RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 9
ARRÊT DU 27 Février 2013
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 11/04882
Décision déférée à la cour : jugement rendu le 11 Avril 2011 par le conseil de prud'hommes de CRETEIL - section commerce - RG n° 09/03056
APPELANTE
S.A.R.L. ÉTOILE DE NOGENT
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Nayef ROMELLY, avocat au barreau de PARIS, D1761 substitué par Me Dan BISMUTH, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉ
Monsieur [Z] [B]
Chez Madame [X]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Claire ROZELLE, avocate au barreau du VAL DE MARNE, PC415
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 Janvier 2013, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Jacques BOUDY, conseiller, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Christine ROSTAND, présidente
Monsieur Benoît HOLLEAUX, conseiller
Monsieur Jacques BOUDY, conseiller
GREFFIÈRE : Madame Corinne de SAINTE MARÉVILLE, lors des débats
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Christine ROSTAND, présidente et par Madame Corinne de SAINTE MARÉVILLE, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
M. [Z] [B] a été embauché par la SARL Étoile de Nogent en qualité d'employé polyvalent de station-service aux termes d'un contrat de travail à durée indéterminée en date du 2 octobre 2006, à raison de 25 heures par semaine et moyennant un salaire initial de 895,88 €.
En dernier lieu, il était employé à plein temps moyennant un salaire mensuel brut de 1 321,05 €.
À la suite d'une attaque à main armée qui s'est déroulée le 26 janvier 2009, il a été placé en arrêt de travail.
Une visite de reprise a été effectuée le 20 mai 2009 et le médecin du travail, considérant qu'il existait un danger immédiat, a conclu à l'inaptitude de M. [Z] [B] à tout poste de travail dans l'entreprise, précisant que seul un emploi à domicile pourrait éventuellement convenir.
L'arrêt de travail a pris fin le 1er novembre 2009, date à laquelle la caisse primaire d'assurance-maladie a considéré que l'état de santé de M. [Z] [B] était consolidé.
M. [Z] [B] a saisi le conseil de prud'hommes de Créteil qui, par jugement en date du 11 avril 2011, a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail à la date du 17 janvier 2011.
Il a condamné en conséquence la SARL Étoile de Nogent à lui payer les sommes suivantes :
- 18 494 € bruts à titre de rappel de salaire pour la période du 8 décembre 2009 au 17 janvier 2011
- 1 849 € bruts au titre des congés payés afférents
-15 852 € à titre de dommages intérêts par application de l'article L 1226-15 du code du travail
- 2 642 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis
- 264 € au titre des congés payés afférents
- 1 717,30 € à titre d'indemnité spéciale de licenciement
- 800 € par application de l'article 700 du code de procédure civile
Il a également ordonné la remise de différents documents conformes à la décision, sous astreinte.
La SARL Étoile de Nogent en a interjeté appel par lettre recommandée avec demande d'accusé de réception, expédiée le 13 mai 2011.
Elle conclut au rejet de l'ensemble des demandes formées à son encontre.
Pour sa part, M. [Z] [B] conclut à la confirmation pure et simple du jugement du conseil de prud'hommes.
Il demande à la cour de considérer que la visite effectuée par le médecin du travail le 20 mai 2009 valait visite de reprise et que par conséquent, à défaut par l'employeur d'avoir procédé à son reclassement ou à son licenciement, il doit être tenu de verser les salaires à compter du mois suivant la visite de reprise, c'est-à-dire à compter du 20 juin 2009 jusqu'au jour du prononcé du jugement, ce qui représente donc une somme de 25 099 €, outre les congés payés afférents, soit la somme de 2509,99 €.
Il demande également à la cour de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail, la rupture devant être imputée à l'employeur et s'analyser en un licenciement sans cause réelle ni sérieuse.
Il réclame à ce titre, la somme de 15 852 € pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse, celle de 2642 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis et de 264 € au titre des congés payés afférents, outre une indemnité légale spéciale, d'un montant de 1 717,30 € et la somme de 800 € par application de l'article 700 du code de procédure civile.
M. [Z] [B] conclut également à la condamnation de l'employeur au paiement des intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes et à remettre les différents documents sociaux conformes à la décision à intervenir sous astreinte de 20 € par jour de retard et par document, en l'occurrence un certificat de travail, une attestation pôle emploi et un bulletin de salaire.
M. [Z] [B] sollicite enfin, ajoutant à la décision du conseil de prud'hommes, la somme de 10 000 € à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral et celle de 2 000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier et développées lors de l'audience des débats.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande de paiement de salaires par application de l'article L 1226-11 du code du travail
L'article L 1226-11 du code du travail dispose : « Lorsque, à l'issue d'un délai d'un mois à compter de la date de l'examen médical de reprise du travail, le salarié déclaré inapte n'est pas reclassé dans l'entreprise ou s'il n'est pas licencié, l'employeur lui verse, dès l'expiration de ce délai, le salaire correspondant à l'emploi que celui-ci occupait avant la suspension de son contrat de travail.
Ces dispositions s'appliquent également en cas d'inaptitude à tout emploi dans l'entreprise constatée par le médecin du travail. ».
Il est constant qu'en l'espèce, à l'occasion d'une visite de reprise effectuée par application de l'article R4624-31 du code du travail, c'est-à-dire selon la procédure de danger immédiat qui n'impose qu'un seul examen médical, le médecin du travail a constaté l'inaptitude de M. [Z] [B] « à tous les postes dans l'entreprise », ajoutant que « seul un emploi à domicile de type télétravail conviendrait ».
M. [Z] [B] en déduit que dès lors que dans le délai d'un mois à compter de cette visite, l'employeur n'a ni procédé à son licenciement ni procédé à son reclassement, il reste redevable des salaires qu'il aurait dû percevoir s'il ne s'était pas trouvé en arrêt de travail et ce, jusqu'au 17 janvier 2011.
La SARL Étoile de Nogent explique qu'à la suite de l'accident du travail du 26 janvier 2009, elle n'a reçu d'avis de prolongation de l'arrêt de travail que jusqu'au 10 avril 2009 et que cependant, à cette date, le salarié n'avait pas repris le travail.
Que cependant, elle a eu la surprise de recevoir, le 20 avril 2009, un avis de visite de reprise du médecin du travail, établi le 15 avril précédent, à la demande du salarié lui-même et concluant à son inaptitude à tous les postes dans l'entreprise ainsi qu'à un reclassement uniquement dans un emploi à domicile, cet avis ayant été établi selon la procédure de danger immédiat.
La SARL Étoile de Nogent a donc procédé à la convocation du salarié en vue de son licenciement pour inaptitude, étant précisé que ce dernier lui avait écrit le 11 mai pour lui faire part de la décision du médecin de travail « afin de procéder à (son) licenciement » et en demandant à l'employeur de lui remettre le certificat de travail, l'attestation pôle emploi, l'indemnité compensatrice de préavis ainsi que l'indemnité spéciale de licenciement.
La SARL Étoile de Nogent explique que néanmoins, elle n'a pas poursuivi la procédure de licenciement dans la mesure où la visite de reprise ayant été sollicitée par le salarié lui-même sans en avertir l'employeur, celle-ci n'était pas susceptible de mettre fin à la période de suspension du contrat de travail de telle sorte que le licenciement serait nul.
Par la suite, elle a demandé elle-même au médecin du travail de procéder à une visite de reprise qui a donné lieu à l'émission de l'avis du 30 mai 2009, rédigé exactement dans les mêmes termes que celui du 15 avril précédent.
À la réception de cet avis, elle a écrit au médecin du travail en lui exposant qu'elle ne disposait d'aucun poste correspondant à ses recommandations et en lui demandant quelles mesures elle devait prendre.
Par télécopie en date du 11 juin 2009, le médecin du travail a indiqué à l'employeur que compte tenu de ses propositions et de l'absence de possibilité de reclassement dans l'entreprise, il lui appartenait de procéder à un licenciement.
Auparavant, l'employeur avait engagé une nouvelle procédure de licenciement en convoquant M. [Z] [B] pour un entretien préalable qui devait se tenir le 12 juin 2009.
Ce dernier ne s'est pas rendu à l'entretien préalable mais a fait parvenir à l'employeur, le 17 juin 2009, de nouveaux avis de prolongation de son arrêt de travail couvrant la période du 10 avril au 24 mai 2009.
Dans ces conditions, selon ce qu'il explique, l'employeur a préféré ne pas poursuivre la procédure de licenciement, craignant que celle-ci soit irrégulière dans la mesure où au moment de la visite de reprise, le salarié se trouvait encore en arrêt de travail de sorte que le contrat de travail était encore suspendu.
La SARL Étoile de Nogent indique que par la suite, le salarié a cessé de lui adresser les avis d'arrêt de travail, qu'elle ne les a reçus, dans un premier temps, que par l'intermédiaire de la caisse primaire d'assurance-maladie et que ce n'est que bien après que la procédure prud'homale ait été introduite par le salarié, qu'elle a pu avoir connaissance des derniers avis de prolongation de l'arrêt de travail pour découvrir que le salarié avait vu son état déclaré consolidé à compter du 1er novembre 2009.
Elle fait valoir que la visite médicale du 20 mai 2009 ne peut être considérée comme une visite de reprise au sens de la loi puisque le salarié se trouvait encore en arrêt maladie et qu'il ne peut lui être reproché de ne pas avoir organisé une telle visite par la suite, dans la mesure où le salarié a cessé de lui faire connaître quelle était sa situation et qu'elle n'a découvert que bien après que son état de santé avait été considéré comme consolidé le 1er novembre 2009.
Elle estime qu'elle a donc accompli toutes les diligences qui étaient en son pouvoir.
Mais c'est la visite de reprise réalisée par le médecin du travail qui marque la fin de la suspension du contrat de travail et ce, indépendamment des décisions prises par le médecin traitant ou par la caisse primaire d'assurance-maladie.
Il en résulte donc que si la protection du salarié en cas d'accident du travail ne prend pas fin à la date de consolidation fixé par la caisse primaire d'assurance-maladie et se poursuit, même en cas de reprise tant que l'avis du médecin du travail n'a pas été émis, à l'inverse, dès lors que le médecin du travail a déclaré un salarié inapte à tenir son emploi, après avoir effectué un examen de reprise à la demande de l'employeur, la période de suspension du contrat de travail prend fin, peu important que le salarié ait continué à bénéficier d'un arrêt de travail de la part de son médecin traitant.
En application de l'article L 1226-11 du code du travail précité, l'employeur devait donc, dans le mois de la visite de reprise, soit procéder au reclassement du salarié soit le licencier.
À défaut, il était redevable des salaires que le salarié aurait pu percevoir s'il ne s'était pas trouvé en arrêt de travail.
En l'espèce, contrairement à ce qu'a considéré le conseil de prud'hommes, le point de départ de ces salaires se situait au 19 juin 2009 et prenait fin à la date de l'audience devant le bureau de jugement du conseil de prud'hommes , c'est-à-dire au 17 janvier 2011.
Cela représente bien la somme de 25 099 €, à raison de 19 mois sur la base d'un salaire de 1 321 €, outre 250,99 € au titre des congés payés afférents.
Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail
Il n'est pas établi l'existence de manquements de la part de l'employeur de nature à justifier la résiliation judiciaire du contrat de travail à ses torts.
En effet, s'il est certain que la SARL Étoile de Nogent a omis de procéder au licenciement de son salarié, il apparaît que c'est plus par scrupule et en raison d'une mauvaise appréciation du droit applicable puisqu'à deux reprises, elle a tenté de mettre en 'uvre cette procédure avant d'y renoncer en croyant s'exposer à une annulation du licenciement, cette erreur étant déjà largement sanctionnée par l'obligation qui lui est faite de payer les salaires jusqu'à la date du jugement.
Il apparaît que l'employeur était donc d'une parfaite bonne foi d'autant qu'il est certain qu'il n'avait aucun intérêt à différer le licenciement.
Enfin, il convient de noter qu'à partir du mois de juin 2009, le salarié a cessé d'adresser à son employeur les avis d'arrêt de travail et que lorsque son état de santé a été déclaré consolidé, il s'est abstenu de se manifester de quelque façon que ce soit, si ce n'est en engageant une procédure judiciaire, mettant ainsi l'employeur dans l'impossibilité de procéder aux formalités qui lui incombaient.
Dans ces conditions, le jugement du conseil de prud'homme qui a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail sera infirmé sur ce point.
Sur la remise des documents sociaux
Il y a lieu d'ordonner la remise, sous astreinte de 20 € par jour de retard, pendant un délai de trois mois, d'un certificat de travail, d'une attestation pôle emploi et de bulletins de paie conformes à la présente décision.
Sur la demande supplémentaire en dommages-intérêts pour préjudice moral
M. [Z] [B] fonde essentiellement sa demande sur l'attitude procédurale de l'employeur mais aucun reproche ne peut lui être fait, notamment en ce qui concerne la saisine du juge de l'exécution, puisque ce dernier lui a donné raison en s'appuyant sur les dispositions du jugement du conseil de prud'hommes.
Sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile
Le jugement du conseil de prud'hommes sera confirmé sur ce point et il y a lieu d'y ajouter la somme de 1500 € en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
INFIRME le jugement du conseil de prud'hommes de Créteil du 11 avril 2011 en ce qu'il a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail et sur le montant des salaires dus par application de l'article L.1226-11 du code du travail ;
Statuant à nouveau,
CONDAMNE à la SARL Étoile de Nogent à payer à M. [Z] [B] la somme de 25 099 € à titre de rappel de salaire et la somme de 2509,99 € au titre des congés payés afférents, avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation ;
ORDONNE la remise d'un certificat de travail, d'une attestation Pôle emploi et des bulletins de salaire conformes à la présente décision, dans un délai d'un mois à compter de la signification du présent arrêt, sous astreinte de 20 € par jour de retard pendant un délai de trois mois ;
CONFIRME le jugement du conseil de prud'hommes pour le surplus ;
Y ajoutant,
DÉBOUTE M. [Z] [B] de sa demande en dommages-intérêts pour préjudice moral ;
CONDAMNE la SARL Étoile de Nogent à payer à M. [Z] [B] la somme de 1500 € par application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens d'appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE