RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 10
ARRÊT DU 29 Octobre 2013
(n° 9 , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 11/12126
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 10 Novembre 2011 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS section encadrement RG n° 09/15164
APPELANTE
GIE BELLEVILLE
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me Daniel SAADAT, avocat au barreau de PARIS, toque : P0392
INTIMÉE
Madame [N] [U]
[Adresse 2]
[Localité 1]
comparante en personne, assistée de Me Delphine MARECHAL, avocat au barreau de PARIS, toque : R 153
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 Septembre 2013, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Catherine COSSON, conseiller, chargée d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Claudine PORCHER, présidente
Madame Marie-Aleth TRAPET, conseiller
Madame Catherine COSSON, conseiller
Greffier : Monsieur Polycarpe GARCIA, lors des débats
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Claudine PORCHER, présidente et par Monsieur Polycarpe GARCIA, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Madame [N] [U] a été engagée par le GIE Belleville à compter du 2 novembre 2006 en qualité de Secrétaire Permanente ' responsable du service et affectée au Service Ressources Humaines.
Par lettre du 25 septembre 2009, elle a été convoquée à un entretien préalable au licenciement et il lui a été notifié une mise à pied conservatoire. Par lettre du 22 octobre 2009, elle a été licenciée pour faute grave pour les motifs suivants :
Nous vous avons reçue le vendredi 9 octobre 2009 à 17 heures pour l'entretien préalable au licenciement que nous envisagions de prononcer à votre encontre.
Au cours de cet entretien, nous avons sollicité vos explications relativement aux faits suivants, portés à notre connaissance par l'ensemble des salariés du service Ressources Humaines :
- Ecarts de comportement et de langage dans l'exercice de votre responsabilité,
- Attitude humiliante et disqualifiante à l'encontre de vos subordonnés, et plus particulièrement de ceux qui n'ont pas le statut de salarié cadre,
- Brimades et réflexions désobligeantes à l'encontre de vos personnels,
- Dénigrement régulier du travail de ces derniers auprès des salariés cadres de votre service.
Vous n'avez pas souhaité vous exprimer sur les faits qui vous sont reprochés dont vous contestez la véracité malgré les très nombreux témoignages en attestant. Votre attitude ne nous a donc pas permis de modifier notre appréciation de la situation.
Ce d'autant que les faits en cause ont non seulement contribué à la désorganisation de l'activité du Service des Ressources Humaines, mais surtout porté atteinte à la dignité et l'intégrité morale des membres de votre équipe ce que nous ne pouvons admettre.
En conséquence nous nous voyons dans l'obligation de vous notifier, par la présente, votre licenciement pour faute grave.
Madame [U] ayant contesté son licenciement devant le conseil de Prud'hommes de Paris, cette juridiction, par jugement du 10 novembre 2011, a condamné le GIE Belleville à lui payer :
- 4.215 € à titre de salaires,
- 421,50 € au titre des congés payés afférents,
- 259,91 € au titre du 13ème mois,
- 13.621 € à titre d'indemnité de préavis,
- 1.362,10 € au titre des congés payés afférents,
- 13.551 € à titre d'indemnité de licenciement,
avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la partie défenderesse de sa convocation devant le bureau de conciliation,
- 35.000 € à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec intérêts au taux légal à compter du jugement,
- 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,
a rejeté le surplus des demandes et a condamné le GIE Belleville aux dépens.
Le GIE Belleville à qui le jugement a été notifié le 18 novembre 2011, a interjeté appel par lettre du 28 novembre 2011.
Il demande à la cour d'infirmer la décision, de rejeter les demandes et de condamner Madame [U] à lui rembourser la somme de 29.367,42 € et à lui payer la somme de 2.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Madame [U] sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il lui a alloué diverses sommes sauf à porter à 145.000 € nets l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, son infirmation en ce qu'il a rejeté sa demande présentée pour procédure vexatoire et la condamnation du GIE Belleville à lui payer de ce chef la somme de 18.000 € nets. Elle réclame la somme de 3.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour plus ample exposé de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier, reprises et complétées lors de l'audience des débats.
SUR QUOI, LA COUR
Madame [U] soutient qu'elle a été privée de son emploi sans qu'une procédure de licenciement ait été régulièrement menée par le GIE Belleville et en particulier sans qu'une lettre de licenciement lui ait été notifiée, de sorte que son licenciement est nécessairement dépourvu de cause réelle et sérieuse. Elle considère, ni le CHSCT, ni les délégués du personnel n'ayant été alertés et aucune sanction n'ayant jamais été prise contre elle, que soit les faits qui lui sont reprochés ne correspondent pas à la réalité, soit le GIE Belleville est fautif de ne pas avoir réagi plus tôt et partant d'avoir violé son obligation de sécurité de résultat consistant à empêcher la survenance de faits constitutifs de harcèlement moral. Elle prétend n'avoir bénéficié ni des garanties encadrant l'enquête nécessairement diligentée, ni d'une formation qui aurait permis de réduire la probabilité des cas de survenance de harcèlement et violence au travail. En tout état de cause, elle affirme que le licenciement est infondé.
Le GIE Belleville fait valoir que l'embauche de Madame [U] comme la rupture de son contrat de travail étaient étroitement liées aux règles de fonctionnement de la confédération syndicale CFDT, que les règles confédérales s'appliquaient à elle et que la notification du licenciement d'un salarié peut être le fait du mandataire de l'employeur nominal. Il conclut que la procédure est régulière et le licenciement fondé sur une faute grave.
Considérant que le GIE Belleville est un groupement d'intérêt économique dont les membres sont la CFDT, l'Institut Belleville, l'Espace Belleville, l'association Bierville, l'Institut syndical d'études et de formation juridique, l'association analyse, recherche économique et sociale, l'association de gestion des immeubles, l'ASSECO, l'association Turbulences et l'Institut de formation syndicale ;
Considérant que les rapports de Madame [U] avec le GIE Belleville étaient régis par le statut politique et social des permanents confédéraux ;
Considérant que conformément à ce statut, la décision d'embaucher Madame [U] en tant que secrétaire permanente a été prise par la Commission Exécutive de la CFDT et non par le GIE Belleville ;
Considérant que le paragraphe 3.3 de l'article 3 du chapitre 1 du statut prévoit qu'à l'échéance de la première année, le permanent confédéral a un entretien avec son responsable de service puis le secrétaire national qui ont procédé à son recrutement. Son objet est de faire le point et d'envisager la suite à donner : la poursuite du mandat est conditionnée à la confirmation donnée par la Commission Exécutive. A l'issue d'une période d'une à trois années, la Commission Exécutive peut soit proposer le secrétaire permanent à l'élection par le Bureau National au titre de secrétaire confédéral soit prolonger le statut transitoire pour une période déterminée à l'échéance de laquelle il y aura un nouvel entretien suivi d'une décision de la Commission Exécutive. Durant cette période, de l'embauche à l'élection, les permanents concernés sont «secrétaires permanents» ;
Considérant qu'en application de l'article 7 du chapitre 8 du statut, le licenciement d'un secrétaire confédéral est soumis à l'approbation du Bureau National ;
Considérant que Madame [U] a été élue secrétaire confédérale par le Bureau National en septembre 2008 ; qu'en qualité de responsable du service RH, elle rendait compte au Secrétaire Général, en l'occurrence Monsieur [K] [H] et/ ou devant la Commission Exécutive ; qu'elle a été convoquée à l'entretien préalable au licenciement par le Secrétaire Général de la CFDT ; que c'est ce dernier qui a mené le 9 octobre 2009 l'entretien préalable ; qu'il a signé en qualité de Secrétaire Général de la CFDT la lettre de licenciement sur un papier à en-tête de la CFDT ; que le même jour, le Bureau National avait approuvé la rupture du contrat de travail de Madame [U] ;
Considérant que le GIE Belleville soutient devant la cour, comme il l'avait fait en première instance, la validité et le bien fondé du licenciement dont Madame [U] a fait l'objet et réclame le rejet de toutes ses prétentions ; qu'il manifeste ainsi sa volonté claire et non équivoque de ratifier la mesure de licenciement prise par le Secrétaire Général de la CFDT;
Considérant que le service RH était constitué de 6 personnes, outre sa responsable Madame [U] ;
Considérant qu'en septembre 2009, Madame [I] [Y], assistante formation dans le service RH, a saisi sa hiérarchie, après un arrêt maladie, en raison de l'impossibilité dans laquelle elle se trouvait de continuer à travailler avec Madame [U] ; que Madame [B] [W], secrétaire confédérale chargée du service Secrétariat Général, l'a reçue et a attesté en ces termes :
Elle me fait part des difficultés de relations avec sa responsable de service [N] [U]. Elle exprime son mal être en disant être «au bout du rouleau». Elle me dit son attachement à la CFDT et ce qu'elle vit dans le service elle ne l'a jamais vécu dans les nombreuses années de vie professionnelle à la confédération. [N] [U] lui fait de nombreux reproches sur son travail, sans témoin car elle vient dans son bureau et ferme la porte. [I] se sent complètement dévalorisée et son malaise est très profond. Elle demande à changer de service car elle ne peut continuer dans ces conditions de stress et d'harcèlement. ;
Considérant que Monsieur [Z], responsable du service juridique de la CFDT, a été saisi de cette situation qui faisait suite à deux plaintes de salariées du service RH, datant de mai 2008 et janvier 2009, Mesdames [G] [T] et [X] [E], plaintes qui n'avaient pas abouti faute de pouvoir établir leurs allégations mais qui avaient entrainé leurs changements de service ou d'orientations ;
Considérant que Madame [Y] a notamment expliqué qu'elle était revenue d'un congé individuel de formation de 12 mois en mars 2008 ; qu'elle avait alors été cantonnée dans une inactivité professionnelle qui avait duré plusieurs mois avant que Madame [U], à la suite des difficultés rencontrées avec Mesdames [T] et [E], ne la surcharge de travail avant de lui reprocher de ne pas savoir gérer son temps et s'organiser ; qu'elle a alors fait l'objet de remarques désobligeantes sur son travail telles que t'es bête ou quoi, tu ne sais même pas retranscrire un message correctement ou heureusement que ce sont des cons, ton papier est nul ; que Madame [U], de façon générale, l'appelait mamie (Madame [Y] avait alors 47 ans et Madame [U] 45) au motif que c'était un terme affectueux ; que tout était prétexte à la déprécier ; qu'elle avait perdu ainsi toute autonomie et confiance en elle;
Considérant que le 23 septembre 2009, l'ensemble du service RH a souhaité rencontrer Monsieur [Z] lequel après un échange collectif, a reçu chacun des salariés individuellement ; qu'ils ont tous témoigné ; qu'ils ont confirmé les propos de Madame [Y] expliquant que cette dernière pleurait et était à bout ; qu'ainsi Monsieur [M] [L] a indiqué J'ai constaté que vis-à-vis de [I] la situation était telle que quoi qu'elle fasse de toute façon elle avait faux. Elle en était très affectée ;
Considérant que Monsieur [D] [Q], permanent syndical CFDT, extérieur au service, a attesté dans ces termes :
J'assure depuis plusieurs années l'animation de la formation d'accueil des nouveaux permanents de la confédération CFDT. L'organisation des stages relève de la responsabilité du service Ressources humaines. Dans ce cadre j'ai eu une rencontre avec Mme [N] [U] au cours de la semaine qui a suivi la réunion de la commission exécutive des 7 et 8 septembre 2009 pour faire suite à la demande de celle ci d'organiser rapidement une formation d'accueil. Mme [I] [Y], assistante RH responsable de la formation a participé au début de cette réunion (c'est elle qui allait être en charge d'organiser la formation sur le plan logistique). Mme [U] lui a très vite déclaré que sa présence n'était plus requise. Ce qui m'a profondément surpris tant sur le fond (j'avais pu apprécier lors de précédents stages, l'aide précieuse de Mme [Y]) que sur la forme (le ton était comminatoire et inhabituel pour des relations de travail à la CFDT) ;
Considérant que les salariés du service RH ont indiqué à Monsieur [Z] que Madame [U] avait également pris pour cible, Madame [A] [C] laquelle en tant qu'assistante avait en charge son secrétariat et gérait les arrivées, départ et mobilité de tout le personnel, outre le dossier 1 % logement ; que Madame [J] [P] a précisé qu'il avait été fait interdiction à Madame [C] et à elle seule, sans explication rationnelle, d'utiliser le fichier Pandor lequel permettait d'accéder aux données RH de tout le personnel; que les capacités et l'intelligence de Madame [C] étaient questionnées ; que Monsieur [R] [O] a indiqué que les tâches de Madame [C], comme les siennes, étaient constamment modifiées de sorte qu'ils ne pouvaient s'y retrouver et que l'on voyait clairement que quand [N] sortait du bureau de [A], elle n'allait pas bien du tout, que visiblement le contenu de la discussion avait atteint moralement [A] ;
Considérant que Madame [C] a confirmé que soudainement, elle n'avait plus eu d'autonomie, ne pouvait plus regarder le fichier Pandor au motif qu'il fallait être cadre pour cela alors que tout le service le consultait, que sous couvert d'une réorganisation du service, une grande partie de ses tâches listées dans sa fiche de poste lui avait été retirée et que peu de temps auparavant, Madame [U] lui avait dit qu'il y avait de gros problèmes de confidentialité au service RH, des choses confidentielles étant dévoilées dans les couloirs de la Confédération ; qu'elle avait pris la chose pour elle puisque sa supérieure lui avait indiqué dans la conversation qu'elle allait lui enlever l'accès à sa messagerie ;
Considérant que plusieurs de ces salariés (Madame [F], Madame [C], Monsieur [L]) ont fait état d'écarts de langage tels que qu'est ce que ça peut te foutre, ne m'emmerde pas avec ça, je vais la dégager ;
Considérant que ces agissements répétés, rapportés par plusieurs personnes, portant atteintes à la santé et à la dignité de plusieurs salariées justifient la mesure de licenciement prise pour faute grave à l'encontre de Madame [U] ; que les deux attestations qu'elle produit, émanant de Monsieur [V] et Madame [S], sont insuffisantes à faire la preuve contraire ;
Considérant que Madame [U] a pu s'expliquer lors de l'entretien préalable ; qu'elle ne peut tout à la fois soutenir que les faits ne sont pas établis et que l'employeur aurait dû la faire bénéficier d'une formation afin d'éviter les débordements qui lui sont reprochés ;
Considérant que les demandes sont en conséquence rejetées et le jugement infirmé sauf en ce qu'il a débouté Madame [U] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure vexatoire ;
Considérant qu'il appartient aux parties de tirer toutes les conséquences du dispositif du présent arrêt s'agissant des sommes réglées au titre de l'exécution provisoire ;
Considérant que les dépens tant de première instance que d'appel sont mis à la charge de Madame [U] ; que les demandes des parties présentées en cause d'appel en application de l'article 700 du code de procédure civile, sont rejetées ;
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement rendu le 10 novembre 2011 par le conseil de Prud'hommes de Paris à l'exception du rejet de la demande de dommages et intérêts présentée par Madame [N] [U] pour procédure vexatoire,
Statuant à nouveau et ajoutant,
Déboute Madame [N] [U] de ses demandes,
Rejette les demandes des parties présentées en cause d'appel en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne Madame [N] [U] aux dépens tant de première instance que d'appel.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE