Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 4
ARRÊT DU 04 SEPTEMBRE 2013
(n° , 8 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 11/13074
Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 Juin 2011 -Tribunal de Commerce de PARIS 15ème Chambre - RG n° 2010044866
APPELANTE
Société ELECTRICITE DE FRANCE - SA - agissant poursuites et diligences de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
Ayant son siège social
[Adresse 2]
[Localité 2]
Représentée par Me Frédéric INGOLD de la SELARL INGOLD & THOMAS - AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque B1055
Assistée de Me Christophe BELLOC, avocat au barreau de PARIS, toque W 15
INTIMÉE
Société ASTEN - SAS - agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Ayant son siège social
[Adresse 1]
[Localité 1]
Représentée par Me Edmond FROMANTIN, avocat au barreau de PARIS, toque J151
Assistée de Me Luc-Marie AUGAGNEUR plaidant pour la SCP JAKUBOWICZ, MALLET-GUY & ASSOCIES, avocat au barreau de LYON
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 05 Juin 2013, en audience publique, après qu'il ait été fait rapport par madame LUC, conformément aux dispositions de l'article 785 du Code de procédure civile devant la Cour composée de :
Madame COCCHIELLO, Président
Madame LUC, Conseiller, rédacteur
Madame NICOLETIS, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Madame Véronique GAUCI
ARRET :
-contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame COCCHIELLO, Président et par Madame Denise FINSAC, Greffier auquel la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.
*****
Vu le jugement rendu le 17 juin 2011, par lequel le Tribunal de commerce de Paris' a, sous le régime de l'exécution provisoire, condamné la société ELECTRICITE DE FRANCE (EDF) à payer à la société ASTEN la somme de 3.214.927 €, en réparation du préjudice subi du fait du refus de certification et celle de 20.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile'';
Vu l'appel interjeté par la société ELECTRICITE DE FRANCE le 11 juillet 2011' et ses conclusions du 6 mai 2013, dans lesquelles elle demande à la Cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a écarté certaines prétentions de la société ASTEN, mais de l'infirmer pour le surplus, de débouter la société ASTEN de l'intégralité de ses demandes, en l'absence de preuve d'une faute d'EDF et d'un lien de causalité avec le préjudice allégué et de la condamner à lui payer la somme de 20.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile';
Vu les conclusions signifiées par la société ASTEN, le 17 mai 2013, afin que le jugement soit confirmé, en ce qu'il a retenu les fautes de la société EDF, de nature à l'évincer du marché, mais infirmé sur le montant de l'indemnité'allouée, dont elle demande qu'il soit porté à la somme de 9.128.000 €, en réparation du préjudice subi,'et qu'EDF soit, en outre, condamnée à lui payer la somme de 100.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
SUR CE
Considérant qu'il résulte de l'instruction les faits suivants':
La société ASTEN (Assistance Services Traitements Environnement Nucléaire) a pour objet l'étude, la recherche et la réalisation de prestations dans le domaine du traitement des déchets et de la dépollution, spécialement en matière de déchets radioactifs. Bénéficiant du régime fiscal de la Jeune Entreprise innovante, elle a débuté son activité le 1er septembre 2007, et assurait régulièrement des missions de sous-traitance pour la société ETIQ, concernant la partie Etudes et Recherches, dans le cadre des marchés de traitement des déchets radioactifs confiés à ETIQ par la société ELECTRICITE DE FRANCE (ci-après EDF).
La qualité des interventions de la société ASTEN sur les chantiers de traitement de boues ou autres a été confirmée, sur 13 sites, par les responsables de centrales nucléaires.
EDF a la mission d'exercer une surveillance sur les prestataires intervenant dans le domaine de la maintenance nucléaire, en vertu de l'arrêté du 10 août 1984. A cet effet, la société a instauré une procédure de qualification, en conformité avec la directive 2004/17/CE du 31 mars 2004. Celle-ci impose, notamment, aux entités adjudicatrices qui établissent et gèrent un système de qualification, d'informer les demandeurs de leur décision, quant à leur qualification, dans un délai de rigueur de 6 mois.
La société ASTEN a formulé une demande officielle auprès de l'autorité de qualification d'EDF (UTO ' Unité Technique Opérationnelle), par courrier du 5 décembre 2008, pour la qualification «'Logistique Nucléaire'», dans le domaine d'activité des déchets radio actifs et dans les quatre «'sous-domaines'» suivants : «' Collecte et tri des déchets solides'», «'Exploitation d'installations de conditionnement de déchets solides'», «'Exploitation d'installations de conditionnement de déchets liquides'» et «'Petit démantèlement dans le cadre de l'exploitation d'installations en service'». L'UTO lui a transmis le dossier de qualification le 21 janvier 2009, lui précisant qu'elle devait retourner le dossier dans les 45 jours, à peine de rejet de sa demande, et que sa candidature serait examinée au terme d'un examen du dossier et d'un audit sur site, pour lequel EDF pourrait s'adjoindre l'avis technique d'un intervenant extérieur.
La société ASTEN a fourni tous les documents requis pour permettre l'instruction de la demande le 17 avril 2009, à l'exception d'une attestation d'assurance responsabilité civile, transmise seulement le 11 juin 2009.
L'audit de l'UTO s'est déroulé les 2 et 3 mars 2010, et un compte rendu en date du 5 mars 2010 synthétise l'ensemble des domaines de l'audit, ainsi que les observations conduisant à un avis négatif sur l'octroi de la qualification sollicitée.
La société ASTEN s'est vue refuser la qualification sollicitée le 7 avril 2010, pour la qualification «'Maintenance Logistique nucléaire'», par le directeur de l'UTO. Elle réalisait alors que l'avis technique, censé nourrir l'avis, était daté du 22 mars 2010, et avait été transmis à l'UTO le 25 mars 2010. Elle en déduisait que la décision de rejet d'agrément avait été prise avant même l'émission de l'avis technique et que celui-ci n'avait eu que pour objet de justifier, a posteriori, une décision de refus préexistante, fondée sur des motifs non avoués.
Elle demandait le réexamen de sa situation à EDF ainsi qu'un nouvel audit, lui rappelant qu'elle avait acquis, le 9 novembre 2009, les actifs de la société ETIQ, société disposant de la qualification au titre de la maintenance logistique nucléaire, renouvelée très récemment en mai 2009. Elle soulignait qu'elle avait, avec l'autorisation d'EDF, exécuté à la place de cette société les marchés de traitement des déchets conclus avec EDF en cours d'exécution, sous couvert de dérogations exceptionnelles consenties par EDF, et que le refus d'agrément la mettait dans l'obligation d'arrêter tous travaux et de licencier son personnel. Cette demande a été rejetée par EDF, dans un courrier du 8 avril 2010.
Par exploit du 16 juin 2010, la société ASTEN a alors assigné la société EDF devant le Tribunal de commerce de Paris, en alléguant que cette dernière avait violé les règles de concurrence relatives à la qualification des prestataires, notamment en ne respectant pas les délais d'instruction de procédure et en ne respectant pas les normes de qualification. Le Tribunal a estimé qu'EDF n'avait pas respecté les délais prévus par l'article 49.3 ° de la directive de 2004, transposés dans la directive interne d'EDF et que la procédure d'audit avait été irrégulière, compte tenu de la rédaction de l'avis avant même la réception de l'avis technique. Il a jugé que ces agissements avaient causé un préjudice important à la société ASTEN, d'un montant global de 3 214 927 euros, composé des sommes de 661 065 euros, représentant le matériel irrécupérable resté chez EDF, de 659 311 euros au titre du préjudice social, de 100 001 euros représentant l'achat des actifs d'ETIQ, et enfin 1 294 550 euros, compensant le manque à gagner sur des marchés perdus sur 36 mois.
Sur la demande de révocation de l'ordonnance de clôture
Considérant que, par conclusions de procédure des 23 et 28 mai 2013, la société ELECTRICITE DE FRANCE (EDF) demande que soit ordonnée la révocation de l'ordonnance de clôture du 21 mai 2013, pour lui permettre de répliquer, dans le respect du contradictoire, aux conclusions de la société ASTEN du 17 mai 2013, ou subsidiairement, que soit ordonné le rejet de ces conclusions ainsi que des nouvelles pièces qui y sont visées';
Mais considérant que le dépôt tardif de conclusions ne constitue pas un motif de révocation de l'ordonnance de clôture ; que si la société EDF soutient qu'elle souhaite répondre aux dernières conclusions de la société ASTEN en ce que celle-ci prétend que le rejet de la qualification dont elle a fait l'objet en matière de démantèlement serait «'arbitraire'» et a communiqué trois nouvelles pièces à l'appui de cette allégation, il convient de signaler que l'on retrouvait déjà dans les conclusions précédentes de la société ASTEN, en date du 15 avril 2013, la critique relative a un manque d''«'impartialité'» ; que la société EDF ne justifie donc pas en quoi ces conclusions du 17 mai 2013, ainsi que les nouvelles pièces versées, porteraient atteinte à ses droits de la défense ; qu'il convient donc de rejeter ses demandes ; qu'en revanche, les nouvelles conclusions au fond du 23 mai d'EDF, présentées après l'ordonnance de clôture, seront écartées des débats ;
Sur les fautes imputables à la société EDF
Considérant que si la société EDF, appelante, soutient qu'elle n'a commis aucune faute, l'intimée expose que le refus d'agrément constitue une faute d'EDF, la procédure étant irrégulière et le refus non fondé ;
Considérant qu'il est indiscutable qu'EDF n'a pas respecté le délai de six mois prévu par la directive de 2004 ; qu'il est aussi exact que les délais n'ont pas davantage été respectés par la société ASTEN qui devait retourner le dossier de qualification 45 jours après l'envoi d'EDF, à peine de voir sa demande rejetée ; que toutefois, l'obligation pesant sur EDF découlait d'une directive communautaire, visant à instaurer des procédures de qualification rapides, et objectives, afin de ne pas entraver la concurrence sur des marchés dominés par EDF, le délai de 45 jours résultant, quant à lui, de la seule procédure interne mise en place par EDF ; qu'il est indifférent, pour la résolution du présent litige, que la société ASTEN ait retardé le processus de qualification en ne déposant son dossier complet que le 11 juin 2009, le délai de six mois ayant expiré quelque soit son point de départ ; qu'au surplus, EDF ne justifie pas avoir informé ASTEN, au bout de deux mois d'instruction, que la décision de qualification devrait prendre plus de quatre mois, des raisons justifiant un allongement du délai et de la date de la décision finale, ainsi que l'article 49 de la directive lui en faisait obligation ;
Considérant que la directive de 2004 a été transposée par le décret n° 2005-1308 qui dispose en son article 24 II que «'le système de qualification d'opérateurs économiques repose sur des critères et des règles de qualification objectifs. Parmi ces critères, peut être retenue la capacité des candidats à respecter des spécifications techniques au sens des articles 2 et 3'», lesquelles doivent permettre «'l'égal accès des candidats et ne peuvent pas avoir pour effet de créer des obstacles injustifiés à l'ouverture des marchés à la concurrence » ;
Considérant que les Premiers Juges ont considéré que la procédure d'audit et de qualification était irrégulière, en raison de la chronologie des phases d'instruction ;
Considérant qu'EDF verse aux débats une directive interne DI-053 «'qualification et surveillance des entreprises prestataires externes intervenant sur les sites nucléaires en exploitation'» et un document intitulé «'contexte et et programme d'examen et d'aptitude'», censés régir sa procédure d'agrément, dans ce secteur surveillé ; que les rôles respectifs des auditeurs, du Comité de coordination de qualification de prestataires (CCQP) et du directeur de l'UTO ne sont pas clairement exposés dans ces documents ; qu'il ressort cependant des conclusions d'EDF que le CCQP émet un avis à l'intention du directeur de l'UTO, décisionnaire, après avoir recueilli l'avis des auditeurs, qui, eux-mêmes ont étudié le «'DEA'» (Dossier d'Examen d'Aptitude) et procédé à un audit, étant précisé qu'ils peuvent s'adjoindre un avis technique ; que le rôle de l'expert technique n'est pas clairement exposé, ni son recrutement ;
Considérant que, dans le cas d'espèce, si le rapport d'audit est daté du 5 mars 2010 et le rapport technique du 22 mars 2010, il ressort du corps même du texte que celui-ci a été pris en compte dans le rapport d'audit, puisqu'il y est fait mention en plusieurs endroits ; que si la plus grande rigueur doit être observée dans un processus de sélection qui peut conduire à évincer une entreprise du marché sur lequel elle a vocation à fournir des services, il semble, en l'espèce, qu'il n'y ait pas eu de bouleversements dans la chronologie de l'instruction ;
Considérant que ce rapport d'audit, rédigé à l'issue de l'audit sur site du 1er au 3 mars, formulait une recommandation, 26 remarques et 3 réserves, dont 2 «'rédihibitoires'», c'est-à-dire entraînant, selon EDF, le refus de la demande, sans rachat possible, alors que les simples remarques peuvent faire l'objet de corrections et ne constituent pas, dans ce cas, un obstacle à la qualification ; que ce rapport relevait que «'le bilan global révèle des carences principalement sur les thèmes sécurité, technique et qualité qui conduisent l'auditeur à ne pas proposer la qualification d'Asten'» ;
Considérant que la première réserve rédhibitoire concerne le sous domaine «'Petit démantèlement dans le cadre de l'exploitation d'installations en service'», soit un des quatre sous-domaines pour lesquels l'habilitation était demandée ; qu'elle n'empêchait donc pas de conférer l'agrément pour les trois autres ; que selon le rapport d'audit, «' l'examen des dossiers de traitement de déchets F.A (Faiblement Actifs) a révélé des lacunes qui conduisent à émettre une réserve sur la capacité technique d'ASTEN à réaliser l'activité de traitement des déchets M.A (Moyennement Actifs) et T.F.A (Très Fortement Actifs)'» ; que l'abréviation T.F.A signifie en réalité «'Très Faiblement Actifs'», et non «'Très Fortement Actifs'», ce qui change tout, puisque cette qualification de «'Très Fortement Actif'» implique des exigences de sécurité très élevées et l'agrément n'était demandé que pour les déchets moyennement, faiblement et très faiblement actifs ; que l'auditeur a, par ailleurs, indiqué que la société ASPEN n'avait pas de dossiers de réalisation de travaux à présenter aux auditeurs, alors qu'elle justifiait poursuivre les chantiers d'ETIQ ;
Considérant que la seconde réserve est relative au bilan qualité : «'Les carences identifiées dans la mise en oeuvre du système de management de la qualité révèlent un écart notable dans le respect des exigences du référentiel ISO et conduisent à émettre une réserve rédhibitoire sur ce thème'» ; que la norme ISO en cause (ISO 9001 version 2008) n'est pas la norme indiquée par EDF à ASTEN dans la lettre du 28 janvier 2010 qui lui notifiait la date de l'audit à [Localité 3] (ISO 9001 version 2000) ; que le rapport ne prend pas en compte la circonstance que la société ASPEN a repris l'activité de la société ETIQ, dont l'agrément venait d'être renouvelé pour le même domaine, sans faire l'objet d'aucune réserve, et dont le personnel et les locaux devaient, logiquement, répondre aux critères de sélection ; que l'état de l'atelier de [Localité 3] de la société ETIQ figure au passif du bilan technique d'ASTEN, alors qu'il devait être libéré, ASTEN n'en ayant pas repris le bail ;
Considérant, en définitive, que le rapport contient des approximations, des affirmations non motivées et des erreurs matérielles ; que la motivation du refus d'agrément ne permet donc pas de vérifier son bien fondé ; qu'au contraire, les éléments du dossier conduisent à une appréciation contraire ; qu'en effet, les qualités techniques d'ASTEN n'avaient jamais été contestées jusque là, en tant que sous-traitant d'ETIQ ;
Considérant que la société ASTEN se pensait assurée du soutien d'EDF, qui ne s'est pas opposée à la reprise des actifs d'ETIQ par elle ; qu'un représentant d'EDF assistait à l'audience du Tribunal de commerce qui a prononcé la cession des actifs d'ETIQ à ASTEN et n'a émis aucune objection ; que le jugement du Tribunal de commerce du 9 novembre 2009 mentionne expressément : «'la société ASTEN bénéficie du soutien d'EDF, ce qui lui permet de pérenniser les agréments et de poursuivre dans de bonnes conditions d'exploitation'» ; que si ASTEN savait qu'il lui faudrait obtenir un agrément pour reprendre l'activité d'ETIQ, elle le pensait assuré par la reprise d'un partenaire apprécié d'EDF, dont l'agrément venait précisément d'être renouvelé dans le même domaine d'activité ; qu'elle était confortée dans cette espérance par les agréments dérogatoires consentis par EDF pour la poursuite des chantiers d'ETIQ ; que le dirigeant d'ASTEN, M. [H] [K], salarié d'ETIQ, a participé aux différents audits de la société ETIQ, y compris le plus récent du 22 mai 2009, en tant que «'PCR'» d'ETIQ, à savoir «'Personne Compétente en matière de Radioprotection'» ; que ce dernier audit, réalisé pour renouveler l'agrément de la société ETIQ dans le même domaine qu'ASTEN, a conclu à l'excellente qualité et sécurité d'ETIQ et de ses compétences techniques ; que la reprise du personnel et de l'activité d'ETIQ par ASTEN devait garantir une continuité d'activité entre les deux sociétés ; que l'article 53-5 de la directive 2004/17/CE du 31 mars 2004 dispose que l'opérateur économique postulant à une qualification «'peut, le cas échéant, faire valoir les capacités d'autres entités, quelle que soit la nature juridique des liens existant entre lui-même et ces entités'», la seule réserve étant «'de prouver à l'entité adjudicatrice qu'il disposera de ces moyens pendant toute la période de validité du système de qualification, par exemple, par la production de l'engagement de ces entités de mettre à la disposition de l'opérateur économique les moyens nécessaires » ; qu'au regard de la situation tout à fait particulière de la société ASTEN, qui avait repris les actifs, le personnel et l'activité d'une société agréée, venant de bénéficier d'un renouvellement de son agrément, la décision de refus est insuffisamment motivée sur les carences de la société ASTEN, qui auraient dues être détaillées au regard de cette mise en commun des moyens des deux sociétés ; que les marchés attribués à ETIQ faisaient l'objet d'offres techniques et commerciales élaborées par les soins de M. [K] ; que, par l'intermédiaire d'ETIQ, qui réalisait 90 % de son activité avec EDF, ASTEN s'était vue attribuer, sur les 24 derniers mois, 85 % du traitement des boues radioactives, sans qu'aucune observation n'ait jamais été formulée à son encontre ;
Considérant que le refus d'agrément, mal motivé, est d'autant moins explicable qu'EDF avait accordé à ASTEN des agréments dérogatoires pour la poursuite des chantiers en cours d'ETIQ, en se basant sur cette continuité entre les deux sociétés ; que la société ASTEN verse aux débats des attestations de responsables de centrales d'EDF faisant part de leur satisfaction à l'égard des prestations de la société ASTEN ;
Considérant, en définitive, que le refus d'agrément ne peut s'expliquer que par une volonté d'éviction de la société ASTEN, pour des raisons manifestement indépendantes de ses compétences techniques ; que les conditions de délivrance de ce refus, tardives et entachées d'irrégularités formelles, s'accompagnent d'une insuffisante motivation du refus, susceptible de couvrir une erreur d'appréciation ; qu'il est donc fautif et doit être réparé ;
Sur l'abus de position dominante
Considérant que si la société ASTEN qualifie cette faute d'EDF d'abus de position dominante, cette affirmation n'est étayée par aucun élément, à part l'indication qu'EDF représenterait environ 99 % des achats en matière de traitement de déchets radioactifs ; que la Cour ne saurait suppléer la carence des parties dans la charge de la preuve sur la définition du marché dominé, du marché où a eu lieu l'abus et sur le lien de causalité entre la puissance de marché de l'opérateur en position dominante et l'abus ; que cette qualification sera donc rejetée, étant insuffisamment circonstanciée ;
Sur l'absence de lien de causalité entre les griefs et les préjudices allégués
Considérant qu'EDF soutient qu'une part du préjudice dont ASTEN réclame réparation, l'achat des actifs de la société ETIQ, ne serait pas due au refus d'agrément, mais à la circonstance qu'ASTEN n'ait pas attendu le résultat de la procédure de qualification pour s'en porter acquéreur ;
Mais considérant qu'ASTEN ne pouvait demander son agrément avant d'avoir acquis les actifs d'ETIQ, l'agrément étant délivré pour chaque personne morale ; qu'il ne peut donc lui être fait grief d'avoir acquis son fonds de commerce sans savoir si elle obtiendrait l'agrément ; que si le refus d'agrément n'a été connu qu'après l'achat définitif des actifs de la société, le 10 novembre 2009, c'est à cause du retard fautif d'EDF, qui n'avait pas respecté les délais d'instruction prescrits par la directive communautaire ;
Considérant que la société EDF soutient qu'il suffisait à ASTEN de ne pas signer l'acte d'acquisition du fonds de commerce de la société ETIQ pour éviter de subir un préjudice ;
Mais considérant que le jugement du Tribunal de commerce de MEAUX du 9 novembre 2009 a arrêté le plan de cession et a prévu l'entrée en jouissance du cessionnaire au 10 novembre 2009 à 0 heure ; que l'acte de cession, postérieur, n'a eu pour objet que de déterminer les modalités de la cession, le principe en étant déjà acquis par le jugement ;
Considérant que si EDF soutient, enfin, que, pour éviter la réalisation de son dommage, la société ASTEN aurait dû formuler une nouvelle demande d'agrément, il résulte des pièces versées aux débats que cette dernière avait instamment demandé à EDF de revoir sa position, mais n'a reçu aucune réponse positive ;
Considérant, par ailleurs, que si EDF prétend que la société ASTEN aurait dû postuler pour la sous-traitance de marchés, elle ne verse aux débats aucun élément de nature à étayer cette allégation ; qu'au surplus, le refus de qualification ne constituait pas une publicité favorable à un éventuel recrutement comme sous-traitant ;
Sur la réparation du préjudice
Considérant que la société ASTEN demande une indemnisation globale de 9 128 000 euros, se décomposant comme suit : perte de matériels irradiés : 661 000 euros, perte de valeur de la société : 8 227 000 euros, et préjudice social : 297 000 euros ;
Considérant que la société ASTEN demande une indemnisation pour les matériels irradiés rendus inutilisables, dont elle serait propriétaire et qui seraient immobilisés chez EDF (D3-1), pour un montant de 661 065 euros ;
Mais considérant qu'elle ne verse aucune preuve à l'appui de cette demande ; que la Cour ne connaît pas les emplacements de ces matériels ni leur nature ; qu'aucune justification de leur propriété n'est versée aux débats ;
Considérant que le refus irrégulier d'agrément a privé la société ASTEN de la faculté de réaliser des marchés de traitement des boues radioactives d'EDF ; que ce manque à gagner doit être indemnisé ;
Considérant qu'elle demande réparation pour la perte de valeur de la société ASTEN, compte tenu de son savoir-faire, largement divulgué à EDF, et de la perte des marchés d'EDF à venir ; que son expert évalue ce préjudice à la somme de 8,227 millions d'euros, selon la méthode d'actualisation des «'cash-flows libres'», calculés sur la base du business plan présenté lors de la reprise d'ETIQ, considéré comme «'soutenable'» par l'expert ;
Mais considérant que les éléments versés aux débats ne comprennent pas le business plan en cause ; que la «'soutenabilité'» de ce plan et de ses hypothèses ne sont pas davantage démontrées ; que sur la base des éléments de preuves du dossier, les Premiers Juges ont évalué à la somme de 1 294 550 euros le manque à gagner résultant du refus d'agrément, sur trois années, compte tenu des aléas du marché rendant impossible un calcul à plus long terme ; que ce calcul est basé sur le volume des différents marchés restant à traiter sur 36 mois, et sur un taux de marge de 34 %, communiqué par la société ASTEN aux Premiers Juges ; que ces éléments n'ont pas été communiqués à la Cour ;
Considérant que la société ASTEN demande réparation pour son préjudice social (coûts de formation, coûts des licenciements), prétendant avoir été contrainte de licencier 18 salariés, à la suite du refus d'agrément ; mais qu'elle ne produit devant la Cour aucun élément à l'appui de cette demande, évaluée devant les Premiers Juges à 661 000 euros et à 297 000 euros par son expert, Monsieur [X] et devant la Cour ;
Considérant, en définitive, que les débats seront ré ouverts à l'audience du 8 Octobre 2013 afin de permettre à la société ASTEN de produire les éléments justificatifs de ses demandes de dommages-intérêts ;
PAR CES MOTIFS
CONFIRME le jugement entrepris, en ce qu'il a constaté que la société EDF n'avait pas respecté les délais d'instruction de l'agrément, sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile ;
L'INFIRME pour le surplus,
Et, statuant à nouveau,
DÉCLARE fautif le refus d'agrément de la société ASTEN,
AVANT-DIRE DROIT sur l'indemnisation des différents postes de préjudice,
RÉOUVRE les débats à l'audience du 8 octobre 2013 à 14 heures, pour permettre à la société ASTEN de produire les pièces justificatives demandées et tout autre pièce justificative de nature à étayer ses demandes, à l'appui de ces trois postes d'indemnisation,
CONDAMNE la société EDF aux dépens de l'instance d'appel qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile,
LA CONDAMNE à payer à la société ASTEN la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT