Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2- Chambre 1
ARRÊT DU 10 OCTOBRE 2012
(no 216, 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 10/ 24188
Décision déférée à la Cour : jugement du 30 juin 2010- Tribunal de Grande Instance de PARIS-RG no 08/ 11675
APPELANT
Monsieur Olivier Raphael Joseph X... chez Monsieur JP Y...... 75012 PARIS et encore... 75019 PARIS
représenté et assisté de la SELARL SAINT-MARTIN AVOCATS (Me Vincent VIEILLE avocat au barreau de PARIS, toque : W. 04) (bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2011/ 3179 du 25/ 02/ 2011 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PARIS)
INTIMES
Monsieur L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ÉTAT 6 rue Louise Weiss 75013 PARIS
représenté par Me Frédéric BURET (avocat au barreau de PARIS, toque : D1998)- avocat postulant et Me Gregory VAISSE (avocat au barreau de PARIS, toque : P173)- avocat plaidant
Le MINISTERE PUBLIC pris en la personne de Monsieur LE PROCUREUR GÉNÉRAL près la Cour d'Appel de PARIS élisant domicile en son parquet au Palais de Justice 34 Quai des Orfèvres 75001 PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 4 septembre 2012, en audience publique, le rapport entendu conformément à l'article 785 du code de procédure civile, devant la Cour composée de :
Monsieur Jacques BICHARD, Président Madame Maguerite-Marie MARION, Conseiller Madame Dominique GUEGUEN, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Madame Alix DUPLESSY
MINISTERE PUBLIC Madame ARRIGHI de CASANOVA, avocat général, a fait connaître son avis
ARRET :
- rendu publiquement par Monsieur Jacques BICHARD, Président
-par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Jacques BICHARD, Président et par Madame Noëlle KLEIN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
******************
Mis en examen du chef de viols sur la personne de Mlle Z... et d'autres jeunes femmes non identifiées, M. Olivier X..., négociateur immobilier, a été placé en détention provisoire du 1er Mai au 30 septembre 2003 et le 3 septembre 2004, le juge d'instruction a rendu une ordonnance de non-lieu devenue définitive.
Par décision du 29 mai 2006, la Commission nationale de réparation des détentions provisoires a alloué à M. X... une indemnité de 15000 € destinée à réparer son préjudice moral, s'ajoutant à l'indemnité de 5980 € accordée par le premier président de la cour d'appel de Paris au titre de son préjudice matériel.
Se plaignant d'un dysfonctionnement grave du service public de la justice, faisant valoir que les poursuites exercées contre lui avaient été engagées en l'absence manifeste de charges sérieuses dès lors qu'il présentait une pathologie lui interdisant tout rapport sexuel sans participation active de ses partenaires et qu'il a dû supporter, du fait d'un défaut de surveillance en détention ou du fait de la carence des services de santé pénitentiaires, des violences carcérales dont il estime qu'elles lui ont laissé des séquelles auditives et visuelles constitutives d'un préjudice corporel, M. X... a, le 22 août 2008, assigné le Ministère de Justice puis le 30 janvier 2009 l'Agent judiciaire du Trésor devant le tribunal de grande instance de Paris pour obtenir leur condamnation à lui verser la somme de 500 000 € en réparation de son préjudice moral, celle de 300 000 € en réparation de son préjudice corporel occasionné par sa détention, celle de 200 000 € en réparation de son préjudice économique, à titre subsidiaire, la désignation d'un expert pour décrire ses différents chefs de préjudice, outre une indemnité de procédure de 2000 €.
Par jugement en date du 30 juin 2010, le tribunal a :- déclaré la juridiction civile incompétente pour statuer sur les chefs de préjudice corporel découlant de la détention et renvoyé M. X... à mieux se pourvoir,- débouté M. X... du surplus de sa demande,
Cour d'Appel de Paris ARRET DU 10 OCTOBRE 2012 Pôle 2- Chambre 1 RG no 10/ 24188- ème page
-condamné M. X... à payer à l'Agent judiciaire du Trésor la somme de 700 € à titre d'indemnité de procédure,- condamné M. X... aux dépens.
CELA ETANT EXPOSE, la COUR :
Vu l'appel interjeté le 15 décembre 2010 par M. X...,
Vu les conclusions déposées le 15 avril 2011 par l'appelant qui demande d'infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions, à titre principal, de déclarer le service public de la justice responsable civilement du préjudice par lui subi et en conséquence de condamner l'Agent judiciaire du Trésor à lui verser, au titre de son préjudice moral, la somme de 200 000 € à titre de dommages et intérêts, au titre de son préjudice corporel, la somme de 200 000 € à titre de dommages et intérêts, à titre de réparation de son préjudice économique, la somme de 1 000 000 € € lesdites sommes assorties de l'intérêt au taux légal à compter de l'assignation, à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise médicale pour évaluer les préjudices par lui subis, en tout état de cause, de condamner l'Agent judiciaire du Trésor à lui verser la somme de 2000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à payer les entiers dépens,
Vu les conclusions déposées le 10 novembre 2011 par l'Agent judiciaire du Trésor qui demande de confirmer le jugement entrepris, en conséquence de confirmer l'incompétence du juge judiciaire pour connaître de la responsabilité de l'Etat du fait des prétendus dysfonctionnements du service pénitentiaire et de condamner M. X... à lui verser la somme de 700 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à payer les entiers dépens,
Vu l'avis déposé le 14 décembre 2011 par M. Le Procureur Général, en qualité de partie jointe, qui demande d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il s'est déclaré incompétent pour connaître des préjudices découlant de la détention provisoire, statuant à nouveau, de retenir la compétence de la juridiction judiciaire pour l'ensemble de la procédure, qui s'en remet à l'appréciation de la cour pour dire si des fautes ont été commises à l'occasion de la détention provisoire et de confirmer le jugement en ce qu'il a dit mal fondée la demande de M. X... pour le surplus.
SUR CE :
Considérant que M. X..., qui a fondé son action sur les dispositions de l'article L 141-1 du code de l'organisation judiciaire, invoque un fonctionnement défectueux du service public de la justice, caractérisé par la faute lourde commise à son encontre lors de sa mise en examen et de son placement en détention provisoire, du fait de négligences graves commises au cours de la procédure ;
Considérant que M. X... fait valoir le caractère injustifié de sa mise en examen, dès lors que les déclarations de Mlle Z..., sa compagne depuis quelques semaines et qui l'accusait, n'étaient pas crédibles du fait de la pathologie dont il souffrait à la date présumée des faits de viol ; qu'il était simplement à la recherche d'une relation avec une personne d'origine asiatique ; qu'il ajoute que les examens pratiqués dès le 29 avril 2003 sur Mlle Z... ont démontré que cette dernière n'avait fait l'objet d'aucune violence et était demeurée pendant trois semaines au domicile de M. X... qu'elle pouvait librement quitter ; qu'il fait encore valoir qu'il a été ensuite placé en détention provisoire pour une durée excessive alors que les nécessités de l'instruction ne le justifiaient pas et qu'un placement sous contrôle judiciaire aurait été suffisant pour mettre fin à l'éventuel trouble à l'ordre public, d'autant qu'il présentait des garanties de représentation ; que les investigations jugées nécessaires n'étaient pas complexes et n'expliquent pas une durée d'incarcération de 5 mois ; qu'il n'a pas, malgré ses explications, bénéficié rapidement de la seule mesure d'instruction à décharge, une expertise médicale, qui permettra sa mise hors de cause lorsqu'elle sera réalisée par le docteur A..., ni d'une mesure de confrontation organisée avec Mlle Z... ; qu'ainsi, l'enquête de police a été conduite de telle manière qu'il a perdu sa clientèle d'agent immobilier ;
Considérant que M. X... fait valoir qu'il a subi, durant sa détention, des violences et un traitement sanitaire inhumain et dégradant, contrairement aux dispositions de l'article 3 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme et de l'article D 189 du code de procédure pénale qui dispose que l'administration pénitentiaire doit assurer le respect de la dignité inhérente à toute personne qui lui est confiée par l'autorité judiciaire et garantir la protection de l'intégrité physique des détenus ; qu'il a ainsi partagé, n'ayant jamais connu la prison, diverses cellules avec des détenus dangereux et violents qui l'ont menacé et que souffrant d'une hernie inguino-scrotale, il n'a pas reçu, en détention, les soins exigés par son état ; qu'il considère que ces conditions de détention objectivement inacceptables sont constitutives d'une faute, caractérisant un dysfonctionnement grave du service public de la justice ;
Considérant sur ses chefs de préjudice, que M. X... expose qu'il souffre de troubles psychologiques consécutifs à sa détention, laquelle, de plus, a eu des répercussions sur sa vie familiale et professionnelle, que son état de santé s'est aggravé et qu'il a perdu son activité d'agent d'immobilier alors qu'il disposait, avant son incarcération, d'une clientèle importante ;
Considérant que l'agent judiciaire du Trésor soutient que le jugement déféré doit être confirmé en ce qu'il a considéré que la juridiction civile est incompétente pour examiner la responsabilité de l'Etat du fait du fonctionnement des services pénitentiaires, seul le juge administratif étant compétent en cette matière et également en ce qu'il a retenu qu'aucune faute lourde n'était établie tant en ce qui concerne la mise en examen que le placement en détention de M. X..., lesquelles se justifiaient au regard des faits résultant de l'enquête de police, observant que M. X... n'a pas exercé les voies de recours dont il disposait pour mettre un terme au dysfonctionnement qu'il allègue ; que l'agent judiciaire du Trésor conclut à titre subsidiaire à l'absence d'un quelconque préjudice subi par M. X..., la Commission Nationale de réparation des detentions provisoires, seule compétente en la matière, s'étant prononcée sur les préjudices matériel et moral invoqués par l'appelant et qui ont été déjà réparés ;
Considérant que M. Le Procureur Général soutient que la juridiction civile aurait dû se déclarer compétente pour statuer sur les chefs de préjudice corporel découlant de la détention, dès lors que même si, en principe, la responsabilité de l'Etat du fait du fonctionnement des services pénitentiaires relève de la juridiction administrative, il en va autrement lorsque les fautes prétendues ne sont pas détachables les unes des autres et que la procédure est regardée comme fautive dans son ensemble ; qu'au fond, il s'en rapporte sur l'appréciation des fautes qui ont pu être commises à l'occasion de la détention provisoire, en rappelant que la jurisprudence administrative n'exige pas une faute lourde et conclut à la confirmation du jugement pour le surplus dès lors que, s'agissant de l'information, aucune faute lourde n'est caractérisée ;
Considérant, sur la compétence du juge judiciaire s'agissant des maltraitances dont M. X... soutient avoir été victime durant sa détention, que par des motifs pertinents que la cour fait siens, les premiers juges ont considéré qu'ils n'étaient pas compétents pour en connaître, seule la juridiction administrative pouvant statuer en cette matière ; qu'en effet, la responsabilité de l'administration pénitentiaire relève de la compétence du juge administratif ; que le tribunal des conflits s'attache au respect du principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires ; que ce principe doit recevoir application et notamment en l'espèce, dès lors que, et contrairement à l'interprétation qui est celle proposée par M. Le Procureur Général, il ne s'agit pas d'une procédure complexe et que les fautes alléguées par M. X... ne forment pas un tout, quand bien même l'appelant entend pour sa part faire valoir que la procédure dans son ensemble est fautive ; que M. X... ne recherche pas en l'espèce la responsabilité de l'Etat pour une série de faits issus de la même procédure pénale, aucun lien n'existant entre des mauvais traitements subis en détention, à les supposer établis, et le placement en détention dont il a fait l'objet à la suite de sa mise en examen ;
Considérant en effet que M. X..., pour établir le fonctionnement défectueux du service public qu'il invoque, se fonde sur la faute lourde qui aurait été, selon lui, commise par ce dernier, se caractérisant par le fait d'avoir exercé des poursuites contre lui en l'absence de charges sérieuses et de l'avoir placé et maintenu en détention provisoire pendant 5 mois ;
Considérant que l'article L 141-1 du code de l'organisation judiciaire dispose que " L'Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice ", que cette responsabilité ne peut toutefois être engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice ; que constitue une faute lourde toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi ; que la faute lourde se définit comme celle qui a été commise sous l'influence d'une erreur tellement grossière qu'un magistrat normalement soucieux de ses devoirs n'y eut pas été entraîné ; que l'inaptitude du service public à remplir la mission dont il est investi ne peut être appréciée que dans la mesure où les voies de recours n'ont pas permis de réparer le mauvais fonctionnement allégué ;
Considérant qu'en l'espèce, M. X... a fait l'objet d'une dénonciation anonyme au parquet de Paris le 18 septembre 2002 faisant état de l'affichage par l'intéressé, dans les rues du 13 ème arrondissement de Paris, de messages équivoques proposant des rencontres à de jeunes chinoises, en vue de l'apprentissage de la langue chinoise, en contrepartie d'une vie commune, du gîte, du couvert et d'une rémunération mensuelle de 500 €, circonstance pouvant laisser supposer le recrutement de jeunes femmes chinoises par un réseau de prostitution ; qu'identifié et contacté pour avoir inscrit sur ces affiches son numéro de téléphone, M. X... n'a jamais répondu aux convocations de la police et a donc été interpellé le 29 avril 2003, Mlle Z..., chinoise sans titre de séjour, résidant avec l'appelant dans l'appartement de ce dernier, déclarant avoir été violée et avoir subi des menaces de la part de M. X..., contexte ayant entraîné un placement en détention provisoire aux fins de procéder à des investigations plus poussées, à la suite desquelles l'appelant a été placé, à compter du 30 septembre 2003, sous contrôle judiciaire, puis a fait l'objet le 3 septembre 2004, d'une ordonnance de non-lieu pour les faits qui lui étaient reprochés ;
Considérant que dans ce contexte, M. X... ne saurait utilement contester sa mise en examen ; que de même le placement en détention provisoire, nécessaire à la manifestation de la vérité, ne présentait pas de caractère fautif, aucun élément d'ordre médical versé au dossier du juge des libertés et de la détention ne venant conforter ou établir le bien fondé des explications fournies par M. X... auquel était reproché des actes graves, la victime tenant pour sa part des propos adaptés et cohérents ; que des investigations complémentaires, notamment auprès des autres jeunes femmes fréquentées étaient nécessaires, que la nature des faits et leurs conséquences constituaient un trouble important à l'ordre public ; que la durée du placement en détention n'apparaît nullement disproportionnée ; que l'enquête de police a été menée dans des conditions normales et pas seulement à charge comme le prétend M. X..., qu'outre l'examen médical sollicité par ce dernier, de nombreuses autres investigations auprès des éventuelles victimes devaient être réalisées ; qu'ainsi aucune faute n'est caractérisée, alors surtout que M. X... n'a pas mis en oeuvre les voies de recours qui lui étaient ouvertes dans le cadre de l'instruction ; qu'en particulier, M. X... n'a pas interjeté appel de l'ordonnance du 1er Juillet 2003 du juge des libertés et de la détention rejetant sa première demande de mise en liberté du 23 juin 2003, qu'il n'a pas sollicité du juge d'instruction des actes supplémentaires, notamment une expertise, alors qu'il estime que cette dernière a été prescrite trop tardivement, qu'il n'a pas invoqué les dispositions des articles 175-1 ou 221-2 du code de procédure pénale ; que dans ces conditions, le jugement déféré a exactement retenu que M. X... était mal fondé à critiquer le déroulement de l'instruction et son incarcération ; qu'il a pertinemment observé que les problèmes sexuels allégués par M. X... n'étaient nullement étayés, l'intéressé ne suivant jusque-là aucun traitement médical, qu'en revanche les accusations portées par la plaignante ont été initialement considérées comme crédibles au vu du rapport des Urgences médico-judiciaires et de sa situation de jeune femme étrangère en situation irrégulière ne pouvant aisément déposer plainte ;
Considérant en conséquence et en l'absence d'une quelconque faute établie à l'encontre du service public de la justice, que M. X... sera débouté de ses prétentions et que le jugement déféré sera confirmé en toutes ses dispositions ;
Considérant que l'équité commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'agent judiciaire du Trésor dans les termes du dispositif ci-après ;
Considérant que M. X... qui succombe en toutes ses prétentions supportera les dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS :
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne M. Olivier X... à payer à l'Agent judiciaire du Trésor la somme de 700 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. Olivier X... aux dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.