RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 1
RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES
DÉCISION DU 15 Avril 2013
(no , 4 pages)
Node répertoire général : 12/09971
Décision contradictoire en premier ressort ;
Nous, Marguerite-Marie MARION, Conseiller à la cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assisté de Noëlle KLEIN, Greffière, lors des débats et du prononcé avons rendu la décision suivante :
Statuant sur la requête déposée le 1er juin 2012 par Mme Imen Y... épouse Z..., élisant domicile chez Maître Laurence SOLOVIEFF - ... ;
Vu les pièces jointes à cette requête ;
Vu les conclusions de l'agent judiciaire de l'Etat, notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;
Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;
Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l'audience fixée au 18 mars 2013 ;
Vu la présence de Mme Imen Y... épouse Z... ;
Entendus Me Laurence SOLOVIEFF avocat au barreau de PARIS assistant Mme Imen Y... épouse Z..., Me Jean-Marc DELAS, avocat représentant l'agent judiciaire de l'Etat, ainsi que Madame Lydia GÖRGEN avocat général, les débats ayant eu lieu en audience publique, la requérante ayant eu la parole en dernier ;
Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R.26 à R40-7 du code de procédure pénale ;
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Considérant que, Madame Imen Y... épouse Z... (Madame Y...) a été mise en examen le 14 avril 2007 par un Juge d'instruction de Créteil des chefs de violences habituelles sur mineur de 15 ans ayant entraîné une ITT supérieure à 8 jours et entrée et séjour irrégulier ; qu'elle a été placée sous mandat de dépôt le même jour et mis en liberté sous contrôle judiciaire le 9 novembre 2007 par le Juge d'instruction ;
Que, renvoyée devant le Tribunal correctionnel de Créteil, elle a bénéficié d'un jugement, aujourd'hui définitif, de relaxe pour le délit de violences habituelles mais prononçant une dispense de peine pour le délit d'entrée et séjour irrégulier ;
Qu'elle a ainsi été incarcérée pendant 6 mois et 26 jours ;
Considérant que par requête du 1er juin 2012 déposée le même jour complétée par des conclusions ultérieures développées oralement à l'audience, Madame Y... sollicite :
- 20 000 € au titre de son préjudice moral et psychologique,
- 8 000 € au titre de son préjudice matériel et économique,
Ainsi qu'une somme de 2 000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile pour la présente procédure ;
Que l'Agent Judiciaire de l'Etat, développant oralement ses écritures à l'audience conclut :
- à la recevabilité de la requête,
- à l'octroi de la somme de 10 000 € au titre du préjudice moral,
- au rejet de la demande formée au titre du préjudice économique,
- à ce que soit ramenée à de plus justes proportions la somme sollicitée au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Que le Ministère Public, développant oralement ses écritures à l'audience, conclut à la :
- recevabilité de la requête et à son admission en son principe,
- réparation du préjudice moral proportionné à la durée de la détention,
- réparation de certains postes du préjudice matériel,
- réparation au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Sur la recevabilité
Considérant, au regard des dispositions des articles 149-1 et 149-2 du Code de procédure pénale et 38 du Décret no 91-1266 du 19 décembre 1991, que la requête déposée dans les délais et modalités de la loi est recevable en la forme ;
Considérant que l'article 149 du même code pose le principe d'une réparation intégrale du préjudice matériel et moral résultant d'une détention subie au cours d'une procédure terminée par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive ;
Que cependant, la réparation est exclue soit lorsque cette ordonnance de non-lieu (ou ce jugement de relaxe ou cet arrêt d'acquittement) a pour seul fondement, soit la reconnaissance de l'irresponsabilité du prévenu à raison d'un trouble psychiatrique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes au sens de l'article 122-1 du Code pénal, ou une amnistie postérieure à la mise en détention provisoire, ou la prescription de l'action publique intervenue après la libération de la personne, soit lorsque celle-ci était dans le même temps détenue pour autre cause, soit lorsqu'elle a fait l'objet d'une détention provisoire pour s'être librement et volontairement accusée ou laisser accuser à tort en vue de faire échapper l'auteur des faits aux poursuites ;
Qu'aucune de ces situations n'étant réalisée en l'espèce, la requête de Madame Y... est donc fondée en son principe ;
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Considérant, à titre liminaire, qu'il y a lieu de rappeler que la détention provisoire ne peut en aucun cas être qualifiée d'injustifiée et encore moins d'arbitraire ;
Qu'en effet, d'une part, les articles 137 et suivants du Code de procédure pénale définissent les conditions dans lesquelles une détention provisoire peut être ordonnée donc justifiée ;
Que d'autre part, la détention arbitraire est le fait, selon l'article 725 du même Code, d'être reçu ou retenu par un agent de l'administration pénitentiaire en l'absence d'un arrêt ou d'un jugement de condamnation, d'un mandat de dépôt ou d'arrêt, d'un mandat d'amener suivi d'incarcération provisoire ou d'un ordre d'arrestation établi conformément à la loi et sans qu'ait été donné l'acte d'écrou prévu à l'article 724 ;
Qu'il est constant que tel n'est pas le cas de l'espèce ;
Considérant, par ailleurs, qu'en vertu de l'article 149 précité, seuls peuvent être réparés les préjudices de la personne détenue qui sont directement liés à la privation de liberté, à l'exclusion de ceux qui sont la conséquence des poursuites pénales elles-mêmes, des mesures d'instruction autres que la détention provisoire tel le contrôle judiciaire, du retentissement public de l'affaire ou qui ont été causés à des proches ou à des tiers ;
Sur le préjudice moral
Considérant que l'indemnisation du préjudice moral de la personne détenue doit être appréciée à l'aune de la durée de la détention, en l'espèce 6 mois et 26 jours, et en fonction, notamment, de sa personnalité, de son mode de vie, de son comportement au cours de l'instruction, de ses antécédents judiciaires et des périodes de détention effectuées en exécution de condamnations antérieures ;
Considérant que Madame Y..., née le 1er février 1981, était âgée de 26 ans lors de sa mise en détention ; que mariée et mère d'un enfant de 2 ans, elle a présenté un état anxio-dépressif et a fait une tentative de suicide qui, si son lien de causalité exclusif avec la détention n'est pas établi, n'en demeure pas moins en relation avec celle-ci ;
Que son casier judiciaire ne porte trace d'aucune condamnation et qu'il s'agissait d'une première incarcération ;
Qu'eu égard à la durée de sa détention ainsi qu'aux éléments susvisés, il y a lieu de lui allouer la somme de 12 000 € ;
Sur le préjudice matériel
Considérant que Madame Y... indique que durant la période d'incarcération, d'une part, elle n'a pu assister son époux dans l'éducation de son enfant ce qui a obligé ce denier à restreindre son activité professionnelle, d'autre part, qu'elle n'a pu toucher de salaire ;
Considérant qu'il y a lieu de rappeler que seuls peuvent être réparés les préjudices de la personne détenue qui sont directement liés à la privation de liberté, à l'exclusion de ceux qui sont ont été causés à des proches ou à des tiers, ce qui exclu l'indemnisation sollicitée au nom de son mari ;
Que par ailleurs, la perte de salaires alléguée n'ayant fait l'objet d'aucune déclaration fiscale et provenant d'une activité professionnelle elle-même non déclarée, toute possibilité de réparation est exclue ;
Considérant, s'agissant des honoraires d'avocat, que seule la part des frais dont il est prouvé qu'ils sont en rapport direct avec la détention peuvent donner lieu à réparation étant précisé qu'aucune disposition n'exige que le requérant justifie s'être acquitté du paiement de la totalité des honoraires pour prétendre à l'indemnisation de ce chef de préjudice matériel ;
Qu'en l'espèce, seule la facture du Cabinet BISALU permet d'établir le lien des fais engagés avec la détention subie ; qu'il sera donc fait droit à la demande à hauteur de 1 315, 60 € ;
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Considérant que l'article 700 du Code de procédure civile est applicable aux demandes d'indemnisation à raison d'une détention provisoire qu'il sera alloué de ce chef la somme de 1 000 € ;
PAR CES MOTIFS,
DÉCLARONS Madame Imen Y... épouse Z... recevable en sa requête,
ALLOUONS à Madame Imen Y... épouse Z... :
- une indemnité de 12 000 € au titre de son préjudice moral,
- une indemnité de 1 315,60 € au titre des frais d'avocat,
- la somme de 1 000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
REJETONS le surplus des prétentions de Madame Imen Y... épouse Z...,
Décision rendue le 15 avril 2013 par mise à disposition au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
LE GREFFIER LE MAGISTRAT DÉLÉGUÉ