Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 9
ARRÊT DU 28 FÉVRIER 2013
(n° , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 11/11852
Décision déférée à la Cour : Jugement du 26 Mai 2011 -Tribunal d'Instance d'AUXERRE - RG n° 1110000063
APPELANTE
Association LES FAYS DE MAULNES agissant poursuites et diligences en la personne de son président
[Adresse 8]
[Localité 1]
Représentée par Me Frédéric BURET (avocat au barreau de PARIS, toque : D1998)
Assistée du Cabinet Olivier BOURDEAU en la personne de Me Olivier BOURDEAU
(avocat au barreau de PARIS, toque : E894)
INTIMÉE
SCEA GEROT prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 4]
[Localité 1]
Assistée de la SCP GEORGE - CHASSAGNON en la personne de Me François GEORGE (avocats au barreau de TROYES, toque : N°11)
Représentée par Me François TEYTAUD (avocat au barreau de PARIS, toque : J125)
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 30 Janvier 2013, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Alain SADOT, Président
Mme Patricia LEFEVRE, Conseillère
Madame Joëlle CLÉROY, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Mme Léna ETIENNE
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Alain SADOT, président et par Mme Léna ETIENNE, greffier présent lors du prononcé.
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Par jugement du 26 mai 2011, le tribunal d'instance d'Auxerre a condamné l'association FAYS DE MAULNES à payer à la SCEA GEROT une somme de 6 000 € en indemnisation des dégâts causés aux cultures appartenant à cette dernière par le gibier provenant du massif forestier voisin, géré par cette association de chasse.
Par déclaration déposée le 24 juin 2011, l'association FAYS DE MAULNES a fait appel de cette décision. Dans ses dernières conclusions déposées le 2 avril 2012, elle rappelle que l'indemnisation des agriculteurs lésés par les dégâts causés par le gibier est régie par des dispositions spéciales du code de l'environnement qui imposent la caractérisation d'une faute au sens de l'article 1382 du Code civil pour que soit engagée la responsabilité d'un titulaire du droit de chasse. Elle fait valoir que le tribunal d'instance, qui a légitimement constaté qu'aucune faute n'était démontrée à son encontre, ne pouvait se fonder sur la théorie du trouble anormal de voisinage qui suppose une responsabilité sans faute, incompatible avec les principes généraux du droit et les dispositions du code de l'environnement qui n'envisagent une telle hypothèse que dans le cadre de la procédure administrative d'indemnisation.
Elle soutient qu'aucune des fautes qui lui sont imputées par la SCEA GEROT ne se trouve caractérisée :
- d'abord en ce que la prolifération excessive du gibier est un phénomène régional voire national, et qu'elle a respecté le plan de chasse qui lui a été attribué, ajoutant que le classement du sanglier comme espèce nuisible n'autorise qu'une prolongation d'un mois de la durée de la chasse,
- ensuite en ce que l'agrainage qu'elle pratique dans le strict respect de la réglementation et de façon modérée et non pas intensive comme le prétend la SCEA GEROT, a pour but, non pas de provoquer la prolifération des animaux, mais de les maintenir dans le massif forestier, et d'éviter ainsi leurs incursions dans les cultures environnantes,
- enfin en ce que la pose d'une clôture, qui présenterait des difficultés importantes de mise en 'uvre, liées notamment à la présence de chemins de promenade ouverts au public, et un coût très élevé, n'aurait qu'une efficacité très limitée puisqu'elle ne pourrait être complète et qu'elle risquerait même de gêner le retour des animaux sortis de la forêt, alors que la mise en place, beaucoup plus aisée, d'une clôture électrique interdisant le passage des animaux vers les terres de la SCEA GEROT a été refusée par celle-ci à plusieurs reprises.
Dans ses dernières conclusions déposées le 18 novembre 2011, la SCEA GEROT expose que depuis une dizaine d'années, la prolifération du grand gibier et surtout des sangliers entraîne des dégâts très importants aux cultures qu'elle a implantées à proximité du massif forestier géré par l'association FAYS DE MAULNES, et que la procédure administrative d'indemnisation aboutit à une limitation systématique de la réparation de ces dommages.
Elle soutient que les dispositions spécifiques du code de l'environnement ne concernent que la mutualisation du risque, confiée par la loi à l'Office national de la chasse, et n'interdisent aucunement aux juridictions d'appliquer la construction jurisprudentielle
des troubles anormaux de voisinage, qui a d'ailleurs pour fondement l'article 1382 du Code civil, même si l'élément de faute se trouve atténué. Elle conclut donc principalement à la confirmation du jugement déféré.
Subsidiairement, elle prétend qu'il ressort du rapport d'expertise que les dégâts subis par ses cultures ont été causés par les animaux provenant du massif forestier géré par l'association FAYS DE MAULNES, et qu'il appartient au titulaire du droit de chasse de démontrer qu'il a utilisé tous les moyens que lui offre son droit pour éviter un tel dommage. Elle fait observer que la limitation de ce droit que constitue le plan de chasse décerné par le préfet ne concerne en réalité que les cervidés mais pas le sanglier, d'ailleurs classé espèce nuisible. Elle en déduit que l'abstention volontaire de l'association FAYS DE MAULNES de mettre en 'uvre les moyens possibles pour éradiquer la prolifération des sangliers, dictée par un but lucratif, constitue une première faute à l'origine de son dommage.
Elle soutient aussi que la pratique de l'agrainage, dans des conditions que l'association FAYS DE MAULNES n'a pas souhaité faire connaître, a surtout pour objet de sédentariser le gibier et même d'attirer de nouveaux sujets sur le territoire de chasse, et concourt ainsi directement à la prolifération des sangliers.
Elle affirme enfin que l'association FAYS DE MAULNES a commis une troisième faute en disposant des clôtures pour protéger d'autres exploitations agricoles et en refusant d'en implanter sur le côté proche de ses cultures, d'autant qu'elle dispose des autorisations communales nécessaires depuis 2010.
Elle sollicite la réformation du jugement sur le quantum de son indemnisation, en faisant valoir que la surface des quelques îlots du massif forestier qui ne dépendent pas de l'association FAYS DE MAULNES est insuffisante pour abriter un nombre d'animaux significatif, ce qui implique que les dégâts sont bien dus en totalité au gibier occupant le domaine géré par l'association appelante.
MOTIFS DE LA DECISION
Attendu que la SCEA GEROT exploite diverses parcelles agricoles situées sur la commune d'[Localité 2] à proximité de la forêt de [Adresse 9], sur laquelle l'association FAYS DE MAULNES exerce un droit de chasse ;
Attendu qu'il ressort du rapport de l'expert désigné par le juge d'instance en application de l'article R426-24 du code de l'environnement, qu'une grande partie des îlots de culture exploités par la SCEA GEROT présentaient lors des visites effectuées les 28 juin, 6 et 19 juillet 2010, des dégâts de divers types, piétinements broutage et fouilles causés par le gibier, quasi exclusivement des sangliers ; que l'expert énonce en page 21 et suivantes de son rapport que l'ensemble de ces îlots est situé au nord de la forêt de Maulnes, certains la jouxtant directement et les autres s'inscrivant dans un rayon maximum de 700 m ;
Attendu que l'expert affirme que « compte tenu de la disposition géographie du secteur, les sangliers incriminés proviennent de la forêt de Maulnes, et en très grande partie du territoire des [Localité 3]. Cet état de fait est amplifié par deux phénomènes :
- les clôtures posées sur le côté est, ouest et en partie sud du massif forestier obligeant les sangliers à sortir du massif côté ferme du Moulin,
- l'agrainage pratiqué par la société de chasse des FAYS DE MAULNES » ;
Attendu que l'expert affirme aussi que « le gibier est en nombre excessif, du fait de l'agrainage et surtout de l'échec des règles de régulation mises en place dans le cadre de l'application des plans de chasse grand gibier » ;
Attendu qu'il est ainsi suffisamment établi, d'une part que la SCEA GEROT subit des dommages résultant de l'incursion sur ses terres d'animaux sauvages, surtout des sangliers, d'autre part que ces animaux proviennent essentiellement du territoire de la forêt de Maulnes, sur laquelle l'association FAYS DE MAULNES exerce le droit de chasse, dont l'un des objectifs, évoqué dans l'article L 421-5 du code précité, est incontestablement la régulation de la population de ces animaux ;
Attendu que le régime spécial d'indemnisation des dégâts matériels causés aux cultures et aux récoltes par un gibier quelconque, institué et organisé par les articles L. 426-1 à 426-8 du code précité, qui a une portée générale et s'applique à toute action en réparation des dommages de toute nature, notamment celle fondée sur les articles 1382 et 1383 du code civil, ne comporte pas d'exclusion de celles fondées sur l'article 544 du même code et sur le principe selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage ;
Attendu qu'il ressort des constatations et conclusions de l'expert que la pratique, non contestée par l'association FAYS DE MAULNES, consistant à mettre à la disposition du gibier certaines quantités de nourriture (l'agrainage) même si elle est effectuée selon les prescriptions réglementaires, a pour effet de fixer les populations d'animaux sauvages sur le territoire concerné, et même d'y attirer des sujets provenant d'autres régions, et de favoriser leur reproduction ; que cette pratique, qui a pour objectif d'assurer, aux chasseurs membres de l'association, un nombre suffisant de proies, présente l'inconvénient d'entraîner une prolifération du gibier qui, en l'espèce, n'est manifestement pas compensée par la mise en 'uvre d'actions spécifiques de régulation ; qu'ainsi, l'association FAYS DE MAULNES affirme qu'elle respecte le plan de chasse, mais ne prouve pas, et ne prétend d'ailleurs même pas, qu'elle aurait organisé des opérations de destruction autorisées par le classement des sangliers en espèce nuisible ;
Attendu qu'il ressort également des constatations de l'expert que le territoire de chasse de l'association se trouve bordé de clôtures sur les côtés est, ouest et en partie sud, destinées à protéger deux autres exploitations agricoles, les fermes de Bel Air et de Maulnes ; que le technicien commis fait observer que cette configuration oblige ou au moins incite les sangliers à sortir du massif forestier par le côté nord, donnant directement sur les terres de la SCEA GEROT ;
Attendu que le tribunal a justement retenu que cette situation, liée à l'exercice du droit de chasse par l'association FAYS DE MAULNES sur les terres voisines de celles exploitées par la SCEA GEROT provoque pour celle-ci des inconvénients anormaux de ce voisinage, lui ouvrant droit à une indemnisation correspondant aux dommages subis ; qu'il convient donc de confirmer en son principe la décision déférée ;
Attendu que le tribunal a exactement affirmé que l'association FAYS DE MAULNES ne pouvait être tenue de réparer l'entier préjudice subi par la SCEA GEROT, en ce que, selon l'expert, une faible partie des animaux causant les dégâts aux cultures peut provenir d'autres territoires que celui qui est géré par cette association ; qu'il convient
cependant d'apprécier autrement l'indemnité due par celle-ci, en tenant compte du caractère très limité, selon M. [H], des troubles pouvant être causés par les autres voisins ; que la valeur totale des dégradations subies fixée par l'expert et non contestée par l'association FAYS DE MAULNES étant de 8 850 euros, il convient de porter à la somme de 7 965 € l'indemnité devant être mise à la charge de celle-ci ;
Attendu en outre, la SCEA GEROT ne doit pas conserver à sa charge les frais irrépétibles qu'elle a été contrainte d'exposer à l'occasion de la présente instance ;
PAR CES MOTIFS,
RÉFORME le jugement sur le montant de la condamnation devant être prononcée à l'encontre de l'association FAYS DE MAULNES,
CONDAMNE l'association FAYS DE MAULNES à payer à la SCEA GEROT la somme de 7 965 €,
CONFIRME le jugement pour le surplus,
CONDAMNE l'association FAYS DE MAULNES à payer à la SCEA GEROT la somme de 1 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,
LA CONDAMNE aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du même code.
LE GREFFIERLE PRESIDENT