Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 1
ARRET DU 27 MARS 2013
(n° 116, 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 12/11998
Décision déférée à la Cour :
jugement du 6 juin 2012 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 12/01848
DEMANDEUR AU RECOURS
Maître [F] [M]
[Adresse 6]
[Localité 5]
présent à l'audience, qui a eu la parole en dernier
représenté et assisté de Me Jean-Jacques FANET (avocat au barreau de PARIS, toque : D0675), de Monsieur le Bâtonnier Francis TEITGEN (SELARL TEITGEN WERL AVOCATS au barreau de PARIS, toque : L0132) et de Me Lionel KOHN (avocat au barreau de PARIS, toque : C1676)
DÉFENDEUR AU RECOURS
Le MINISTÈRE PUBLIC
pris en la personne de
Monsieur LE PROCUREUR GÉNÉRAL
près la Cour d'Appel de PARIS
élisant domicile en son parquet
au Palais de Justice
[Adresse 3]
[Localité 4]
représenté à l'audience par Monsieur Pierre KRAMER, avocat général, qui a développé ses conclusions écrites
EN PRÉSENCE DE
LA CHAMBRE DES NOTAIRES de PARIS prise en la personne de son représentant légal Monsieur Ch. BENASSE, président de la chambre
[Adresse 1]
[Localité 4]
représenté à l'audience par Monsieur Ch. BENASSE, président de la chambre entendu en ses observations
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 29 janvier 2013, en audience publique les avocats ne s'y étant pas opposé, le rapport entendu conformément à l'article 785 du code de procédure civile, devant la Cour composée de :
Monsieur Jacques BICHARD, Président
Madame Marguerite-Marie MARION, Conseiller
Madame Dominique GUEGUEN, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Mme Noëlle KLEIN
MINISTERE PUBLIC
représenté à l'audience par Monsieur Pierre KRAMER, avocat général, qui a développé ses conclusions écrites
ARRET :
- contradictoire
- rendu publiquement par Monsieur Jacques BICHARD, président
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Jacques BICHARD, président et par Madame Noëlle KLEIN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
******************
Instance 12/ 11998 :
Le 19 juin 2012, M. [P] [U], avocat à la cour, agissant au nom et pour le compte de M. [F] [M], notaire, a déclaré interjeter appel du jugement en date du 6 juin 2012 rendu par le tribunal de grande instance de Paris, statuant en matière disciplinaire, qui a :
-dit que M. [M] a manqué à ses obligations,
-prononcé à son encontre une peine d'interdiction temporaire pendant deux années,
-désigné en qualité d'administrateur de l'office notarial [M], [Adresse 2] le Président de la Chambre des Notaires de Paris, avec faculté de délégation,
-dit le jugement exécutoire par provision sur minute,
-condamné M. [M] aux dépens.
Instance 12/ 00212 :
Par ordonnance en date du 20 juillet 2012, rendue sur requête en date du 19 juillet 2012 présentée au visa de l'article 948 du code de procédure civile, le magistrat délégataire du premier président de la cour d'appel de Paris a autorisé M. [F] [M] à comparaître à jour fixe sur son appel et à assigner 'M. le Procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Paris' pour l'audience du 19 septembre 2012, auquel a été délivré à cette fin une assignation en date du 3 août 2012, aux fins de voir :
- infirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré,
-dire qu'il n'y a lieu à aucune sanction disciplinaire à l'encontre de M. [M],
-subsidiairement, dire que M. [M] n'a pas commis de faute disciplinaire de nature à procéder à une interdiction temporaire d'exercer la profession,
-condamner 'M. le Procureur de la République' en tous les dépens.
Il y a lieu pour une bonne administration de la justice de joindre les instances 12/ 00212 et 12/ 11998 sous le No 12/ 00212.
Entendus en leurs observations à l'audience publique du 29 janvier 2013, M. le Bâtonnier Francis Teitgen, conseil de M. [M], qui a soutenu oralement ses conclusions, M. le Président de la Chambre des Notaires qui a présenté des observations, M. le Procureur Général, qui a soutenu ses conclusions datées du 8 août 2012, M. [F] [M], lequel a eu la parole en dernier.
SUR CE, LA COUR :
Considérant que les faits reprochés ont été exactement rappelés par le tribunal aux termes d'un exposé auquel la cour se réfère expressément ; que les poursuites ont été engagées à l'encontre de M. [M] aux termes d'une assignation qui lui a été délivrée le 18 janvier 2012 par M. le Procureur de la République pour avoir commis des manquements à ses obligations sur le fondement des articles 13-1°, 2 et 4 et 14-1° du décret No 45-01117 du 19 décembre 1945, 1er de l'ordonnance No 45-2590 du 2 novembre 1945, 2, 3 et suivants de l'ordonnance No 45- 1418 du 28 juin 1945, 3, 13 et suivants du décret No 73-1202 du 28 décembre 1973 ;
Que les irrégularités constatées courant novembre 2011 par la Chambre des Notaires de Paris en la personne de Maître [Z], premier syndic, à l'occasion d'une inspection de l'étude de M. [M] étant de nature à excéder par leur nature et leur importance les peines susceptibles d'être prononcées par la Chambre de Discipline, le Procureur de la République a donc été saisi ;
Qu'il a été reproché à M. [M] des conventions de séquestre conclues avec la République de Côte d'Ivoire pour trois comptes séquestres ouverts intitulés :
- Séquestre Côte d'Ivoire ( No 7977)
- Séquestre Côte d'Ivoire rénovation patrimoine ( No 8713)
- Séquestre Côte d'Ivoire Suisse ( No 10 776),
à partir desquels M. [M] a perçu des rémunérations très élevées, pour un montant total de 300 262 €, non justifiées en ce qu'elles reposent sur des actes irréguliers accomplis par le notaire en violation de ses obligations, alors qu'il n'était pas fondé à accepter en son office des sommes qui ne sont pas justifiées par la réalisation d'un acte relevant de sa qualité d'officier public ; que deux de ces 3 comptes séquestre sont relatifs à des actes qui lui sont étrangers puisque les fonds placés sur un compte provenaient d'une vente aux enchères publiques de meubles et ceux figurant sur le second compte provenaient d'une vente de biens immobiliers en Suisse ;
Qu'il lui a été reproché que les actes ainsi reçus aient été improprement qualifiés de 'conventions de séquestre' alors qu'ils correspondraient davantage à un mandat, lequel contrevient au statut du notaire auquel il est interdit de recevoir des actes dans lesquels il a un intérêt personnel, selon l'article 2 du décret du 26 novembre 1971, et qu'il est apparu qu'en tout état de cause, M. [M] n'a pas affecté les sommes conformément aux mandats qu'il avait reçus, car il ressort de ces mandats, selon actes des 20 juin 2008, 23 février 2009 et 26 juillet 2010, que la volonté du mandant était de destiner les sommes au paiement de réhabilitation des locaux à [Localité 9] appartenant à l'Etat ivoirien, alors que l'analyse des versements a démontré que les règlements sont intervenus soit pour assurer des dépenses de fonctionnement de l'Ambassade de Côte d'Ivoire en France ou en Suisse soit pour honorer des factures sans rapport avec l'objet du mandat, tels des honoraires d'avocat ou la rémunération des mandataires ;
Que M. [M] a aussi manqué à son obligation de vigilance en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux, tant quant à l'origine des fonds qu'à leur destination, la déclaration TRACFIN n'ayant été faite que sur instruction de la Chambre des Notaires ;
Qu'ainsi il a été reproché au notaire, auquel il est interdit de recevoir des actes dans lesquels il a un intérêt personnel, de s'être immiscé dans l'administration des affaires d'un client, contrevenant à l'article 13 du décret du 19 décembre 1945 ;
Que par ailleurs, il lui a été aussi reproché d'avoir fait un emploi détourné des chèques emplois services, réservés aux particuliers, en les utilisant pour rémunérer la femme de ménage de l'office et d'avoir payé des frais de voyage exorbitants sur le compte de l'étude, sans lien avec l'activité professionnelle, irrégularités comptables ayant des conséquences fiscales ;
Considérant qu'à l'appui de son appel, M. [M], reprenant l'argumentation par lui développée en première instance, conteste l'ensemble des reproches qui lui sont faits, à savoir :
-d'être sorti du cadre strict imparti à ses fonctions de notaire définies par l'article 1er de l'ordonnance du 2 novembre 1945,
-d'avoir touché des rémunérations paraissant excessives, c'est à dire d'avoir exercé, de facto, un mandat d'agent d'affaires et de s'être livré à des opérations de bourse et de commerce, ce, en infraction aux dispositions des articles 13-1, 2 et 4 du décret No 45-01117 du 19 décembre 1945,
-d'avoir commis des fautes de nature fiscale au sens de l'article 14-1 du même décret ;
Qu'il souligne que les opérations qui lui sont reprochées n'ont aucunement trait à sa probité et à son honneur et qu'à supposer que la cour retienne que les opérations qu'il a diligentées n'entraient pas 'de manière orthodoxe ' dans le cadre des activités permises aux notaires, la sanction prononcée, particulièrement sévère, qui entraînerait sa mort professionnelle, doit être modérée, d'autant qu'il n'a jamais été l'objet d'aucune poursuite disciplinaire depuis son entrée dans la profession depuis plus de 20 ans et depuis la fin 1999 à [Localité 9], ayant été nommé notaire à la suite de la création d'un office et travaillant seul avec un notaire salarié et 11 collaborateurs ;
Qu'il indique qu'il n'a jamais été convoqué devant la Chambre des Notaires pour s'expliquer avant que la procédure disciplinaire soit engagée directement par le Procureur de la République alors qu'il n'a été l'objet d'aucune plainte de la part des intervenants à ces dossiers tels que l'Etat de la Côte d'Ivoire, l'ancien Président de la République de cet état, son successeur, les ambassadeurs successifs de Côte d'Ivoire ou les mandataires désignés de l'Etat ivoirien ;
Qu'il conteste en conséquence l'analyse opérée par les premiers juges, expliquant avoir toujours pensé être dans la légalité d'autant qu'il dispose du témoignage de Mme [Y] [G], notaire salariée de son étude, présente lors de son appel téléphonique à M. [K] [A] en charge du comité contentieux à la Chambre des Notaires pour avoir son avis et connaître la marche à suivre concernant les fonds détenus par l'étude pour le compte de l'Etat de la Côte d'Ivoire, ce à la suite du changement de gouvernement en Côte d'Ivoire lorsque les autorités nouvelles lui ont demandé des explications concernant la gestion de sommes remises par l'ancien président M. [R] ; qu'il lui aurait été alors préconisé, après consultation de la compagnie d'assurance des notaires, l'établissement d'un acte de dépôt au rang des minutes des différents mandats, lequel acte devait contenir une ' convention de séquestre' aux termes de laquelle devaient être fixés le montant des honoraires article 4 ;
Considérant que M. [M] fait valoir qu'il a accompli les mandats
qui lui avaient été confiés avec célérité, efficacité et probité, ce qui résulte des correspondances échangées avec des avocats mandatés par les clients, du 22 mars 2011 avec M. [H], du 15 décembre 2011 avec M. [D], du 6 avril 2011 avec M. le Bâtonnier [I], qui ne révélaient aucune ambiguïté quant à l'appartenance des fonds à l'Etat de Côte d'Ivoire, à l'époque en 2008, 2009 et 2010 représenté par M. [R], sans qu'il n'y ait lieu, a priori, de faire une déclaration TRACFIN, d'autant qu'en 2007, 2008 et 2009, une inspection avait été diligentée et que les honoraires perçus ces années-là de l'Etat de Côte d'Ivoire à l'occasion des actes de dépôts n'avaient pas fait l'objet d'observations de la part de la Chambre des Notaires ; qu'il a perçu les honoraires prévus par l'article 4 du décret No 78-262 du 8 mars 1978 qui définit le tarif des notaires, les actes incriminés rentrant de manière régulière dans le champ d'application très étendu de l'article 4 ; que les missions de séquestre se sont déroulées sur une période de trois années et ont donné lieu à un travail important ;
Considérant que M. [M] soutient que les sommes déposées en son étude pour lesquels il a établi les 23 février 2009 et 26 juillet 2010 deux actes authentiques de dépôt de mandat au rang de ses minutes, suivis desdites conventions de séquestre n'étaient pas irrégulièrement détenues ; que les mandats lui conféraient des pouvoirs spéciaux de gestion, qu'il était habilité à détenir les fonds provenant de diverses ventes de biens meubles et immeubles car, avant tout officier public, il est chargé de conférer authenticité aux actes qu'il reçoit et d'en assurer la conservation comme le prévoit l'ordonnance No 45-2590 du 2 novembre 1945 ;
Qu'il soutient que n'étant ni allié, ni apparenté avec un quelconque de ses mandants, il n'a pas apporté son concours à des actes dans lesquels il aurait un intérêt personnel du seul fait qu'il percevait des honoraires de l'article 4 ; que les actes reçus ne sauraient donc fonder le reproche qui lui est fait, ni pour avoir apporté son concours, ni pour le montant de ces honoraires, acceptés par le client et payés ;
Considérant qu'il sera rappelé qu'un notaire ne peut signer un acte à la fois comme officier public et comme mandataire de l'une des parties, son statut lui imposant un devoir d'indépendance et d'impartialité ; que la qualité de dépositaire du notaire n'est que la conséquence de son statut et une activité accessoire à celle de rédacteur d'actes ; que le statut d'officier public interdit au notaire de s'immiscer de quelque façon que ce soit dans les affaires de son client et de se comporter en gérant d'affaires ou gestionnaire de compte, qu'il lui est notamment interdit de faire des actes de commerce ;
Considérant qu'en l'espèce, il suffit de rappeler que par acte du 20 juin 2008, le notaire a reçu divers documents de Maître Sonogo, avocat à la cour d'appel d'Abidjan, lui-même mandataire de M. [L] [R], président de la république de Côte d'Ivoire, aux fins d'être séquestre du prix de vente de divers biens immobiliers ; que ce mandat comprenait également la charge de réaliser un mandat de gestion du produit de la vente, avec réalisation de très nombreux mouvements de fonds et règlement de dépenses diverses ; que ces opérations ont donné lieu à des rémunérations du notaire de plus de 300 000 € à hauteur de 2 % du montant des sommes séquestrées ;
que la comptabilité de l'étude a été utilisée pour recevoir des fonds, à l'occasion de ce mandat sous traité, à hauteur de près de 15 millions d'euros ( dont 10, 5 millions d'euros provenant de la vente d'un bien immobilier en Suisse ) sans que ces fonds proviennent d'un acte reçu par lui ;
Considérant que par des motifs pertinents que la cour adopte, les premiers juges, ayant rappelé les caractéristiques des actes incriminés, ont relevé que M. [M], quand bien même Mme [E], comptable taxatrice de l'étude, y était désignée en qualité de ' séquestre amiable ' était en réalité le co-contractant de l'Etat de Côte d'Ivoire et rémunéré de manière conséquente, ce qui démontre qu'il était d'évidence intéressé à titre personnel à l'acte qu'il recevait par ailleurs en sa qualité de notaire ; que pour ce motif, M. [M] a contrevenu à l'obligation qui s'impose à tout notaire de ne pas recevoir d'actes dans lesquels il a un intérêt personnel ; que de la part d'un notaire d'expérience et s'agissant d'une obligation essentielle de la profession, ce manquement revêt une incontestable gravité ;
Considérant que les objections de M. [M] ne sont pas pertinentes dès lors que les fonds déposés sur les comptes ouverts en la comptabilité de M. [M] ne provenaient pas, pour une partie importante d'entre eux, d'actes reçus par lui ; que certes le notaire peut, à titre accessoire, conserver provisoirement les sommes provenant des actes qu'il rédige et reçoit, mais il n'entre pas dans sa mission de recevoir d'autres fonds, surtout d'un montant important, de les détenir sans limitation de durée et de les gérer ; qu'en l'espèce M. [M] s'est immiscé dans les affaires de son co-contractant, par ailleurs son client, en faisant des actes de gestion d'affaires et il a accompli des actes de banque, tenant compte ouvert et établissant une comptabilité des mouvements de fonds ;
Considérant que M. [M] ne pouvait ignorer agir en dehors de tout lien avec un acte reçu par lui et les multiples opérations par lui réalisées ne pouvaient correspondre à un accessoire à des actes ; qu'en effet, il est devenu le mandataire pour des sommes étrangères à ses fonctions et a fait de la gestion d'affaires ; qu'à cet égard, comme l'ont pertinemment retenu les premiers juges, M. [M] qui n'établit nullement avoir interrogé de manière écrite et précise ses instances professionnelles chargées de la déontologie des notaires, ne saurait s'appuyer, pour tenter de minorer sa responsabilité personnelle dans les actes qui lui sont reprochés, sur une simple conversation téléphonique dont il est seulement constant, ce qui résulte clairement des déclarations respectives de Mme [G] et de M. [A] qu'elle avait trait à sa responsabilité civile professionnelle et à la position de la Caisse de Garantie dans le seul cadre de la vente d'un bien immobilier ;
Considérant que M. [M] ne faisant que reprendre ses précédentes explications sur les autres reproches, sans y apporter d'argumentation nouvelle à laquelle il n'aurait pas été utilement répondu en première instance, la cour fera siens les motifs pertinents des premiers juges relatifs notamment à certaines autres irrégularités comptables et fiscales ;
Considérant qu'au vu de ces éléments, au regard de manquements graves commis par M. [M] car touchant à des principes essentiels de sa profession, la sanction prononcée est justifiée et sera confirmée.
PAR CES MOTIFS :
Joint les instances Nos 12/ 00212 et 12/ 11998 sous le No 12/ 00212,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Condamne M. [F] [M] aux dépens d'appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT