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12/12/2012 | FRANCE | N°11/11606

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 4, 12 décembre 2012, 11/11606


Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 4



ARRET DU 12 DECEMBRE 2012



(n° 349 , 8 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 11/11606



Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 Mai 2011 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - 3ème Chambre - 2ème Section -RG n° 09/10883





APPELANTE



SYNDICAT NATIONAL DES ANTIQUAIRES représenté par son présiden

t

Ayant son siège social

[Adresse 1]

[Localité 2]



Représenté par la SCP LAGOURGUE - OLIVIER, avocats au barreau de PARIS,

toque L0029

Assisté de Me Bernard EDELMAN, avocat au ba...

Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 4

ARRET DU 12 DECEMBRE 2012

(n° 349 , 8 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 11/11606

Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 Mai 2011 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - 3ème Chambre - 2ème Section -RG n° 09/10883

APPELANTE

SYNDICAT NATIONAL DES ANTIQUAIRES représenté par son président

Ayant son siège social

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représenté par la SCP LAGOURGUE - OLIVIER, avocats au barreau de PARIS,

toque L0029

Assisté de Me Bernard EDELMAN, avocat au barreau de PARIS, toque D 0099 et de Me Michel BLUM, avocat au barreau de PARIS, toque D 690

INTIMÉE

SNC CHRISTIE'S FRANCE agissant poursuites et diligences en la personne de son gérant

Ayant son siège social

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée par Me François TEYTAUD, avocat au barreau de PARIS, toque J125

Assistée de Me Didier THEOPHILE plaidant pour le cabinet DARROIS VILLEY, avocat au barreau de PARIS, toque R 170

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 910 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 31 Octobre 2012 , en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur VERT, Conseiller faisant fonction de Président et Madame LUC, Conseiller, chargée d'instruire l'affaire.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur ROCHE, Président

Monsieur VERT, Conseiller

Madame LUC, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Madame Emmanuelle DAMAREY

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur VERT, Conseiller ayant délibéré, le Président étant empêché, et par Madame Véronique GAUCI, greffier, auquel la minute du présent arrêt a été remis par le magistrat signataire.

****

Vu le jugement rendu le 20 mai 2011 par lequel Tribunal de grande instance de PARIS a déclaré irrecevable l'action en nullité du SYNDICAT NATIONAL DES ANTIQUAIRES NEGOCIANTS EN OBJET D'ART TABLEAUX ANCIENS ET MODERNES (SNA), rejeté les autres demandes du SNA et condamné le SNA à payer à la société CHRISTIE'S FRANCE la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu l'appel interjeté par le SNA le 21 juin 2011 et ses conclusions enregistrées le 29 mai 2012 demandant, à titre principal, que soit infirmé le jugement dont appel, que soit déclarée recevable et fondée son action en nullité et, à titre subsidiaire, que soit posée à la Cour de l'Union européenne la question préjudicielle suivante : «'L'article 1, paragraphe 4 de la directive 2001/84/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 septembre 2001, relative au droit de suite au profit de l'auteur d'une 'uvre d'art originale, s'oppose-t-il à ce qu'une salle de ventes insère, dans ses conditions générales de vente, une clause mettant à la charge de l'acheteur d'une 'uvre d'art le paiement du droit de suite'», et que la société CHRISTIE'S FRANCE soit condamnée à payer au SNA la somme de 30.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu les conclusions signifiées par la société CHRISTIE'S FRANCE le 14 mai 2012 demandant, à titre principal, que soit confirmé le jugement entrepris et, à titre subsidiaire, de déclarer le SNA infondé à agir en nullité sur le fondement des dispositions de la directive communautaire 2011/84 du 27 décembre 2001 et de dire et juger que l'aménagement contractuel de la société CHRISTIE'S FRANCE, aux termes duquel l'acheteur d'une 'uvre est redevable d'une somme équivalente au droit de suite ne viole pas l'article L122-8 du Code de la propriété intellectuelle, et, en conséquence de débouter le SNA de l'ensemble de ses demandes et enfin de le condamner au paiement, à la société CHRISTIE'S FRANCE, de la somme de 30.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

SUR CE

Considérant qu'il résulte de l'instruction les faits suivants :

Le Syndicat National des Antiquaires, (ci-après SNA), fondé en 1901, a pour objet la défense des intérêts de la profession et réunit 400 antiquaires et galeries de tableaux de maîtres anciens et modernes.

Dans la rédaction que lui a donnée la loi n° 2006-961 du 1er août 2006, transposant la directive communautaire 2001/84/CE du 27'septembre 2001 relative au droit de suite au profit de l'auteur d'une 'uvre d'art originale, l'article L.'122-8 du Code de la propriété intellectuelle dispose :

«'Les auteurs d''uvres originales graphiques et plastiques ressortissants d'un Etat membre de la Communauté européenne ou d'un Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen bénéficient d'un droit de suite, qui est un droit inaliénable de participation au produit de toute vente d'une 'uvre après la première cession opérée par l'auteur ou par ses ayants droit, lorsque intervient en tant que vendeur, acheteur ou intermédiaire un professionnel du marché de l'art. Par dérogation, ce droit ne s'applique pas lorsque le vendeur a acquis l''uvre directement de l'auteur moins de trois ans avant cette vente et que le prix de vente ne dépasse pas 10 000 euros.

On entend par 'uvres originales au sens du présent article les 'uvres créées par l'artiste lui-même et les exemplaires exécutés en quantité limitée par l'artiste lui-même ou sous sa responsabilité.

Le droit de suite est à la charge du vendeur. La responsabilité de son paiement incombe au professionnel intervenant dans la vente et, si la cession s'opère entre deux professionnels, au vendeur.

Les professionnels du marché de l'art visés au premier alinéa doivent délivrer à l'auteur ou à une société de perception et de répartition du droit de suite toute information nécessaire à la liquidation des sommes dues au titre du droit de suite pendant une période de trois ans à compter de la vente.

Les auteurs non ressortissants d'un Etat membre de la Communauté européenne ou d'un Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen et leurs ayants droit sont admis au bénéfice de la protection prévue au présent article si la législation de l'Etat dont ils sont ressortissants admet la protection du droit de suite des auteurs des Etats membres et de leurs ayants droit.

Un décret en Conseil d'Etat précise les conditions d'application du présent article et notamment le montant et les modalités de calcul du droit à percevoir, ainsi que le prix de vente au-dessus duquel les ventes sont soumises à ce droit. Il précise également les conditions dans lesquelles les auteurs non ressortissants d'un Etat membre de la Communauté européenne ou d'un Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen qui ont leur résidence habituelle en France et ont participé à la vie de l'art en France pendant au moins cinq ans peuvent demander à bénéficier de la protection prévue au présent article'».

Le SNA expose que, conformément aux dispositions de l'article L.122-8 du Code de la propriété intellectuelle (CPI), en cas de vente d''uvres originales affectées d'un droit de suite, l'antiquaire ou le galeriste, lorsqu'il achète une 'uvre d'art, met le droit de suite à la charge du vendeur et, inversement, prend ce droit à sa charge, lorsqu'il vend une 'uvre d'art.

Le SNA a appris que la société CHRISTIE'S FRANCE, société de ventes volontaires aux enchères publiques et filiale française de la multinationale CHRISTIE'S, avait organisé, les 23, 24 et 25 février 2009, la vente de la collection [H] [K] et [I] [V], en dérogeant à ces dispositions. Ses conditions générales de vente prévoyaient en effet que le montant du droit de suite serait supporté par l'acheteur de l'oeuvre et non par le vendeur. L'article 4 b de ces conditions générales est ainsi rédigé : «'Pour tout lot assujetti au droit de suite, et désigné par le symbole lambda au sein du présent catalogue, CHRISTIE'S percevra de la part de l'acheteur, pour le compte et au nom du vendeur, une somme équivalente au montant du droit de suite exigible, aux taux applicables, à la date de la vente (...)'». Cette clause est reprise à l'article 11 du mandant de vente proposé par CHRISTIE'S : «'Pour tout lot assujetti au droit de suite, nous collecterons en votre nom et pour votre compte auprès de l'acheteur une somme équivalente au montant du droit de suite, au taux applicable à la date de la vente  ; nous remettrons cette somme en votre nom et pour votre compte à l'organisme chargé de percevoir ce droit, ou, le cas échéant, à l'artiste lui-même'».

Cette pratique ayant été généralisée pour les ventes postérieures, le SNA a, par acte du 3 juillet 2009, fait assigner la société CHRISTIE'S FRANCE aux fins de voir qualifier cette pratique de concurrence déloyale et illicite, et constater la nullité des clauses figurant dans lesdites conditions de ventes.

Par jugement du 20 mai 2011, le Tribunal de grande instance de PARIS a déclaré irrecevable l'action en nullité et rejeté les autres demandes du SNA. Le Tribunal a estimé que la nullité invoquée était une nullité relative, «'n'ouvrant l'action la concernant qu'aux seuls auteurs ou à leurs ayants-droit'» et que le SNA n'avait donc pas qualité pour s'en prévaloir. S'agissant de l'action en concurrence déloyale, il a jugé non prouvés le comportement fautif de la société CHRISTIE'S FRANCE et l'existence d'une concurrence faussée, avançant que «'s'il est possible que des vendeurs potentiels soient tentés, du fait d'une minoration de leurs frais, de s'adresser à la société CHRISTIE'S plutôt qu'à un antiquaire, il est également possible que des éventuels acheteurs préfèrent eux, pour payer un moindre coût, effectuer un achat auprès d'un antiquaire plutôt que dans une salle de vente comme la société CHRISTIE'S'».

Sur la recevabilité de l'action en nullité du SNA :

Considérant qu'au soutien de la recevabilité de son action en nullité, le SNA soutient que la clause litigieuse, qui met à la charge de l'acheteur le paiement du droit de suite, viole l'article L. 122-8 du Code de la propriété intellectuelle, qui édicte une règle impérative, visant, selon les objectifs de la directive communautaire qu'il a transposée en droit national, à supprimer toutes les distorsions de concurrence existant sur le marché de l'art entre ses différents acteurs ;

Considérant que la société CHRISTIE'S FRANCE maintient que l'action en nullité du SNA est irrecevable, la nullité invoquée étant une nullité relative en ce que l'article L.122-8 du Code de la propriété intellectuelle vise à protéger les intérêts des seuls auteurs et de leurs ayants droit, le SNA ne justifiant d'aucune atteinte aux intérêts collectifs de ses membres et la demande du SNA étant au surplus générale et imprécise ; qu'au surplus, le SNA ne serait pas fondé à invoquer une violation de la directive, qui ne produit pas d'effet direct horizontal ;

Mais considérant, en premier lieu, que la directive invoquée par le SNA est une directive d'harmonisation, prise sur le fondement de l'article 95 du TCE (devenu l'article 114 TFUE) ; que son objectif était de résoudre le problème résultant de l'inexistence du droit de suite dans certains Etats membres, source d'entraves sur le marché intérieur, de distorsions de concurrence ainsi que d'un manque de protection pour les auteurs des 'uvres d'art originales ; que le considérant 9 explique que l''«'application ou la non-application de celui-ci revêt un impact significatif sur les conditions de concurrence au sein du marché intérieur dans la mesure où l'existence ou non d'une obligation de paiement découlant du droit de suite est un élément qui est nécessairement pris en considération par toute personne désireuse de procéder à la vente d'une 'uvre d'art. Dès lors, ce droit est un des facteurs qui contribuent à créer des distorsions de concurrence ainsi que des délocalisations de ventes au sein de la Communauté'» ; qu'il résulte de ce considérant que l'objectif de la directive, et de l'article L.122-8 du Code de la propriété intellectuelle, n'est pas, contrairement aux allégations de la société CHRISTIE'S, limité à la protection des auteurs, mais de contribuer au bon fonctionnement du marché commun de l'art, sans entraves ni restrictions de concurrence, par l'adoption d'un régime unifié du droit de suite entre Etats-membres ; que cet objectif est un objectif d'ordre public économique ; que tout opérateur, tiers au contrat litigieux, qui justifie d'un intérêt légitime et suffisant est donc recevable à invoquer la violation de l'article L.122-8 du Code de la propriété intellectuelle pour demander la nullité d'une clause contractuelle ;

Considérant, en deuxième lieu, que les alinéas 1 et 3 de l'article L.122-8 du Code de la propriété intellectuelle prévoient que «'Les auteurs d''uvres originales graphiques et plastiques ressortissants d'un Etat membre de la Communauté européenne ou d'un Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen bénéficient d'un droit de suite, qui est un droit inaliénable de participation au produit de toute vente d'une 'uvre après la première cession opérée par l'auteur ou par ses ayants droit, lorsque intervient en tant que vendeur, acheteur ou intermédiaire un professionnel du marché de l'art. (') Le droit de suite est à la charge du vendeur. La responsabilité de son paiement incombe au professionnel intervenant dans la vente et, si la cession s'opère entre deux professionnels, au vendeur'» ; qu'il résulte de ces dispositions que les ventes réalisées par tous les professionnels du marché de l'art, salles de vente, galeries d'art et antiquaires sont soumises à ce droit de suite ; que la clause litigieuse des conditions de vente de la société CHRISTIE'S impute le droit de suite à l'acheteur, alors que les autres professionnels intervenant en France sur le marché de la vente des objets d'art soumis à droit de suite l'imputent au vendeur ; que les vendeurs sont donc exonérés du droit de suite lorsqu'ils s'adressent à la société CHRISTIE'S pour vendre leurs 'uvres d'art ou tenus à son paiement s'ils souhaitent vendre par l'intermédiaire d'autres sociétés de ventes volontaires, ou, directement, aux antiquaires ou galeristes ; que les conditions de concurrence sont donc faussées entre ces opérateurs ; que, de plus, les galeristes et antiquaires interviennent également en tant qu'acheteurs auprès de la société CHRISTIE'S, susceptibles à ce titre de se voir imposer le paiement du droit de suite, qu'ils repaieront une deuxième fois en tant que vendeurs ; que le SNA, qui regroupe des opérateurs dont les ventes sont soumises à ce droit de suite, présente un intérêt légitime à soulever la violation de l'article L.122-8 du Code de la propriété intellectuelle, qui garantit une uniformité de traitement des professionnels de l'art ;

Considérant, en troisième lieu, que la demande du SNA n'est pas générale, mais vise précisément la clause des conditions générales de vente de la société CHRISTIE'S qui porte atteinte aux intérêts de la profession qu'il défend ; que le syndicat a donc bien un intérêt à agir en nullité de la clause litigieuse ;

Considérant, en dernier lieu que s'il n'existe pas d'effet direct horizontal des directives permettant à un opérateur de se prévaloir de ses dispositions, il incombe au juge national d'appliquer le droit national et de l'interpréter à la lumière du texte et de la finalité de la directive que ce droit transpose, pour atteindre le résultat visé par la directive ; que le SNA est donc bien recevable à fonder son action en nullité sur la méconnaissance de l'article L.122-8 du Code de la propriété intellectuelle, tel qu'éclairé par la directive ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'action en nullité intentée par le SNA est recevable et le jugement entrepris sera infirmé sur ce point ;

Sur la nullité de la clause litigieuse :

Considérant que le SNA expose que mettre le paiement du droit de suite à la charge de l'acheteur, et en dispenser les vendeurs est contraire à l'article L.122-8 alinéa 3 du Code de la propriété intellectuelle, transposant l'article 1.4 de la directive n° 2001/84/CE du 27 décembre 2001 ; qu'à titre subsidiaire, il demande à la Cour, en cas de doute sur l'interprétation à donner à ces dispositions, de poser une question préjudicielle à la Cour de justice sur la validité de l'aménagement contractuel proposé par CHRISTIE'S ;

Considérant que la société CHRISTIE'S FRANCE, intimée, expose que l'aménagement contractuel litigieux ne contrevient pas aux règles relatives au droit de suite, dans la mesure où il n'a pas pour effet de libérer le vendeur de son obligation légale à l'égard de l'auteur et qu'il ne déroge donc pas aux dispositions de l'article L 122-8 alinéa 3 du Code de la propriété intellectuelle, que le SNA ne démontre pas le caractère impératif de ces dispositions ; qu'enfin, le SNA ne justifie pas de l'intérêt de la question préjudicielle à poser à la Cour et sa formulation «'travesti(rai)t l'aménagement contractuel qu'il dénonce'» ;

Mais considérant que la loi nationale met clairement la charge du paiement du droit de suite sur les vendeurs et n'autorise aucune dérogation par voie conventionnelle ;

Considérant en effet que l'article L.122-8 du Code de la propriété intellectuelle dispose : «'Le droit de suite est à la charge du vendeur. La responsabilité de son paiement incombe au professionnel intervenant dans la vente et, si la cession s'opère entre deux professionnels, au vendeur'» ;

Considérant que les travaux parlementaires viennent confirmer que l'intention du législateur, au delà de la lettre du texte, était de mettre le droit de suite à la charge exclusive du vendeur ; qu'il résulte en effet du rapport rédigé par M. [R], au nom de la Commission des affaires culturelles du Sénat (n° 308), que seul le vendeur «subira une restriction dans l'exercice de l'abusus de son droit de propriété'», la personne responsable du paiement (le professionnel) «'étant simplement chargée de prélever les fonds sur le prix de vente de l''uvre afin de les tenir à la disposition de l'auteur'» ; que le rapporteur précisait que'«'le droit de suite est mis à la seule charge du vendeur. Aux termes de la directive, ce principe ne fait l'objet d'aucune exception. Sa simplicité contribuera sans aucun doute à établir des conditions de concurrence saines entre les principales places de marché situées au sein de l'Union européenne'» ; que l'examen des travaux parlementaires démontre que la faculté d'autoriser des dérogations conventionnelles à ce principe avait été envisagée et aussitôt écartée ; qu'en effet, un amendement rédigé dans ce sens avait été déposé par M. [C] ; que cet amendement, qui aurait permis d'imputer le droit de suite aux acheteurs, a été écarté par la Commission mixte paritaire ; que dans l'exposé des motifs de M. [C], celui-ci regrette que le législateur français ait exclu, contrairement à certains Etats, que le droit de suite puisse être supporté, en définitive, par l'acheteur ;

Considérant que, dès l'origine, le droit de suite, de création française, a été conçu comme une rétribution versée par le vendeur, qui s'est enrichi par la vente d'une 'uvre, à l'auteur, dont la rémunération originaire, lors de la première cession de l''uvre, a pu être fort modique, au regard des plus-values acquises postérieurement par celle-ci ; que l'extrait des débats parlementaires versé aux débats par le SNA ( annexe 6794- séance du 2 septembre 1919, rapport d'[Z] [L]) témoigne du souci d'équité qui animait la réforme et le vendeur était ainsi interpellé : «'Si vous vendez cette 'uvre en vente publique et puisqu'aussi bien vous donnerez une part à l'Etat et une autre au commissaire-priseur, vous verserez également un modeste salaire à celui qui a créé la richesse qui est entre vos mains'» ;

Considérant qu'au regard de ces éléments, il apparaît que le législateur n'a admis aucune exception au principe principe posé dans l'article L.122-8 du Code de la propriété intellectuelle ;

Considérant qu'en lisant ce texte à la lumière de la directive qu'il a pour objet de transposer en droit national, à savoir l'article 4, il apparaît que toute dérogation par voie conventionnelle à ses dispositions irait à l'encontre de l'objectif de la directive, à savoir assurer un fonctionnement non faussé du marché communautaire de la vente des objets d'art ;

Considérant que l'article 4 de la directive énonce clairement : «'Le droit visé au paragraphe 1 est à la charge du vendeur. Les États membres peuvent prévoir que l'une des personnes physiques ou morales visées au paragraphe 2, autre que le vendeur, est seule responsable du paiement du droit ou partage avec le vendeur cette responsabilité » ; qu'aucune dérogation n'est prévue dans ce texte dont la loi française reprend scrupuleusement les termes ;

Considérant que ces dispositions doivent être interprétées en fonction de l'objectif poursuivi par cette directive d'harmonisation, à savoir mettre un terme aux «'distorsions du marché dues aux différences de législations nationales qui permettaient aux vendeurs de se fournir en marchandises dans des pays appliquant le droit de suite pour les revendre dans ceux qui ne l'appliquaient pas'» ; que cet objectif a été concrétisé par l'instauration d'un droit de suite dans tous les Etats-membres et une uniformisation du régime de ce droit ; qu'aucune dérogation n'a été envisagée dans la directive, de nature à permettre d'imputer le paiement de ce droit aux acheteurs ;

Considérant que les caractéristiques du marché de la vente des objets d'art rendent impossibles toute dérogation, à peine de créer des distorsions de concurrence entre opérateurs ;

Considérant, en effet, qu'interviennent sur le marché de la vente des 'uvres d'art soumises au droit de suite, les sociétés de ventes volontaires, les commissaire-priseurs judiciaires, les galeries d'art, les antiquaires, et autres négociants en objets d'art ; qu'une certaine concurrence existe entre ces opérateurs pour attirer les vendeurs, condition essentielle de l'irrigation du marché ; que c'est la vitalité de l'offre qui fait la renommée des places de vente et non les acheteurs qui peuvent passer des ordres par téléphone ; que les taux de prélèvements (commissions vendeurs, TVA, droit de suite) qui pèsent sur ces vendeurs influent nécessairement sur leur décision de vendre à tel ou tel opérateur ; que l'influence du droit de suite sur les délocalisations des vendeurs vers les pays ne percevant pas ce droit a été stigmatisée et a donné lieu à la présente directive, qui a généralisé sa perception en Europe ; que prévoir que seuls les acheteurs paieront ce droit de suite revient, en réalité, à ré instaurer cette discrimination entre les opérateurs, tels CHRISTIE'S, qui auront convenu que seuls les acheteurs paieront et les autres opérateurs, sociétés de ventes volontaires concurrentes, ou autres opérateurs qui respectent scrupuleusement les termes de la loi ; que, démentant ses écritures dans lesquelles elle minimise les distorsions de concurrence pouvant en résulter, compte tenu des montants en cause, plafonnés à 12 500 euros par oeuvre, la société Christie's présentait ainsi, en 2008, sa décision d'imputer aux acquéreurs le paiement du droit de suite, soulignant qu'elle avait pris cette décision « afin de permettre à [Localité 10] de devenir une place majeure du marché de l'art en incitant un plus grand nombre de collectionneurs à vendre leurs 'uvres d'art en France », les principales places de Londres et de New York n'appliquant pas ce droit ; que l'effet distorsif de concurrence de cette mesure est donc assumé et revendiqué ;

Considérant que cette décision a nécessairement entraîné pour la maison de ventes, un avantage concurrentiel par rapport aux autres sociétés de ventes volontaires (SVV) ou autres opérateurs intervenant sur le marché de l'art en France ou en Europe qui appliquent le droit de suite aux vendeurs, nonobstant le caractère plafonné de ce droit ;

Considérant, en définitive, que la clause des conditions générales de la société CHRISTIE'S est contraire à l'article L. 122-8 du Code de la propriété intellectuelle ; que si la société CHRISTIE'S FRANCE soutient que cet aménagement contractuel serait conforme à l'article 1165 du Code civil, et ne porterait pas atteinte aux droits du créancier, à savoir l'auteur de l'oeuvre, il convient de souligner que la loi s'oppose à cet aménagement, le paiement du droit de suite étant spécifiquement imputé au vendeur, de par la volonté même du législateur, l'imputation à l'acheteur par voie conventionnelle contredisant l'objectif d'élimination des distorsions de concurrence ; qu'il est, par ailleurs, permis de s'interroger sur l'acquiescement, au cas par cas, de l'acheteur à cette dérogation au principe posé par la loi, les conditions générales, auxquelles renvoie un «'lambda'» figurant au regard de certaines 'uvres dans le catalogue de vente de la société, n'étant pas très lisibles ;

Considérant que si la société CHRISTIE'S verse aux débats une note de la Commission européenne, interrogée par la Chancellerie, semblant ne pas estimer contraire à la directive l'arrangement conventionnel proposé par CHRISTIE'S, il convient de noter que cette note, qui répond à une demande non versée au dossier, ne peut être pertinente dans le cadre de la présente instance ; que, au surplus, dépourvue d'effets juridiques, elle ne lie pas le juge national et ne se prononce pas sur la conformité du dispositif à la loi nationale, fondement de l'action en nullité intentée par le SNA ;

Considérant, ainsi, que le jugement déféré sera infirmé en toutes ses dispositions et la clause litigieuse des conditions générales de vente sera déclarée nulle, sans qu'il soit besoin de poser une question préjudicielle à la Cour de l'Union européenne, les dispositions de la loi nationale étant claires ;

PAR CES MOTIFS

- INFIRME le jugement entrepris,

et, statuant à nouveau,

- DÉCLARE recevable l'action du SYNDICAT NATIONAL DES ANTIQUAIRES,

- DÉCLARE nul et de nul effet la clause 4-b figurant dans les conditions générales de vente de la société CHRISTIE'S FRANCE,

- CONDAMNE la société CHRISTIE'S FRANCE aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile,

- LA CONDAMNE à payer au SYNDICAT NATIONAL DES ANTIQUAIRES la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

LE GREFFIER P/ Le Président Empêché


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 4
Numéro d'arrêt : 11/11606
Date de la décision : 12/12/2012

Références :

Cour d'appel de Paris I4, arrêt n°11/11606 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2012-12-12;11.11606 ?
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