Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 8
ARRET DU 18 JUIN 2013
(n° , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 11/12586
Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 Mai 2011 -Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2007077739
APPELANTES
SAS CONSULTAUDIT INTERNATIONAL, agissant poursuites et diligences de son représentant légal.
[Adresse 3]
[Localité 2]
représentée et assistée par Me Dominique OLIVIER de la AARPI Dominique OLIVIER - Sylvie KONG THONG (avocat au barreau de PARIS, toque : L0069)
et par la SELARL B.MOREAU AVOCATS (Me Bertrand MOREAU) (avocats au barreau de PARIS, toque : P0121)
SARL CS SERVICES, agissant poursuites et diligences de son gérant.
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée et assistée par Me Dominique OLIVIER de la AARPI Dominique OLIVIER - Sylvie KONG THONG (avocat au barreau de PARIS, toque : L0069)
et par la SELARL B.MOREAU AVOCATS (Me Bertrand MOREAU) (avocats au barreau de PARIS, toque : P0121)
INTIMEE
SELAFA MJA, prise en la personne de Me [O], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société FEGEC dont le siège est [Adresse 1].
[Adresse 4]
[Localité 1]
représentée par Me Emmanuel LAVERRIERE de la SELARL RACINE (avocat au barreau de PARIS, toque : L0301)
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 15 Avril 2013, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Marie HIRIGOYEN, Présidente
Madame Evelyne DELBÈS, Conseillère
Monsieur Joël BOYER, Conseiller
qui en ont délibéré
Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions prévues à l'article 785 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Patricia DARDAS
ARRET :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Marie HIRIGOYEN, président et par Mme Catherine CURT, greffier présent lors du prononcé.
Selon un protocole d'accord du 16 novembre 1998, M.[L] [R], agissant pour son compte et celui de ses associés, s'est engagé à céder les 6 000 actions composant le capital social de la société d'expertise comptable Fiduciaire d'Etudes de Gestion et d'Expertise Comptable (Fegec) à M. [U] [M], agissant tant pour son compte qu'en qualité de représentant de la société d'expertise comptable Consultaudit. M [R] s'engageait en outre à présenter la clientèle de Fegec au cessionnaire.
Par convention annexe du même jour une option d'achat d'une partie de la clientèle de Fegec était stipulée au profit de M. [R].
La cession est intervenue le 7 janvier 1999 au prix de 20 millions de francs, M. [R] démissionnant de tous ses mandats sociaux mais continuant à exercer en qualité de directeur salarié au sein de Fegec.
En juillet 1999, M. [R] lèvera l'option d'achat qui lui avait été consentie, démissionnera de ses fonctions salariées et constituera une société d'expertise comptable Cabinet [L] [R] ayant son siège à la même adresse que la société Fegec.
Cette situation conduira à un très long contentieux entre les parties qui peut être ainsi résumé:
- par sentence arbitrale du 23 juin 2000, la résolution des conventions du 16 novembre 1998 et de leurs actes d'exécution sera prononcée aux torts de M. [R] au motif essentiel de la violation de ses engagements de non-concurrence, ce dernier étant condamné à rembourser à M. [M] et à la société Consultaudit le prix de cession des actions, décision confirmée par arrêt de la cour d'appel de Paris du 18 octobre 2001,
- M. [R] saisira à nouveau le tribunal arbitral pour voir constater la dépréciation de la valeur des actions Fegec sous la gestion [M] et par quatre sentences arbitrales des 20 janvier, 31 mars, 16 avril et 12 juin 2003, le tribunal ordonnera la compensation entre les sommes à restituer à M. [M] et à la société Consultaudit au titre de la résolution de la cession et celles dues à M. [R] au titre de la dépréciation des actions restituées de sorte qu'aucune partie n'était plus créancière de l'autre, sentences qui seront infirmées par arrêt du 19 février 2004 de la cour d'appel de Paris, laquelle a jugé que la première sentence, confirmée en appel, avait nécessairement laissé supporter à M. [R] la dépréciation alléguée,
- une nouvelle sentence arbitrale en date du 7 juin 2004 annulant la cession, cette fois-ci à la demande de M. [R] et sur le fondement du dol, sera encore infirmée par arrêt de la cour d'appel de Paris du 26 novembre 2006,
- M. [R], entre temps réélu président du conseil d'administration de la société Fegec, déposera plainte en se constituant partie civile à l'encontre de M. [M] et de la société Consultaudit en visant les actes de gestion accomplis par le premier lorsqu'il dirigeait la société Fegec, sous les qualifications, notamment, d'abus de confiance et d'abus de biens sociaux, faux et usage de faux, banqueroute par détournement d'actifs, tous chefs à raison desquels un non-lieu partiel sera prononcé par arrêt du 2 juillet 2012, M. [M] étant en définitive renvoyé devant le tribunal correctionnel pour y répondre des délits d'absence de tenue de comptabilité, d'absence d'approbation des comptes par l'assemblée générale et d'absence de désignation d'un commissaire aux comptes,
- tous les pourvois formés par M. [R] contre les arrêts en sa défaveur ont été rejetés, de même que ses recours en révision.
Il résulte de l'ensemble de ces procédures que M. [R] a été le président de la société Fegec de sa création jusqu'au 7 janvier 1999, date à laquelle M. [M] lui a succédé. Ce dernier a occupé ce poste jusqu'au 4 février 2003 pour être remplacé par M. [R] le 9 février 2004, la société ayant été entre ces deux dates placée sous administration provisoire.
Sur déclaration de cessation des paiements et par jugement du 1er juillet 2004, le tribunal de commerce de Paris prononcera la liquidation judiciaire de la société Fegec, la date de cessation des paiements étant fixée au 13 janvier 2004 et la Selafa MJA, en la personne de Maître [O], désignée en qualité de liquidateur judiciaire.
Par ordonnance de référé en date du 15 décembre 2004, M. [P] sera désigné en qualité d'expert pour établir un rapport sur la situation financière de la société. M. [P] déposera son rapport le 20 juillet 2006.
Par actes en date du 6 mars 2006, la Selafa MJA fera assigner les deux dirigeants successifs de la société Fegec en sanctions pécuniaires et personnelles.
Par jugement du 6 février 2008, le tribunal dira irrecevable l'action visant M. [R] au motif que sa qualité de dirigeant de fait au cours de la période de référence visée par le liquidateur judiciaire (janvier 1999 à février 2004) n'était pas démontrée, condamnera M. [M] à supporter personnellement les dettes sociales à hauteur de 200 000 euros et prononcera à son encontre une mesure de faillite personnelle d'une durée de 10 ans, condamnations ultérieurement infirmées par arrêt de la cour d'appel de Paris du 3 novembre 2009 qui dira n'y avoir lieu à sanction à l'encontre de M. [M].
Entre temps et par actes des 13 et 16 novembre 2007 - c'est la présente instance- la Selafa MJA, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Fegec, a fait assigner les sociétés CS Services, Euro Conseil Audit et Consultaudit International en paiement des sommes, respectivement de 1 264 649, 529 181 et 295 297 euros, correspondant à des avances de trésorerie que la société Fegec leur aurait consenties.
Ensuite de la liquidation judiciaire de la société Euro Conseil Audit, devenue Euro Conseil 110, la procédure a été régularisée et la SCP [I]-[J], en qualité de liquidateur judiciaire de cette dernière, a été appelée à l'instance.
Par jugement du 27 mai 2011, le tribunal de commerce de Paris a constaté que les sociétés CS Services, Consult Audit International et Euro Conseil 110 ont bien reçu des sommes qualifiées d'avances de trésorerie dont le remboursement n'est pas justifié, a condamné les sociétés CS Services et Consultaudit International à payer à Maître [O], ès qualités, les sommes respectives de 862 162 et 61 443 euros en principal outre les intérêts légaux calculés à compter du 16 novembre 2007 avec anatocisme, a fixé la créance de la société Fegec au passif de la société Euro Conseil 110 à la somme de 86 734 en principal, outre intérêts légaux à compter du 16 novembre 2007 et anatocisme jusqu'au 23 février 2009, a condamné 'les défenderesses' à verser à la Seala MJA, ès qualités, la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, a ordonné l'exécution provisoire, a débouté les parties de leurs autres demandes et a condamné les sociétés CS Services et Consultaudit International ainsi que Maître [I]-[J], ès qualités, aux dépens.
Les sociétés CS Services et Consultaudit ont relevé appel de cette décision par déclaration du 5 juillet 2011.
Dans leurs dernières conclusions signifiées le 2 avril 2013, elles demandent à la cour de constater que la demande de la Selafa MJA, ès qualités, ne repose que sur le rapport de M. [P], de déclarer ce rapport inopposable à la société Consultaudit International, de constater que la comptabilité de la société Fegec est incomplète et non probante, que la preuve des créances invoquées n'est pas rapportée, d'infirmer en conséquence le jugement déféré et de condamner la Selafa MJA, ès qualités, à payer à chacune d'elles la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Dans ses dernières conclusions signifiées le 15 avril 2013, la Selafa MJA, ès qualités, demande à la cour de confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions et de condamner solidairement les appelantes à lui verser la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
SUR CE
Sur l'inopposabilité du rapport de M. [P] à la société Consultaudit International
Les appelantes font valoir que la société Srimpex, devenue Consultaudit International, n'a pas été partie à l'expertise de M. [P] de sorte que le rapport de ce dernier ne saurait lui être opposé.
Mais il sera relevé, après les premiers juges, que l'expertise de M. [P] a été conduite au contradictoire de M. [M], dirigeant du groupe Consultaudit ainsi que des sociétés SAS Consultaudit et CS Services, que l'expert avait notamment pour mission de 'décrire les mouvements de fonds ayant pu exister entre la SA Fegec et les défendeurs ou toute personne physique ou morale ayant des liens directs ou indirects avec ces derniers', que c'est à ce titre que des mouvements de fonds entre Fegec et Srimpex (Consultaudit International) ont été identifiés sur lesquels M. [M], comme les deux sociétés du groupe au contradictoire desquels la mission se déroulait, a été mis en mesure de s'expliquer, que le rapport, déposé le 20 juillet 2006, a été adressé à toutes les sociétés du groupe Consultaudit qui ont pu le discuter, au travers des multiples instances ayant opposé les parties, de sorte que le principe de la contradiction, vainement invoqué, n'a été méconnu à l'égard d'aucune d'entre elles.
Sur les conséquences de l'absence de tenue régulière de comptabilité
Au titre des exercices 1999-2000 à 2003-2004, soit sous la gestion de M. [M], aucune comptabilité régulière, aucun état financier ni aucun procès-verbal d'approbation des
comptes de la société Fegec n'ont été remis. Les commissaires aux comptes n'ont établi aucun rapport.
Ces carences, singulières pour une société d'expertise comptable et de commissariat aux comptes, ont conduit l'expert désigné à reconstituer l'évolution du chiffre d'affaires et de la trésorerie de la Société Fegec sur la base des relevés bancaires et des éditions comptables provisoires qu'il a pu appréhender.
Les sociétés appelantes invoquent, au visa de l'article L 123-23 du code de commerce, le caractère incomplet, sinon inexistant, de la comptabilité de la société Fegec pour soutenir que celle-ci ne saurait valoir preuve contre elles.
L'article L 123-23 du code de commerce dispose que 'la comptabilité régulièrement tenue peut être admise en justice pour faire preuve entre commerçants pour faits de commerce' mais précise que 'si elle a été irrégulièrement tenue, elle ne peut être invoquée par son auteur à son profit'.
Ce texte destiné à empêcher quiconque de tirer profit d'une comptabilité irrégulière de son propre fait est inopérant en l'espèce, le mandataire liquidateur de la société Fegec ne se prévalant pas d'une comptabilité inexistante mais d'un rapport d'expertise, étant relevé de surcroît que la carence comptable constatée sur la période 1999 à 2004 procède directement de M. [M] et de la société de tête du groupe Consultaudit de sorte que ces derniers ne sauraient, au travers des appelantes, se prévaloir de leurs propres fautes.
Sur les créances invoquées
L'analyse des relevés bancaires à laquelle a procédé M. [P] révèle que d'une trésorerie disponible de 13.837.147 francs au 7 janvier 1999, la société Fegec ne disposait plus que d'une trésorerie de 134.012 francs au 31 mars 1999, soit une consommation de plus de 13 millions de francs en seulement trois mois d'activité sous la présidence de M. [M] lequel, bien qu'expert comptable, n'a tenu aucune comptabilité, même provisoire, pour cette période.
En outre, la société Fegec a contracté plusieurs emprunts bancaires du mois de mars au mois de juillet 1999 pour un total de 6.500.000 francs qui ont été débloqués en 1999, portant le total de trésorerie à plus de 20 millions de francs. Or, au 31 décembre 1999, la trésorerie de Fegec était négative de 454 257 francs.
La disparition de la trésorerie disponible au cours du premier semestre 1999 résulte des versements effectués au profit des sociétés du groupe Consultaudit pour un montant de plus de 20 millions de francs.
Les sociétés appelantes qui ne contestent pas ces chiffres soulignent qu'ils résultent de mouvements analysés globalement pour l'ensemble des sociétés du groupe Consultaudit.
Mais l'expert a ensuite identifié les mouvements de trésorerie de Fegec vers chacune des sociétés du groupe en page 119 de son rapport ( 8 295 557 francs pour FSA Audit, devenue CS Services, et 1 937 021 francs pour Srimpex Consult, devenue Consultaudit International) et les premiers juges ont à juste titre pris en compte pour les déduire les créances détenues par ces dernières sur la société Fegec, telles qu'elles figurent en rubrique 'facturation' en page 127 du rapport de l'expert, pour arrêter le solde en faveur de Fegec à la somme de 5 655 412 francs, soit 862 162 euros, s'agissant de CS Services, et à celle de 403 039 francs, soit 61 443 euros, s'agissant de Consultaudit International.
En l'état de ces mouvements de trésorerie parfaitement identifiés, les sociétés appelantes ne sauraient, sans inverser la charge de la preuve, reprocher à la Selafa MJA de ne pas établir que ces sommes demeureraient dues, alors qu'elles se bornent à invoquer en des termes généraux une convention de trésorerie et des facturations diverses de telle ou telle société du groupe Consultaudit sur la société Fegec sans produire la moindre pièce qui en justifierait dans le cadre de la présente instance, pas plus que M. [M] ou la société holding du groupe Consultaudit n'avaient produit d'états comptables ou financiers de nature à justifier ces mouvements durant les opérations d'expertise.
Aussi, est-ce à juste titre que les premiers juges ont regardé les sommes versées par la société Fegec aux sociétés CS Services et Consultaudit International comme des avances de trésorerie, dont le remboursement n'était pas justifié et dont la Selafa MJA, ès qualités, était, par conséquent, bien fondée à solliciter le paiement.
Le jugement déféré sera confirmé en toutes ses dispositions et il sera alloué une somme supplémentaire de 2 500 euros à la Selafa MJA, ès qualités, au titre de ses frais irrépétibles d'appel.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement déféré,
Condamne in solidum les sociétés CS Services et Consultaudit International à payer à la Selafa MJA, ès qualités, la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
Condamne in solidum les sociétés CS Services et Consultaudit International aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRESIDENT