RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 3
ARRÊT DU 16 OCTOBRE 2012
(n° , 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 10/09644
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 27 Septembre 2010 par le conseil de prud'hommes de PARIS RG n° 10/01024
APPELANT
Monsieur [J] [V]
[Adresse 2]
[Localité 3]
comparant en personne, assisté de Me Sébastien WEDRYCHOWSKI, avocat au barreau de PARIS, toque : E 1053
INTIMEE
SA GDF SUEZ ENERGIE SERVICES
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Sébastien PONCET, avocat au barreau de LYON
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 Juin 2012, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Guy POILÂNE, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Elisabeth PANTHOU-RENARD, Présidente
Madame Michèle MARTINEZ, Conseillère
Monsieur Guy POILÂNE, Conseiller
Greffier : Madame Claire CHESNEAU, lors des débats
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
- signé par Monsieur Guy POILÂNE, Conseiller pour la Présidente empêchée et par Mademoiselle Claire CHESNEAU, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
[J] [V] a été engagé le 18 avril 1988 par la société GDF SUEZ ENERGIE SERVICE SA (nom commercial COFERLY), en qualité d'agent technique d'entretien, suivant un contrat de travail à durée indéterminée.
Le 24 mars 2009, il est victime d'un accident du travail.
Lors de la visite médicale de reprise, le 7 octobre 2009, il est déclaré apte à son poste de technicien sous réservé de ne pas travailler en position accroupie, de ne pas solliciter son poignet droit et de ne pas soulever de charges supérieures à 10 kg.
Le 23 octobre 2009, lors d'une nouvelle visite réclamée par l'employeur, [J] [V] a été déclaré inapte à son poste.
Le 16 novembre 2009, le médecin du travail confirmait l'inaptitude du salarié et précisait qu'il serait apte, dans le cadre de la recherche d'un reclassement, à un poste ne nécessitant pas de position accroupie, de travail en hauteur, d'efforts du poignet droit ni de port de charges supérieures à 10 kg.
Le 9 décembre 2009, l'employeur a notifié au salarié les motifs qui s'opposaient à son reclassement et l'a convoqué à un entretien préalable à son éventuel licenciement pour inaptitude fixé au 21 décembre 2009.
Par lettre recommandée avec avis de réception en date du 7 janvier 2010, il est licencié pour inaptitude avec des motifs ainsi énoncés :
' Nous avons le regret de vous notifier par la présente votre licenciement pour inaptitude d'origine professionnelle à votre poste de travail et l'impossibilité de reclassement au sein de l'entreprise et du groupe.
En effet, vous avez été victime d'un accident du travail le 24 mars 2009 à la suite duquel vous avez été en arrêt de travail jusqu'au 30 septembre 2009.
Vous avez passé une visite médicale de reprise auprès de la médecine le 7 et les conclusions du médecin précisaient que vous étiez apte à reprendre votre poste de travail avec des réserves ' pas de position accroupie, pas de gros efforts du poignet droit et interdiction de lever des charges supérieures à 10 kg'.
Compte tenu de ces restrictions, le 23 octobre 2009, vous avez passé une nouvelle visite médicale et le médecin du travail le Docteur [M] vous déclarait inapte à votre poste de travail et préconisait un poste ne nécessitant pas de position accroupie, pas de travail en hauteur, pas d'effort du poignet droit ( visser et dévisser ) ni de ports de charges supérieures à 10 kg.
Nous avons donc procédé à une recherche de poste au niveau de COFELY et du groupe. Malheureusement, celles-ci ses sont révélées infructueuses.
Entre temps, un second rendez-vous a eu lieu avec le médecin du travail en date du 16 novembre 2009 ou le docteur [M] maintenait son appréciation sur votre état de santé en émettant les mêmes réserves que le 23 octobre 2009.
Malgré toutes nos recherches et, après consultation des délégués du personnel, nous avons l'impossibilité de vous reclasser dans l'entreprise compte tenu de vos capacités actuelles et des réserves émises par le médecin du travail et sommes donc contraints de procéder à votre licenciement pour inaptitude.'
Contestant le bien fondé de la rupture de son contrat de travail, [J] [V] va saisir, le 26 janvier 2010, la juridiction prud'homale, de diverses demandes.
Par jugement en date du 27 septembre 2010, le conseil de prud'hommes de Paris a débouté les parties de l'ensemble de leurs demandes.
Appel de cette décision a été interjeté par [J] [V] suivant une déclaration d'appel faite au greffe en date du 28 octobre 2012.
Par des conclusions visées le 4 juin 2012 puis soutenues oralement à l'audience, [J] [V] demande à la cour d'infirmer la décision entreprise, de constater que la société GDF SUEZ ENERGIE SERVICES SA n'a pas respecté les dispositions de l'article 17 de la Convention collective , de constater qu'elle n'a pas satisfait à son obligation de consulter les délégués du personnel avant la mise en oeuvre de la procédure de licenciement, de constater qu'elle a manqué à son obligation de reclassement ; en conséquence, il est demandé à la cour de dire et juger que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse, de condamner l'employeur à lui verser les sommes de :
* 2 217,25 € préavis,
* 221,72 € congés-payés afférents,
* 53 208 € dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre la somme de 3 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les intérêts au taux légal avec application des dispositions de l'article 1154 du code civil.
Par des conclusions visées le 4 juin 2012 puis soutenues oralement lors de l'audience, la société GDF SUEZ ENERGIE SERVICES SA ( nom commercial COFELY ) demande à la cour, à titre principal, de constater que l'initiative de la rupture du contrat de travail émane de [J] [V] et que ce dernier en a scrupuleusement négocié les termes, de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a requalifié le licenciement en rupture d'un commun accord du contrat de travail ; à titre subsidiaire, il est demandé de constater que la société GDF SUEZ a scrupuleusement respecté l'article 17 de la convention collective, de constater qu'eu égard aux restrictions médicales , son reclassement était impossible , de dire et juger que la société GDF SUEZ SA a respecté son obligation de reclassement, de débouter le salarié de l'ensemble de ses demandes ; à titre infiniment subsidiaire, de constater que le salarié n'a subi aucun préjudice afférent au licenciement qu'il a appelé de ses voeux, de limiter au minimum le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ; à titre reconventionnel, condamner l'appelant au paiement d'une indemnité de 1€ pour procédure abusive, outre l'octroi de la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur le licenciement :
Il résulte de l'analyse des motifs de la lettre de licenciement, fixant les limites de ce litige, que [J] [V] a été déclaré inapte par le médecin du travail à la suite d'un accident du travail survenu le 24 mars 2009. Au vu des constatations et des préconisations médicales, la société GDF SUEZ ENERGIE SERVICES SA affirme dans cette même lettre qu'aucun poste tant dans l'entreprise employeur que dans les autres entreprises du Groupe SUEZ n'avait été trouvé au titre du reclassement, ceci rendant le licenciement inéluctable.
L'employeur soutient que la procédure de licenciement pour inaptitude a été régulièrement suivie, que lors de la réunion des délégués du personnel du 8 janvier 2010 ( pièce 7 ), leur avis favorable au licenciement au vu d'un reclassement impossible a été recueilli , conformément aux dispositions conventionnelles applicables. Il avance de surcroît l'idée selon laquelle le salarié aurait été partie prenante dans cette procédure visant à le licencier et en aurait admis le principe et souhaité l'application pour bénéficier de l'assurance-chômage.
La cour doit cependant constater qu'il a été mis fin au contrat de travail, en dehors de toute formalisation d'un quelconque accord entre les parties, par un licenciement fondé sur l'inaptitude du salarié et l'impossibilité de procéder à son reclassement dans l'entreprise. Aucune transaction n'est intervenue permettant d'accréditer la thèse soutenue par l'employeur selon laquelle un accord aurait été conclu - qui aurait été postérieur au licenciement - pour mettre fin à la relation de travail par cette voie.
Il relevait dès lors des obligations de l'employeur au regard de la définition de l'inaptitude du salarié par le médecin du travail, de procéder à une recherche de reclassement dans l'entreprise mais aussi dans le Groupe GDF SUEZ, sachant que [J] [V] a été déclaré inapte au seul poste ' d'agent technique' et non pas à tout poste dans l'entreprise avec des réserves telles qu'une large adaptabilité était préservée au vu de l'éventail des possibilités de reclassement au sein d'un Groupe qui emploie quelque 200 000 salariés. La recherche de reclassement effectuée à travers quelques lettres adressées de manière stéréotypée à des filiales de COFELY, sans description précise des postes concernés ne saurait répondre à la définition médicale de l'inaptitude du salarié, à savoir une inaptitude relative à un 'poste d'agent technique' mais aussi et seulement à tout autre poste 'ne nécessitant pas de position accroupie , pas de travail en hauteur, pas d'effort du poignet droit, visser et dévisser, ni port de charges supérieures à 10 kg '. Il appartenait donc à l'employeur d'effectuer une recherche sur cette base avec loyauté et de rapporter la preuve de son effectivité à travers une description complète des postes recherchés et un recensement des réponses articulées pour chacun de ces postes, au vu des prescriptions du médecin du travail, par les différentes entités sollicitées . Sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres moyens soulevés par l'appelant, il y a lieu d'infirmer la décision entreprise et de déclarer le licenciement comme étant, du fait du manquement de l'employeur à son obligation de reclassement, dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Sur l'indemnisation du licenciement illégitime :
Il est réclamé par [J] [V] à ce titre la somme de 53 208 €, correspondant à deux années de salaire.
La cour relève que le salarié présentait une ancienneté de 22 années et était âgé de 59 ans lors de la rupture du contrat de travail. Il explique et justifie avoir été dans l'impossibilité de retrouver un emploi ; c'est ainsi qu'il a perçu des indemnités de retour à l'emploi jusqu'au mois de juillet 2010 puis a été mis à la retraite par Pôle Emploi le 1er janvier 2011.
Les dispositions de l'article L.1226-15 du code du travail sont ici applicables et permettent au salarié de solliciter une indemnisation qui ne saurait être inférieure à douze mois de salaire. La cour estime que [J] [V], victime d'un accident de travail et n'étant déclaré en inaptitude que relativement à son poste d'agent technique et non pas à tous les postes de l'entreprise, sous certaines réserves énoncées plus haut, a été évincé sans vraie recherche de reclassement alors qu'il était proche de la retraite, subissant ainsi une perte de droits à ce égard. En cela, il a souffert un préjudice qui excède le minimum prévu par le texte susvisé, la cour décidant de lui allouer la somme de 40 000 € à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive sur le fondement de l'article L.1235-3 du code du travail.
Sur le complément d'indemnité compensatrice de préavis :
Il est réclamé par le salarié une somme de 2 217,25 € , outre celle de 221,72 € pour les congés-payés afférents, au titre d'un mois supplémentaire de préavis, en application de l'article 17 de la Convention collective.
Au vu de l'ancienneté de [J] [V] (22 ans), les dispositions conventionnelles, plus favorables que la loi, doivent s'appliquer relativement au préavis pour le cas dérogatoire où la rupture du contrat de travail est liée à l'existence d'un accident de travail, la référence à l'indemnité légale de préavis n'excluant pas l'application d'un préavis conventionnel plus avantageux. Il est donc alloué à [J] [V] la somme de 2 217,25 € au titre d'un complément de préavis et celle de 221,72 € au titre des congés-payés afférents, le jugement étant réformé sur ce point.
Il ne sera pas fait application ici des dispositions de l'article L.1235-4 du code du travail en raison de la nature du licenciement déclaré illégitime pour non-respect par l'employeur d'une obligation de reclassement dans le cadre des suites d'un accident de travail.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Infirme la décision entreprise en toutes ses dispositions et statuant à nouveau,
Condamne la société GDF SUEZ ENERGIE SERVICES SA ( COFELY ) à payer à [J] [V] les sommes suivantes :
- 40 000 € à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article L.1235-3 du code du travail, outre les intérêts au taux légal à compter de la présente décision,
- 2 217,25 € à titre de complément d'indemnité compensatrice de préavis,
- 221,72 € au titre des congés-payés afférents, outre les intérêts au taux légal sur ces deux dernières sommes à compter du 1er février 2010, date de réception par l'employeur de sa convocation en conciliation prud'homale,
Dit y avoir lieu d'appliquer aux sommes visées ci-dessus, quant aux intérêts au taux légal, les dispositions de l'article 1154 du code civil,
Y ajoutant :
Dit n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article L.1235-4 du code du travail,
Vu l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société GDF SUEZ ENERGIE SERVICES SA (COFELY) à payer à [J] [V] la somme de 1 500 €,
Laisse les dépens à la charge de la société GDF SUEZ ENERGIE SERVICES SA (COFELY).
LA GREFFIÈRE POUR LA PRÉSIDENTE EMPÊCHÉE