RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 12
ARRÊT DU 25 Avril 2013
(n° , 4 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 10/10546
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 12 Octobre 2010 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de BOBIGNY section RG n° 08/01820/B
APPELANTE
CPAM 94 - VAL DE MARNE
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Mme [R] en vertu d'un pouvoir général
INTIMEE
Société EIFFAGE ENERGIE VENANT AUX DROITS DE FORCLUM ILE DE FRANCE
[Adresse 2]
[Localité 2]
représentée par Me Frédérique BELLET, avocate au barreau de PARIS, toque : C0881, substituée par Me Mylene UNGER, avocate au barreau de PARIS, toque : C0881
PARTIE INTERVENANTE :
Monsieur le Ministre chargé de la sécurité sociale
[Adresse 3]
[Localité 1]
avisé - non représenté
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 07 Mars 2013, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Bernadette VAN RUYMBEKE, Président
Monsieur Luc LEBLANC, Conseiller
Madame Marie-Ange SENTUCQ, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier : Madame Marion MELISSON, lors des débats
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Bernadette VAN RUYMBEKE, Président et par Madame Marion MELISSON, Greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire
La Cour statue sur l'appel régulièrement interjeté par la caisse primaire d'assurance maladie du Val de Marne d'un jugement rendu le 12 octobre 2010 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Bobigny dans un litige l'opposant à la société Forclum-Paris-Ile de France-Nord, devenue Eiffage-Energie ;
Les faits, la procédure, les prétentions des parties :
Les faits de la cause ont été exactement exposés dans la décision déférée à laquelle il est fait expressément référence à cet égard ;
Il suffit de rappeler que M. [U], employé en qualité de terrassier par la société Eiffage-Energie, a été victime d'un accident du travail le 12 septembre 2003 ; qu'il a chuté dans une tranchée et a été blessé à la jambe et au genou gauche par l'appareil de chantier qu'il utilisait ; que la caisse primaire d'assurance maladie du Val de Marne a pris en charge cet accident au titre de la législation sur les risques professionnels ainsi qu'une lésion nouvelle déclarée le 19 septembre 2003 : 'traumatisme du membre inférieur gauche + rachis lombaire' ; que son état de santé a été déclaré consolidé le 15 avril 2005 ; que la société Eiffage-Energie a contesté l'opposabilité de la prise en charge de la nouvelle lésion et des prestations postérieures au 19 septembre 2003 ; qu'elle a saisi à cette fin la commission de recours amiable, puis la juridiction des affaires de sécurité sociale ; que cette juridiction a ordonné, le 3 novembre 2009, une expertise judiciaire sur pièces afin de dire s'il existe un lien de causalité entre les nouvelles lésions et l'accident du travail ;
Par jugement du 12 octobre 2010, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Bobigny, statuant au vu d'un procès-verbal de carence établi par l'expert, a déclaré inopposable à l'employeur la décision de prise en charge, au titre de l'accident du travail du 12 septembre 2003, des nouvelles lésions déclarées le 19 septembre 2003 ainsi que de l'ensemble des prestations versées postérieurement par la Caisse se rattachant exclusivement à ces nouvelles lésions.
La caisse primaire d'assurance maladie du Val de Marne fait déposer et soutenir oralement par sa représentante des conclusions tendant à infirmer le jugement, juger opposable à la société Eiffage-Energie la prise en charge de la nouvelle lésion décrite par le certificat médical de prolongation du 19 septembre 2003 ainsi que de l'ensemble des prestations versées ultérieurement à M. [U] et condamner la société au paiement de la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de son appel, elle fait valoir que la nouvelle lésion constatée le 19 septembre 2003 était bien imputable à l'accident du 12 septembre, selon l'avis de son médecin-conseil. Elle se prévaut de la présomption d'imputabilité prévue à l'article L 411-1 du code de la sécurité sociale qui s'étend aux soins et arrêts de travail prescrits à la suite de l'accident jusqu'à la date de consolidation et fait remarquer que la nouvelle lésion a été constatée peu après l'accident, à une époque où l'état de santé du salarié n'était pas encore stabilisé. Elle ajoute que les arrêts de travail de M. [U] se sont succédés sans interruption jusqu'au 15 avril 2005 et qu'il existe une continuité de soins et de symptômes depuis l'accident, l'intéressé ayant toujours souffert du genou gauche. Elle invoque aussi l'avis de son médecin-conseil qui a confirmé que les soins et arrêts prescrits au salarié durant son incapacité temporaire étaient tous justifiés. Elle estime qu'en revanche, l'employeur n'a pas rapporté la preuve d'une cause totalement étrangère au travail et ne peut tirer argument du fait que l'expert n'a pu accomplir sa mission à cause du refus opposé par son service médical à la communication des pièces nécessaires à l'expertise. Elle prétend en effet qu'une telle mesure d'instruction était inutile et n'aurait pas dû être ordonnée dès lors que la société Eiffage-Energie ne justifiait d'aucune raison légitime à l'appui de sa demande d'expertise. Elle fait observer que cette demande était motivée par des considérations d'ordre général sur le caractère disproportionné de la durée des soins et l'allégation sans preuve d'un état pathologique préexistant. Elle rappelle que l'expertise ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence d'une partie dans l'administration de la preuve. Elle ajoute que la société a attendu 5 ans après les faits pour s'inquiéter des soins dispensés au salarié et s'est abstenue de mettre en oeuvre un contrôle médical ou une contre-visite.
La société Eiffage-Energie fait déposer et soutenir oralement par son conseil des conclusions de confirmation du jugement attaqué. Elle fait valoir que le tribunal a tiré la conséquence nécessaire du refus de la caisse primaire d'apporter son concours à la mesure d'instruction qu'il avait ordonné. Elle se prévaut des dispositions des articles 11 et 275 du code de procédure civile qui prévoient cette solution en cas de carence d'une partie sans motif légitime. Elle précise que le secret médical ne constitue pas un obstacle à la mise en oeuvre des opérations d'expertise confiées à un médecin expert judiciaire. Enfin, elle fait observer que la caisse primaire n'a pas jugé utile de critiquer le bien-fondé de la décision prise par le tribunal de Bobigny d'ordonner une expertise médicale judiciaire.
Il est fait référence aux écritures ainsi déposées de part et d'autre pour un plus ample exposé des moyens proposés par les parties au soutien de leurs prétentions ;
Sur quoi la Cour :
Considérant qu'en application des articles 11 et 275 du code de procédure civile, les parties sont tenues d'apporter leur concours aux mesures d'instruction et doivent remettre sans délai à l'expert tous les documents que celui-ci estime nécessaire à l'accomplissement de sa mission ; que la juridiction peut tirer toute conséquence de droit d'une abstention, d'un refus ou du défaut de communication des documents à l'expert ;
Considérant qu'en l'espèce, le médecin expert désigné par les premiers juges pour donner son avis sur le lien de causalité entre les nouvelles lésions et l'accident du travail initial a établi un procès-verbal de carence après avoir relevé qu'aucune pièce n'avait été mise à sa disposition ;
Considérant que la caisse primaire ne justifie d'aucun motif légitime pour s'être soustraite à son obligation de communiquer les pièces nécessaires à l'accomplissement de la mission de l'expert alors que le jugement du 3 novembre 2009 précisait bien que le médecin-conseil de la caisse primaire devait communiquer à l'expert tous documents utiles à son expertise ;
Considérant que l'autonomie du service médical dans l'exercice de ses activités ne constitue pas une raison légitime dispensant la caisse primaire de satisfaire à ses obligations et le secret médical ne pouvait être opposé au médecin expert judiciaire ;
Considérant que pour échapper aux conséquences de son abstention fautive, la caisse primaire soutient qu'en réalité l'expertise ordonnée ne présentait aucune utilité et que la présomption d'imputabilité n'était pas détruite par l'employeur ;
Considérant cependant qu'il ressort du jugement du 3 novembre 2009 que l'employeur n'avait pas eu accès aux pièces justificatives sur lesquelles la caisse primaire s'est fondée pour décider la prise en charge contestée ; que, dans ces conditions, la mesure d'instruction ordonnée était le moyen d'instaurer un débat contradictoire sur les documents figurant au dossier médical, sans lequel l'employeur ne disposerait pas d'un recours effectif ;
Considérant que la circonstance que la société Eiffage-Energie n'ait pas usé de la faculté de mettre en oeuvre une contre-visite médicale et ait attendu la réception de son compte employeur pour contester l'imputabilité des nouvelles lésions à l'accident initial ne l'empêchait de demander que leur prise en charge lui soit déclaré inopposable ;
Considérant par ailleurs que la présomption d'imputabilité étendue aux soins et arrêts de travail prescrits à la victime d'un accident du travail avant la consolidation de son état de santé n'est pas irréfragable et l'expertise ordonnée était destinée à éclairer les juges sur le lien de causalité contesté entre les nouvelles lésions apparues durant la période d'incapacité de travail et l'accident initial ;
Considérant qu'en empêchant l'accomplissement de cette mesure d'instruction, la caisse primaire du Val de Marne a donc fait obstacle à l'examen judiciaire du bien-fondé de sa décision de reconnaître le caractère professionnel des nouvelles lésions ;
Considérant que c'est dès lors à juste titre que les premiers juges en ont déduit que cet organisme ne pouvait valablement opposer à l'employeur sa décision de prendre en charge les nouvelles lésions invoquées le 19 septembre 2003 ainsi que les prestations versées au salarié postérieurement à cette date et se rattachant exclusivement à ces nouvelles lésions ;
Que leur décision sera donc confirmée ;
Considérant que la caisse primaire qui succombe en son appel sera déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Par ces motifs :
- Déclare la caisse primaire d'assurance maladie du Val de Marne recevable mais mal fondée en son appel ;
- Confirme le jugement entrepris ;
- Déboute la caisse primaire d'assurance maladie du Val de Marne de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- La dispense du paiement du droit d'appel prévu à l'article R 144-10, alinéa 2, du code de la sécurité sociale.
Le Greffier Le Président