COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2- Chambre 1
ARRET DU 20 MARS 2013
Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
(no 109, 4 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 11/ 23088
Décision déférée à la Cour : jugement du 7 septembre 2011- Tribunal de Grande Instance de PARIS-RG no 10/ 05323
APPELANTE
Madame Maryvonne X...... 75016 PARIS
représentée et assistée de la SCP FISSELIER-CHILOUX-BOULAY (Me Alain FISSELIER) (avocats au barreau de PARIS, toque : L0044) et de Me Brigitte PAULHAN-MAUSSE substituant Me Jean GRESY, avocats au barreau de Versailles
INTIMEE
SCP CHRISTIAN A... ET GENEVIEVE B...... 75019 PARIS
représentée et assistée de Me Barthélemy LACAN (avocat au barreau de PARIS, toque : E0435) et de Me Loïc PIARD avocat au barreau de PARIS (cabinet BARTHELEMY LACAN, toque E490)
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 6 février 2013, en audience publique, le rapport entendu conformément à l'article 785 du code de procédure civile, devant la Cour composée de :
Monsieur Jacques BICHARD, Président Madame Marguerite-Marie MARION, Conseiller Madame Dominique GUEGUEN, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Madame Noëlle KLEIN
ARRET :
- contradictoire
-rendu publiquement par Monsieur Jacques BICHARD, président
-par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Jacques BICHARD, président et par Madame Noëlle KLEIN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Mme X... et M. Y... ont vécu en concubinage à partir de l'année 1996 dans l'appartement dont celui-ci était propriétaire,... à Paris, 16ème arrondissement.
Le 22 décembre 2003, ils ont acquis en indivision, pour moitié chacun, un immeuble sis à Elancourt (Yvelines).
Sur les conseils de la SCP de notaires A...- B..., M. Y... a rédigé le 15 octobre 2004 un testament olographe aux termes duquel il a légué à Mme X... un droit d'usage et d'habitation viager sur l'appartement ....
Par acte du même jour, il a déclaré renoncer au bénéfice de tous ses droits sur l'appartement d'Elancourt.
M. Y... est décédé le 11 juin 2009, laissant pour héritiers sa mère et ses deux soeurs.
Ayant été informée par la SCP A...- B... de l'obligation d'acquitter des droits de succession, Mme X... l'a assignée en responsabilité et indemnisation de son préjudice pour manquement à son devoir de conseil, devant le tribunal de grande instance de Paris dont le jugement rendu le 7 septembre 2011 est déféré à la cour.
Vu le jugement entrepris qui a :- débouté Mme X... de ses demandes,- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu la déclaration d'appel déposée le 26 décembre 2011 par Mme X....
Vu les dernières conclusions déposées le :
11 septembre 2012 par Mme X... qui demande à la cour d'infirmer le jugement déféré et de condamner la SCP A...- B... à lui payer la somme de 150 000 euros en réparation de son préjudice matériel et celle de 10 000 euros au titre du préjudice moral, outre une somme de 3 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
28 mars 2012 par la SCP A...- B... qui demande à la cour de rejeter des débats les pièces numérotées 41 à 55, de confirmer le jugement déféré et de condamner Mme X... à lui verser une somme de 3 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 29 janvier 2013.
SUR QUOI LA COUR
Considérant que le bordereau de communication produit par Mme X... dans son dernier état du 29 novembre 2012 vise 65 pièces dont les quinze (41 à 55) que la SCP A...- B... soutenait, dans ses dernières conclusions déposées le 28 mars 2012, ne pas avoir reçues ;
que dès lors il n'y a pas lieu d'écarter des débats lesdites pièces numérotées 41 à 55 ;
Considérant qu'en application des dispositions de l'article 1382 du code Civil Mme X... est fondée à rechercher la responsabilité du notaire pour le dommage résultant de tout manquement fautif avéré de celui-ci envers son client, M. Y... à l'égard duquel il était débiteur d'un devoir de conseil et d'information ;
qu'à cette fin Mme X... soutient qu'il appartenait au notaire de rechercher la volonté exacte de M. Y... afin que les deux actes du 15 octobre 2004 en soient la traduction fidèle ; que si M. Y... avait eu connaissance des incidences fiscales des dispositions qu'il avait prises en sa faveur, il aurait rédigé celles-ci de manière différente ou en en aurait pris d'autres ;
Considérant que Mme X... qui a souscrit le 20 septembre 1996 une déclaration conjointe de vie maritale avec M. Y..., a vécu avec celui-ci dans son appartement du... à Paris ;
qu'il résulte des attestations produites aux débats par Mme X... que le couple Y... X... était très lié et que M. Y..., préoccupé par le sort de sa compagne, souhaitait qu'après sa mort, celle-ci se trouve à l'abri du besoin ;
que particulièrement les témoignages de Mme Natacha Z..., fille de l'appelante, de Mme Nicole H... et de Mme Martine I... établissent que le défunt entendait que Mme X... puisse disposer sans frais de l'appartement ... ;
qu'au demeurant les termes mêmes de la disposition testamentaire litigieuse par laquelle M. Y... a légué à Mme X... " à titre particulier (...) Le droit sa vie durant à l'habitat et à l'usage " en précisant " Le droit s'exerce à titre personnel sans que Mme X... soit tenue de fournir caution ", manifestent l'intention libérale dont il était animé envers celle-ci ;
que dès lors faute de rapporter la preuve d'un conseil plus approprié aux volontés du défunt, le notaire qui, notamment, aurait dû informer son client sur la possibilité qu'il avait de consentir un legs net de tout droit de succession, a directement fait perdre à Mme X... une chance réelle et sérieuse d'échapper, dans le cadre d'une solution fiscale légalement possible, au paiement de droits successoraux ;
qu'ayant réglé des droits de mutation à hauteur de 59 542 euros il convient en conséquence d'allouer à Mme X... la somme de 40 000 euros ;
Considérant, s'agissant de l'immeuble d'Elancourt, que Mme X... estime que le notaire aurait dû être plus diligent et " s'assurer de la volonté exacte de Monsieur Y... par la constitution du legs ", que " comme pour le legs du droit d'usage et d'habitation, il s'avère que Monsieur Y... n'a pas été conseillé sur les difficultés que pourrait rencontrer Madame X... pour régler les droits de succession " ; qu'elle soutient que " Monsieur Y... sur les conseils de la S. C. P. A... et B..., a renoncé à tous ses droits sur cet appartement (....) Sans l'avertir sur le fait que n'étant ni marié, ni pacsé, elle devrait acquitter un impôt égal à 60 % de la valeur du bien reçu en succession, au titre des droits de succession, conformément aux dispositions de l'article 777 du code général des impôts " ;
Considérant que dans le second document en date du 15 octobre 2004 relatif à l'immeuble sis à Elancourt, M. Y..., après avoir rappelé qu'il s'était porté coacquéreur à hauteur de 50 % afin d'obtenir un prêt correspondant au prix d'acquisition, a déclaré : " je reconnais n'avoir aucun droit sur cet appartement, mon intervention ayant servi uniquement à obtenir le crédit GE Capital Bank. En tant que de besoin si cette situation était contestée par moi même ou mes ayants-droit serions tenus au remboursement à Madame X... du capital qu'elle aurait payé pour mon compte " ;
Considérant cependant que les attestations dont il vient d'être fait état, en l'absence de tout autre élément d'appréciation, et contrairement à l'appartement ... à Paris, ne permettent pas de retenir avec suffisamment de certitude que l'intention de M. Y..., quelle que soit sa volonté de protéger les intérêts de sa compagne, était, non pas de reconnaître au profit de l'appelante, tel que le document litigieux l'exprime, un droit de créance à hauteur de la somme que celle-ci avait réglée pour son compte, mais de lui léguer sans frais, sa part indivise dans l'immeuble concerné ;
que dès lors et quant bien même le notaire lui aurait conseillé cette disposition testamentaire, le choix de celle-ci par le défunt reste du seul domaine de l'hypothèse ;
qu'il convient en conséquence débouter Mme X... de sa demande relative à l'immeuble d'Elancourt, étant par ailleurs observé que le préjudice moral allégué par l'appelante, au demeurant pour les deux immeubles en cause, n'est pas établi et ne pourra donner lieu à indemnisation ;
Considérant que la solution du litige et l'équité commandent d'accorder à Mme X... une indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile d'un montant de 3 000 euros ;
PAR CES MOTIFS
Rejette la demande présentée par la SCP A...- B... visant à ce que soient écartées des débats les pièces produites par Mme X..., numérotées 41 à 55.
Infirme le jugement déféré,
Statuant à nouveau,
Condamne la SCP A...- B... à payer à Mme X... la somme de 40 000 euros à titre de dommages intérêts, outre une indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile d'un montant de 3 000 euros,
Rejette toute autre demande,
Condamne la SCP A...- B... aux dépens dont distraction au profit de la SCP Fisselier et associés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT.