Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 1
ARRET DU 10 JANVIER 2013
(n° 6, 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 11/14066
Décision déférée à la Cour : Jugement du 30 Mai 2011 -Tribunal de Grande Instance de BOBIGNY - RG n° 140/01506
APPELANTS
Monsieur [Y] [I] [N] [M]
Madame [K] [D] épouse [N] [M]
demeurant tous deux [Adresse 1] - SUISSE
représentés par Maître Catherine BELFAYOL BROQUET, avocat au barreau de PARIS, toque : L0064
assistés de Maître Loïc CONRAD, avocat au barreau de THONON LES BAINS
INTIMES
Monsieur [O] [W]
Madame [V] [U] épouse [W]
demeurant tous deux [Adresse 3]
représentés par la SCP REGNIER - BEQUET - MOISAN en la personne de Maître Bruno REGNIER, avocat au barreau de PARIS, toque : L0050
assistés de la SCP MICHEL ET ASSOCIES en la personne de Maître Pierre AUDOUIN, avocat au barreau de SEINE SAINT DENIS, toque : PB172
COMPOSITION DE LA COUR :
Après rapport oral et en application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 novembre 2012, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Christine BARBEROT, conseillère.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Lysiane LIAUZUN, présidente
Madame Christine BARBEROT, conseillère
Madame Anne-Marie LEMARINIER, conseillère
Greffier lors des débats : Madame Fatima BA
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
- signé par Madame Lysiane LIAUZUN, présidente, et par Madame Fatima BA, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*
* *
Par acte authentique du 05 octobre 1995, M. [O] [W] et son épouse, Mme [V] [U] ont acquis une propriété sise à [Adresse 3], moyennant le prix de 381 122, 54 € financé à l'aide d'un prêt consenti par la Banque la Henin.
Par acte du 8 février 2001, la société Entenial, venant aux droits de la banque Henin, a fait délivrer aux époux [W] un commandement de payer diverses sommes dues en vertu du prêt que la banque la Henin leur avait consenti , les avisant qu'à défaut de règlement, l'acte pourrait être publié au bureau des hypothèques compétent pour valoir saisie de l'immeuble.
Afin d'éviter la vente forcée de leur bien, ils se sont rapprochés de M. [Y] [N] [M] et de son épouse, Mme [K] [D] afin qu'ils se portent acquéreur dudit bien.
Par acte authentique du 16 octobre 2001, l'acte de vente a été conclu entre les parties moyennant le prix principal de 381 122, 54 €, permettant ainsi aux époux [W] de solder leur dette auprès de la Banque.
Les époux [W] ont continué d'occuper l'immeuble sans acquitter de loyer aux époux [N] [M].
Par acte du 21 novembre 2008, se prévalant d'un contrat de bail du 21 juin 2001 enregistré le 02 octobre suivant à la recette des impôts de Neuilly sur Marne, les époux [N] [M] ont délivré aux époux [W] une sommation de payer la somme de 83 579, 83 € au titre des loyers dus à compter du 1er septembre 2001 jusqu'au 18 novembre 2008, et de déguerpir.
Par acte du 15 mai 2009, les époux [N] [M] ont saisi le tribunal d'instance de Raincy d'une demande d'expulsion et de paiement à l'encontre des époux [W].
Parallèlement, par acte du 4 février 2010, les époux [W] les ont fait assigner aux fins, notamment, de voir dire que l'acte de vente du 16 octobre 2001 constituait une simulation dont la contre lettre s'analysait en une convention de prête nom.
Par jugement du 27 septembre 2010, le Tribunal d'instance a sursis à statuer jusqu'à l'issue de l'action en simulation.
Par jugement du 30 mai 2011, le Tribunal de grande instance de Paris a :
- dit la vente conclue, par acte authentique du 16 octobre 2001, entre les époux [W] et les époux [N] [M], entachée de simulation,
- dit que dans les rapports entre les parties, l'immeuble vendu n'a jamais quitté le patrimoine des époux [W],
- en conséquence, dit ces derniers propriétaires dans l'indivision, chacun pour moitié, des droits et biens immobiliers suivants :
sur la commune de [Localité 8], [Adresse 3], une propriété bâtie constituant une maison à usage d'habitation, formant le lot n°2 du lotissement du cahier des charges sous seing privé du 15 janvier 1954, cadastrée section AE [Adresse 3] sous le numéro [Cadastre 2] pour 10 ha et 28 ca,
Précédents propriétaires,
M. [Y] [I] [N] [M] et Mme [K] [D] ,
Effet relatif :
Acquisition par les époux [N] [M] par acte reçu par M. [B], notaire, le 16 octobre 2001, publié au 4ème bureau des hypothèques de Noisy le Sec le 10 décembre 2001, volume 2001 P n ° 5767,
- dit que pour pouvoir procéder à la publication du jugement, les époux [W] devront avoir restitué aux époux [N] [M] l'ensemble du prix, frais et coûts acquittés par ces derniers lors de la vente du 16 octobre 2011, déduction faite de la somme de 80 797, 98 €,
- condamné les époux [N] [M] à leur payer la somme de 2 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Appelants de cette décision, les époux [N] [M] aux termes de leurs dernières écritures signifiées le 02 mars 2012, concluent à l'infirmation du jugement, et statuant à nouveau, demandent à la Cour de :
- vu les articles 1134, 1319, 1320, 1321, 1659 et suivants du code civil,
- vu les articles 303 à 306 du code de procédure civile,
- dire que la vente conclue par acte authentique du 16 octobre 2001 est parfaite et régulière,
- dire que le contrat de bail conclu le 21 juin 2001, entre les parties, est valide,
- constater que l'immeuble vendu a définitivement quitté le patrimoine des époux [W] pour intégrer le leur,
- les débouter en conséquence de leurs prétentions,
- les condamner à leur payer la somme de 3 000 € à titre de dommages et intérêts,
- les condamner à leur payer la somme de 4 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Aux termes de leurs dernières écritures signifiées le28 décembre 2011, les époux [W] concluent à la confirmation du jugement entrepris et demandent à la Cour de :
- constater que l'assignation introductive d'instance a été publiée le 12 octobre 2010 au 4ème bureau des hypothèques de [Localité 4], volume 2010 P n° 4072,
- vu les articles 1321 et 1348 du code civil,
- les déclarer recevables à rapporter la preuve, par tous moyens, de l'existence et du contenu de la contre lettre qu'ils invoquent,
- constater que la preuve est rapportée,
- dire en conséquence que l'acte de vente conclu le 16 octobre 2001 est entaché de simulation,
- déclarer en conséquence, les époux [N] [M], mal fondés en leur appel et les en débouter,
Subsidiairement,
- prononcer la résolution de la vente litigieuse aux torts des acquéreurs pour défaut de paiement intégral du prix convenu,
Plus subsidiairement,
- les condamner à leur payer la somme de 80 797, 98 € avec intérêts aux taux légal à compter du 4 février 2010,
En tous les cas,
- les condamner aux entiers dépens de l'appel et à leur payer la somme de 4 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
CECI ETANT EXPOSE,
LA COUR,
Considérant qu'il est acquis aux débats que l'assignation introductive d'instance a été publiée le 12 octobre 2010 au bureau des hypothèques compétent et que, de ce chef, l'action est recevable ;
Considérant en droit que les contre-lettres ne peuvent avoir leur effet qu'entre les parties contractantes ;
Que l'action en déclaration de simulation n'est pas réservée aux tiers à la contre-lettre laquelle peut produire effet à l'encontre d'une personne qui y a été partie en sorte que le moyen tiré de l'irrecevabilité de l'action en simulation engagée par les époux [W] doit être écarté ;
Considérant que par acte authentique du 16 octobre 2001, M. et Mme [O] [W] ont vendu à M. et Mme [Y] [N] [M] un immeuble à usage d'habitation situé [Adresse 3] moyennant le prix de 381 122,54 € payé comptant et quittancé à l'acte de vente ;
Que l'acte précisait que la société Entenial, en sa qualité de prêteur des deniers ayant servi à l'acquisition de l'immeuble par les époux [W] le 5 octobre 1995, et qui était titulaire d'un privilège de prêteur de deniers, avait fait délivrer, le 8 février 2001, faute de paiement à leur échéance des mensualités du prêt, aux vendeurs un commandement valant saisie de l'immeuble mais qu'aucune adjudication n'était encore intervenue ;
Considérant que les époux [W] soutiennent que la vente était simulée en ce qu'il importait pour eux d'éviter la vente forcée de leur maison en sorte qu'un arrangement de famille avait été convenu aux termes duquel les époux [N] [M] feraient l'acquisition de leur immeuble de [Localité 8], paieraient à cette occasion le solde de leur emprunt immobilier, tout en leur laissant la pleine jouissance des lieux dont, dans les rapports entre les parties, ils n'auraient pas cessé d'être propriétaire, ce que contestent les époux [N] [M] pour lesquels la vente était réelle et devait donner lieu au paiement d'un loyer en contrepartie du maintien des époux [W] dans l'immeuble ;
Considérant que l'acte authentique fait pleine foi de la convention qu'il renferme entre les parties contractantes mais ne fait pas obstacle à ce que les conventions ou déclarations qui y sont contenues puissent être arguées de simulation par les parties elles-mêmes ;
Considérant que si dans les rapports entre les parties, la preuve d'une contre-lettre doit être administrée par écrit lorsque l'acte apparent est constaté en cette forme, il convient en l'espèce de relever que les parties ont des liens d'alliance, Mme [N] [M] étant la soeur de M. [W] , que les deux familles sont d'origine malgache, issues du même village et habituées à des retrouvailles familiales dans un climat de confiance réciproque mais aussi emprunt d'un respect particulier envers M. [N] [M], médecin de son état ayant eu une réussite sociale supérieure, notamment à celle des époux [W], de sorte que ces derniers n'ont pas eu la possibilité morale de se procurer une preuve littérale de la contre-lettre et que la preuve par témoin doit en conséquence être admise à l'appui des commencements de preuve ci-après ;
Qu'il résulte en particulier des ordres de virement produits et de la procuration établie par M. [W] donnant pouvoir à M. [N] [M] de 'percevoir à ma place la totalité ou la partie du prix de la maison d'habitation qui nous revient' ainsi que du relevé de comptabilité de M. [B], notaire qui a assuré l'authentification de la vente du 16 octobre 2001, constituant la preuve que, déduction faite du paiement des frais et des sommes remboursées au prêteur de deniers, la société Enthenial, le reliquat du prix de vente, à savoir la somme de 80 797,98 € a été remise à M. et Mme [N] [M], et non aux vendeurs à laquelle elle aurait dû revenir, ce qui conforte l'assertion des époux [W] selon laquelle cette somme sur la perception de laquelle les époux [N] ne fournissent aucune explication tangible était destinée à 'garantir et anticiper la restitution du prix dans la perspective du retour de l'immeuble dans leur propre patrimoine' ;
Qu'en outre, les époux [W] sont restés dans les lieux vendus qu'ils occupent toujours et que l'existence d'un bail revendiquée par M.[N] [M], au vu d'un acte de bail succinct dont l' exemplaire produit daté du 21 juin 2001 porte la mention d'un enregistrement, est contestée par les époux [W] qui nient son authenticité ; qu'a cet égard, si l'allégation selon laquelle l'acte litigieux aurait été dressé avant la vente, est contredite par l'existence d'un compromis en date du 22 mars 2001 lequel vaut vente, il convient d'observer que le contrat de bail versé aux débats n'est revêtu d'aucune signature et que seule l'annexe comportant l'inventaire du matériel et du mobilier censé garnir les lieux est signé des parties ; qu'en outre, il n'est pas sérieusement contesté qu'aucun loyer n'a été acquitté par les locataires, ni davantage réclamé par les époux [N] [M], propriétaires apparents de l'habitation à compter de l'acte précité du 16 octobre 2001 et ce jusqu'au 21 novembre 2008, date de l' assignation en paiement de loyers qu'ils ont fait délivrer à M et Mme [W] ;
