RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 11
ARRÊT DU 21 Novembre 2013
(n° ,5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 10/05565
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 03 Mai 2007 par le Conseil de Prud'hommes d'ARGENTEUIL - RG n° 06/00179 infirmé partiellement par la Cour d'appel de Versailles par arrêt du 15 mai 2008, dont la décision a été partiellement cassée et annulée par arrêt de la Cour de Cassation en date du 10 février 2010 qui a ordonné le renvoi devant la Cour d'Appel de Paris.
APPELANTE
LA POSTE DIRECTION DEPARTEMENTALE
[Adresse 2]
représentée par Me Eléonore BALLESTER LIGER, avocat au barreau de PARIS, toque : G0435
INTIMES
Monsieur [Q] [D]
[Adresse 1]
comparant en personne, assisté de Me Alissar ABI FARAH, avocat au barreau de PARIS, toque : A0536
SYNDICAT CGT PTT 95
[Adresse 3]
représentée par Me Alissar ABI FARAH, avocat au barreau de PARIS, toque : A0536
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 10 Octobre 2013, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Jean-Michel DEPOMMIER, Président
Madame Evelyne GIL, Conseillère
Madame Isabelle DOUILLET, Conseillère
Qui en ont délibéré
Greffier : Melle Flora CAIA, lors des débats
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Jean-Michel DEPOMMIER, Président et par Mademoiselle Flora CAIA, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Vu l'appel régulièrement interjeté par la S.A. LA POSTE à l'encontre d'un jugement prononcé le 3 mai 2007 par le conseil de prud'hommes d'ARGENTEUIL ayant statué dans le litige qui l'oppose à Monsieur [Q] [D] sur les demandes de ce dernier relatives à l'exécution de son contrat de travail.
Vu le jugement déféré qui :
' a condamné la S.A. LA POSTE à payer à Monsieur [Q] [D] les sommes suivantes :
- 32 606,44 € à titre de dommages-intérêts pour déroulement anormal et discriminatoire de carrière,
- 800 € par application de l'article 700 du code de procédure civile ;
' a ordonné la remise sous astreinte au salarié de trois propositions de poste ;
' a condamné la S.A. LA POSTE à rétablir Monsieur [Q] [D] dans son déroulement normal de carrière en le classant au coefficient ACC III.3 et en versant la rémunération correspondante ;
' a condamné la S.A. LA POSTE à payer au syndicat CGT PTT 95 la somme de 100 € à titre de dommages-intérêts pour préjudice collectif subi, outre 100 € par application de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu l'arrêt de la cour d'appel de VERSAILLES en date du 15 mai 2008 qui a ordonné à la S.A. LA POSTE de faire à Monsieur [Q] [D] trois propositions de poste, l'a condamnée au paiement de la somme de 1 000 € à titre de dommages-intérêts pour défaut de visites médicales périodiques, outre 2 000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile, et a débouté les parties de leurs autres demandes.
Vu l'arrêt de la Cour de cassation en date du 10 février 2010 qui a cassé l'arrêt de la cour d'appel de VERSAILLES, sauf en ce qu'il a ordonné à la S.A. LA POSTE de faire des propositions de poste et l'a condamnée au paiement de dommages-intérêts et d'une indemnité.
Vu les conclusions visées par le greffier et développées oralement à l'audience aux termes desquelles :
La S.A. LA POSTE, appelante, poursuit l'annulation, à défaut, l'infirmation du jugement déféré ; elle requiert le débouté des demandes de Monsieur [Q] [D] et sa condamnation à lui payer la somme de 2 500 € par application de l'article 700 du code de procédure civile.
Monsieur [Q] [D], intimé, demande :
' le rétablissement sous astreinte de son déroulement normal de carrière ;
' le prononcé de l'obligation sous astreinte pour la S.A. LA POSTE de lui présenter trois propositions de poste correspondant à la classification ACC III.3 ;
' la condamnation de la S.A. LA POSTE au paiement des sommes suivantes :
- 77 253,45 € à titre de rappel de salaires, outre les congés payés afférents,
- 60 000 € à titre de dommages-intérêts pour discrimination syndicale,
- 3 500 € par application de l'article 700 du code de procédure civile.
Le syndicat CGT PTT 95, intervenant volontaire, demande la condamnation de la S.A. LA POSTE à lui payer la somme de 1 000 € (dispositif des conclusions) à titre de dommages-intérêts.
CELA ÉTANT EXPOSÉ
Par contrat écrit à durée déterminée en date du 5 octobre 1995, Monsieur [Q] [D] a été engagé par la S.A. LA POSTE en qualité de distributeur d'imprimés publicitaires.
D'autres contrats de même nature ont suivi. Le 27 février 1998, la relation de travail s'est prolongée pour une durée indéterminée.
A compter de novembre 2001, Monsieur [Q] [D] a exercé à plein temps des fonctions syndicales.
En 2003, le service "publipostage non adressé" auquel était initialement affecté Monsieur [Q] [D] a été supprimé. A défaut d'autres desiderata exprimés par ce dernier, la S.A. LA POSTE lui a notifié le 17 décembre 2004 son rattachement administratif à l'entité de "[Localité 1] CCT1".
S'estimant victime d'une discrimination syndicale, Monsieur [Q] [D] a saisi le conseil de prud'hommes le 17 février 2005.
En exécution des dispositions de l'arrêt de la cour d'appel de VERSAILLES, la S.A. LA POSTE a proposé trois postes à Monsieur [Q] [D] qui en a accepté un le 21 juillet 2008, celui d'agent rouleur sur le centre de distribution de SAINT GRATIEN.
SUR CE
Sur la nullité du jugement.
La S.A. LA POSTE fait valoir que les premiers juges ont manifesté un manque flagrant d'impartialité et n'ont pas respecté le principe de la contradiction, notamment en négligeant son argumentation et en faisant référence à des textes qui n'avaient pas été produits aux débats et discutés par les parties.
Toutefois l'omission de rouvrir les débats pour permettre aux parties de discuter contradictoirement un élément nouveau n'est pas sanctionnée par la nullité et l'appel nullité pour violation d'un principe fondamental de la procédure n'est pas recevable dès lors que la voie de l'appel réformation est ouverte.
Il convient donc de débouter l'appelante de sa demande en annulation du jugement.
Sur la discrimination.
Il n'est pas contesté que Monsieur [Q] [D] n'a fait l'objet d'aucun entretien d'évaluation. Il est par ailleurs établi que l'absence d'entretien d'évaluation est préjudiciable à un déroulement normal de carrière, cet élément étant pris en compte pour décider des promotions internes.
Monsieur [Q] [D] exerçant des responsabilités syndicales, cette circonstance fait présumer l'existence d'une discrimination.
La S.A. LA POSTE soutient que ses règles internes organisent à cet égard la situation d'agents se trouvant dans une situation particulière, dont font partie, mais pas seulement, les agents rattachés à une fonction technique du secteur syndical, le dispositif ainsi mis en place, de portée générale et impersonnelle, justifiant, en dehors de toute discrimination, le traitement appliqué à Monsieur [Q] [D].
Pour soutenir cette argumentation, la S.A. LA POSTE s'appuie sur une instruction du 1er septembre 2004 qui ne saurait toutefois justifier une pratique antérieure à cette date. Elle fait valoir que l'instruction en cause ne fait que reprendre des dispositifs précédents identiques mais elle ne produit aucune pièce objective permettant d'étayer la thèse selon laquelle, concernant le point discuté, les prescriptions de l'instruction de 2004 seraient la reprise de normes plus anciennes, écrites ou non écrites, couvrant la période d'embauche de Monsieur [Q] [D]. De même elle ne fournit pas d'exemples d'autres agents non évalués pour des raisons objectives similaires à celles invoquées à l'égard de ce dernier.
La présomption de discrimination n'étant dès lors pas utilement combattue, il convient de retenir que Monsieur [Q] [D] a été l'objet de ce traitement illicite.
Sur les réparations.
Il convient tout d'abord de réparer le préjudice subi par Monsieur [Q] [D] tenant dans la différence entre son évolution de carrière telle qu'elle s'est déroulée de fait et telle qu'elle aurait été en l'absence de discrimination. Monsieur [Q] [D] ne peut prétendre sur ce point à une reconstitution au mois le mois alors que d'une part il s'appuie pour ce faire sur des avancements automatiques et dans des délais optimaux qui n'ont de fait pas cours au sein de l'entreprise et que d'autre part il s'est constamment abstenu de formuler des voeux, de suivre des formations ou de se soumettre à des épreuves internes propres à faciliter son accession à des emplois mieux classés, n'établissant pas que sa position particulière dans l'entreprise l'empêchait de le faire et alors qu'il a répondu négativement ou de manière manifestement inappropriée lorsqu'il a été sollicité sur ce point par l'employeur.
Il n'y a donc pas lieu à reconstitution de carrière et le préjudice matériel subi par Monsieur [Q] [D] s'analyse plus exactement, comme le soutient à juste titre l'employeur, en une perte de chance. Pour évaluer celle-ci, il convient de retenir la somme de 77 253,45 €, qui représente le manque à gagner avancé par Monsieur [Q] [D] par rapport au déroulement de carrière idéal qu'il décrit - chiffre en tant que tel non contesté par la S.A. LA POSTE -, et de lui appliquer un coefficient réducteur à proportion de la probabilité de réalisation de cette occurrence théorique. Au vu des éléments fournis aux débats, il s'avère que les chances du salarié de parvenir à un emploi ACC I.1 le 28 août 1998, ACC II.3 le 28 février 2001 et ACC III.3 le 28 février 2004 n'excèdent pas 5 %. Il convient donc de lui allouer des dommages-intérêts d'un montant de 3 862,67 €.
Le préjudice plus général, tenant à l'existence même de la discrimination et qui ne se confond pas avec celui déterminé ci-dessus, sera réparé par des dommages-intérêts d'un montant de 15 000 €.
Concernant la demande de proposition de postes, les dispositions prises en la matière par la cour d'appel de VERSAILLES ont été exclues de la cassation ; elles ont été exécutées, la S.A. LA POSTE ayant bien proposé trois postes à Monsieur [Q] [D] dont un a été accepté par ce dernier. Il n'y a pas lieu de statuer de ce chef.
Sur l'intervention du syndicat CGT PTT 95.
Les premiers juges ont procédé sur ce point à une exacte appréciation des éléments de la cause, que la cour adopte.
Sur les dépens et les frais non compris dans les dépens.
Succombant au principal, la S.A. LA POSTE sera condamnée aux dépens d'appel et gardera à sa charge les frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés, les dispositions prises sur les dépens et les frais irrépétibles de première instance étant confirmées.
La somme qui doit être mise à la charge de la S.A. LA POSTE au titre des frais non compris dans les dépens exposés par Monsieur [Q] [D] peut être équitablement fixée à 2 200 €, cette somme complétant celle allouée en première instance.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Déboute la S.A. LA POSTE de sa demande en annulation.
Confirme le jugement déféré en ses dispositions relatives à l'existence d'une discrimination, à l'intervention volontaire du syndicat CGT PTT 95, aux dépens et aux frais non compris dans les dépens exposés en première instance.
L'infirmant pour le surplus et y ajoutant,
Condamne la S.A. LA POSTE à payer à Monsieur [Q] [D] les sommes suivantes :
- 3 862,67 € à titre de dommages-intérêts pour préjudice de carrière,
- 15 000 € à titre de dommages-intérêts pour discrimination syndicale.
Dit n'y avoir lieu à statuer sur la demande de proposition de postes.
Condamne la S.A. LA POSTE aux dépens d'appel et à payer à Monsieur [Q] [D] la somme de 2 200 € par application de l'article 700 du code de procédure civile.
Le Greffier,Le Président,
0