Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 1
ARRET DU 15 MAI 2013
(no 167, 4 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 11/18606
Décision déférée à la Cour :
Ordonnance rendue par le juge de la mise en état le 14 septembre 2011 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG no 09/16762
APPELANT
Maître Philippe X...
...
75008 PARIS
représenté et assisté de la SELARL DES DEUX PALAIS (Me Patrick BETTAN) (avocats au barreau de PARIS, toque : L0078) et de Me Christian PATRIMONIO (avocat au barreau de PARIS, toque : D1979)
INTIME
AGENT JUDICIAIRE DE L'ÉTAT
Direction des Affaires Juridiques
bâtiment Condorcet - Télédoc 353 - 6 rue Louise Weiss
75703 Paris CEDEX 13
représenté et assisté de Me Frédéric BURET (avocat au barreau de PARIS, toque : D1998) et de Me Jean-Marc DELAS (avocat au barreau de PARIS, toque : A0082)
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 19 mars 2013, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Jacques BICHARD, Président
Madame Marguerite-Marie MARION, Conseiller
Madame Dominique GUEGUEN, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Mme Noëlle KLEIN
MINISTERE PUBLIC
Madame Carola ARRIGHI de CASANOVA, substitut général, a fait connaître son avis
ARRET :
- contradictoire
- rendu publiquement par Monsieur Jacques BICHARD, président
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Jacques BICHARD, président et par Madame Noëlle KLEIN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
******************
M. Philippe X..., inscrit sur la liste nationale des administrateurs judiciaires - section régionale de la cour d'appel de Paris - depuis 1986 et qui a été autorisé à ouvrir en 2001 un bureau annexe à Marseillle, reproche à certains magistrats du tribunal de commerce de Paris ainsi qu'à ceux du tribunal de commerce de Marseille, de l'évincer systématiquement depuis plusieurs années lors des désignations dans les affaires présentant un intérêt intellectuel et pécuniaire important, pour ne le nommer que dans des dossiers relatifs à des entreprises à faible chiffre d'affaires, voire totalement dépourvues de salariés .
C'est dans ces circonstances que par acte du 13 octobre 2003 il a assigné en indemnisation du préjudice qu'il dit avoir subi en raison de cette situation, l'agent judiciaire du Trésor (désormais agent judiciaire de l'Etat) devant le tribunal de grande instance de Paris qui, par jugement du 30 mars 2005, a condamné celui-ci à lui payer une indemnité provisionnelle de 10 000 euros et ordonné une expertise comptable .
Ce jugement a été infirmé par un arrêt de cette cour du 2 mai 2006, lequel a été cassé par un arrêt rendu le 26 septembre 2007 par la cour de Cassation .
Sur renvoi, cette cour autrement composée, a dans son arrêt du 27 octobre 2009, confirmé en toutes ses dispositions le jugement du 30 mars 2005, dit que le préjudice subi par M. Philippe X... s'est poursuivi en 2006, 2007 et 2008 et a renvoyé les parties devant le tribunal de grande instance de Paris pour que, au vu du rapport d'expertise, il soit statué sur l'indemnisation du préjudice subi .
Par conclusions d'incident du 8 juin 2011, M. Philippe X... a saisi le juge de la mise en état du tribunal aux fins d'ordonner la communication de divers documents et de lui accorder une provision d'un montant de 900 000 euros .
Par ordonnance du 14 septembre 2011, le juge de la mise en état du tribunal a condamné l'agent judiciaire du Trésor à verser à M. Philippe X... la somme de 80 000 euros à titre de provision, a invité et en tant que de besoin a enjoint l'agent judiciaire du Trésor de communiquer à l'expert judiciaire les déclarations fiscales des administrateurs judiciaires dont la liste est établie auprès du tribunal de commerce de Paris, remises depuis l'an 2000 dans le cadre de leurs obligations en qualité de contribuables, a invité et en tant que de besoin a ordonné à la caisse des dépôts et consignations de permettre à l'expert judiciaire de recueillir tous documents, données et informations concernant chacun des mandataires de justice dont elle détient et assure la tenue des comptes financiers désignés par le tribunal de commerce de Paris, a débouté pour le surplus des demandes, a alloué à M. X... la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et a ordonné l'exécution provisoire .
***
Vu la déclaration d'appel déposée le 18 octobre 2011 par M. Philippe X... .
Vu les dernières conclusions communiquées par la voie électronique le :
14 mars 2013 par M. Philippe X... qui demande à la cour de :
- réformer la décision déférée,
- condamner l'agent judiciaire de l'Etat à lui payer à titre de provisions :
* la somme de 1 980 000 euros au titre de la perte de chance caractérisée par la différence existant entre le chiffre d'affaires résultant des mandats qui lui ont été confiés et le chiffre d'affaires qu'il aurait perçu s'il avait été désigné dans les mêmes proportions et conditions que ses confrères,
* la somme de 100 000 euros au titre de la perte de ses droits à la retraite,
* la somme de 50 000 euros au titre du préjudice moral,
- la somme de 30 000 euros à titre d'indemnité procédurale,
- ordonner à l'agent judiciaire de l'Etat de communiquer à l'huissier de justice à désigner les déclarations professionnelles anonymisées des années 2000 à 2011 des administrateurs judiciaires inscrits sur les listes établies auprès des tribunaux de commerce de Paris et de Marseille (déclarations 2035 et 2031) et ceci sous astreinte de 50 000 euros par jour de retard,
- ordonner à la Caisse de garantie des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires de communiquer à l'huissier de justice à désigner :
* soit les déclarations professionnelles anonymisées des années 2000 à 2011 des administrateurs judiciaires inscrits sur les listes établies auprès des tribunaux de commerce de Paris et de Marseille ( déclarations 2035 et 2031 ),
* soit de restituer ces informations sous forme de tableaux de synthèse pour la même période, et ceci dans les 8 jours qui suivront la signification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard,
- renvoyer l'éventuelle liquidation de l'astreinte au juge de la mise en état,
- désigner un huissier de justice avec mission de :
* signifier à l'agent judiciaire de l'Etat et à la Caisse de garantie des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires l'arrêt à rendre et leur faire sommation de remettre les documents requis,
* de recevoir de l'agent judiciaire de l'Etat et de la Caisse de garantie des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires lesdits documents et d'en établir la liste,
* dresser procès-verbal de ses opérations en y joignant les pièces éventuellement reçues dans le délai d'un mois à compter de la signification de l'arrêt à rendre,
* remettre le second original de son procès-verbal au greffe du tribunal,
* dresser une expédition à son avocat, ainsi qu'à l'avocat de l'agent judiciaire de l'Etat,
* fixer à 5 000 euros le montant de la rémunération à valoir sur ces opérations .
12 mars 2013 par l'agent judiciaire de l'Etat qui, au visa de l'article 776 du code de procédure civile, demande à la cour de :
- déclarer irrecevable et subsidiairement non fondé la demande de communication de pièces,
- confirmer l'ordonnance déférée quant à la demande de provision et de débouter M. X... de ses demandes, fins et conclusions comme étant tardives et en tout hypothèse non fondées .
Vu l'avis émis le 23 novembre 2012 par le Parquet Général près cette cour qui à titre principal estime l'appel irrecevable et subsidiairement que certaines pièces réclamées par M. Philippe X... peuvent faire l'objet d'une production .
SUR QUOI LA COUR
Conformément aux dispositions de l'article 776 du code de procédure civile, c'est à juste titre que l'agent judiciaire de l'Etat soulève l'irrecevabilité de l'appel formé par M. Philippe X... portant sur la communication des pièces ci-dessus listées, étant au demeurant observé que dans son jugement du 30 mars 2005, le tribunal a ordonné une expertise pour apprécier le préjudice subi par l'appelant, que cette cour dans son arrêt du 27 octobre 2009 a étendu la mission de l'expert aux années 2006, 2007 et 2008 et que toute difficulté née en cours d'expertise notamment en ce qui concerne la communication de pièces nécessaires à l'accomplissement de la mission confiée à l'expert doit être portée devant le juge désigné à cet effet .
Quant à la demande de provision, il convient en premier lieu de rappeler qu'elle ne peut concerner que les seules conséquences financières et morales en relation directe avec la discrimination que M. Philippe X... a eu à subir pendant plusieurs années et non pas celles résultant de l'éventuelle durée anormalement longue de la procédure judiciaire qu'il a engagée.
Par ailleurs et ainsi que l'a retenu cette cour, M. Philippe X... ne peut faire état que d'une perte de chance , ce qui, par définition, exclut la réparation intégrale du préjudice qu'il soutient avoir subi.
Enfin seul le rapport d'expertise permettra utilement au juge du fond de se faire une opinion sur l'étendue du préjudice économique réellement éprouvé par M. Philippe X..., dont l'appréciation a été étendue par cette cour jusqu'à l'année 2008 comprise alors même que l'appelant estime que la période à prendre en compte s'est prolongée jusqu'en 2012 .
Et dans l'attente du dépôt de ce rapport, les conclusions "du mémoire d'expertise "que M. Philippe X... a commandé à M. Y..., qui est dépourvu de tout caractère contradictoire mais qui certes pourra être soumis comme élément d'appréciation au juge du fond, ne permettent pas à ce stade de la procédure, d'accueillir les demandes qu'il présente.
Dans ces conditions et alors que le principe même d'une provision n'est pas remis en cause par l'agent judiciaire de l'Etat, c'est à juste titre que le juge de la mise en état a fixé le montant de celle-ci à la somme de 80 000 euros, étant précisé qu'il s'agit d'une provision à valoir sur l'ensemble des préjudices d'ordre économique;
En outre et alors qu'est certain le préjudice moral né de la discrimination dont M. Philippe X... a fait l'objet durant plusieurs années, il convient d'allouer à ce titre à celui-ci une provision d'un montant de 8 000 euros ;
Enfin en l'état de cette décision et eu égard à l'équité il échet d'accorder à M. Philippe X... une indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile d'un montant de 2 000 euros .
PAR CES MOTIFS
Déclare M. Philippe X... irrecevable en son appel portant sur la demande de communication de documents .
Confirme pour le surplus l'ordonnance déférée .
Y ajoutant,
Dit que la provision de 80 000 euros est à valoir sur l' ensemble des préjudices d'ordre économique éventuellement subis par M. Philippe X...
Condamne l'agent judiciaire de l'Etat à verser à M. Philippe X... la somme de 8 000 euros à titre de provision à valoir sur la réparation de son préjudice moral .
Condamne l'agent judiciaire de l'Etat à verser à M. Philippe X... une indemnité d'un montant de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne l'agent judiciaire de l'Etat aux dépens de la procédure d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile .
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT