Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 8
ARRET DU 05 FEVRIER 2013
(n° , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 11/04620
Décision déférée à la Cour : Jugement du 31 Janvier 2011 -Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2008066278
APPELANT
Monsieur [C] [K] [S]
[Adresse 3]
[Localité 4]
représenté et assisté par la SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE (Me Jacques PELLERIN) (avocats au barreau de PARIS, toque : L0018) et par Me Roland TAMISIER (avocat au barreau de NICE, case 54)
INTIME
Monsieur [N] [V]
[Adresse 1]
[Localité 5]
représenté et assisté par la SCP GRAPPOTTE-BENETREAU-JUMEL (Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU) (avocats au barreau de PARIS, toque : K0111)
et par la SELARL GASTAUD - LELLOUCHE HANOUNE (Me Nicolas MONNOT) (avocats au barreau de PARIS, toque : G0430)
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 21 Novembre 2012, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Marie HIRIGOYEN, Présidente
Madame Evelyne DELBÈS, Conseillère
Monsieur Joël BOYER, Conseiller
qui en ont délibéré
Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions prévues à l'article 785 du code de procédure civile.
Greffier lors des débats : Mme Catherine CURT
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Marie HIRIGOYEN, présidente et par Mme Catherine CURT, greffier présent lors du prononcé.
Vu le jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 31 janvier 2011, qui a condamné M. [C] [S] à payer à M. [N] [V], à titre de restitution, une somme de 39 000 euros, outre les intérêts à taux légal à compter du 15 septembre 2008, sous une astreinte provisoire, pendant une durée de 90 jours, de 40 euros par jour de retard passé un délai de trois jours à compter de la signification du jugement, ainsi qu'une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, a ordonné l'exécution provisoire et a condamné M. [S] aux dépens,
Vu l'appel interjeté par M. [C] [S] à l'encontre de cette décision selon déclaration en date du 10 mars 2011,
Vu les dernières écritures signifiées le 6 novembre 2002 par l'appelant qui demande à la cour d'infirmer le jugement déféré, de débouter M. [V] de ses demandes, de le condamner à lui verser la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts, outre celle de 10 000 euros pour procédure abusive et celle de 7 544,80 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Vu les dernières écritures signifiées le 8 novembre 2012 par M. [N] [V] qui demande à la cour de confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris, de prononcer, sur le fondement de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, la suppression des quatre derniers paragraphes de la page 3 de la pièce adverse n°10 communiquée selon bordereau du 25 octobre 2012, lesquels renferment des propos diffamatoires à son égard, et de condamner, sur le même fondement M. [S] à lui verser une somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêt, de condamner M. [C] [S] à lui payer une indemnité de 7 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens,
SUR CE
M. [N] [V] exerce la profession de producteur- distributeur audiovisuel et précise avoir dirigé la troisième chaîne de télévision russe, TV Center.
Il expose avoir été recruté à la fin de l'année 2004, en qualité de directeur salarié, par la société Melchior Studios, que M. [C] [S] avait constituée quelques semaines auparavant et qu'il dirigeait, et se prévaut d'un engagement de ce dernier à lui céder les 490 actions qu'il détenait dans le capital de la société Melchior Studios, alors constituée sous forme de société par actions simplifiée, au capital social divisé en 500 actions d'une valeur de 100 euros chacune.
Il produit une attestation signée et datée du 15 avril 2005, rédigée en ces termes :
'Je, soussigné, [C] [S], certifie avoir cédé la totalité de mes actions dans la soc Melchior Studios, dont le siège social est situé [Adresse 2] et dont le capital est de 50 000 euros à M. [N] [V] demeurant [ suit l'adresse] au prix nominal des actions, le prix restant à payer est de 10 000 euros nets. Fait à Cannnes, le 15 avril 2005'.
M. [V] poursuit en expliquant que, fort de cet accord, il a mis en relation la société Melchior Studios avec une société de droit russe, la société Mosfilm, qui, disposant d'un important catalogue de films, a autorisé la société Melchior Studios à les exploiter, ce qui a assuré à cette dernière l'essentiel son chiffre d'affaires.
Une convention a alors été régularisée entre les parties, datée du 8 novembre 2005, prévoyant une répartition des recettes résultant de l'exploitation de ce catalogue par moitié, cette répartition devant demeurée inchangée quelle que soit la composition de l'actionnariat de la société Melchior Studios.
M. [V] expose qu'en définitive, M. [S] a refusé jusqu'à ce jour d'exécuter la cession convenue des 490 actions de la société Melchior Studios, a cessé, à compter du mois d'octobre 2006, de lui régler son salaire - ce qui l'a conduit à le faire assigner devant le conseil des prud'hommes- et a refusé, enfin, de lui communiquer tout élément comptable lui permettant de revendiquer le partage convenu des recettes nettes générées par l'exploitation du catalogue, ce dernier contentieux faisant l'objet d'une instance distincte.
C'est dans ce contexte que M. [V] a fait assigner, en 2008, M. [S] devant le tribunal de commerce de Paris en résolution de la cession des 490 actions de la société Melchior Studios, en restitution du prix, soit la somme de 39 000 euros correspondant au paiement partiel intervenu, et en paiement de dommages et intérêts.
Par jugement en date du 28 octobre 2009, le tribunal de commerce de Paris a ordonné à M. [V] de produire en original l'attestation de reconnaissance de cession valant reçu de paiement partiel, datée du 15 avril 2005 et signée par M. [S].
L'instance ayant été reprise, le tribunal a relevé qu'aucune des deux parties ne revendiquait l'exécution forcée de la cession, laquelle n'avait d'ailleurs donné lieu à aucun enregistrement ni accomplissement d'une quelconque formalité en usage en telle matière, a jugé, notamment sur la foi d'un rapport d'expert en écritures (Mme [G] [I], expert honoraire auprès la Cour de cassation) auquel le demandeur avait eu recours et qui n'avait suscité aucune réplique du défendeur, que l'attestation litigieuse était sans aucun doute possible de la main de M. [S], et a, en conséquence, condamné ce dernier à restituer la somme réclamée de 39 000 euros, outre les intérêts de droit à compter de la date de l'assignation, et ce sous astreinte.
Au soutien de son appel, M. [S] fait valoir que M. [V] ne lui a jamais payé la somme de 39 000 euros, qu'il a établi le reçu du 15 avril 2005 sur la foi d'un avis d'ordre de virement que M. [V] lui avait communiqué, alors que son compte n'a jamais été crédité de cette somme ; qu'il n'y a pas eu davantage de paiement en espèces, comme le soutient l'intimé en cause d'appel, alors qu'un tel mode de paiement, au demeurant absurde sinon illicite, s'agissant du prix d'une cession de parts d'une société française qui fait l'objet de formalités de publicité légale, aurait en tout état de cause été accompagné d'un reçu.
M. [V] se prévaut, pour sa part, du document du 15 janvier 2005 qui a été établi et signé par M. [S], et dont ce dernier ne conteste pas l'authenticité. Etablissant que M. [S] restait, à cette date, lui devoir la somme de 10 000 euros, au titre de la cession de 490 actions à la valeur nominale de 100 euros, cette attestation établit nécessairement que la somme de 39 000 euros avait été antérieurement réglée.
Sur le reçu du 15 avril 2005 et la fraude alléguée
L'authenticité du document du 15 avril 2005 n'est plus contestée et il est établi que le projet de cession envisagé n'a pas été exécuté, les parties ne s'opposant que sur le point de savoir si M. [S] a reçu ou non de M. [V] une somme de 39 000 euros dont le paiement ne trouvait sa cause que dans ladite cession.
Les parties s'accordent également sur le quantum de cette somme qui résulte de la valeur nominale des actions constituant le capital social de la société Melchior Studios à cette date ( 490 actions à 100 euros chacune, M. [S] s'étant réservé 10 actions) et de l'indication qui figure sur le document du 15 avril 2005 selon laquelle seule une somme de 10 000 euros demeurerait due par M. [V].
Par sa teneur intrinsèque, le document du 15 avril 2005 vaut reçu délivré par le créancier au débiteur du paiement de la somme de 39 000 euros. Etabli et signé par le créancier il a valeur libératoire du débiteur à hauteur de cette somme, sauf pour le créancier à établir la fraude, la charge de cette preuve lui incombant.
M. [S] produit à cet égard :
- un ordre de virement par le Crédit Lyonnais, établissement teneur du compte de M. [V], daté du 11 avril 2005, d'une somme de 39 000 euros sur son propre compte, ouvert à la BNP Paribas, et sur la foi duquel il aurait signé le reçu du 15 avril 2005,
- une attestation de M. [Z] [H] datée du 22 juin 2012 disant avoir été le témoin d'une scène survenue le 15 avril 2005 dans un établissement cannois au cours de laquelle M. [V] avait exigé de M. [S] la signature d'un acte de cession de parts sociales après lui avoir présenté 'des documents bancaires' et téléphoné 'longuement à plusieurs reprises' à sa banque pour s'assurer qu'un virement avait bien été opéré,
- un relevé de compte de sa banque BNP Paribas pour la période du 28 mars au 28 avril 2005 ne mentionnant aucun virement de sommes au crédit de ce compte et une attestation de l'établissement bancaire indiquant qu'aucun virement d'une somme de 39 000 euros n'avait été enregistré à son crédit du 11 avril 2005 au 29 mai 2011.
Pour contester le caractère probant de la démonstration de fraude, M. [V] soutient que l'ordre de virement versé au débat par l'appelant serait un faux conçu par ce dernier pour les besoins de la cause.
Mais il sera relevé que dans des conclusions précédentes (conclusions d'intimé n° 2 du 8 décembre 2011, p.8, 2ème et 3ème paragraphes et encore conclusions n°3 du 27 février 2012, p.8, 1er paragraphe) M. [V] avait reconnu avoir communiqué à M. [S] un ordre de virement et l'avoir finalement révoqué à la demande de ce dernier qui avait souhaité être payé en espèces, de sorte qu'il résulte de cet aveu judiciaire, lequel est irrévocable, qu'un ordre de virement a bien été communiqué par M. [V] à M. [S].
Il sera souligné, en tout état de cause, que M. [V] n'étaye en rien l'affirmation selon laquelle ce document aurait été fabriqué par M. [S] et ne justifie pas davantage avoir porté plainte pour faux, ce qui ne laisse de surprendre compte tenu des incidences de cette pièce sur le sort de la présente instance.
La version de M. [S] se trouve en outre corroborée par l'attestation, régulière en la forme, de M. [H] qui expose avoir assisté à la scène au cours de laquelle M. [V] aurait assuré M. [S] du virement de la somme en cause sur son compte pour exiger de lui la rédaction de l'acte de cession valant reçu de paiement partiel.
L'intimé dénie tout caractère probant à cette attestation qu'il juge de complaisance au motif essentiel qu'elle a été établie plus de 7 ans après les faits. Mais M.[H], qui est de nationalité monégasque, explique se souvenir avec précision de la date des faits, le 15 avril 2005 ayant été le jour des obsèques du Prince [E], tous les fonctionnaires de la principauté ayant bénéficié d'un jour chômé, ce qui lui avait précisément permis de rencontrer M. [S] à [Localité 6], et souligne, de manière très circonstanciée, sachant que l'attestation devait être produite en justice et que toute fausse déclaration l'exposerait à des poursuites pénales, que le comportement de M. [V], qu'il ne connaissait pas jusqu'alors, lui avait laissé le plus vif souvenir.
Enfin, là encore, l'intimé s'est abstenu de prendre quelque initiative que ce soit pour dénoncer l'éventuel caractère mensonger de cette attestation, dont aucun élément objectif ne vient remettre en cause la sincérité.
Ces éléments qui établissent à suffisance la fraude ayant consisté pour M. [V] à présenter un ordre de virement bancaire d'une somme de 39 000 euros pour obtenir un document valant reçu de paiement à hauteur de cette somme de la part de M. [S], ne sont combattus par aucun élément probant contraire.
M. [V] qui a reconnu, dans un certain état de ses écritures, avoir, à la demande de M. [S], 'révoqué' son ordre de virement, n'en rapporte nullement la preuve.
Son affirmation selon laquelle le paiement aurait été finalement opéré non par virement mais en espèces n'est pas davantage étayée, étant observé avec l'appelant qu'un tel mode de paiement pour prix d'une cession de parts sociales, laquelle fait l'objet de formalités de publicité légale, et d'un enregistrement auprès de l'administration fiscale, est peu courant, à la supposer même légalement admissible compte tenu de la résidence fiscale de M. [V].
Enfin, la cour relève qu'alors que les parties s'accordent sur le fait que la cession des parts sociales n'est jamais intervenue, M. [V] n'a jamais sollicité la répétition des sommes qu'il aurait prétendument versées à M. [S] à ce titre avant l'engagement de la présente instance trois ans plus tard, et ne justifie pas y avoir fait référence antérieurement, ni à l'occasion des nombreuses instances, distinctes, qu'il a engagées à l'encontre de M. [S], et pas davantage dans le courrier de mise en demeure que son conseil a adressé à l'appelant le 20 novembre 2007 relativement au partage des recettes du catalogue apporté par la société Mosfilm à la société Melchior Studios qui, versée aux débats, n'y fait aucune allusion.
En l'état de ces éléments, il sera jugé que M. [S] rapporte à suffisance la preuve de la fraude qui l'a déterminé à délivrer à M. [V] un document valant reçu de la somme de 39 000 euros qui ne lui a jamais été versée.
Le jugement déféré sera par conséquent infirmé et M. [V] débouté de ses demandes.
Sur les autres demandes
M. [V] sera débouté de sa demande de suppression de quatre paragraphes d'une pièce visée par l'appelant dans un bordereau de communication de pièces daté du 25 octobre 2012 et de sa demande en paiement de dommages et intérêts qu'il présente sur le fondement de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881, la pièce invoquée qui comporterait des allégations diffamatoires, n'étant plus visée par le dernier bordereau de pièces communiquées par M. [S] dans ses conclusions récapitulatives du 6 novembre 2012, de sorte que ne se trouvant pas versée aux débats et ne figurant pas au dossier de la cour, ladite pièce ne constitue pas un 'écrit produit devant les tribunaux' au sens de ce texte.
M. [S], qui a un temps dénié sa signature sur le document en litige, avant de se rendre aux vues de l'expert graphologue dont le rapport a été versé aux débats par M. [V], et qui a incontestablement par sa propre légèreté contribué au préjudice qu'il invoque, sera débouté de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.
Les circonstances de l'espèce ne justifient pas, en équité, d'allouer quelque somme que ce soit à quiconque sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement déféré,
Statuant à nouveau,
Déboute M. [N] [V] de ses demandes,
Rejette toute autre demande,
Condamne M. [V] aux dépens de première instance et d'appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT