RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 11
ARRÊT DU 27 Septembre 2012
(n°3, 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 10/08225
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 19 Mars 2010 par le conseil de prud'hommes de PARIS RG n° 09/07539
APPELANT
Monsieur [B] [B]
[Adresse 1]
comparant en personne, assisté de M. [X] [P] (Délégué syndical ouvrier)
INTIMEE
SA EDF
[Adresse 2]
représentée par Me Christian BROCHARD, avocat au barreau de LYON
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 10 Mai 2012, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Jean-Michel DEPOMMIER, Président
Madame Evelyne GIL, Conseillère
Madame Isabelle DOUILLET, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier : Mademoiselle Claire CHESNEAU, lors des débats
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Jean-Michel DEPOMMIER, Président et par Mademoiselle Flora CAIA, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Vu l'appel régulièrement formé par [B] [B] contre un jugement du conseil de prud'hommes de PARIS en date du 19 mars 2010 ayant statué sur le litige qui l'oppose à son employeur, la société ÉLECTRICITÉ DE FRANCE dite EDF SA.
Vu le jugement déféré ayant :
- débouté [B] [B] de l'ensemble de ses demandes et la société EDF de sa demande reconventionnelle,
- condamné le salarié aux dépens.
Vu les conclusions visées par le greffier et développées oralement à l'audience aux termes desquelles :
[B] [B], appelant, poursuit :
- la constatation de la discrimination pratiquée par la société EDF à son égard, discrimination liée à son appartenance syndicale et à la maladie,
- la condamnation de l'employeur à reconstituer sa carrière, à le reclasser au GF 15 NR 250 et à réparer intégralement son préjudice par le paiement des sommes suivantes :
- 323'193 € pour la perte de chance subie de 1995 à 2010,
- 158'364 € par application de 49 % de REMCO suivant le projet d'accord
' effet falaise ' du 16 avril 2009,
- 32'319,30 € au titre du complément conduite nucléaire de 10 %,
- 32'319,30 € au titre des congés payés y afférents,
- 11'043,25 € au titre des jours de disponibilité, soit 6 jours par an pendant 10 ans,
-19'391,40 € en application des RPCC 6 % de la rémunération annuelle de 323'190€,
- 42'444 € à titre de complément de salaire constitué par les IK (7cv) 11'000 km/an pendant 9 ans,
- 50'000 € à titre de dommages et intérêts,
- 10'000 € à titre d'indemnité pour manoeuvres vexatoires,
- 750 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile en sus des dépens.
La société ÉLECTRICITÉ DE FRANCE (EDF) SA, intimée, conclut :
- à la confirmation du jugement entrepris,
- au débouté de [B] [B] de l'ensemble de ses demandes,
- à sa condamnation à lui payer la somme de 2 000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
FAITS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La société ÉLECTRICITÉ DE FRANCE applique le Statut National et les normes qui le complètent.
Elle a engagé [B] [B] en décembre 1982 au sein du GRPT Sud Est, centre nucléaire de production d'électricité du [Localité 3], en qualité d'agent formation exploitation, poste classé en GF3 NR3 (groupe fonctionnel 3, niveau de rémunération 3).
La carrière du salarié dont le contrat de travail est toujours en cours, bien que suspendue pour cause de maladie depuis le 11 septembre 2007, a évolué pour atteindre, en janvier 2006, le niveau du GF9 NR115, son dernier poste occupé étant celui de technicien d'exploitation conduite nucléaire 3ème niveau comportant une rémunération brute mensuelle de 2 424,30 €.
Le 8 juin 2009, [B] [B] a saisi le conseil de prud'hommes de PARIS aux fins de voir appliquer à sa situation le principe d'égalité des traitements, reconstituer sa carrière après constatation de la discrimination subie et obtenir des dommages et intérêts en réparation du préjudice moral et des agissements vexatoires dont il a été victime.
Les parties ont développé à l'audience leurs moyens et présenté leurs demandes, tels que formulés dans leurs conclusions respectives.
SUR CE
- Sur les demandes liées à l'évolution de carrière du salarié
Après son entrée au service de la société EDF, en décembre 1982, au poste d'agent formation exploitation classé en GF3 NR3, la carrière de [B] [B] s'est déroulée de la façon suivante
- en avril 1983, il a été nommé rondier, poste de GF3 NR3,
- en mars 1986, il est devenu rondier HQ exploitation, en GF4 NR4,
- en juin 1988, il est agent technique service exploitation, GF6 NR6,
- en janvier 1989, technicien exploitation, GF7 NR7,
- en janvier 1993, il est classé en GF7 NR8,
- en décembre 1997, il est promu technicien exploitation 2, en GF8 NR9,
- en janvier 2002, il passe en GF8 NR10,
- en mars 2003, dans les fonctions de technicien exploitation chargé des contrôles et manoeuvres, il est en GF9 NR11,
- en janvier 2011, en qualité de technicien exploitation agent de terrain, il atteint le
GF9 NR115.
Le salarié qui a commencé en 1990 à suivre une formation au [5] a obtenu le diplôme d'ingénieur du [5] dans la spécialité Automatisme industriel, au cours de l'année 2000. Après l'obtention de son diplôme et au retour de formation, il a été rétabli dans son emploi antérieur de technicien d'exploitation et n'a pu obtenir ni un poste d'ingénieur correspondant à la formation qualifiante qu'il a reçue, ni un positionnement de cadre.
Il fait valoir le refus de prise en compte de son diplôme, l'inégalité de traitement entre les agents de son service exercée à son détriment, le harcèlement qu'il a subi, la discrimination dont il a été victime en raison de son activité syndicale et des problèmes de santé dont il a souffert et le non respect des préconisations du médecin du travail.
Sur le refus de prise en compte de son diplôme
[B] [B] a préparé son diplôme d'ingénieur du [5] au cours d'un congé individuel de formation à temps plein qu'il a sollicité et obtenu du 8 décembre 1997 au 31 mai 1999.
Il s'agissait d'une formation qualifiante procédant de son initiative personnelle, effectuée sans sélection hiérarchique et en dehors de toute formation interne ou organisée par l'entreprise.
Une note du 16 février 1990 tirée du manuel pratique par le service de la formation professionnelle de la direction du personnel et des relations sociales de la société EDF précise que ' les formations qualifiantes, sans être promotionnelles, favorisent le déroulement de carrière de ceux qui les entreprennent et qui seront mieux à même de faire valoir leur candidature à des emplois vacants de niveau supérieur '.
Dans sa lettre du 17 mars 1997 d'acceptation du congé individuel de formation sollicité, le supérieur hiérarchique de [B] [B], M. [Y], lui rappelle à cet égard que la formation qu'il allait suivre en congé individuel de formation pour obtenir un diplôme d'ingénieur du [5] ne lui permettrait pas ultérieurement d'occuper automatiquement un poste de niveau supérieur au sien (cadre ou non), puisqu'elle n'était pas une formation promotionnelle à l'initiative de l'entreprise inscrite au plan de formation de l'unité mais résultait de son initiative personnelle.
De fait, aucun emploi n'étant disponible au [Localité 3], le salarié s'est porté candidat à plusieurs postes vacants : à un emploi de cadre technique le 4 juin 1999, à un emploi de chargé d'affaires coordination le 5 novembre 1999, à un emploi d'ingénieur le 27 novembre 1999 et à un emploi d'opérateur en formation le 19 août 2000. Les avis de son supérieur hiérarchique accompagnant ses différentes demandes ont été plutôt favorables mais l'intéressé n'a pas obtenu l'un des postes sollicités. Un parcours professionnel de 18 mois devant lui permettre d'accéder à une validation interne et de devenir cadre lui alors été proposé mais il a quitté le projet OEEI en juin 2007 à la suite d'une mésentente avec son supérieur hiérarchique et est retourné au service exploitation jusqu'à ce que des problèmes de santé imposent son arrêt de travail à partir du 11 septembre 2007.
