011, le tribunal de commerce de Paris, au visa de l'article 23 du Règlement n°44/2001 du 22 décembre 2000, et aux motifs, d'une part, que COMPASS est une société de droit anglais ayant son siège social en Angleterre, son implantation française étant une simple succursale, qu'un élément d'extranéité existait au jour de la conclusion du contrat, que le contrat conclu est en conséquence un contrat international, et d'autre part, que le contrat du 8 avril 2010 comportait une clause attribuant compétence exclusive au tribunal de commerce de Paris :
- a dit l'exception recevable mais mal fondée,
- s'est dit compétent,
- a renvoyé l'affaire à l'audience du 20 janvier 2012 pour conclusions au fond,
- a condamné MM. [Y] et [Z] [E] aux dépens relatifs à l'exception.
Le 9 janvier 2012, M. [Y] [E] et M. [Z] [E] ont formé contredit.
MOYENS DU CONTREDIT :
Dans leur contredit, repris oralement à l'audience, MM. [Y] et [Z] [E] font valoir :
- qu'ils ont contesté la validité de la clause attributive de compétence figurant au contrat du 8 avril 2010, au motif qu'ils n'étaient pas commerçants, en faisant référence aux dispositions non ambiguës de l'article 48 du code de procédure civile,
- qu'il n'a jamais été contesté que l'article 23 du Règlement (CE) n°44/2001 du 22 décembre 2000 constitue une règle de droit supranationale faisant échec aux dispositions de l'article 48 du CPC, lorsqu'il trouve à s'appliquer, c'est-à-dire lorsque l'affaire en jeu présente un caractère international,
- que la seule nationalité étrangère d'un contractant ne suffit pas à conférer au contrat un caractère international,
- que COMPASS ne produit aucune jurisprudence en ce sens, celles citées étant "hors débat",
- que deux décisions, un jugement du tribunal de grande instance de Paris du 25 septembre 1989 et un arrêt de la Cour de cassation du 4 octobre 2005, sont très explicites et apportent une réponse non ambigüe à la question posée, à savoir que la seule nationalité étrangère d'un contractant ne suffit pas à qualifier d'international un contrat,
- que si, sur le plan doctrinal, le débat n'est pas définitivement tranché, la position présentée par COMPASS est très minoritaire,
- que la doctrine majoritaire (notamment Memento Francis Lefebvre, DIP Bernard AUDIT, Droit du commerce international Jean-Marc MOUSSERON) est convergente pour affirmer que la nationalité étrangère d'une partie ne suffit pas à qualifier un contrat d'international.
Ils demandent à la Cour :
- de dire que le tribunal de commerce de Paris n'est pas compétent pour se prononcer sur la demande formée à leur encontre par COMPASS suivant assignation du 22 mars 2011,
- d'infirmer le jugement du 26 décembre 2011,
- de les déclarer recevables et bien fondés en leur contredit de compétence, et y faire droit,
- de dire que seul le tribunal de commerce de Montluçon est compétent,
- de renvoyer l'affaire à cette juridiction,
- de condamner COMPASS au remboursement, à leur profit, des frais du contredit s'établissant à la somme de 5 000 euros.
MOYENS DE COMPASS :
Dans ses écritures du 31 mai 2012, reprises oralement à l'audience, COMPASS fait valoir :
- à titre préalable, que l'article 23 du Règlement (CE) n°44/2001 du 22 décembre 2000 et ses conditions d'application est exclusif des règles de droit interne posées par l'article 48 du CPC,
- que le contrat litigieux a bien un caractère international et que, par conséquent, la clause attributive de compétence s'applique,
- que le tribunal de commerce de Paris n'a pas déduit le caractère international du contrat de sa seule nationalité étrangère, mais s'est fondé sur trois éléments d'extranéité, sa nationalité étrangère, sa domiciliation étrangère (siège social en Angleterre), sa représentation en France au moyen d'une simple succursale dépourvue de la personnalité morale, en d'autres termes une inexistence juridique sur le territoire français,
- que l'acquisition par elle de titres en France était motivée par une volonté de diversifier son portefeuille de clients en France, ce dont il se déduit que l'objet même du contrat avait un caractère international, au jour de sa signature, qu'il existait donc quatre éléments d'extranéité,
- qu'en prenant le parti de faire signer le contrat d'acquisition par sa holding de droit anglais, et non par sa holding de droit français, le groupe COMPASS a incontestablement voulu donner un caractère international au contrat,
- que cette décision est pleinement opposable aux actionnaires, dont MM. [E], qui ont accepté de signer le contrat en parfaite connaissance de cause,
- qu'en outre, la thèse de MM. [E] est en tout état de cause infondée,
- qu'il suffit qu'un élément d'extranéité quelconque existe au jour de la conclusion du contrat pour que ce dernier soit qualifié de contrat international, que la nationalité différente des contractants suffit, de même que leur résidence dans des pays différents, que la Cour de cassation a statué en ce sens le 23 janvier 2008, dans une situation identique, revenant sur la solution de l'arrêt du 4 octobre 2005,
- que dans l'esprit des rédacteurs de la Convention de Bruxelles de 1968, la domiciliation des parties dans des pays différents constituait un élément déterminant pour apprécier le caractère international du contrat,
- que les conditions limitatives fixées par le Règlement CE n°44/2001 sont remplies en l'espèce,
- à titre subsidiaire, que la clause attributive de compétence litigieuse est également valide et opposable à MM. [E], au regard de l'article 48 du CPC, puisque la clause est spécifiée de façon très apparente et que les parties ont toutes deux contracté en qualité de commerçant, par l'effet de la cession d'actions,
- que le contredit a un caractère abusif.