Considérant que même si la sous- estimation 'massive' du bien alléguée par les vendeurs n'est pas formellement établie, les parties, ainsi qu'il a été précédemment dit, sont de même nationalité, entretenaient des liens familiaux et de confiance et que la vente a été décidée dans un souci d'entraide eu égard aux difficultés financières des époux [W] attestées par la procédure de saisie rappelée à l'acte de vente et ²pour leur éviter une procédure de saisie, mais aussi, si l'on suit la thèse des époux [W], telle qu'elle résulte des énonciations de la lettre qu'ils ont adressée le 13 juin 2008 aux époux [N] [M], pour permettre au docteur [N] [M], grâce au montage juridique d'une vente apparente, d'être en mesure de justifier d'une 'garantie potentielle' en vue d'obtenir un crédit à caractère professionnel ;
Considérant que le rapprochement des constatations rappelées plus haut relatives aux circonstances de la vente et aux actes l'ayant entourée permet de douter sérieusement que la commune intention des parties ait été, pour les vendeurs de vendre l'immeuble leur servant d'habitation et, pour les acquéreurs, celle d'acquérir un bien dont, dans le même temps, une partie du prix leur était remboursée et dont ils laissaient la jouissance aux vendeurs sans leur réclamer le paiement d'un loyer, que celui-ci résulte ou non d'un bail en bonne et due forme ;
Que la remise par M. [W] à M. [N] [M] d'une somme de 24 000 € en espèces un après midi de septembre 2006 à l'hotel Colbert à Madagascar, dont Mme [H] déclare avoir été le témoin et sur laquelle les époux [N] [M] ne s'expliquent pas, sinon pour la contester, conforte l'allégation des vendeurs selon laquelle il s'agirait du remboursement d'une partie du prix de vente payé par les époux [N] [M] le 16 octobre 2008 ;
Que le caractère simulé de la vente résulte encore de l'attestation délivrée par Mme [Z] [U] qui déclare avoir été témoin d'une réunion en présence des parties au cours de laquelle M.[N] [M] aurait reconnu qu'il avait toujours été convenu que les époux [W] puissent retrouver la propriété de leur maison et qu'il était d'accord pour la leur revendre ;
Considérant enfin que l'acte du 16 octobre 2001 ne réservait au vendeur aucune faculté explicite de rachat, mais qu' il ne pouvait en être autrement sauf à introduire à l'acte un indice laissant présumer la situation simulée de sorte que les développements des époux [N] [M] sur le non respect des conditions et des délais d'action de la vente à réméré sont indifférents à la solution du litige ;
Considérant que, dans ces conditions, la preuve de la simulation est établie et qu'il convient de confirmer le jugement déféré qui a dit que la vente conclue, par acte authentique du 16 octobre 2001, entre les époux [W] et les époux [N] [M], entachée de simulation, et en conséquence, dit que dans les rapports entre les parties, l'immeuble vendu n'a jamais quitté le patrimoine des époux [W], dit que pour pouvoir procéder à la publication du jugement, les époux [W] devront avoir restitué aux époux [N] [M] l'ensemble du prix, frais et coûts acquittés par ces derniers lors de la vente du 16 octobre 2011, déduction faite de la somme de 80 797, 98 € ;
Considérant que compte tenu de la nature de la décision les époux [N] [M] seront déboutés de leur demande de dommages-intérêts et sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Considérant que succombant, les époux [N] [M] supporteront les dépens , en revanche, eu égard au caractère familial du différend, l'équité ne commande pas l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile de sorte que la décision des premiers juges qui ont accordé aux époux [W] la somme de 2 500 € sur ce fondement mérite infirmation ;
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement déféré à l'exception de la dispositions ayant alloué à M. [O] [W] et Mme [V] [U] épouse [W] la somme de 2 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ,
En conséquence, déboute les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette toute autre demande,
Condamne M.[Y] [I] [N] [M] et Mme [K] [D] épouse [N] [M] aux dépens et dit qu'ils pourront être recouvrés dans les conditions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.
La GreffièreLa Présidente