Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2- Chambre 1
ARRET DU 13 FEVRIER 2013
(no 50, 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 11/ 06456
Décision déférée à la Cour : Arrêt 9 décembre 2010- Cour de Cassation de PARIS-no 1135 F-P + B + I arrêt 30 juin 2009- Cour d'appel de PARIS 1ère ch sect A-RG 07/ 21657 jugement du 28 novembre 2007- TGI de PARIS 1ère ch 1ère sect-RG 06/ 13806
DEMANDERESSES à la SAISINE
Madame Laetitia X...divorcée Y......92100 BOULOGNE BILLANCOURT
Madame Sophie X...épouse A......31000 TOULOUSE
Madame Corinne X...épouse Z......75017 PARIS
représentées et assistées de la SCP FISSELIER-CHILOUX-BOULAY (Me Alain FISSELIER) (avocats au barreau de PARIS, toque : L0044) et de Me Fr. MENGES (avocat au barreau de PARIS, toque : D 284)
DÉFENDEURS à la SAISINE
S. C. P. B... et ASSOCIES ...75007 PARIS 07
Monsieur Emile-François B... ...75007 PARIS 07
représentés et assistés de la SCP RONZEAU et ASSOCIES (Me Thomas RONZEAU) et de Me Marie-Josée GONZALEZ ((avocats au barreau de PARIS, toque : P0499))
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 11 décembre 2012, en audience publique, le rapport entendu conformément à l'article 785 du code de procédure civile, devant la Cour composée de :
Monsieur Jacques BICHARD, Président, Madame Edith SUDRE, Conseiller et Madame Anne MENARD, Conseiller venus d'une autre chambre pour compléter la cour en application de l'ordonnance de roulement portant organisation des services de la cour d'appel de Paris à compter du 2 septembre 2012, de l'article R 312-3 du Code de l'organisation judiciaire et en remplacement de membres de cette chambre dûment empêché
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Madame Noëlle KLEIN
MINISTERE PUBLIC Madame Martine TRAPERO, substitut général, a le 8 octobre 2012 apposé son visa au dossier de la cour
ARRET :
- contradictoire
-rendu publiquement par Monsieur Jacques BICHARD, Président
-par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Jacques BICHARD, Président et par Madame Noëlle KLEIN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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Maître B..., notaire à Paris, a procédé aux opérations de liquidation de la succession de Jacques G..., décédé le 22 janvier 1998 en laissant pour héritier son épouse, Claude G..., ses trois enfants vivants : Michel G..., Patricia G...et Caroline G..., ainsi que deux petits enfants venant en représentation de leur père, Henry G..., prédécédé. Claude G...a réglé par l'intermédiaire du notaire, l'intégralité des droits de succession pour un montant de 9 263 002, 30 euros. Estimant que le paiement de ces droits de succession constituait une libéralité déguisée au profit de ses enfants, l'administration fiscale lui a notifié le 14 juin 2004 un redressement. Claude G...est décédée le 27 juillet 2004. Sa fille Patricia G...étant décédée le 30 juin 2004, les trois filles de celle-ci, Corinne, Laëtitia et Sophie X..., venant à la succession de Claude G...en représentation de leur mère ont dû payer chacune la somme de 236 958 euros au titre des droits de mutation et celle de 63 102 euros au titre des intérêts de retard alors même que par l'effet du régime matrimonial adopté par leurs parents elles n'ont pas bénéficié de la succession de leur mère.
C'est dans ces circonstances que Corinne, Laëtitia et Sophie X...ont engagé une action en responsabilité du notaire et indemnisation de leur préjudice devant le tribunal de grande instance de Paris.
***
Vu le jugement rendu le 28 novembre 2007 par le tribunal de grande instance de Paris qui a débouté Corinne, Laëtitia et Sophie X...de leurs prétentions et a rejeté les demandes présentées au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Vu l'arrêt rendu par cette cour le 30 juin 2009 qui a confirmé le jugement qui lui était déféré en ce qu'il avait retenu la faute du notaire et l'a infirmé pour le surplus et statuant à nouveau, retenant une perte de chance, a condamné in solidum Maître B... et la SCP B... et associés à verser à Corinne, Laëtitia et Sophie X..., chacune, la somme de 10 000 euros, outre une indemnité de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et a rejeté toute autre demande.
Vu l'arrêt rendu le 9 décembre 2010 par la cour de Cassation qui, au visa de l'article 1382 du Code Civil, a cassé et annulé en toutes ses dispositions l'arrêt qui lui était déféré en énonçant : " Attendu que pour condamner M. B... et la SCP B... et associés, in solidum, à payer à Mmes X..., chacune, la somme de 10 000 euros, l'arrêt retient que leur préjudice devait s'analyser en une perte de chance de voir leur grand-mère opter pour une autre solution fiscale ; attendu qu'en statuant ainsi, sur le fondement de la perte de chance, quand en n'informant pas Mme G...des solutions fiscales régulières au regard de son intention libérale, dont il n'était pas contesté qu'elles existaient, le notaire, qui a concouru à la donation déguisée en méconnaissance des dispositions fiscales, a ainsi exposé la donatrice au paiement du redressement et des intérêts de retard, lequel constitue un préjudice entièrement consommé dont l'évaluation commande de prendre en compte l'incidence financière des solutions fiscales licitement envisageables, la cour d'appel a violé le texte susvisé " ;
Vu la déclaration de saisine de la cour du 1er avril 2011.
Vu les dernières conclusions déposées le :
20 novembre 2012 par Corinne, Laëtitia et Sophie X...qui demandent à la cour de condamner solidairement Maître B... et la SCP B... et Associés à leur verser, chacune, la somme de 763 210 euros à titre de dommages intérêts, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 18 juillet 2006, outre celle de 100 000 euros au titre des frais et débours et remboursements d'émoluments, ainsi qu'une indemnité de 30 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
26 novembre 2012 par Maître B... et la SCP B... qui demandent à la cour de confirmer le jugement rendu le 28 novembre 2007 et de condamner Corinne, Laëtitia et Sophie X...à leur payer la somme de 2 000 euros à titre de dommages intérêts pour procédure abusive, outre une indemnité de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 4 décembre 2012.
SUR QUOI LA COUR
Considérant qu'en sa qualité de notaire chargé du règlement de la succession de Jacques G..., il appartenait à Maître B... d'informer de manière complète et circonstanciée la veuve de celui-ci qui avait décidé de régler l'intégralité des droits de succession par la vente d'actions qui lui avaient été transmises en pleine propriété, sur les risques, notamment d'ordre fiscal, encourus ;
qu'au titre de ce devoir d'information qu'il devait exercer spontanément, le notaire, au regard de l'intention libérale qui animait Claude G...et qu'il n'a pu ignorer puisque les droits ont été réglés par l'intermédiaire de sa comptabilité, devait proposer à celle-ci des solutions fiscales régulières dont il n'est pas contesté qu'elles existaient ; que pas davantage Maître B... ne peut utilement invoquer pour s'exonérer de toute responsabilité, la supposée gestion des affaires de la donatrice par l'un de ses enfants ;
qu'ainsi ayant concouru par sa faute à la donation déguisée par méconnaissance des dispositions fiscales, le notaire a directement exposé Corinne, Laëtitia et Sophie X..., venant à la succession de leur-grand mère en représentation de leur mère Patricia G..., prédécédée, au paiement du redressement fiscal et des intérêts de retard ;
Considérant que ce préjudice qui ne s'analyse pas en une perte de chance, doit être évalué en prenant en compte l'incidence financière des solutions fiscales licitement envisageables, ce qui, contrairement à ce que soutiennent Corinne, Laëtitia et Sophie X..., n'implique nullement qu'il soit " a minima " équivalent au montant du redressement fiscal qu'elles ont dû régler, mais qu'il doit être en revanche apprécié par rapport à l'ensemble des incidences, tant directement d'ordre fiscal que plus généralement patrimonial que toute autre solution fiscale possible aurait provoquée ;
que cette appréciation est au demeurant indépendante du fait que Corinne, Laëtitia et Sophie X...n'ont pas hérité de leur mère, cette situation étant la conséquence du régime matrimonial adopté par leurs parents et se trouvant étrangère à la faute du notaire ;
Considérant que les solutions fiscales qui pouvaient être licitement retenues étaient de deux ordres :- une donation régulièrement consentie par Claude G...à ses enfants, du montant des droits successoraux à régler et dont elle aurait personnellement acquitté les droits afférents,- un prêt familial sans intérêt aux mêmes fins et selon les modalités d'usage, en faveur de ses enfants ;
qu'à l'appui de leur demande indemnitaire, Corinne, Laëtitia et Sophie X...font valoir que ces deux hypothèses n'auraient pas donné lieu de la part de l'administration fiscale à une requalification en donation déguisée et par voie de conséquence à un redressement ;
que se fondant sur une consultation d'avocat du 13 novembre 2011 elles estiment que la solution fiscale licite la plus favorable aurait été celle du prêt familial ;
Considérant cependant que faute d'être détaillée et de présenter une démonstration arithmétique de la totalité des incidences financières attachées à ce choix, ce document se trouve ainsi privé de toute véritable pertinence ;
qu'en revanche il résulte d'une consultation détaillée et des tableaux annexés, réalisée par la CNAF à partir de l'ensemble des opérations de transmission de patrimoine réalisées par Claude G...jusqu'en 2004, produite aux débats par Maître B... et la SCP B... et associés et qui n'est pas techniquement contestée par les appelantes, que les deux hypothèses licitement envisageables et particulièrement celle du prêt familial privilégiée par Corinne, Laëtitia et Sophie X..., auraient constitué une solution défavorable aux héritiers de Claude G...et donc à elles mêmes, par rapport aux opérations réalisées ;
que particulièrement s'agissant de la solution du prêt familial qui fiscalement n'était pas sans risque et ne correspondait pas à l'intention libérale animant Claude G...qui en 1996, 1998 et 1999 a consenti des donations directes à ses enfants, il s'avère que celle-ci aurait eu pour conséquence directe une diminution significative de l'actif successoral compte-tenu de l'ISF supplémentaire que Claude G...aurait dû acquitter entre 1999 et 2004 à hauteur de 958 740 euros par an, étant rappelé que les appelantes sont venues à la succession de leur grand-mère en représentation des droits de leur mère et que seul le régime matrimonial adopté par leurs parents qui est étranger à la faute du notaire et à ses conséquences financières, les a privées de sa succession ;
que Corinne, Laëtitia et Sophie X...ne rapportent donc pas la preuve du préjudice qu'elles soutiennent avoir subi au titre du redressement fiscal et du déficit d'actif successoral ;
que dans ces conditions seuls doivent être pris en compte les intérêts de retard qu'elles ont payés et qui n'avaient pas lieu d'être si une des solutions licitement possibles avait été conseillée par le notaire ;
Considérant par ailleurs que par sa faute le notaire a exposé Corinne, Laëtitia et Sophie X...aux réclamations de l'administration fiscale ; que les négociations qui s'en sont suivies ont impliqué qu'elles soient conseillées et assistées par des spécialistes de la matière fiscale ; qu'elles ont également été confrontées aux tracas que génère une telle procédure ; qu'il convient en conséquence de leur allouer de ce chef la somme de 20 000 euros à titre de dommages intérêts ;
Considérant enfin que la solution du litige et l'équité commandent de leur accorder une indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile d'un montant de 10 000 euros ;
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement rendu le 28 novembre 2007 par le tribunal de grande instance de Paris.
Statuant à nouveau,
Condamne in solidum Maître B... et la SCP B... et associés à verser à Corinne, Laëtitia et Sophie X..., chacune la somme de 63 102 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 13 septembre 2006.
Condamne in solidum Maître B... et la SCP B... et associés à verser à Corinne, Laëtitia et Sophie X...la somme de 20 000 euros à titre de dommages intérêts outre une indemnité d'un montant de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette toute autre demande.
Condamne Maître B... et la SCP B... aux dépens dont distraction au profit de la SCP Fisselier, avocat, dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT