RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 12
ARRÊT DU 20 Décembre 2012
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 10/06502 MAS
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 17 Juin 2010 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de MEAUX RG n° 08-00530/M
APPELANTE
UNION MUTUALISTE D'INITIATIVE SANTE POUR SON ETABLISSEMENT LE CENTRE [10]
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Adresse 4]
représentée Mme [Z] (Directrice) en vertu d'un pouvoir spécial
assistée par Me Stéphane BOURQUELOT, avocat au barreau de LYON
INTIMEES
Madame [D] [P]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Emily MENGELLE, avocat au barreau de l'ESSONNE
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE [Localité 3] (CPAM [Localité 3])
[Adresse 11]
[Adresse 11]
[Adresse 11]
représentée par Mme [B] en vertu d'un pouvoir spécial
AGENCE DE SERVICE ET DE PAIEMENTS (APS) venant aux droits du Centre National pour l'Aménagement des Structures des Exploitations Agricoles (CNASEA)
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Adresse 6]
représentée par Me Antoine DELPLA, avocat au barreau du VAL d'OISE, toque : 50 substitué par Me Firmine AKLE, avocat au barreau du VAL d'OISE, toque : 50
Monsieur le Ministre chargé de la sécurité sociale
[Adresse 1]
[Adresse 1]
avisé - non représenté
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 31 Octobre 2012, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Marie-Ange SENTUCQ, Conseillère, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Jeannine DEPOMMIER, Président
Monsieur Luc LEBLANC, Conseiller
Madame Marie-Ange SENTUCQ, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier : Mlle Nora YOUSFI, lors des débats
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Luc LEBLANC, Conseiller faisant fonction de Président, la Présidente étant empêchée et par Madame Michèle SAGUI, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire
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FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
Madame [D] [P] a été reconnue comme travailleur handicapé au mois de décembre 1997.
Elle a été victime d'un accident le 12 juin 2003 qui a fait l'objet d'une prise en charge d'emblée au titre de la législation professionnelle alors qu'elle effectuait un stage de reclassement professionnel au Centre de Réadaptation Professionnelle [10] à [Localité 12].
Madame [P] a été indemnisée au titre de la législation professionnelle du 21 juillet 2004 au 5 mars 2006 avec consolidation acquise au 20 juin 2007.
Une rente accident du travail pour taux d'incapacité permanente partielle de 9 % lui a été notifiée le 19 février 2008 avec effet au 21 juin 2007.
Par un jugement du 17 juin 2010 le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de SEINE et MARNE a :
rejeté le moyen tiré de la prescription de l'action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur,
retenu la qualité d'employeur du Centre de Réadaptation Professionnelle [10] et jugé que l'accident du travail du 12 juin 2003 est la conséquence de la faute inexcusable de l'employeur,
fixé au maximum la majoration de la rente due à Madame [P] en application de l'article L 452-2 du code de sécurité sociale en application de l'article L 452-2 du code de sécurité sociale,
dit que le Centre [10] est irrecevable à contester le caractère professionnel de l'accident du 12 juin 2003,
débouté le Centre [10] du surplus de ses demandes,
débouté l'ASP de la demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
avant dire droit, ordonné une expertise médicale portant sur l'évaluation des préjudices complémentaires pour les souffrances morales et physiques endurées, le préjudice esthétique, le préjudice d'agrément, le préjudice lié à la perte ou la diminution de promotion professionnelle.
Le jugement a été notifié au Centre [10] par lettre recommandée avec accusé de réception reçu le 7 juillet 2010.
L'UNION MUTUALISTE D'INITIATIVE SANTE POUR SON ETABLISSEMENT, dit le CENTRE [10], en a interjeté appel par déclaration du 22 juillet 2010 reçu au Greffe Social le 23 juillet 2010.
Le Centre [10] a développé à l'audience par la voix de son conseil les conclusions déposées au greffe le 29 octobre 2012.
Il demande à la Cour :
d'infirmer en tous points le jugement entrepris,
de juger qu'il n'est pas l'employeur de Madame [P] et que par conséquent l'action entreprise à son encontre est irrecevable,
de débouter Madame [P] de l'ensemble de ses demandes,
A titre principal :
de constater l'absence de caractère professionnel de l'accident,
de débouter Madame [P] de l'ensemble de ses demandes au titre d'une réglementation inapplicable.
A titre subsidiaire :
de constater que la définition de la faute inexcusable retenue par le jugement n'est envisageable que dans le cadre des rapports employeur-salarié,
En tout état de cause, de constater l'absence de faute commise par le Centre [10] en lien avec l'accident invoqué,
En conséquence de débouter Madame [P] de toutes ses prétentions,
de constater qu'aux termes des dispositions de l'article R 412-7 du code de sécurité sociale, les cotisations éventuellement liées à l'accident du travail dont se prévaut Madame [P] sont exclusivement à la charge de la CPAM compétente.
Le Centre [10] fait valoir à l'appui de son appel que Madame [P] a été accueillie au centre en qualité de stagiaire, qu'elle a bénéficié d'une prise en charge financière par l'intermédiaire de la CNASEA, aux droits de laquelle vient l'AGENCE DE SERVICE DE PAIEMENT, et que le Centre [10] est centre formateur et non employeur de l'intimée.
Selon le Centre [10] on ne peut par conséquent mettre à sa charge l'obligation de sécurité résultat dont seuls sont créanciers les salariés au sens du code du travail ni le pouvoir de direction qui n'existe pas dans la relation centre de stage-stagiaire où le stagiaire n'est pas un subordonné mais un usager des services de l'établissement médico-social.
Par ailleurs selon le Centre [10], l'absence de lien temporel comme spatial entre l'accident et l'activité de formation ne permet pas à Madame [P] de mette en avant son statut de stagiaire et le bénéfice de la protection revendiquée car les faits litigieux se sont produits alors que l'intimée se levait de son lit en dehors du temps du stage.
En outre et très subsidiairement le Centre [10] demande à la Cour de constater, sur la faute inexcusable invoquée, que le lit n'a joué aucun rôle causal, qu'aucun manquement n'est caractérisé à l'encontre de l'employeur concernant le défaut de mise en place d'éléments de protection et qu'en tout état de cause Madame [P] a immédiatement été prise en charge par l'infirmière du Centre [10] puis par la clinique de l' [Localité 8] où elle a été amenée dès 15 heures.
Madame [D] [P] a développé par la voix de son conseil les conclusions déposées au Greffe Social le 13 septembre 2012.
Aux visas des articles R 6342-3 et L 452-1 et suivants du code de la sécurité sociale elle demande à la Cour :
de confirmer le jugement rendu le 17 juin 2010 et par conséquent,
de constater la recevabilité de son action,
de constater que le Centre [10] était son employeur lors de l'accident du 12 juin 2003,
de constater que le CENTRE [10] a commis une faute inexcusable à l'origine de l'accident,
subsidiairement, si la Cour ne retenait pas la qualité d'employeur du Centre, de constater la qualité d'employeur de l'AGENCE DE SERVICES ET DE PAIEMENT et de retenir la notion de faute inexcusable à son encontre,
par conséquent,
de fixer au maximum la majoration de la rente due à Madame [D] [P] en application de l'article L N452-2 du code de sécurité sociale,
d'ordonner une expertise médicale sur les séquelles en liaison avec l'accident survenu le 12 juin 2003.
A titre préliminaire Madame [P] rappelle que son action n'est pas forclose pour avoir été engagée avant le 25 janvier 2009, le délai de prescription ayant été interrompu par la saisine de la CPAM aux fins de conciliation.
Elle sollicite la confirmation du jugement entrepris de ce chef.
Sur la qualité de l'employeur, elle soutient qu'elle était placée sous la direction et la subordination du Centre [10], que l'AGENCE DE SERVICES ET DE PAIEMENTS n'assure qu'une fonction financière et n'a aucun pouvoir de direction sur le stagiaire de sorte qu'elle n'est pas débitrice de l'obligation de sécurité qui pèse sur le CENTRE [10] seul.
Sur le caractère professionnel de l'accident elle souligne que le Centre [10] n'a émis aucune réserve lors de la déclaration effectuée le 30 juin 2003 auprès de la CPAM, que cet organisme a décidé d' une prise en charge implicite le 30 juillet 2003 au titre de la législation professionnelle, que cette décision est devenue définitive le 30 septembre 2003 et que le caractère professionnel est donc incontestable et acquis.
Sur la faute inexcusable elle rappelle que l'employeur est tenu d' une obligation de sécurité résultat, que le CENTRE lui a octroyé un lit trop haut et qu'en dépit des observations qu'elle avait adressées au CENTRE sur ce point rien n'a été fait pour remplacer le lit.
En outre l'accident a eu lieu le 12 juin 2003 vers 8 heures 30 et le CENTRE a attendu 15 heures pour la confier aux urgences ce retard de prise en charge ayant aggravé son état. La faute inexcusable est donc caractérisée.
Le lien de causalité entre l'accident et le préjudice est établi par le certificat médical du docteur [M] et en dépit de l'intervention chirurgicale du 22 juillet 2004 pour régler le syndrome rotulien, la persistance des douleurs et d'une algodystrophie sont à l'origine de souffrances, d'une longue rééducation et d'une tardive consolidation, la persistance des douleurs étant patente.
L'AGENCE DE SERVICE ET DE PAIEMENT, (l'ASP) a développé par la voix de son conseil les conclusions déposées au greffe le 4 octobre 2012.
Au vu des dispositions des articles R 6342-3 du code du travail, R 6341-36 et R 6341-48 du code du travail elle demande à la Cour :
de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a mise hors de cause,
y ajoutant,
de condamner le Centre [10] à lui verser une indemnité de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles,
d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles,
en conséquence,
de condamner Madame [P] et la CPAM de [Localité 3] chacune à lui verser la somme de 950 euros au titre des frais irrépétibles,
de condamner Madame [P] et le Centre [10] aux dépens.
L'ASP fait valoir à titre préliminaire que n'ayant reçu ni la notification de l'acte d'appel du Centre [10] ni les conclusions écrites elle sollicite la confirmation pure et simple du jugement entrepris.
Sur les faits, elle rappelle qu'elle a pris en charge le dossier de Madame [P] au titre d'un stage de formation professionnelle qui a eu lieu au CENTRE [10] du 5 mai 2003 au 1er décembre 2003, que le versement de la rémunération de l'ASP est une aide publique et non un salaire, qu'il est destiné à couvrir les risques maladie, accident du travail et maladie professionnelle, vieillesse et allocations familiales et qu'en tant qu'organisme payeur, en vertu d'une jurisprudence constante elle n'a pas la qualité d'employeur et ne peut être recherchée à ce titre.
La CAISSE PRIMAIRE d'ASSURANCE MALADIE de [Localité 3] a présenté des observations développées dans les conclusions déposées au greffe le 4 octobre 2012.
Elle demande à la Cour de lui donner acte :
de ce qu'elle s'en remet à la sagesse de la Cour tant sur la reconnaissance de la faute inexcusable que sur la majoration de la rente susceptible d'être allouée et sur la fixation des préjudices patrimoniaux visés à l'article L 452-3 du code de sécurité sociale
de ce qu'elle se réserve le droit de récupérer auprès de l'employeur ou du mandataire liquidateur ou l'assureur le montant des sommes allouées à ce titre.
SUR QUOI,
LA COUR :
Il convient à titre préliminaire d'observer que le moyen tiré de la prescription visée par l'article L 431-2 du code de sécurité sociale invoqué par le Centre [10] devant le premier juge a été abandonné en cause d'appel et qu'il n'y a pas lieu de statuer sur ce point.
En vertu des dispositions de l'article R 6342-3 du code du travail : "En matière d'accidents du travail et de maladies professionnelles, les obligations autres que celles qui concernent le paiement des cotisations incombent à la personne ou à l'organisme responsable de la gestion du centre où le stage est accompli".
En l'espèce l'ASP en sa qualité d'établissement public à caractère administratif a, entre autres missions, celle visée par les articles R 6341-36 et R 6341-48 du code du travail de rémunérer les stagiaires de la formation professionnelle sur les fonds publics financés par l'ETAT ou les conseils régionaux.
C'est dans ce cadre règlementaire que l'ASP a pris en charge la rémunération de Madame [P] sans avoir la qualité d'employeur qui revient à celui qui avait à l'époque du stage le pouvoir de direction et de décision sur la victime de l'accident en l'espèce le Centre [10] qui a accueilli et hébergé Madame [P] au titre du stage de reclassement professionnel qui s'est déroulé du 5 mai 2003 au 1er décembre 2003 ;
Il s'en suit que l'ASP doit être mise hors de cause et le jugement entrepris confirmé de ce chef.
En vertu des dispositions de l'article L 452-1 du code de la sécurité sociale lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitué dans la direction, la victime ou ses ayant droits ont droit à une indemnisation complémentaire.
Il résulte de ce texte que l'employeur, en vertu du contrat de travail qui le lie à son salarié, est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat et que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
En l'espèce le premier juge a exactement relevé que dans un courrier du 30 lai 2008 le Centre a reconnu avoir été informé par l'intimée de ce qu'elle avait un lit trop haut.
Sachant que Madame [P] a été reconnue comme travailleur handicapé par la COTOREP en 2001 pour un taux d'incapacité de 50 %, que son handicap porte au genou gauche et réduit sa mobilité, il apparaît que l'employeur avait nécessairement pris la mesure du danger encouru par la mise à disposition d'un lit trop haut, inadapté à son handicap et qu'il n'a donc pas pris les mesures nécessaires pour préserver Madame [P] du danger lié au risque de chute.
Ainsi qu'il a encore exactement été relevé par le premier juge, le certificat du docteur [M] en date du 23 juin 2003 pose le diagnostic d'une aggravation du syndrome rotulien de sorte que le lien de causalité entre l'accident du 12 juin 2003 et le préjudice subi par la victime est avéré et que Madame [P], eu égard à la gravité de la faute est fondée à solliciter en application de l'article L 452-3 du code de la sécurité sociale la réparation des préjudices complémentaires pour les souffrances physiques et morales endurées, le préjudice esthétique, le préjudice d'agrément et le préjudice lié à la perte ou diminution de promotion professionnelle.
La présente motivation rend sans objet la demande formée par le Centre [10] au titre de la prise exclusive par la CPAM des cotisations éventuellement liées à l'accident du travail.
Enfin il n'y a pas lieu de statuer sur les demande de donner acte quant à l'exercice de voies de droit qu'il revient à chaque partie d'exercer.
Le Centre [10] sera en équité seul condamné à régler à l'ASP une indemnité de 950 euros au titre des frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS :
Déclare l'UNION MUTUALISTE D'INITIATIVE SANTE POUR SON ETABLISSEMENT LE CENTRE [10] recevable mais mal fondée en son appel ;
Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;
Condamne l'UNION MUTUALISTE D'INITIATIVE SANTE POUR SON ETABLISSEMENT LE CENTRE [10] à régler à l'AGENCE DE SERVICES ET DE PAIEMENT une indemnité de 950 euros au titre des frais irrépétibles ;
Fixe le droit d'appel prévu par les dispositions de l'article R 144-10 du code de la sécurité sociale à la charge de l'appelant qui succombe au dixième du plafond mensuel prévu par l'article L 241-3 du code de la sécurité sociale et condamne l'UNION MUTUALISTE D'INITIATIVE SANTE POUR SON ETABLISSEMENT LE CENTRE [10] à ce paiement.
Le Greffier, Le Président,