Elle demande à la Cour :
- de rejeter le contredit,
- de déclarer le tribunal de commerce de Paris territorialement compétent,
- de renvoyer les parties devant ce tribunal afin que MM. [E] concluent au fond dans les plus brefs délais,
- de condamner solidairement MM. [Y] et [Z] [E] au paiement d'une amende civile sur le fondement de l'article 88 du CPC,
- de les condamner au paiement d'une somme de 3 500 euros à son profit au titre de l'article 700 du CPC, outre les dépens.
SUR QUOI, LA COUR
Considérant que selon l'article 23 du Règlement (CE) n°44/2001 du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale :
"1.Si les parties, dont l'une au moins a son domicile sur le territoire d'un Etat membre, sont convenues d'un tribunal ou de tribunaux d'un Etat membre pour connaître des différends nés ou à naître à l'occasion d'un rapport de droit déterminé, ce tribunal ou les tribunaux de cet Etat membre sont compétents. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties (..)." ;
Considérant que COMPASS est une société de droit anglais, ayant son siège social en Grande-Bretagne, son implantation française étant une simple succursale ; qu'aux termes du contrat du 8 avril 2010, conclu entre les parties, ladite société COMPASS, et non pas la holding de droit français du groupe COMPASS, la SAS COMPASS GROUP FRANCE HOLDINGS ayant son siège social en France, a acquis la totalité des actions de la société de droit français, CATERINE RESTAURATION, dont MM. [E] étaient, avec d'autres, actionnaires, l'objet du contrat étant le développement du portefeuille des clients de la société anglaise sur le territoire français ;
Considérant, ainsi, que les parties étaient, à la date de la convention, domiciliées sur le territoire d'Etats membres et que la situation était internationale ;
Que le contrat d'acquisition litigieux comportant une clause attributive de juridiction au tribunal de commerce de Paris, rédigée par écrit et désignant le tribunal d'un Etat membre, relative à un rapport de droit déterminé, en l'occurrence les litiges auxquels pourrait donner lieu le contrat ou qui pourront en être la suite ou la conséquence, c'est à bon droit que ce tribunal a retenu sa compétence ;
Que le contredit sera rejeté ;
Que l'abus de droit n'étant pas caractérisé, il n'y a lieu de condamner les demandeurs au contredit à une amende civile ;
Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de COMPASS les frais irrépétibles qu'elle a exposés pour le présent contredit ; qu'il lui sera alloué la somme visée au dispositif, sur le fondement de l'article 700 du CPC ;
Considérant que MM. [Y] et [Z] [E], qui succombent, devront supporter les frais du contredit, sur le fondement de l'article 88 du même code ;
PAR CES MOTIFS
REJETTE le contredit,
DÉCLARE le tribunal de commerce de Paris compétent,
RENVOIE l'affaire à ce tribunal,
DIT n'y avoir lieu au prononcé d'une amende civile,
CONDAMNE IN SOLIDUM M. [Y] [E] et M. [Z] [E] à payer à la société COMPASS GROUP HOLDINGS PLC, société de droit anglais, la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du CPC,
CONDAMNE IN SOLIDUM M. [Y] [E] et M. [Z] [E] aux frais du contredit.
LE GREFFIER,
LE CONSEILLER FAISANT FONCTION DE PRÉSIDENT,