L'examen des documents versés au dossier ne fait apparaître aucune obstruction à l'évolution de la carrière de [B] [B]. En particulier, ses supérieurs hiérarchiques au service exploitation ont cherché des solutions pour lui permettre d'accéder à un poste correspondant aux compétences qu'il a acquises à l'extérieur de l'entreprise et lui ont notamment prodigué des conseils pour adopter un comportement adapté aux entretiens, aborder ceux-ci dans de meilleures conditions et répondre au mieux aux recruteurs.
En tout état de cause, l'obtention par le salarié d'un diplôme d'ingénieur ne crée pas pour la société EDF qui n'a pas suscité cette formation l'obligation de lui procurer un poste correspondant à ses acquis.
Sur le principe de l'égalité de traitement entre les salariés placés dans une situation identique
L'appelant soutient que la liste des 24 agents du service Conduite embauchés, comme lui, en 1982 avec un CAP et actuellement techniciens d'exploitation montrent une rupture d'égalité à son détriment dans la mesure où, à l'exception de 3 d'entre eux, dont lui-même, tous ont atteint un niveau de rémunération supérieur au NR 115 alors que seulement 2 d'entre eux ont acquis depuis leur embauche un diplôme qualifiant, le baccalauréat pour l'un, un BEP pour l'autre.
Aucun élément sur la situation respective des collègues de [B] [B] concernés par la rupture d'égalité alléguée n'a été fourni. Le respect du principe ' à travail égal, salaire égal' ne s'apprécie pas dans la durée par la comparaison des carrières respectives des salariés embauchés au même niveau, mais par la comparaison de leur position à un instant précis à condition qu'ils exercent les mêmes fonctions et se trouvent dans une situation identique.
Sur le harcèlement moral
[B] [B] soutient que ses supérieurs hiérarchiques ont volontairement causé ses échecs devant le jury cadre en le submergeant de travail avant l'épreuve et qu'en particulier, monsieur [D] a multiplié les calomnies à son égard.
La surcharge de travail imposée au salarié avant ses entretiens pour un poste en avancement n'est justifiée par aucun document.
[C] [C], chargé d'affaires au CNPE du [Localité 3], a attesté qu'il avait entendu des altercations entre [B] [B] et son supérieur hiérarchique au projet OEEI, [D] [D], que ce dernier lui avait dit un jour, en l'absence de l'intéressé, que [B] [B] était un ' bon à rien ' et qu'il dénigrait ses travaux auprès de tiers. Les propos négatifs ainsi rapportés ne sont ni datés, ni circonstanciés et leur répétition n'est pas établie. Aucun autre agissement répété de harcèlement moral ayant eu pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité de [B] [B], d'altérer sa santé physique et mentale ou de compromettre son avenir professionnel n'est démontré. La preuve du harcèlement moral dont il affirme avoir été victime n'est pas apportée.
Sur la discrimination
L'appelant qui justifie être adhérent au syndicat CGT EDF depuis 1996 soutient avoir fait l'objet de discrimination en raison tant de son appartenance syndicale que de ses problèmes de santé.
Cependant, il n'a été investi d'aucun mandat ni d'aucune mission syndicale et ne démontre pas un militantisme ou un activisme syndical de nature à indisposer la direction d'une entreprise telle que la société ÉLECTRICITÉ DE FRANCE.
Les pièces du dossier montrent qu'il a été victime d'accidents survenus sur son lieu de travail le 23 septembre 2005 et le 11 septembre 2007 et qu'il a eu des problèmes cardiaques à partir de 2007. Aucune mention n'a été faite des absences qui ont pu être consécutives à ces difficultés de santé. Aucun élément ne permet de retenir que la carrière du salarié a été désavantagée par de telles difficultés.
Les griefs de [B] [B] à l'égard de son employeur et relatifs à l'évolution de sa carrière estimée anormale n'étant pas retenus, le rejet par le conseil de prud'hommes de ses demandes d'indemnisation de la perte de chance, de reconstitution de carrière et de ses demandes salariales sera confirmé.
- Sur la demande de dommages et intérêts pour manquements de l'employeur à ses obligations et sur la demande d'indemnité pour manoeuvres vexatoires
La preuve de manoeuvres vexatoires exercées par la société EDF au préjudice de [B] [B] n'ayant pas été apportée, le rejet de ce chef de demande par les premiers juges doit être confirmé.
Sur le non-respect des préconisations du médecin du travail et sur le manquement de l'employeur à son obligation de résultat concernant la santé de son salarié
[B] [B] produit un courriel du Dr [R] [R], médecin du travail, adressé le 26 juin 2007 à [J] [J],, supérieur hiérarchique de l'appelant, portant en objet
' Aptitude médicale ', ainsi rédigé :
' J'ai été amené à revoir [B] [B] dans le cadre de son suivi médical systématique. L'absence d'évolution concernant son poste de travail m'a coduit à prnoncer des recommandations d'aménagement de son activité d'agent de terrain, comme pour d'autre personnes ayant présenté le même type de pathologie (malheureusement fréquente aujourd'hui). Les restrictions habituelles portent sur les travaux nécessitant une sollicitation particulière du dos : exercices de manipulation de charges particulièrement difficiles, ou dans des positions non ergonomiques. En revanche les déplacements de type ronde ne sont pas une contre indication. Une recherche de poste mieux adapté à sa compétence et sa condition physique est toujours d'actualité, et recommandée, selon moi.'
Ce courriel est insuffisant à lui seul pour établir que la société EDF a contrevenu aux prescriptions du médecin du travail en maintenant [B] [B] à un poste qui lui imposait la manipulation de charges, des manutentions lourdes et des manutentions de vannes particulièrement difficiles ou dans des positions non ergonomiques, dans la mesure où le médecin du travail n'a pas émis un avis officiel d'inaptitude partielle du salarié à son poste ou un avis émettant des réserves sur certaines tâches que comportait ce poste.
Toutefois, la réception d'un tel courriel constituait pour l'employeur une alerte à son obligation de résultat portant sur la sécurité de son préposé. La société EDF qui aurait dû alors immédiatement organiser une visite du salarié auprès du médecin du travail donnant lieu éventuellement à un avis officiel de ce dernier ne justifie pas qu'à la réception du courriel du 26 juin 2007, elle s'est informée des conditions effectives de travail de [B] [B] et des mesures éventuellement nécessaires à mettre en oeuvre pour remplir son obligation de sécurité de résultat à son égard.
Le manque de réaction de l'employeur et son manque d'exigence sur l'exécution de cette obligation ont nécessairement causé un préjudice au salarié en le privant d'un examen médical supplémentaire qui aurait pu conduire le médecin du travail à émettre un avis comportant officiellement des réserves sur les conditions d'exécution des tâches.
Sur le défaut de communication par l'employeur des entretiens d'évaluation du salarié
Un échange de courriers entre les parties fait apparaître que la société EDF a indiqué au salarié que les compte-rendus de ses entretiens d'évaluation avaient été égarés et qu'elle ne pouvait donc les lui fournir en copies. Dans la mesure où elle ne peut justifier par la production d'un reçu signé par le salarié qu'une copie lui a été remise à l'issue de chaque entretien, le défaut de communication des comptes rendus sollicités révèle un manquement de l'employeur qui, à l'évidence, a causé un dommage à [B] [B].
La réparation du préjudice consécutif aux deux manquements retenus à l'encontre de la société EDF justifie que soit attribué à l'appelant une somme de 5'000 € à titre de dommages et intérêts.
- Sur la charge des dépens et les demandes d'indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile
Succombant partiellement à l'issue de l'appel, la société EDF sera condamnée aux dépens et gardera à sa charge les frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés. Par ailleurs, il y a lieu, en équité, de laisser à [B] [B] la charge de ses frais non taxables.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a rejeté en totalité la demande de dommages et intérêts formée par [B] [B] et condamné ce dernier aux dépens ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Condamne la société ÉLECTRICITÉ DE FRANCE dite EDF SA à payer à [B] [B] la somme de 5 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par les manquements relevés à l'encontre de l'employeur ;
Rejette le surplus des demandes ;
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Condamne la société EDF aux dépens de première instance et d'appel.
Le Greffier, Le Président,